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tome 1, Chapitre 8 « Embuscades » tome 1, Chapitre 8

Le lendemain, le soleil était déjà haut quand les deux sœurs ouvrirent les yeux, parfaitement reposées. L’angoisse et les questions de la veille avaient laissé place à une énergie nouvelle. Après s’être habillées rapidement et avoir remis un peu d’ordre dans la petite chambre, elles descendirent retrouver le tavernier qui s’affairait derrière son comptoir.

— Bien dormi, mesdemoiselles ?

— Très bien, merci, répondit Aelia avec une douceur spontanée qui arracha un sourire sincère à l’homme.

Célia était ailleurs, l’esprit déjà tourné vers leur prochaine destination.

— Pourriez-vous nous indiquer comment rejoindre les villages d’Esmara et de Brakel ? demanda-t-elle sans détour.

L’expression du tavernier changea. Il sembla hésiter, puis finit par sortir un parchemin usé de sous son comptoir, qu’il déroula lentement devant elles. Une carte.

— Vous êtes ici, dit-il en posant un index sur un point en pleine forêt. Esmara est là, vers le nord-est. Il vous faudra compter deux à trois jours à cheval, en passant par les sentiers.

Il déplaça ensuite son doigt à l’extrémité de la carte, vers un point isolé et reculé, aux frontières orientales des plaines.

— Quant à Brakel… c’est beaucoup plus loin. Une semaine complète, si tout va bien. Ce village est à l’extrémité est du territoire. Mais, vous ne vouliez pas aller à la capitale ?

Célia échangea un regard discret avec sa sœur avant de répondre avec aisance :

— Nous nous rendons bien à la capitale pour espérer obtenir le statut de prêtresse de l’Ordre des Paladins. Mais nous avons aussi entendu dire que les villages d’Esmara et de Brakel pourraient constituer d’excellents lieux de pèlerinage, propices à apporter la bonne parole.

Le tavernier leur lança un dernier regard inquiet, comme s'il préférait ne pas imaginer les dangers qui pourraient croiser leur route.

— Noble intention. Que les dieux vous accompagnent sur votre chemin, alors.

— Merci pour tout, répondit Célia avec douceur, payant le prix de la chambre, avec une petite pièce en plus pour les renseignements.

Les sœurs sortirent de la taverne et se dirigèrent vers les écuries, déterminées à reprendre la route au plus tôt. Le maréchal-ferrant, occupé à vérifier les sabots d’un cheval brun, les reconnut. Il s’interrompit aussitôt.

— Ah, vous voilà, dit-il en s’essuyant rapidement les mains sur un linge accroché à sa ceinture. Votre compagnon est en pleine forme, je me suis permis de lui donner un peu de fourrage supplémentaire, il avait l’air affamé.

— Vraiment ? Merci beaucoup, répondit Célia en lui adressant un sourire chaleureux. Combien vous doit-on ?

L’homme balaya l’air de la main, visiblement gêné par la question.

— Oh, rien du tout. Votre monture a été agréable et facile à gérer. Ça change des vieux chevaux grincheux que les bûcherons m'apportent habituellement. Voyez ça comme ma contribution à votre pèlerinage.

— C’est très généreux de votre part ! reprit-elle, agréablement surprise et caressant doucement l’encolure de Quiro.

Le maréchal-ferrant sourit légèrement, touché par l’évidente affection que la jeune fille portait à l’animal.

— Faites vraiment attention sur la route, ajouta-t-il avec gravité. Les chemins sont dangereux ces temps-ci…

Célia perçut immédiatement la raison de l’inquiétude voilée derrière ces mots : les démons.

— Nous ferons très attention, merci pour tout.

Les deux sœurs saluèrent poliment l’artisan avant de s'éloigner, avec leur monture revigorée, vers l’entrée opposée à celle par laquelle elles étaient arrivées la veille. Elles s’arrêtèrent un instant pour respirer l'air frais, chargée des senteurs de la forêt environnante, et se mirent en selle.

— Alors… Esmara ou Brakel d’abord ? demanda Aelia, installée.

— Esmara, décida finalement Célia. C’est plus proche, et nous avons besoin de réponses au plus vite. Brakel attendra.

— D'accord. Et… on risque de tomber sur des démons ?

Une inquiétude légitime, et le cœur de Célia rata un battement. Évidemment, elle savait que cette possibilité existait. Elle l’avait même envisagée à plusieurs reprises, mais l’entendre de la bouche d’Aelia rendait la menace soudain beaucoup plus tangible, presque réelle. Malgré la bravoure qu’elle tentait d’afficher, elle sentait une froide appréhension lui serrer la poitrine.

Des griffes acérées et des yeux luisant de ténèbres traversèrent fugitivement son esprit. Ses cauchemars refirent un instant surface. La perspective d’avoir bientôt à lever sa lame contre un véritable ennemi lui nouait l'estomac.

Elle frissonna imperceptiblement et serra plus fort les rênes de Quiro pour masquer le tremblement de ses mains. Aelia ne devait pas remarquer sa peur, elle avait besoin de croire en son aînée. Célia posa une main rassurante sur son épaule :

— Peut-être. Mais… Quiro nous aidera à les semer. Et si on se retrouve cernées… je me battrai.

Sa sœur sourit légèrement à ces mots, même si au fond, elle voyait bien les efforts de son aînée pour la rassurer. Elles échangèrent un dernier regard silencieux, puis se remirent en route, laissant derrière elles le Hameau Forestier. Le maréchal-ferrant les observa partir, l'air pensif, jusqu’à ce qu’elles disparussent derrière la courbe du sentier.

Au même moment, un bruit de roue se manifesta au niveau de l’autre entrée du village. Il se retourna et vit s'approcher une charrette transportant trois personnes et un animal.

L’artisan reconnut immédiatement l’un d’eux et s’avança d’un pas énergique vers le véhicule qui venait de s’arrêter à proximité de la taverne.

— Rocvin ! Ça alors, ça fait un bail ! lança-t-il joyeusement. Tu t’es enfin décidé à revenir bosser avec nous ?

Le bucheron, accompagné de sa femme, de Tolan le chasseur et de son fidèle compagnon, descendit le premier de la charette. Il n’avait pas la tête à rire.

— Salut, Non pas cette fois-ci, répondit-il, visiblement sur les nerfs. Nous sommes à la recherche de mes filles. Elles ont fugué !

Le maréchal écarquilla les yeux, surpris.

— Célia et Aelia ? Boah, ça fait bien une éternité que tu ne les as pas amenées ici. Elles ont dû bien pousser depuis, hein ? À quoi elles ressemblent, maintenant ?

***

Aelia et Célia se dirigeaient donc vers le village d’Esmara. Le sentier, étroit et sinueux, serpentait entre les arbres épars d’un bois paisible, où le vent faisait danser les feuillages avec douceur. Le ciel était couvert, mais la lumière grise qui perçait entre les nuages baignait la forêt d’une clarté diffuse, presque apaisante.

Pendant la chevauchée, les deux sœurs n’échangeaient que quelques mots à voix basse et s’efforçaient de garder l’esprit clair. Elles savaient que des démons pouvaient surgir à tout moment, même si aucun signe inquiétant n’avait encore troublé leur avancée. Ce calme était peut-être une chance… ou une illusion.

Aelia s’était blottie contre le dos de son aînée, ses doigts jouant parfois avec le tissu rêche de sa cape, comme pour y chercher un peu d’ancrage. Célia, elle, tenait les rênes d’une main, de l’autre le carnet d’Eldan. Elle lisait lentement, par fragments, s’interrompant souvent pour scruter les bois, ou simplement pour prendre le temps d’assimiler les mots qu’elle découvrait. Chaque ligne révélait toujours plus l’horrible nature des faux marchands — et de celle qui les avait envoyés.

[Jour 22 – Capitale humaine]

Enfin arrivés dans leur fameuse capitale, après des jours de voyages et d’attaques de Neantys. Je penserai à remercier le forgeron qui m’a créé cette lame si parfaite.

L’endroit est bruyant, poussiéreux, sans harmonie ni hauteur. Les murs sont ternes, les toits mal alignés, et les rues empestent la sueur et le cheval crevé. Rien à voir avec la pureté immaculée de Stelaris. Ici, tout semble construit dans l’urgence. Des hommes courent sans but, des femmes crient pour vendre des tissus qui s’effilochent entre leurs doigts et des enfants tentent de vous faire les poches. J’ai giflé l’un d’eux, pris sur le fait, il méritait tellement plus… La garde, quant à elle, vous assaille de questions inutiles avant d'exiger une taxe de passage grotesque, comme si respirer ne coûtait pas assez cher pour eux !

Si notre Reine voyait cela de ses propres yeux, un simple souffle de son pouvoir suffirait à réduire cette abomination humaine en cendres. Elle l’a si souvent répété dans ses discours : certaines formes de chaos ne méritent ni pitié, ni réforme, mais seulement l’effacement.

Célia déglutit. Cette Sorane devait être une souveraine ignoble. Il ne s’agissait plus seulement d’orgueil ou de mépris, mais d’une doctrine entière fondée sur le rejet des humains ou de tout ce qui n’entrait pas dans ses critères de pureté. Une idéologie froide, implacable, qui ne laissait aucune place au doute ni à la nuance. Célia sentit un frisson lui parcourir l’échine. Personne ne pouvait lire ces lignes sans ressentir un malaise profond. Elle resserra sa prise sur le carnet. Elle poursuivit néanmoins sa lecture, car le journal arrivait enfin aux moments qui l'intéressaient le plus.

[Jour 23 – Temoignages]

Enfin des informations concrètes sur les Neantys ! Les survivants sont vraiment traumatisés. Ils bégayaient, et j’ai dû payer chèrement certains pour qu’ils ouvrent leurs bouches. Ils décrivent surtout physiquement les démons, confirmant déjà tout ce que notre Reine sait déjà. Mais ce qui m’a le plus intéressé, ce sont les récits qui évoquent “la même femme”, toujours. Masque noir cachant son regard, et une lame aussi sombre que ceux qu’elle combat. C’est bien la mystérieuse personne évoquée dans les ordres ! Une espèce de guerrier religieux a entendu l’une de mes conversations, menaçant de m'emprisonner si je continuais mes investigations. Heureusement que père était là…

À partir de cette page, le carnet abandonnait le ton d’un véritable journal de voyage. Finis les batifolages d’Eldan. Désormais, il ne restait qu’une longue énumération agrémentée de corrections et de ratures. Célia put enfin poser les yeux sur ce qu’elle cherchait vraiment. Le pas régulier de Quiro couvrait à peine le froissement des pages. Elle sentit Aelia se redresser un peu contre son dos, jetant un regard curieux par-dessus son épaule.

— Tu as trouvé quelque chose d'intéressant ? demanda-t-elle.

Célia referma doucement le carnet, scrutant les feuillages comme si une réponse pouvait en surgir.

— Eldan a tout noté. Des détails, des témoignages… Et surtout… il parle d’elle.

— De la Pourfendeuse ?

Célia hocha la tête lentement.

— Ils voulaient l’emmener à Stelaris, de grè ou de force. Ils pensent que les Neantys sont liés à elle. Qu’elle les attire ou les contrôle. Ils le sous-entendent dans la façon dont ils interprètent les attaques et les apparitions de démons. Jamais là trop tôt, jamais là trop tard, elle arrive apparemment toujours au bon moment.

— Et tu penses que c’est vrai, tout ça ?

— Non. répondit l'aînée aussitôt, avec plus de force qu’elle ne l’avait prévu. Ce n’est pas une alliée des démons… Elle les combat… Elle…

La jeune épéiste s'interrompit malgré l'émotion montant en elle et rouvrit le carnet, ses doigts plus fermes, plus décidés.

— Je veux savoir pourquoi elle agit seule ! Pourquoi elle porte ce masque ! D'où vient son arme enchantée ! Si elle est autant traquée, même par un peuple lointain, c’est qu’il doit bien y avoir une raison au-delà d’une simple question d'hérétique, de criminelle ou autre bêtise clamée par l’Ordre des Paladins !

Aelia resta silencieuse un instant, puis glissa ses bras autour de la taille de sa sœur, sans serrer. Puis, elle posa doucement une joue contre le dos de sa sœur. Un simple rappel de sa présence.

— Tu n’as pas besoin de tout comprendre maintenant, murmura-t-elle. L’important, c’est qu’on avance, pas vrai ?

Ses mots n’étaient ni un reproche, ni une consolation. Juste une vérité simple, offerte sans jugement. Contre toute attente, cette douceur apaisa un peu la tempête intérieure de Célia.

Le reste de la journée s’écoula sans encombre. Le ciel resta couvert, mais aucune pluie ne vint troubler leur progression. Ni démon, ni silhouette suspecte ne croisèrent leur route. Juste le vent dans les branches, les murmures du bois, et le rythme régulier des sabots de Quiro sur la terre assouplie par l’humidité.

Elles ne parlèrent presque pas. Célia restait concentrée, surveillant le moindre frémissement dans les feuillages. Aelia, quant à elle, somnolait parfois contre elle, bercée par le balancement de la monture.

Lorsque le soleil se coucha, le froid s’infiltra lentement dans leurs vêtements. Elles s’étaient éloignées des sentiers battus pour trouver un endroit discret où passer la nuit. Après avoir attaché Quiro à un arbre, elles s’étaient installées près d’un talus moussu, assez plat.

Et alors qu’elles allaient pouvoir se reposer à la chaleur d’un feu, au milieu des bruits nocturnes, un craquement de branche brisa cette douce harmonie. Aelia étouffa un gémissement, s’agrippa à sa sœur. Célia s’immobilisa, tous sens en alerte. Une présence s’approchait. Peut-être une bête… ou pire.

Célia se leva, dégaina la lame d’Eldan, et adopta une posture défensive. Les buissons frémirent, suivis de grognements sourds.

Plusieurs silhouettes émergèrent lentement. En les voyant, Quiro commença à s’agiter et à hennir de peur. Ces choses avançaient sur quatre membres griffus et irradiant une sinistre aura mauve. Une épaisse fumée sombre enveloppait leur corps, à travers laquelle perçaient deux lueurs violettes en guise d’yeux.

Célia les reconnut instantanément. Des démons. Les monstres qu’Eldan appelait Neantys. La dernière fois, elle avait fui devant ces monstruosités, dans la forêt, et dans ses cauchemars. Maintenant, elle détenait une arme enchantée ; elle avait donc une chance de les terrasser.

L’une des créatures bondit soudainement. Par réflexe, Célia fit un geste circulaire avec son épée. La lame rencontra les griffes acérées de l’assaillant, mais ce dernier, d’un coup vif, repoussa l’arme et fit trébucher la jeune fille. Elle se redressa immédiatement, mettant de coups d’épée dans le vide devant elle. Le démon recula. Essoufflée, Célia fixa la lame d’Eldan d’un air paniqué. Pourquoi n’avait-elle pas terrassé l’ennemi en un seul coup ? Était-elle réellement enchantée, ou le faux marchand s’était-il une fois encore moqué d’elle ?

Les prédateurs s’approchèrent à nouveau, leurs mouvements lents et menaçants. Bien que la situation fût désespérée, un ultime espoir persistait dans son esprit.

Elle va venir… Elle va venir… Elle va nous sauver… On va s’en sortir…

Célia priait désespérément pour que la Pourfendeuse de Démons apparaisse, pendant qu'Aelia, prise de terreur, se blotissait contre elle. À ce moment, une pensée inattendue naquit dans l’esprit de l’aînée. Des paroles simples, accompagnées d’une sensation étrange.

Pourquoi mourir maintenant, alors que tu as certainement encore beaucoup à accomplir. Une sœur à protéger… Une famille qui attend ton retour… Un grand secret à découvrir…

Oui, c'était vrai, et périr ici serait trahir toutes ses promesses. Revigorée par ces mots et investie d’une nouvelle motivation, Célia serra fermement son épée et écarta doucement sa sœur sanglotante. Un démon bondit à nouveau. Cette fois, elle poussa un puissant cri et abattit sa lame avec toute sa force. La créature se désintégra instantanément. Ce premier succès galvanisa l’humaine, qui se lança avec férocité à l’assaut des autres.

Les monstres tombèrent un à un sous ses coups précis, tandis qu’Aelia, bouche bée, observait sa sœur combattre avec une bravoure encore jamais vue. À mesure que le nombre d’ennemis diminuait, l’espoir renaissait dans le cœur de la plus jeune, et ce ne fut que lorsque le dernier démon tomba, que les deux filles réalisèrent qu’elles avaient survécu.

Haletante, Célia resta figée. Elle venait d’abattre des démons… seule et sans subir la moindre blessure. Elle n’y croyait pas encore.

— Célia ! cria soudain Aelia en pointant du doigt quelque chose d’encore plus effrayant.

Une silhouette féminine se détacha des ombres derrière un arbre. Vêtue de noir, son allure élancée se fondait presque dans l’obscurité, tandis que deux dagues scintillaient dans ses mains.

Une sombre fumée enveloppait le haut de sa tête, retombant en une cape vaporeuse jusqu’à mi-dos. Était-ce un démon imitant l’apparence humaine ? Peu importait, c’était une menace. Célia se remit immédiatement en garde.

La créature la fixait de ses lueurs violettes en guise d’yeux. Sans hésiter plus longtemps, Célia se lança à l’attaque. À bout portant, elle abattit son épée dans un puissant mouvement descendant. L’adversaire réagit avec une rapidité fulgurante. D’un seul geste, elle para l’assaut tout en désarmant brutalement la jeune fille. L’épée fut projetée au loin, tandis que Célia tomba à genoux, à la merci de cette chose à la force démesurée.

Sa lame droite levée, le démon était prêt à achever l’humaine, mais il tourna brusquement la tête vers sa gauche. La créature s’élança dans cette direction, laissant Célia sous le choc, cherchant à comprendre ce qui venait de se produire. Aelia se précipita vers elle, les larmes aux yeux.

— Ça va ?! Qu’est-ce que c’était ?!

Célia n’eut aucune réponse. Le simple fait d’être encore en vie accaparait toutes ses pensées. Sa cadette l’aida à se relever, lui tendit la lanterne, puis courut récupérer l’épée.

— Trouvons vite un endroit où nous cacher ! dit-elle d’une voix alarmée.

Célia ne pouvait qu’être d’accord. Elle rengaina son arme, alla calmer Quiro, et les sœurs reprirent leur route.

Sur le cheval, les jambes de Célia flageolaient et ses bras étaient encore endoloris du choc brutal entre son épée et la dague de la créature. Dans cet état, se battre à nouveau relevait de l’impossible. Elles finirent par arriver dans un bosquet au milieu duquel se trouvait un petit lac alimenté par une cascade. L’aînée regarda celle-ci.

— Allons voir si on peut se cacher derrière pour la nuit.

Les sœurs descendirent de Quiro, contournèrent le rideau d’eau et, à leur grande surprise, découvrirent une toute petite cavité illuminée. Avec leurs dernières forces, elles creusèrent davantage le passage. Une fois, le trou assez large, elles se baissèrent et entrèrent.

Une fois à l’intérieur, elles furent émerveillées par un spectacle d’une beauté aussi irréelle qu'inattendue.

De mystérieuses fleurs luminescentes diffusaient une douce lueur bleutée. Leurs pétales semblaient vibrer légèrement, comme si la caverne était empreinte d’une vie propre. Aelia et Célia continuèrent. La végétation se densifiait au fur et à mesure qu’elles s’enfonçaient dans les profondeurs. Elles finirent par arriver au bout du tunnel. Là, leurs visages se figèrent de surprises.

Une immense caverne se dévoilait devant elles, baignée d’une clarté surnaturelle. Les fleurs luminescentes éclairaient l’endroit avec une intensité comparable à celle du jour lui-même. Trois majestueux arbres aux racines entrelacées dominaient le centre, entourant un gouffre d’où sortaient des volutes argentées et translucides. Un doux parfum floral embaumait l’air, d’une tiédeur inattendue pour un souterrain.

Prise d’une euphorie qui balaya sa fatigue, Aelia courut au milieu de cet environnement surnaturel. Elle dérangea de nombreux papillons aux ailes scintillantes qui s’envolèrent de l’herbe et tournoyèrent autour d’elle. Elle se laissa tomber en arrière, les bras écartés. Elle se retourna sur le ventre et examina les plantes de plus près.

Elles s’éteignent si on les cueille ? se demanda-t-elle, hésitant à tenter l’expérience.

De son côté, Célia restait perplexe, se demandant comment une telle végétation avait pu se développer ici sans soleil. Le grand trou devait y être pour quelque chose. Elle s’en approcha, son regard fut immédiatement attiré par la paroi jonchée de pierres précieuses. Elle s’accroupit et essaya d’en détacher une, en vain. Déçue, elle se retourna et regarda sa sœur s’émerveiller.

Après une telle journée, elle méritait bien cette parenthèse de bonheur. Et cet endroit… serait parfait comme refuge. Lorsqu’elles arriveraient à Esmara, Célia penserait à acheter une carte de la région et à bien noter cet endroit. Elle rejoignit Aelia et s’assit à ses côtés, lui offrant ses cuisses. La fillette s’allongea et y posa sa tête. Leurs regards se croisèrent, et, dans ce silence, tout fut dit.

Aelia s’endormit rapidement, un sourire paisible sur les lèvres. Célia l’observa tendrement un instant, puis glissa doucement ses mains sous sa tête pour se dégager, sans la réveiller. Elle défit sa propre cape et la posa sur elle. Cela fait, l’aînée alla s’asseoir dos contre l’un des majestueux arbres.

Son attention se tourna de nouveau vers ce mystérieux gouffre dont elle ne voyait pas le fond. Est-ce qu’il en existait d’autres, ailleurs dans le monde ? Et cette femme-démon qu’elles avaient croisée… Qu’était-elle vraiment ? Épuisée par son récent combat, mais surtout bercée par l’atmosphère apaisante de la caverne, Célia s’endormit sans même s’en rendre compte. Son esprit, comme son corps, put enfin trouver le repos qu’ils réclamaient tant.

***

Après avoir rassemblé des informations, Anyse, Rocvin et Tolan avaient repris la route à bord de leur charrette, dans la même direction qu’Aelia et Célia. Le roulement régulier sur la terre battue n’apaisait personne. Le silence était tendu, alourdi par la colère bouillonnante de Rocvin.

— Des pèlerines… grogna-t-il entre ses dents. Qu’est-ce que Célia n’inventerait pas pour embobiner les gens ! Elle va m’entendre !

Tolan esquissa un sourire sans quitter les rênes des yeux.

— Ta grande est loin d’être idiote. C’est ça qui t’énerve, hein ?

— Ce n’est pas drôle ! s’emporta Rocvin. Il faut les rattraper !

Le ton monta, mais le chasseur resta calme. Il connaissait Rocvin depuis trop longtemps pour se laisser happer par ses accès de rage. Recroquevillée sous sa capuche, Anyse n’intervint pas. Elle serrait les pans de sa cape contre elle pour contenir ses angoisses. Si elle retrouvait ses filles vivantes, elle les supplierait de rentrer à Uleth. Même juste les revoir, les savoir en vie, lui suffirait.

La nuit était tombée depuis longtemps. Le ciel, sans lune, noyait le paysage d’une obscurité moite. Le silence n’était plus paisible. Il vibrait d’un quelque chose d’indéfinissable. L’atmosphère devint soudain plus lourde, presque oppressante. Rocvin et Tolan restaient attentifs, leurs sens en alerte face aux bruits étranges qui se faisaient entendre dans l’obscurité. Guidé par son instinct de chasseur, Tolan fit brusquement accélérer les chevaux.

— Tenez-vous bien ! lança-t-il d’un ton urgent.

Au loin, des silhouettes sombres apparurent sur la route. Sans hésiter, Tolan fouetta encore les chevaux, espérant distancer les créatures ou, avec un peu de chance, les écraser. Assez proche à son passage, l'une d’elles bondit sur le côté, frappant la roue avant gauche. La structure grinça et dérapa. Tolan stoppa les bêtes d’un réflexe sec, évitant de peu la bascule.

Anyse se blottit contre Rocvin, qui se préparait à défendre sa femme coûte que coûte. Le chien de Tolan bondit du chariot, aboyant furieusement face aux assaillants. Malgré les cris de son maître lui ordonnant de fuir, l’animal tentait désespérément de repousser les créatures. L’un des démons s’apprêtait à abattre le courageux chien, lorsqu’une onde tranchante violette jaillit soudain des bois et terrassa la créature.

Sidérés, les trois adultes tournèrent leur regard vers l’origine de cette aide inespérée. Une silhouette sombre enveloppée dans un long manteau noir émergea des arbres. Elle s’attaqua aussitôt aux monstres, sa lame traçant des arcs lumineux dans l’obscurité.

Tolan observait la scène, bouche bée, Anyse remerciait intérieurement les dieux pour cette intervention providentielle, tandis que Rocvin bouillonnait intérieurement. C’était elle, cette Pourfendeuse de Démons dont parlaient les rumeurs ? Elle ne paraissait pas très robuste, mais sa dextérité forçait le respect.

Le dernier monstre terrassé, tous descendirent du chariot. Tolan et Rocvin constatèrent les dégâts et s’empressèrent de détacher la roue de secours à l’arrière du véhicule. Le cœur battant, Anyse marcha timidement vers leur sauveuse. Son époux remarqua cela et lui hurla :

— Ne t’approche pas d’elle !

Mais sa femme n’écouta pas. Elle marcha jusqu’à la guerrière, le regard brillant de gratitude. Arrivée face à elle, elle lui prit doucement sa main libre. La Pourfendeuse se laissa faire.

— Nous vous devons la vie… balbutia Anyse. Êtes-vous celle que les rumeurs dépeignent comme une sorcière ? Peu importe ce qu’ils disent. À mes yeux, vous êtes une sainte envoyée par les dieux. S’il vous plaît, avez-vous vu deux jeunes filles ? Mes filles… Nous les cherchons désespérément…

Ses yeux cachés derrière son masque ne se détournaient pas du regard implorant de cette mère qui semblait tenir à ses enfants plus que tout. Finalement, la guerrière fit un pas en arrière, quittant les mains chaudes d’Anyse.

— Retournez à votre village et ne le quittez plus, ordonna-t-elle d’une voix froide et détachée. Si vous persistez dans votre recherche, vous ne trouverez que la mort, ou pire.

— Mais… et nos enfants ?

La combattante ne répondit pas, tourna les talons et commença à partir lorsque…

— Attendez ! lança une voix forte.

L’épéiste s’arrêta et regarda par-dessus son épaule. Rocvin avait rejoint son épouse, la main fermement serrée sur le manche de sa hache.

— Je ne vous ferai jamais confiance, sorcière, grogna-t-il entre ses dents serrées. Je vous méprise et je suis sûr que vous avez un lien avec ces créatures. Mais…

Il se tut, essayant de contenir sa haine envers cette femme et ce qu’elle représentait. Ce qu’il allait dire lui était difficile à admettre, mais il devait reconnaître le courage dont elle avait fait preuve. Il relâcha ses bras, baissa les épaules et détourna le regard.

— Merci de nous avoir sauvés…

La Pourfendeuse de Démons le fixa un instant de plus, puis s’éloigna en silence. La guerrière en noir avait saisi la force de la supplication de cette mère éplorée. Et, au-delà de son apparente froideur, quelque chose en elle venait de changer.


Texte publié par K. Helphine D., 27 avril 2025 à 12h28
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