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tome 1, Chapitre 11 « Objectifs communs ? » tome 1, Chapitre 11

L’air dans la chambre s'était épaissi, chargé d'une lourdeur presque tangible. Une créature sortie d’un cauchemar, tenant en otage une enfant sans défense, dont l'aînée ne pouvait que subir sa propre impuissance.

Célia tendait toujours son épée devant elle, mais d’une seule main. Elle était lourde. Chaque muscle de son bras menaçait de céder. Un seul geste mal interprété, un seul mouvement trop vif, et Aelia mourrait. Pendant ce temps, la créature démoniaque fixait l’humaine, comme un prédateur évaluant la résistance de sa proie. Son regard glissa vers l’épée, brillant d’un éclat discret malgré la pénombre. Elle en connaissait la facture.

— Tu n’es pas une Lumiailes, malgré ce que tu brandis, affirma-t-elle d'une voix aussi froide que la pierre. Où est-ce que tu as obtenu ça ?

— Sachez juste que je ne l’ai pas volée ! se défendit immédiatement Célia.

— Ce n'est pas ma question. Réponds, sinon…

Un infime mouvement suffit à arracher un cri étouffé à Aelia. Célia sentit son cœur se serrer. Elle ne pouvait pas mentir.

— Je l’ai récupérée dans la charrette de deux faux marchands Lumiailes, tués par…

Elle déglutit, incapable de finir la phrase. La peur, la fatigue et la pression l'écrasaient autant que le regard froid et insistant de la créature. Célia sentit ses jambes fléchir. Son bras, au bord de la crampe, lâcha prise. L’épée tomba au sol dans un choc métallique étouffé. Les mots jaillirent ensuite, précipités, suppliants :

— Nous sommes deux voyageuses cherchant justement à savoir ce qu’il s’est vraiment passé pour eux, et aussi à la recherche de la Pourfendeuse de Démons ! Pitié, laissez ma soeur en dehors de ça !

Un tressaillement imperceptible traversa l’inconnue à l’évocation de ce nom. Ses yeux, déjà perçants, se durcirent encore davantage. L’elfe soupira, lasse, comme si ces supplications n’étaient que des caprices d’enfants. D’un geste brusque et désinvolte, elle repoussa Aelia. La petite tomba du lit puis courut se réfugier, toute tremblante, derrière sa sœur. Elle agrippa sa robe de chambre, le souffle court et saccadé. Le démon aux lames sortit entièrement du mur, franchit le lit d’un bond souple et atterrit à quelques pas des humaines.

Elle était physiquement comme dans le cauchemar de la plus jeune : vêtue d’une tenue sombre proche du corps, élancée, dénotant une agilité certaine sans même avoir besoin de la montrer. Le voile obscur couvrant ses yeux et son front avait disparu, révélant un visage d'une finesse incroyable.

Ses pupilles violettes brillaient comme des améthystes, tandis que ses longues oreilles effilées perçaient ses cheveux noirs comme la nuit, glissant jusqu’à ses épaules sans qu’une seule mèche ne se rebelle. Une elfe, comme décrite dans les vieilles légendes véhiculées par les conteurs ambulants.

— Je vous ai suivies depuis la grotte du puits originel mineur, révéla la créature. Comment l’avez-vous trouvé ?

— Par hasard ! répondit immédiatement Célia. On cherchait un refuge et on a vu la cascade ! En passant derrière, on a remarqué la lumière des plantes ! On est entrées… et on a trouvé cet endroit comme ça !

— Je ne te crois pas, mais qu'importe. Tu as dit quelque chose d'intéressant. Parle-moi de cette Pourfendeuse de Démons.

Saisissant l’occasion de calmer les esprits, Célia reprit son souffle et décrivit la guerrière en noir avec autant de détails que possible. Elle parla des rumeurs circulant dans la région et de cette nuit où les marchands furent tués.

— C’est pour cela que ma sœur et moi la recherchons, conclut-elle.

L’elfe l’avait écouté attentivement, sans l’interrompre. Elle restait méfiante, cependant, les dires de cette humaine lui confirmèrent une chose :

— C’est bien la criminelle que je traque.

— Criminelle ? répéta Célia, interloquée. Qu’est-ce qu’elle a fait de mal ?

— Ce ne sont pas vos affaires. Et d’ailleurs, qu’est-ce qui me prouve que tu ne mens pas ?

Le regard de Célia se tourna discrètement vers le journal d’Eldan, toujours sur la table. L’humaine osa faire un pas vers lui, l’elfe leva à nouveau une dague vers les sœurs. Célia se força à contenir sa peur et alla prendre le carnet. Elle expliqua d’abord les circonstances dans lesquelles elle l’avait obtenue, l’ouvrit et commença à le lire. Dès la seconde entrée, l’elfe l’interrompit.

— La Reine Sorane s’implique aussi dans la capture de la criminelle, allant jusqu'à vouloir négocier avec elle ? Cela n'était pas prévu… Donne-moi ce carnet, ma régente doit immédiatement être informée.

Céder les seuls indices permettant d’obtenir des réponses sur les Lumiailes, les Neantys, et la Pourfendeuse ? Célia ne l’imaginait pas un seul instant.

— Et si je refuse ?

Un silence tendu suivit la question. L’elfe la fixa longuement, jaugeant l’audace de cette humaine qui osait lui tenir tête, et s’approcha lentement.

— Tu crois avoir le choix, murmura-t-elle en faisant disparaître une de ses dagues. Ce que tu tiens implique bien plus que tu ne l’imagines.

L’elfe était maintenant face à Célia, si proche qu’Aelia n’osait même plus respirer. Elle leva une main vers le carnet, comme si elle allait le prendre sans résistance. Ses doigts à un souffle de la couverture en cuir, la créature s’arrêta sans la toucher.

— Ce ne serait qu’un soulagement pour toi que je t’en débarrasse. Fais le bon choix, avant de le regretter.

Célia demeura immobile un long moment. Si elle donnait le carnet sans faire d’histoire… Est-ce que l’elfe partirait alors, sans les supprimer ? Et si elle refusait ? Jusqu’où irait cette créature pour l’obtenir ? Cette dernière interrogation amena à une autre question qui changeait tout. Si cette femme voulait vraiment le carnet… pourquoi ne les avaient-elles pas tuées ici et maintenant, sans scrupule ? Elle en avait eu l’occasion à plusieurs reprises… Pourtant, quelque chose semblait l’en empêcher.

Cela donnait un argument de poids à Célia pour une négociation sans que cela ne finisse en bain de sang. La jeune épéiste comprit qu’elle n’était pas face à un simple prédateur, mais à quelqu'un en quête de réponses, comme elle. Et peut-être… qu’elles pouvaient s’en rapprocher ensemble. Cette elfe savait des choses, rester avec elle apporterait certainement plus de réponses que de simples écrits. C’était un risque à prendre… mais une opportunité qu’elle ne pouvait pas laisser filer.

Décidée, Célia inspira lentement, fit un pas en arrière et écarta le carnet de la main tendue. L’elfe fronça les sourcils.

— Cherchons-la ensemble.

— Qu’est-ce que tu as dit ?

— Cherchons la Pourfendeuse ensemble, répéta Célia, cette fois avec plus d’assurance. Vous pourriez nous protéger. Et nous, en échange, on pourrait vous aider à…

— Vous protéger ? coupa-t-elle d’une voix acerbe. Des poids morts comme vous ne feraient que me ralentir.

— Vous avez dit vous-même que la Pourfendeuse de Démons était une criminelle. Si elle est aussi dangereuse que vous le prétendez, alors unissons nos forces.

— Je le répète : vous vous mêlez de choses qui vous dépassent. Vous croyez que vos vies ont de la valeur dans ce conflit contre les Neantys ? Vous n’êtes que des proies pour eux.

Célia déglutit mais tint bon, fixant l’elfe droit dans les yeux. Si l’humaine avait quitté cette vie ennuyeuse et répétitive à Uleth, ce n’était pas pour attendre de se faire tuer par des Neantys, ou compter indéfiniment sur la Pourfendeuse de Démons.

— Si je dois être une proie, alors je serai une proie qui se battra, même contre vous.

L’elfe la regarda longuement droit dans les yeux, comme si elle évaluait l’audace de cette jeune fille qui osait la défier. Son expression demeura figée, sans la moindre émotion visible. Puis, lentement, l’ombre d’un sourire s’étira au coin de ses lèvres. Un sourire sans chaleur, mais pas sans intérêt. Quelque chose dans son regard avait changé. Il n’y avait plus seulement du mépris : il y avait de la curiosité.

— Tu as du cran, pour une humaine. Voilà ce que je te propose : vous allez toutes les deux venir avec moi, jusqu’au territoire elfique. Là-bas, vous révélerez à ma régente tout ce que vous savez sur cette Pourfendeuse de Démons, et lui remettrez vous-même ce carnet.

Célia sentit son estomac se nouer. Cela n'était pas prévu. Faire confiance à cette créature, à moitié elfe, à moitié démoniaque, relevait de la folie. Accepter signifiait franchir un pas dont elle ignorait tout des conséquences. Ce serait pénétrer un territoire inconnu, certainement hostile au vu de l’attitude de cette femme. Mais refuser… c’était se condamner. Continuer seules alors que les Neantys rôdaient était peut-être encore pire. L’attaque dans la forêt avait vraiment marqué la jeune épéiste, elle doutait pouvoir s’en sortir indéfiniment. Célia serra le poing avant de souffler longuement pour évacuer son angoisse.

— D’accord, mais uniquement lorsque je l'aurais entièrement lu…

— Tu es en train de me dire qu’en presque une semaine de voyage, tu n’as pas…!

— Nous avons un accord ? coupa sèchement Célia, esquivant la remarque, et tendant une main ferme à l’elfe.

Un nouveau silence s'abattit. L'elfe resta immobile si longtemps que Célia crut qu’elle allait refuser. Puis, lentement, elle tendit sa main gantée. Le contact fut bref. Une morsure glaciale remonta dans le bras de Célia, qui ravala un frisson. La créature inclina légèrement la tête.

— Nous avons un accord, humaine, souffla-t-elle d’une voix aussi froide que sa chair.

L’elfe fit disparaître sa seconde dague. Un geste sans solennité, mais porteur d’un message clair : la trêve était scellée.

— Vous resterez ici cette nuit, déclara-t-elle. Reposez-vous, nous partirons à l’aube.

Sa voix ne contenait aucune douceur, seulement une autorité glaciale. Elle tourna lentement les talons, prit la pierre lumineuse et la remit dans le sac de voyage des sœurs. La pièce ne fut plus éclairée que par les torches extérieurs, dont la lumière filtrait à travers la fenêtre. À nouveau entourée d’ombre, la créature put se fondre à l'intérieur. Avant de disparaître totalement, elle laissa tomber une dernière phrase :

— Et ne songez pas à fuir…

La chambre retomba dans une torpeur épaisse, troublée seulement par les grincements du vieux plancher et les faibles secousses du corps d’Aelia, incapable de calmer les spasmes qui la traversaient. Ce ne fut qu’après un long moment à tenter de se remettre de cette scène que les humaines regagnèrent lentement leur lit.

Cette nuit-là, le sommeil refusa de les prendre dans ses bras. Les larmes aux yeux, la cadette, blottie plus franchement que jamais contre son aînée, priait intérieurement pour qu’elle trouvât une autre solution. Célia, elle, se raccrochait à l’idée que c'était la meilleure alternative dans leur situation actuelle.

En tournant les premières pages du carnet d’Eldan, elle avait entrouvert la voie vers un autre monde. À présent, pour obtenir ses réponses, et aussi certainement pour rester en vie, sa petite sœur et elle allaient donc devoir y plonger pleinement.

***

Le lendemain matin, les sœurs rassemblèrent leurs affaires et quittèrent l’auberge. Claire les attendait, une fois encore, devant le bâtiment, et fut attristée d’apprendre leur départ. Le groupe se rendit chez le maréchal-ferrant, qui leur redonna un Quiro en pleine forme. Claire se proposa de payer l’homme, sous les yeux d’une Célia surprise.

— Vous avez tant fait pour moi que je peux au moins vous rendre cela.

Le maréchal, comme presque toute la ville, connaissait la situation de la jeune femme, et la voir tout sourire lui suffisait.

— Tu paieras quand tu le pourras, lui dit-il d’un ton amical. Commence par te nourrir à nouveau correctement, et à reprendre tes activités quotidiennes. Pour toi… et pour la mémoire de Colin.

La jeune femme le remercia, puis accompagna les sœurs jusqu’à la herse. Comprenant le départ des deux étrangères, les gardes levèrent la grille. Claire posa une main sur l’épaule de Célia, puis se pencha vers Aelia.

— Vous êtes de bonnes personnes. Vous m’avez rappelé que la bonté n’a pas totalement disparu de ce monde. Vous m’avez offert un peu de paix, et c’est plus que ce que j’espérais.

Ses yeux s’embuèrent légèrement, sans qu’elle cherchât à le dissimuler. Puis, sans attendre de permission, elle serra d’abord Aelia dans ses bras, avec tendresse. La cadette, d’abord surprise, se laissa aller contre elle. Ensuite, Claire se tourna vers Célia et ouvrit les bras sans un mot. La jeune épéiste hésita une seconde… puis s’approcha, et l’enlaça à son tour. Un geste bref, mais fort.

— Je ne sais pas exactement ce que vous recherchez, mais j’espère que vous le trouverez. Soyez prudentes… et que les dieux vous protègent.

Elle recula d’un pas, un sourire fragile au coin des lèvres, pendant que Célia aidait Aelia à grimper sur Quiro. L’aînée prit ensuite place devant elle, les rênes en main.

— Merci pour tout ce que tu as fait pour nous, dit-elle à Claire. Prends bien soin de toi.

Célia salua brièvement les gardes, puis les sœurs reprirent leur route.

Et alors que la herse se refermait lentement, Claire resta figée là, le regard porté vers ces deux jeunes filles, qui lui avaient redonné une lumière qu’elle croyait perdue à jamais.

***

Assez loin d’Esmara, Célia était songeuse. Leur visite n’avait pas vraiment apporté de réponses à ses questions… mais elles n’en repartaient pas les mains vides : des vêtements adaptés, des provisions, un sentiment d’avoir aidé quelqu’un… et surtout, une nouvelle compagne de voyage, aussi étrange qu’effrayante. Alors que ses pensées dérivaient vers cette dernière, Célia sentit un souffle glacé dans sa nuque. Un frisson parcourut tout son corps. L’elfe était là, dissimulée sous l’ombre de sa capuche.

— Bien, murmura-t-elle à son oreille. Il nous faudra une bonne semaine à cheval pour atteindre notre destination. Écoute bien mes instructions, reste concentrée sur ta monture, et tout se passera bien. En avant, au galop. Le Cratère Sylvestre nous attend.

Célia n’était pas rassurée. Oui, l’elfe les protégerait des dangers environnants. Mais sa présence… Elle était si froide, si oppressante, qu’elle seule suffisait à faire naître une peur plus grande que n’importe quelle péripétie. Autant Aelia que Célia le savaient : si cette créature changeait d’avis et décidait de les éliminer, aucune des deux n’aurait le temps de comprendre qu’elle serait déjà dans l’au-delà.

Célia donna un fort coup de rênes. Quiro accéléra, filant vers la forêt dont elles étaient sorties quelques jours plus tôt, mais dans un silence bien plus lourd qu’à l’aller.


Texte publié par K. Helphine D., 18 mai 2025 à 14h37
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