Ici, tout semblait suspendu. L’air était calme, chargé d’une présence diffuse. Aelia et Célia restèrent un moment figées, comme retenues par cette quiétude nouvelle.
Tout était vivant, mais paisible. Rien ne bougeait vraiment, et pourtant, tout semblait respirer. L’atmosphère mystique du Cratère Sylvestre procurait aux humaines un sentiment de sécurité, contrairement à la forêt d’Uleth, où la moindre menace pouvait surgir sans prévenir.
Les sœurs se retournèrent. Les dernières émanations du portail scintillaient encore dans l’air, avant de se dissiper lentement. En un instant, le passage s’était refermé, scellant l’accès à tout ce qu’elles laissaient au-delà de ces falaises.
Plus loin, trois étranges bêtes attendaient calmement. Elles ressemblaient à des chevaux, mais différaient nettement de Quiro. Leurs membres étaient plus fins, et leurs yeux luisaient d’un vert profond. Leur robe pâle, tachetée de vert ou de brun, semblait faite pour se fondre dans les sous-bois.
Près d’elles, Cornelia inspectait l’état de Tyane, allongée au sol et toujours inconsciente. Elle espérait que sa supérieure se réveille rapidement et donne des explications claires.
— Nous allons la ramener au manoir et prévenir la régente, décida-t-elle, avant de s’adresser à l’archère. Ryn, conduis-les à Avgang. Je t’enverrai un corbeau-messager quand elles seront convoquées au palais.
Ryn acquiesça. Les jumelles et la mystique chevauchèrent vers le sud, tandis que l’archère et les humaines prirent la direction de l’est.
Ryn tenait Quiro, pendant que les sœurs contemplaient de plus près cet environnement presque irréel. Aelia s’accroupit devant des fleurs aux teintes éclatantes, humant leur parfum fruité sans oser les toucher.
La faune, elle aussi, semblait tout droit sortie d’un rêve. Des insectes lumineux virevoltaient çà et là. Des chants d’oiseaux résonnaient. Certains sautillaient de branche en branche, d’autres exhibaient leurs plumages irisés aux teintes multicolores.
Célia aperçut au loin un cerf à la robe immaculée, parsemée de taches rouges. Il se tenait fièrement, ses bois s’élevant en spirales élégantes. Plus loin encore, de petits renards argentés aux motifs bleutés jouaient joyeusement entre eux.
— La faune est aussi magique ? demanda Célia, fascinée.
— C’est en dehors du Cratère qu’elle ne l’est pas, répondit Ryn avec un sourire léger. Ici, la magie imprègne tout : chaque être vivant, chaque arbre, chaque fleur, chaque pierre… et même l’air !
— Vos chevaux sont différents des nôtres, remarqua Aelia.
— Les Equirals ? Ils sont très intelligents, mais je reconnais que votre monture est bien plus belle ! Au fait, je m'appelle Ryn. Et vous ?
— Célia. Et ma petite sœur, Aelia.
— Ce sont de jolis noms. Nous nous rendons à Avgang, mon village natal. Cela fait si longtemps que je n’y suis pas retournée !
La nuit était presque tombée, et seules les lueurs des végétaux éclairaient le groupe. C'était suffisant, mais Célia sortit tout de même sa lanterne avec la pierre lumineuse orangée. Ryn fut intriguée.
— Les humains savent se servir des gemmes magiques ? Fascinant !
— Comment ça ? Je l’ai trouvée dans ce que Tyane a appelé un puits originel mineur.
L’elfe fit une petite mine désolée, mais gardant cette information importante pour elle.
Le groupe continua sa route, échangeant autant sur le territoire elfique que sur les Plaines d’Ashon. Et, après une bonne heure de marche, les lumières du village d’Avgang, perçant à travers les bois, n’avaient jamais semblé aussi réconfortantes, aussi bien pour la native de l’endroit que pour les humaines fatiguées.
Situé au cœur d’un bosquet verdoyant, le village d’Avgang ne comptait que peu de maisons, au sens humain du terme. La majorité des habitations étaient nichées dans d’immenses arbres, dont les troncs, larges comme des tours, étaient percés de fenêtres.
Des passerelles de bois, tendues entre les branches maîtresses, reliaient certaines demeures entre elles. Des lanternes suspendues, contenant de petites gemmes lumineuses, baignaient le village dans une douce clarté.
Quelques Equirals se reposaient çà et là, libres de leurs mouvements et nullement dérangés par les activités à proximité.
La vue de Ryn attira les premiers regards, jusque-là absorbés par leurs occupations. Les visages s’éclairèrent, des voix s’élevèrent. Tous vinrent à sa rencontre.
— Ryn ? Est-ce bien toi ?
— En chair et en os, répondit-elle avec un grand sourire. Cela faisait longtemps !
Quelques-uns prirent la main de leur petite héroïne locale, mais cette admiration se mêlait à une crainte retenue. Chacun savait que Tyane, qui l’avait prise sous son aile, n’était pas la personne la plus fréquentable. Tous préféraient voir ce que l’archère était devenue plutôt que de penser à celle qui l’avait aidée à prendre confiance en elle.
Dans l’agitation de ces belles retrouvailles, les visages passèrent rapidement de la joie à l’incompréhension. Les yeux s’écarquillèrent à la vue des personnes accompagnant Ryn. Des murmures stupéfaits montèrent :
— Des humaines ?
— C’est impossible…
— Leur espèce est censée être éteinte depuis la…
Perturbée par tant de regards scrutateurs, Aelia se réfugia derrière Célia, tout aussi intimidée. Ryn sentit l’ambiance se tendre et s’adressa à ses semblables avec une assurance tranquille.
— Voici Aelia et Célia, deux humaines qui ont trouvé refuge sur nos terres après un long et périlleux voyage à travers des territoires hostiles. Elles resteront quelques jours parmi nous. Offrons-leur un bon souvenir de notre village avant qu’elles ne se rendent à la capitale !
Un grand silence tomba. Les elfes échangèrent des regards incertains, tiraillés entre stupeur et prudence. Certains reculèrent d’un pas, d’autres s’approchèrent à pas mesurés. Quelques enfants elfiques jetèrent des regards brillants à ces étranges créatures qui leur ressemblaient, mais sans leurs longues oreilles. Leurs aînés les retinrent par la main.
Un elfe d’un âge très avancé fendit lentement la foule. Il observait les deux sœurs avec une intensité troublante. Arrivé devant Célia, il leva une main tremblante.
— Pardonnez mon audace… murmura-t-il dans un souffle rauque.
Puis, tout doucement, il posa ses doigts noueux sur l’avant-bras de l’aînée. Célia jeta un regard inquiet à Ryn, qui lui fit un signe de tête approbateur. La jeune fille se laissa faire, aussi immobile qu’une statue. L’instant avait quelque chose de sacré, presque solennel.
— Vous… vous êtes réelle, souffla le vieillard. Votre chair est tiède… vivante. Je n’aurais jamais cru revoir un être humain de mon vivant…
Il recula lentement et s’adressa aux siens :
— Ce ne sont ni des illusions, ni des échos du passé. Elles sont là. Les humains ne sont pas tous éteints… Les chroniques de la Guerre Fantastique mentent.
Des murmures de stupeur parcoururent l’assemblée. Certains s’approchèrent un peu plus, les visages marqués par une émotion muette. Puis, un elfe au regard sévère lança, méfiant :
— Et comment savons-nous qu’elles ne sont pas venues troubler notre équilibre ?
Cette simple question amplifia le doute chez les plus sceptiques. Ryn redressa la tête, son ton soudain plus ferme.
— Tyane ne les aurait jamais fait entrer dans le Cratère si elle ne leur faisait pas un minimum confiance, ou si elle n’avait pas reconnu en elles une certaine utilité.
— Tyane n’est pas digne de confiance, c’est là le problème !
La tension monta encore d’un cran. Même ceux qui admiraient Ryn n’osaient plus intervenir. Les regards se firent de plus en plus accusateurs. L’archère perdit son sourire. Elle comprenait leurs craintes, mais ce soir, ce n’était pas le moment.
— Je les conduis chez moi, dit-elle finalement. Ces deux personnes sont exténuées après un voyage de presque trois semaines depuis leur village d’origine. Inutile d’en ajouter sur leurs épaules. On discutera de tout cela calmement une fois les esprits refroidis.
Elle s’inclina légèrement, sans quitter des yeux l’elfe qui avait déclenché le tumulte, puis tourna les talons. Aelia et Célia la suivirent en silence, encore déboussolées par les réactions diverses.
Après avoir attaché Quiro en lieu sûr, le groupe monta des escaliers enroulés autour d’un large tronc, puis traversa une passerelle suspendue entre deux arbres. Le visage de Ryn restait fermé, pendant que Célia sentait son cœur battre un peu plus vite à chaque marche. Une part d’elle ne réalisait pas encore où elle se trouvait. Une autre sentait de ne pas y être la bienvenue.
Finalement, Ryn s’arrêta devant une large porte arquée. Elle la poussa doucement. Lorsque le trio franchit le seuil de l’habitation, une agréable odeur de sève emplit leurs narines.
L’intérieur, bien plus spacieux qu’il n’y paraissait de l’extérieur, était baigné d’une lumière douce émanant de gemmes placées dans des bulbes de verre fixés au mur. La cuisine comprenait une table ronde soutenue par un unique pied.
Sur les étagères, des ustensiles et des plats en bois étaient soigneusement rangés. Un feu turquoise crépitait sous un four en pierre et un escalier en colimaçon discret menait aux étages.
Une elfe vêtue d’une tenue simple mais raffinée ouvrit grand les yeux.
— Ryn !
Elle s’élança vers sa fille, et toutes deux se prirent dans les bras avec une spontanéité bouleversante. Elles restèrent ainsi enlacées, comme si le temps perdu cherchait à se rattraper dans un seul geste.
Derrière elles, Aelia et Célia eurent un petit pincement au cœur. Voir une mère retrouver son enfant raviva en elles une pensée douce-amère pour leurs parents. La plus jeune prit la main de son aînée, qui lui rendit un sourire faible.
Uleth sembla d’un coup si lointain. Leur village, leur maison, leur père, leur mère… leur absence prenait un poids nouveau, ici, dans cet environnement si différent. Ni l’une ni l’autre des sœurs ne parla. Elles observaient seulement Ryn et sa mère, espérant vivre la même chose dans un futur proche.
— Cela fait des mois que nous n’avons plus eu de nouvelles de toi. Louée soit Alyona ! Je suis rassurée de te savoir vivante et en bonne santé. Tout va bien ? Tyane n’est pas trop dure avec toi ?
— Les entraînements sont difficiles… mais c’est une bonne routine, répondit Ryn en souriant. Je ne me suis jamais sentie aussi énergique !
Sa mère eut un léger rire, à la fois attendri et soulagé. Puis son regard glissa vers les deux humaines, toujours près de l’entrée.
— Ces personnes qui t’accompagnent…
— Oui, confirma Ryn en anticipant la remarque. Ce sont Célia et Aelia. S’il te plaît, pouvons-nous les héberger ici quelques jours ?
La voix de l’archère était calme, mais résolue. Sa mère demeurait sceptique.
— Ryn… tu sais que je te fais confiance en toute circonstance. Mais là… c’est différent. Ce sont des humaines, et tu connais notre passif ancestral avec leur peuple.
— Nous le connaissons tous, admit sa fille sans détour. Mais je crois sincèrement qu’elles ne cherchent aucun mal. Je me porte garante d’elles, s’il le faut. Sur mon honneur… et le jugement de Tyane.
Pendant un instant, un silence pesant envahit la pièce. La mère ne pensait pas moins que ceux dénigrant la Maître-Espionne de la Lignée divine. Célia et Aelia retenaient leur souffle, suspendues à la décision de la mère. Finalement, celle-ci soupira, puis sourit à sa fille.
— D’accord, elles pourront loger ici.
Rassurées, les deux sœurs osèrent enfin s’approcher et s’inclinèrent respectueusement.
— Merci pour votre accueil… balbutia Célia. Nous promettons de ne pas vous déranger.
— En vérité, ce serait plutôt à moi de vous remercier, répondit la mère, en glissant une main affectueuse dans les cheveux de Ryn. Vous m’offrez une occasion précieuse de revoir ma fille. Quant à son frère…
Un sifflement aigu coupa sa phrase. La bouilloire, posée près du feu turquoise, laissait échapper une vapeur parfumée. La mère invita tout le monde à s’asseoir autour de la table, puis attrapa le récipient avec une manique de tissu brodé, et versa son contenu dans quatre tasses de bois. Elle les apporta sur un plateau.
— Voilà pour vous. Vous pouvez m'appeler Judith.
Les sœurs remercièrent timidement la mère. En goûtant la boisson, elles furent surprises par la douceur fruitée du breuvage. Un parfum de framboise, relevé d’une touche de menthe sauvage, glissa sur leurs papilles. La chaleur s’infiltra doucement dans leur poitrine, calmant un peu les tensions de leurs corps.
— Vous venez des Terres Oubliées, n’est-ce pas ? demanda Judith. Quelle longue route vous avez dû faire…
— Tyane les a amenées ici pour qu’elles soient reçues par Erulyn.
— Reçues par la Lignée Divine ? C’est un immense honneur.
L’adulte regarda ses invitées avec une attention nouvelle, cherchant à comprendre les raisons de cette rencontre aussi étrange qu’improbable. Soudain, la porte de la maison s’ouvrit. Un elfe plutôt bien bâti entra.
— Papa ! s’écria Ryn en courant vers lui.
— Ryn ! Ma chérie !
L’archère resta un instant dans ses bras, profitant pleinement de ce moment de tendresse, avant de faire les présentations.
— Voici mon père, il est chasseur. C’est lui qui m’a appris à tirer à l’arc. Sans ses conseils, jamais je n’aurais eu le courage de rejoindre l’Ordre dirigé par Tyane ! Papa, je te présente Aelia et Célia, deux voyageuses humaines ayant trouvé refuge sur notre territoire.
Ce dernier resta interloqué un instant, bien qu’il eût entendu les rumeurs sur leur présence à son retour des bois. Il s’approcha, puis serra la main à chacune des sœurs.
— Je croyais votre peuple éteint depuis des millénaires, c’est incroyable. Ravi de faire votre connaissance. Mon nom est Wenlor.
Tandis que les conversations naissaient doucement entre le père et les sœurs, Judith s’était remise aux fourneaux. Elle n’avait prévu qu’un dîner simple avec son époux, ignorant tout du retour soudain de sa fille, et encore moins de la venue de deux humaines.
Elle mit le couvert pour cinq, mit de la viande à cuire, les agrémentant d’épices parfumées. Le tout sans interrompre l’atmosphère accueillante régnant dans la pièce. Et après de rapides échanges cordiaux, il était temps de manger.
Judith plaça au centre de la table un magnifique plat, accompagné de plusieurs bols de sauces et d’une cruche d’eau. Il était composé de longues lamelles de viande de cerf rôties, finement tranchées et légèrement caramélisées avec un filet de sirop de sève douce. La viande reposait sur un lit de salade verte et était entourée de racines croquantes et de champignons.
— Bon appétit, lança joyeusement Ryn.
Pour Aelia et Célia, ce festin était plus que bienvenu après de telles péripéties. Elles échangèrent un regard presque ému avant de se servir. La première bouchée les surprit par sa tendreté, son goût légèrement sucré, équilibré par l’amertume subtile des herbes et la fraîcheur de la salade.
Aelia ferma les yeux, pour mieux apprécier le goût, tandis que Célia, d’abord plus méfiante, finit par se détendre à mesure que les saveurs lui réchauffaient le cœur autant que le ventre. Et petit à petit, les langues se délièrent.
Les elfes, d’abord réservés, posaient des questions sur la vie des sœurs au sein de leur village d’origine, ainsi que sur les coutumes humaines.
En confiance, Aelia et Célia partagèrent quelques anecdotes sur leur famille et leurs journées typiques à Uleth. Leurs récits, simples mais sincères, éveillèrent une admiration silencieuse chez leurs hôtes au vu des difficultés qu’elles rapportaient. Les conversations devinrent plus légères à mesure que le repas avançait, si bien qu’Aelia ne put s’empêcher à un moment de poser des questions plus enfantines.
— Est-ce que la magie permet de se transformer en animal ? demanda-t-elle avec une candeur désarmante.
— Certains druides en sont capables, répondit Wenlor en hochant la tête. Il y a aussi une tribu au nord du Cratère qui pratique cette métamorphose de manière innée.
— Et tu voudrais devenir quoi ? la taquina Ryn. Un écureuil ? Un faon ? Un corbeau ? Quoique non… nous avons déjà Cornélia à supporter !
Elle éclata de rire, les autres sourirent. Même sa mère étouffa un petit rire complice : tous connaissaient le caractère intransigeant de la druidesse.
Le dîner s’acheva avec une coupe de fruits dans une crème vanillée en guise de dessert. Repues, les humaines remercièrent leurs hôtes d’un ton sincère. Judith demanda à Ryn de leur montrer la chambre de son fils.
Ryn guida Aelia et Célia à l’étage, jusqu’à une simple mais chaleureuse pièce, avec un grand lit, une commode finement sculptée, un miroir long, et un tabouret sur lequel reposait une bassine d’eau propre.
— C’était la chambre de mon frère, expliqua Ryn. Il vit maintenant à la capitale avec sa compagne. Je reviens avec des vêtements de nuit pour vous.
L’elfe fit un rapide aller-retour et rapporta deux de ses anciennes nuisettes.
— Bonne nuit à vous. Si vous avez un souci, je suis dans la chambre juste en face.
Elle referma doucement la porte.
Enfin seules, les sœurs prirent un instant pour se rendre compte de tout ce qu’il venait de se passer depuis leur entrée en territoire elfique. Elles avaient toujours du mal à y croire tant ce monde était différent du leur.
Elles se déshabillèrent et firent un brin de toilette grâce à l’eau et à des serviettes dans la commode. Plus propres, elles se changèrent. La douce soie des nuisettes vert pomme glissait sur leur peau, si légère qu’elles avaient l’impression d’être encore nues.
Si Célia avait la chance que la sienne soit à sa taille, Aelia devait se contenter d’une trop large pour elle. Son aînée lui noua les bretelles. Puis, ensemble, elles se glissèrent sous la couverture moelleuse.
Pour la première fois depuis leur départ d’Uleth, elles n’avaient ni froid, ni peur, ni faim. Aelia se blottit aussitôt contre Célia, qui passa une main dans ses cheveux. La plus jeune poussa un soupir d’apaisement. Elle s’endormit presque aussitôt, le front contre l’épaule de son aînée, qui, le cœur enfin un peu plus léger, ferma les yeux à son tour, emportée par un sommeil profond et réparateur.
Éveillée la première par les lueurs du jour filtrant à travers la fenêtre, Célia se redressa puis s’étira. Elle passa ses mains sur son visage pour chasser les derniers vestiges du sommeil, puis se leva pour ouvrir la fenêtre.
Une brise fraîche, chargée de parfums floraux, emplit aussitôt la pièce. Ce souffle matinal fit frissonner Aelia, qui se retourna et bâilla à s’en décrocher la mâchoire.
— Je n’ai jamais aussi bien dormi de toute ma vie, dit-elle d’une voix douce.
Elle se leva à son tour, les sœurs s’habillèrent rapidement et descendirent dans la cuisine.
— Oh, bonjour, les salua Judith, un sourire radieux sur le visage. J’imagine que vous avez bien dormi. Je suis montée ce matin pour vous prévenir que le petit déjeuner était prêt, mais en vous voyant dormir dans les bras l’une de l’autre, je n’ai pas osé vous réveiller. Il est déjà midi passé.
Célia sentit ses joues s’empourprer, alors qu’Aelia, fidèle à son habitude de lève-tard, éclata de rire.
— Désolée pour ça, s’excusa l’aînée, avec une petite moue gênée.
L’elfe leur proposa les restes du déjeuner d'aujourd’hui : une salade vinaigrée accompagnée de légumes crus. Les sœurs mangèrent bien plus calmement qu’hier soir.
— Qu’est-ce qu’on va faire aujourd’hui ? demanda Aelia, curieuse, tout en mâchant une carotte.
— Aucune idée, répondit Célia avant de se tourner vers leur hôte. Excusez-moi, où est Ryn ?
— Elle est partie s’entraîner non loin d'ici. Si son arc est toujours aussi éblouissant, vous devriez la trouver facilement.
Célia remercia l’elfe, intriguée par cette réponse. Une fois restaurées, les sœurs quittèrent la maison et s’éloignèrent du village. Elles n’eurent pas à marcher bien longtemps avant d’apercevoir des traits lumineux fuser au loin.
Ryn apparaissait et disparaissait entre les arbres, tirant avec précision. Elle sautait de branche en branche, rebondissait sur les troncs et effectuait des pirouettes élégantes. C'était comme si la gravité elle-même n’avait aucune emprise sur elle.
Les humaines observèrent, bouche bée. Plus surprenant encore, l’elfe ne portait aucun carquois. D’où venaient ses flèches ? Soudain, Ryn tira en direction des sœurs.
— Attention ! hurla-t-elle, réalisant trop tard sa méprise.
Célia se jeta immédiatement sur Aelia, la plaquant au sol. La flèche lumineuse fusa à quelques centimètres de la tête de l’aînée, avant de se planter au sol pour disparaître aussitôt. Ryn descendit rapidement et accourut vers elles, le visage paniqué.
— Vous avez failli nous tuer ! s’exclama Célia, encore secouée, aidant Aelia à se relever.
— Désolée, j’aurais dû mieux me concentrer ! D’habitude, je suis seule quand je m’entraîne !
— Je comprends mieux pourquoi… Mais… Ce sont des flèches magiques ?
Ryn hésita, jetant un regard autour d’elle comme pour s’assurer qu’aucune oreille indiscrète ne traînait. Puis, elle banda lentement son arc. Une tige argentée se forma à mesure qu’elle tendait la corde.
— Mon arc se nourrit de ma magie. Je peux créer plusieurs flèches ou concentrer leur puissance en fonction de mon énergie. Chaque tir dépend de ma volonté. Je l’ai appelé Vir’neiros, visée mortelle en ancien elfique.
Elle relâcha la corde. La flèche magique se divisa en trois projectiles qui vinrent se planter dans un tronc voisin.
— Incroyable ! murmura Célia en approchant sa main. C’est une création d’un forgeron ?
Ryn recula brusquement, plaçant son arme dans son dos.
— N’y touchez pas ! dit-elle d’un ton tranchant avant de se radoucir. Désolée… C’est une arme spéciale, je ne peux pas en dire plus. Passons. Vous me cherchiez ?
Les sœurs expliquèrent leur souhait d’en découvrir davantage sur les coutumes elfiques. Désireuse de se racheter pour l’incident, Ryn se proposa de leur faire visiter le village et de leur présenter d’autres habitants.
Lorsque les humaines posaient des questions souvent pertinentes aux autochtones, ces derniers gardaient le silence ou répondaient sans leur adresser un regard. Ryn s’occupait de tout expliquer d’un air jovial contrastant avec cette froideur.
Vers la fin de l’après-midi, elles interpellèrent un herboriste qui rentrait de sa récolte en forêt. Contre toute attente, il fut plus ouvert à la discussion. Il montra quelques-unes des fleurs qu’il avait trouvées.
— Voyez, dit-il en sortant deux spécimens identiques à vue d’œil. Broyée, celle-ci devient un puissant cicatrisant. Mais si on se trompe…
Il écarta délicatement les pétales de la seconde pour révéler une petite partie noire à la base du pistil.
— … elle devient un poison redoutable.
— Les plantes peuvent soigner toutes les maladies ? demanda Aelia.
L’herboriste sourit tristement.
— La nature est généreuse, mais certaines choses échappent encore à notre science.
— Je vois… Désolée…
— Ce n’est rien, nul ne peut échapper à la mort lorsque le destin en a décidé ainsi.
Le groupe raccompagna l’herboriste chez lui avant de se diriger vers la maison des parents de Ryn.
— Il était si gentil, se rassura Aelia avec un petit sourire.
— J’espère que d’autres à la capitale feront de même, souhaita Ryn, avant de tirer joyeusement la cadette vers elle et lui ébouriffer affectueusement les cheveux. Ils tomberont en voyant ta petite frimousse innocente !
Aelia rougit violemment, déclenchant un éclat de rire chez Ryn et Célia.
— Hé ! Ça vous dit ce soir que je vous montre quelque chose de magnifique ? proposa l’elfe.
— Pourquoi pas ! répondit Aelia avec entrain, pendant qu’elle se recoiffait.
Célia se contenta d’un signe de tête, mais était tout aussi curieuse, au vu de toutes les choses incroyables qu’elle avait déjà vues depuis hier.
Après une brève promenade dans les alentours du village, le trio revint chez les parents de Ryn. Judith les accueillit avec un grand sourire et leur servit un repas léger mais réconfortant, composé de galettes tièdes aux herbes, de légumes poêlés et d’une infusion douce et fruitée. Wenlor, plus bavard que la veille, raconta quelques anecdotes de chasse, faisant parfois rire même Célia.
Lorsque la lumière du jour laissa place à la noirceur de la nuit, Ryn lança un regard complice aux sœurs.
— Allez, on y va !
Elles ressortirent de la maison.
L’air restait tiède malgré la fraîcheur d’un soir d’automne. Il restait encore quelques personnes affairées à leurs activités.
Le groupe retourna dans la clairière où Ryn s’était entraînée plus tôt dans la journée. Elle avait laissé son arc à la maison. L’elfe leva les yeux, observant les hauteurs des arbres.
— Alors, c’est quoi la surprise ? lança Aelia, trépignant d’impatience.
Sans prévenir, Ryn se baissa et glissa un bras derrière les genoux de la cadette, qui bascula avec un cri surpris. Avant même de comprendre, Aelia se retrouva dans les bras de l’elfe. Le regard paniqué de l’humaine croisa celui, espiègle, de sa porteuse.
— Prête à t’envoler ?
— Quoi ?! Mais… ! AH !
L’elfe s’élança dans les airs, bondissant de branche en branche avec une aisance désarmante. Aelia poussait des petits cris à chaque saut, les yeux fermés. L’ascension fut brève, rythmée et souple, jusqu’à ce qu’elles atteignent une large branche, assez haute pour surplomber le reste de la forêt.
Ryn déposa une Aelia encore tremblante, puis redescendit d’un bond fluide. Malgré la carrure plus affirmée de Célia, elle n’eut aucune difficulté à la soulever à son tour.
Le trio réuni en hauteur, les sœurs se tournèrent instinctivement vers ce qui sautait aux yeux, au loin.
Un arbre titanesque dominait le paysage. Une profonde lumière bleutée s’échappait de son feuillage, perceptible même à cette distance. Il se dressait avec majesté, tel un point de repère éternel, visible de n’importe où dans le Cratère.
— Le palais de Sylvae, dit Ryn à voix basse. C’est l’exact centre du territoire elfique. C’est là-bas que vous rencontrerez Erulyn, notre régente. C’est joli, hein ?
Les sœurs ne répondirent pas, tant le spectacle leur nouait la gorge. La lumière de l’arbre brillait dans leurs yeux. C’était un autre instant de paix. Une vue incroyable, presque irréelle, pour deux humaines qui, quelques semaines plus tôt, n’avaient jamais quitté leur village.
Célia sentit son souffle ralentir. Il y avait dans cette vision quelque chose d’ancestral, presque sacré. Un symbole de ce nouveau monde dans lequel elles venaient d’entrer, aussi fascinant qu’inquiétant. Ses doigts se refermèrent doucement sur le rebord de la branche, comme pour rester ancrée dans une réalité moins lumineuse. Une ombre planait toujours au-dessus d’elles.
Leur long voyage vers le Cratère Sylvestre était peut-être terminé… mais cette fameuse rencontre avec la régente des elfes les attendait encore.
— Erulyn…
Une brise légère caressa le visage de Célia. Ce nom flottait dans l’air… et dans son esprit. Elle ne savait pas ce qui se passerait une fois devant la régente, mais elle affronterait cela avec la même détermination qui l’avait menée jusqu’ici.

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