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tome 1, Chapitre 16 « Entrevue » tome 1, Chapitre 16

Comme chaque matin, Ryn se leva à l’aube pour s’entraîner. Même loin de ses équipières, sa discipline restait inébranlable. Elle bondissait avec agilité entre les troncs, enchaînant pirouettes et tirs précis sur des cibles qu’elle choisissait à l’instinct, dans des enchaînements aussi fluides que rigoureux.

Alors qu’elle s’apprêtait à bander son arc une nouvelle fois, un fort croassement attira son attention. Perché, un corbeau la fixait intensément. Ryn reconnut immédiatement l’oiseau grâce au pendentif orné d’une améthyste attaché à son cou : l’animal de compagnie de Cornelia.

L’oiseau descendit au sol. Ryn s’en approcha, détacha le petit étui de sa patte et en tira un rouleau de parchemin qu'elle lut.

Son visage se durcit. Elle rangea le message et rentra aussitôt. Dans la cuisine, sa mère bavardait gaiement avec Aelia et Célia.

— Déjà de retour ? s’étonna Judith.

Ryn s’installa à la table, son expression plus grave que d’habitude.

— Erulyn vous recevra au palais ce soir, annonça-t-elle. Nous partirons juste après le déjeuner.

La mère cessa immédiatement ses activités pour commencer à préparer le repas. Aelia et Célia échangèrent un regard inquiet.

— Tyane sera là ? demanda Célia.

Ryn fit non de la tête.

— Vous ferez face à la régente, à son intendante, et au Haut conseiller de la Lignée Divine. Il y aura aussi une autre personne : l’archidiacre Caldor. Méfiez-vous de lui.

— Pourquoi ?

— Il fait partie des visionnaires, l’Ordre religieux de la capitale, expliqua Ryn. Cependant, ces idéaux, à lui et ses sbires les plus fidèles sont… très fermés. Ces fanatiques rejettent toute autre forme de croyance, ou même de magie. À leurs yeux, seuls les elfes sont dignes de fouler les terres du Cratère Sylvestre. Je vous laisse imaginer leur réaction en apprenant que deux humaines y sont entrées…

— Et… tous vos prêtres sont comme lui ? demanda Célia, de plus en plus inquiète.

— Oh, par la Grande Alyona, heureusement non ! La quasi-totalité d'entre eux suivent les préceptes de notre Grande Prêtresse, qui est aussi la souveraine de notre peuple. Sauf que…

Ryn s’interrompit, tant ce sujet était sensible. Même sa mère laissa paraître une lueur de tristesse à son évocation.

— Écoutez, reprit l’archère en changeant de ton. Contentez vous de répondre aux questions d’Erulyn, de Milys et de Luka. Ignorez les provocations de ce vieux fou, et tout se passera bien.

Aelia baissa les épaules, trahissant son angoisse. Célia, bien que tout aussi préoccupée, s’efforçait de rester stoïque pour ne pas ajouter au malaise de sa sœur.

— J'ai foi en vous, s'exprima Ryn d’une voix sincère. Vous saurez prouver votre gentillesse.

Ces paroles insufflèrent un peu de courage aux humaines, mais pas suffisamment pour apaiser entièrement leurs craintes. Consciente de leur besoin de se préparer mentalement, Ryn les laissa seules jusqu’au repas de midi.

Malgré sa saveur, ce dernier se déroula dans un silence pesant, chaque bouchée marquée par l’appréhension du départ. Une fois la table débarrassée et les affaires prêtes, l’heure de partir arriva.

Ryn emprunta un Equiral au village. Elle l’enfourcha, tandis qu’Aelia et Célia montèrent sur Quiro. Une petite dizaine de villageois s’étaient rassemblés pour assister à leur départ. Parmi eux se trouvaient les parents de Ryn et le vieil herboriste.

— Nos portes vous seront toujours ouvertes, dit Judith d’un ton bienveillant au humaines après avoir câliné sa fille.

Ces mots réchauffèrent le cœur des sœurs, qui promirent de revenir dès que possible. Le groupe quitta Avgang, empruntant la route principale en direction de la capitale elfique.

***

Sur le chemin vers Sylvae, Aelia et Ryn discutaient de la région et de ses habitants, tandis que Célia préparait mentalement l’entrevue à venir. Quels éléments devait-elle évoquer ? Leur rencontre mouvementée avec Tyane ? L’apparition de la Pourfendeuse de Démons ?

Ce n’était pas la guerrière en noir qui la hantait, mais Tyane… et ce qu’elle était devenue lors de son dernier combat : une créature semblable à un Néantys. Elle hésitait encore à en parler à Ryn, mais la voix de l’archère la tira de ses pensées.

— Ne te torture pas l’esprit, Célia. Erulyn n’est pas comme tu pourrais l’imaginer. Vous avez croisé Tyane par hasard, personne ne peut vous en tenir rigueur.

— Je ne comprends toujours pas pourquoi Tyane ne nous a pas tuées et simplement récupéré le carnet des Lumiailes.

— Elle devait avoir ses raisons. Même Cornelia, les jumelles et moi ne parvenons pas à percer ses véritables intentions. Tout ce qui semble important à ses yeux, c’est la protection d’Erulyn. Tyane n’obéit qu’à elle et n’hésiterait pas à nous éliminer, nous, ses équipières, si cela permettait de préserver la Lignée Divine.

— Alors pourquoi lui obéir ?

— Parce que, comme elle, nous défendons ce qui nous est cher. Notre Ordre a été fondé pour affronter les Neantys, qui représentent un grand danger pour le Cratère mais aussi pour le monde entier. L’armée régulière est compétente, mais elle ne possède pas nos armes si particulières.

— Votre arc et les dagues de Tyane ?

L’archère fit un signe de tête, confirmant la compréhension de Célia.

— Exact, mais c’est un secret que nous garderons et emporterons avec nous dans les Forêts Éthérées, ce que vous appelleriez l’au-delà selon vos croyances.

Le silence et la quiétude de la chevauchée s'installèrent peu à peu, et l’après-midi s’étira, lentement, jusqu’à ce que la douceur de la nuit vienne envelopper les voyageuses. Au loin, les plus hauts bâtiments de la capitale se dessinaient.

Le groupe parcourut les dernières centaines de mètres, avant de passer l’entrée de Sylvae.

***

Les bâtisses de la capitale se dressaient, bien plus imposantes que celles d’Avgang. Le bois sombre, taillé avec soin, dessinait des murs sobres, et les toits épousaient les courbes naturelles des branches. Si quelques arbres avaient encore été creusés, la majorité des habitations se fondaient dans un style plus construit, toujours en harmonie avec la forêt.

Même de nuit, le peuple elfique demeurait très actif. L’allée principale, pavée de larges dalles polies et illuminée par des pierres suspendues au-dessus des passants, bourdonnait d’une activité constante.

Les citadins allaient et venaient, affairés, mais leurs regards s’attardaient souvent sur le cortège, plus particulièrement sur les deux sœurs. Une certaine curiosité flottait dans l’air, accompagnée de murmures mêlant méfiance et jugement. Aelia et Célia baissèrent la tête, mal à l’aise, alors que Ryn, au contraire, rayonnait de sa jovialité habituelle.

L'archère répondait aux saluts des habitants qui la reconnaissaient. Elle était très populaire, malgré son lien avec Tyane, une figure plus redoutée que respectée. Sentant la gêne des sœurs, l’archère leur adressa un sourire rassurant.

— Regardez, nous y sommes ! s’exclama-t-elle avec enthousiasme.

Aelia et Célia levèrent des yeux d’abord voilés d’inquiétude, bientôt baignés d’émerveillement. Devant elles se dressait le palais de Sylvae. Il était encore plus impressionnant vu de près.

Percé de fenêtres élégantes et orné de balcons finement sculptés, de petites sphères lumineuses pendaient de ses branches les plus hautes. Une énergie translucide s’en échappait telle de l’eau et s’évaporait dans l’air.

Les sœurs observaient ce spectacle grandiose, se demandant si la seule largeur de l’arbre ne surpassait pas la superficie de leur modeste village. Combien de personnes pouvaient bien vivre à l'intérieur ? Une centaine ? Peut-être plus !

Le groupe s’approcha du grand escalier à sa base. Une femme les attendait au pieds des marches. Sa tunique brune, sobre mais élégante, était ornée de perles argentées au niveau des manches et de l’ourlet de la jupe. De simples ballerines complétaient cette tenue raffinée. Bien que son expression restât neutre, une certaine appréhension transparaissait à l'approche du groupe.

Les montures s'arrêtèrent non loin d'elle. Ryn, Aelia et Célia mirent pied à terre.

— Intendante Milys, salua l’archère avec respect. Comme convenu, j’ai escorté ces deux personnes jusqu’ici.

— Merci, Ryn. Vos équipières vous attendent au Manoir Ébène.

— J’y vais alors. J’espère vous revoir bientôt, Aelia et Célia !

Les sœurs lui adressèrent un sourire reconnaissant tandis que l'archère s’éloignait avec les montures. Milys les invita à la suivre. L'elfe et les humaines montèrent les marches, jusqu'à se retrouver sur le large parvis du palais.

— Notre régente vous recevra et vous écoutera avec attention, s'exprima l'intendante. Souhaitez-vous un instant pour vous préparer ?

Célia, tendue, se redressa, parfaitement droite.

— Nous sommes prêtes, dit-elle après s’être raclé la gorge.

Milys esquissa un petit rire gêné.

— Erulyn n’exige pas ce genre de formalité. Considérez-vous comme nos invitées, au même titre que n’importe quel émissaire d'un peuple magique. Allons-y.

Le groupe passa les immenses portes du bâtiment et s’engagea dans un long couloir. Tandis qu’elles marchaient, Célia restait plongée dans ses pensées. Son cœur battait à tout rompre. Tout allait se jouer maintenant.

À ses côtés Aelia lui lançait des coups d’œil furtifs, devinant sa nervosité. D’ordinaire calme et assurée lors des trocs à Uleth, sa sœur semblait cette fois dépassée par la situation.

Distraitement, Célia heurta Milys, qui s’était arrêtée devant d'autres portes.

— Ah…! Toutes mes excuses.

L’elfe ne lui en tint pas rigueur et, après un ultime moment d’hésitation, poussa les portes, révélant une vaste salle divisée en deux espaces distincts.

Le premier comprenait trois longues tables en bois, entourées de nombreuses chaises. Le second, légèrement surélevé par deux marches, était recouvert d’un tapis d’herbe fraîche. Au fond, deux arbres majestueux en fleurs encadraient un trône taillé dans leurs racines entrelacées. Une jeune femme à la chevelure vert jade y siégeait, vêtue de blanc et d’or, les mains posées sur ses cuisses.

À sa gauche, un elfe svelte portait une simple veste en cuir et un pantalon gris. Ses cheveux courts de couleur châtin encadrait un visage sérieux. À sa droite se tenait un autre elfe aux allures de religieux. Ses traits fatigués et ses cheveux grisonnants témoignaient de son âge avancé. Il fixait les sœurs d’un regard sévère.

Milys fit avancer les humaines. Pendant qu'elle marchait, Célia observa celle qui devait être Erulyn. Une impression familière naquit chez l'aînée des sœurs : ce regard hésitant… Cette régente, malgré son statut, manquait-elle d'assurance ?

L’intendante fit s’arrêter les invitées dès leurs pieds foulant l'herbe. Erulyn se leva, forçant un sourire.

— Bienvenue à Sylvae. Je suis Erulyn, fille de la Grande Prêtresse Alervina et régente du Cratère Sylvestre. Vous avez déjà fait la connaissance de l’intendante Milys.

Elle tendit une main vers l'une puis l’autre des personnes présentes.

— Je vous présente Luka, Haut conseiller de la Lignée Divine, et Caldor, archidiacre de l’Ordre religieux de notre peuple.

Le premier inclina légèrement la tête en signe de salut, le second continua de les fusiller du regard.

— Tyane m’a tout raconté à votre sujet, poursuivit la régente. Vous êtes des humaines à la poursuite d’une mystérieuse guerrière masquée appelée Pourfendeuse de Démons. Est-ce exact ?

— Oui, répondit Célia d’une voix peu assurée. Nous nous sommes lancées à la poursuite de cette femme pour obtenir des réponses sur la morts mystérieuse de deux Lumiailes, et sur les Neantys.

Le fait que les mots “Lumiailes” et “Néantys” sortent de la bouche d'une humaine surprit déjà les elfes. Erulyn échangea des regards avec le conseiller et l’intendante avant de revenir sur les sœurs.

— Nous avons rencontré Tyane un peu plus tard, continua la jeune épéiste. Elle nous à conduit jusqu’à votre territoire, en échange de…

— Que votre espèce foule nos terres sacrées est déjà un sacrilège ! lança Caldor, interrompant l’humaine d’une voix acerbe. Elles doivent payer cet affront de leurs vies, tout comme la déchue !

Célia se força à rester digne face à cette menace, mais son cœur tambourinait à un rythme effréné. Ryn n’avait pas menti à propos de cette personne aux dogmes radicaux. Le souffle de l’humaine se coupa un instant, et elle sentit une goutte de sueur froide le long de sa nuque. Derrière elle, Aelia s’accrochait fermement à la cape de son aînée.

— Archidiacre, intervint Milys d’un ton ferme mais mesuré. Nous allons d’abord écouter ces personnes et notre régente prendra les mesures nécessaires dans l’intérêt de notre peuple. Est-ce clair ?

Le prêtre fulmina, un grognement sourd s’échappant de ses dents serrées. Les elfes laissèrent Célia achever son récit, puis Luka posa les premières questions.

— Après avoir repris connaissance, Tyane nous a fait son rapport. Lors de votre périple, vous avez découvert un puits originel mineur. Est-ce vrai, et est-ce que d’autres humains connaissent son emplacement ?

— J’en doute, répondit Célia, sinon le lieu aurait été grandement surveillé.

— Et dans quelles circonstances avez-vous rencontré Tyane ? demanda alors l’intendante. Elle est notre Maître-espionne, et ses capacités ne sont plus à prouver.

— D’abord lors d’une agression de Neantys en pleine forêt, puis à Esmara, une ville fortifiée dans notre région d’origine. Elle voulait ceci.

Célia sortit le carnet d’Eldan de son sac.

— Ce journal de voyage à été écrit par l’un des deux Lumiailes morts. Apparemment, une certaine Reine Sorane l’avait envoyé, son père et lui, en quête d’information sur les Neantys et la Pourfendeuse de Démons.

Elle sauta les actes inqualifiables de son ancien propriétaire pour évoquer tout ce qu’elle avait appris en le lisant. Les elfes se jetèrent des regards inquiets. Qu’une humaine en sache autant, y compris à propos de la disparition de leur souveraine, les gênait. Tout ce qu’ils espéraient maintenant, c'était que seules ces deux-là aient vent de toutes ces informations sensibles. Cela comprenait aussi la simple existence des peuples magiques. Erulyn reprit la parole.

— Cette mystérieuse femme combat les démons, certes, mais elle manie une magie obscure semblable à la leur. A l'exception de ce journal de voyage Lumiailes, avez-vous eu vent d’autres informations ou de rumeurs à ce sujet ?

Comme elle l’avait promis à Tyane, Célia fit part de tout ce qu’elle savait sur la guerrière en noir, y compris sa première rencontre avec elle, et ses cauchemars. L’humaine parla aussi des rumeurs venant de la capitale des Plaines d’Ashon.

— Beaucoup soupçonnent le vieux seigneur de cacher des mages noirs au sein de sa cour. Ils invoqueraient ces créatures pour contraindre les bourgades isolées à payer une taxe de protection, en plus des lourds impôts déjà exigés. Si je devais chercher l’origine des Neantys, je commencerais par là-bas.

La régente haussa les sourcils, visiblement étonnée. Du peu qu’elle connaissait des humains, elle doutait qu’ils puissent invoquer et maîtriser de telles créatures. Dans son esprit, seul un être magique pourrait y parvenir.

Quant à cette Pourfendeuse de Démons, d’après le rapport de Tyane, elle jouirait d’aptitudes bien supérieures à celles des humains. Tout semblait indiquer qu’elle était alliée à l’un des autres peuples magiques. Mais lequel ? Les lumiailes ? Les ondins ? Les feys ? Plusieurs hypothèses lui vinrent en tête, mais le mystère restait entier sur cette femme et ses réels objectifs.

— J’espère que nous en apprendrons plus par la suite, conclut Erulyn.

— Puis-je à mon tour vous poser une question ? osa Célia, plus en confiance.

— Bien-sûr. Parlez.

— Tyane l’accusait d’être une criminelle. Pouvez-vous nous en dire plus ?

La régente se tourna vers Luka. Le regard dur du haut-conseiller suffit à lui répondre.

— Ce sont des informations que nous souhaitons garder confidentielles. Comprenez bien que même si vos intentions sont guidées par un désir légitime de vérité, nous ne vous faisons pas entièrement confiance. D’ailleur, en ce qui vous concerne, vous allez devoir demeurer quelque temps parmi nous jusqu’à ce que cette situation soit tirée au clair.

— Comment ?! s’indigna le religieux, hors de lui. Autoriser des humaines à circuler librement sur notre territoire ? C’est inacceptable ! Je m’y oppose fermement !

— Caldor ! coupa Milys. Notre régente a pris sa décision, cette entrevue est donc terminée. Veuillez disposer.

Caldor jeta un regard noir à la régente. Cette dernière ferma immédiatement les yeux et poussa un petit gémissement.

— La Lignée Divine est tombée bien bas…

— Caldor ! accusa Luka qui s’interposa. Partez, ou je devrais vous y obliger par la force ! N’avez-vous aucune honte à rendre mal à l’aise votre souveraine ?

L’archidiacre se tut, un sourire narquois se dessina au coin de ses lèvres.

— Notre Souveraine ? J’ai beau regarder autour de nous, je ne vois nulle part notre Grande Prêtresse.

— Assez ! Vous dépassez les bornes !

— Ma présence en ces lieux ainsi que le point de vue de l’Ordre que je représente sont autant légitimes que les vôtres, continua-t-il d’un air hautain. Mais soit, je prends congé.

Le vieil elfe lança un dernier regard assassin aux humaines, bien décidé à ne pas en rester là.

— Elles finiront par révéler leur vrai visage. Et ce jour-là, nous serons prêts à leur faire regretter d’avoir souillé nos terres sacrées.

Il s’inclina dans la direction d’Erulyn, car le protocole le lui obligeait, et quitta la salle. Milys vint vers les sœurs pendant que Luka tentait de calmer la régente secouée. Dépassées par la situation, Aelia et Célia n’avaient pas bronché.

— Veuillez nous pardonner pour ce triste spectacle, s’excusa l’intendante. N’ayez crainte, vous êtes maintenant sous notre protection.

Milys invita Aelia et Célia à la suivre.

Éclairée à la lumière d’une torche minérale, l’elfe leur fit monter plusieurs étages et marcher à travers un couloir, avant de s’arrêter devant une porte.

— Voici votre chambre. J’espère qu’elle sera à votre goût. Passez une bonne nuit.

Milys s'éloigna, Aelia et Célia entrèrent.

La chambre comprenait un large lit à baldaquin, ses draps tirés avec une précision presque princière. Une coiffeuse et une grande commode à miroirs occupaient le mur gauche. Un paravent avait été disposé dans un coin. Le tout, posé sur un parquet en bois clair parfaitement lustré.

Pas d’éclairage, mais la douce lumière nocturne extérieure venant des grandes fenêtres donnant sur un balcon était amplement suffisante.

La fatigue due à la tension de l’entrevue submergea rapidement la cadette. Une fois changée, elle se glissa dans le lit moelleux. Célia alla prendre le journal d’Eldan dans son sac. La jeune fille s’installa au bord du lit et l’ouvrit.

Elle sauta les premières pages, de peur d’y lire d’autres horreurs. Ce soir, elle n’avait qu’un but : savoir s’il avait écrit sur elle. Et il l’avait fait.

[Jour 35 – Uleth]

Nous sommes arrivés dans un village encore plus miteux que les précédents. On comptait vendre quelques bijoux volés, mais ces pouilleux n’ont pas les moyens.

La taverne est bruyante, et l’hydromel est infect. Une fille attire mon attention. Elle exprime des choses plutôt intéressantes pour une pauvre paysanne. Apparemment, parler de cette Pourfendeuse de Démons n’est pas bien vu ici. Elle se lève, certainement pour aller parler avec père de cette mystérieuse guerrière. Il a encore attiré inutilement l’attention…

[Jour 36 – Célia, la fouineuse]

La fille en question s’appelle Célia, et elle s’intéresse aux démons et à la femme que nous recherchons. J’ai tenté un rapprochement : ce n’est qu’une pauvre rêveuse facilement séduite par le premier bel homme qu'elle voit... Je lui ai proposé de nous accompagner dans notre voyage. Un prétexte alléchant pour lui faire regretter sa curiosité gênante.

Comme je l'avais prédit, elle est venue ce soir, pleine d'espoir. Je l'ai foudroyée avec ma bague… Nous avons quitté ce village, emportant avec nous cette fouineuse. Nous la livrerons à notre reine, en plus de notre butin.

Sorane cherchait des cobayes vivants pour ses expériences : elle sera servie. Personne ne regrettera cette pauvre sotte, qui, si elle survit à tout ce qu’elle subira, finira juste en esclave docile au palais.

À la suite, Eldan avait rédigé une liste, sans doute un inventaire de tout ce qu’ils avaient amassé avec son père. Puis plus rien. Il était mort ce soir-là, dans des circonstances que Célia ignorait toujours. Les faux marchands possédaient tellement de choses… Et finalement, le fait que tout cela servirait à la survie du village d’Uleth était une grande consolation.

Célia poussa un grand soupir, avant de refermer définitivement l’horrible ouvrage. Ce serait sans regret qu’elle le remettrait à Milys demain matin. Elle pensa brièvement à Claire, une des victimes d’Eldan. Elle espérait qu’elle allait mieux, qu’elle retrouvait un peu de joie.

La jeune fille posa le carnet sur la table, se déshabilla et rejoignit sa sœur, déjà au pays des songes. Elle s’endormit à son tour, l’esprit un peu plus léger. Comme si, enfin, l’ombre de ces pages s’était définitivement éteinte.


Texte publié par K. Helphine D., 20 juillet 2025 à 13h20
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