À Uleth, la mort des marchands, aussi brutale fût-elle, s’était peu à peu fondue dans le quotidien des habitants. On en parlait encore à voix basse, entre deux corvées ou au détour d’un chemin. Les mots bandits et démons revenaient souvent, mais personne n’osait poser les bonnes questions. Et surtout, nul ne songeait à relier ces événements à la jeune fille que l’on croisait parfois, seule, le regard éteint.
Vive et rieuse encore peu de temps auparavant, Célia paraissait désormais épuisée. Son sourire n’était plus qu’un automatisme, dénué de chaleur, et elle n’offrait son aide que lorsqu’on la sollicitait. Chaque matin, elle descendait prendre son petit déjeuner, puis s’éclipsait pour errer dans le village.
Depuis leur dispute, Aelia avait déserté leur chambre pour dormir avec leurs parents. Les premiers jours, elle avait tenté un regard, un mot… mais l'indifférence de Célia l’avait vite dissuadée.
Elle se réfugiait auprès d’Anyse, tandis que Rocvin jugeait qu’il ne s’agissait que d’un repli passager. Tant que sa fille aînée mangeait et ne causait pas de problèmes, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter.
Par précaution, il avait tout de même ordonné aux gardes de l’empêcher de franchir l’enceinte du village. Une mesure qui se révéla inutile : depuis ce soir-là, Célia ne s’en était jamais approchée.
Anyse, elle, essayait chaque jour une approche différente. Une main posée discrètement sur l’épaule, une parole glissée au creux du quotidien, une invitation à rester un peu plus longtemps à table… mais Célia demeurait distante. Son cœur, comme son esprit, restait figé à cette nuit où tout avait basculé.
— Tu sais… tu n’as pas à tout garder pour toi, murmura un jour sa mère, les yeux baissés sur le torchon qu’elle repliait.
Célia ne répondait pas. Parfois, elle hochait la tête, comme si elle avait entendu… sans vraiment écouter. Le jour, elle tenait bon. La nuit, tout se fissurait. Le sommeil la fuyait.
Allongée seule dans le lit, Célia fixait le plafond, les yeux grands ouverts. Parfois, elle se levait sans bruit et errait dans la maison endormie, frôlant les murs du bout des doigts comme pour s’assurer que le cauchemar ne recommençait pas. D’autres nuits, elle s'installait dans l’encadrement de sa fenêtre, les genoux serrés contre elle, le regard perdu dans les cieux voilés.
Toujours, son esprit la ramenait à cette charrette… et à la silhouette masquée penchée sur elle. Elle n’avait pas vu ses yeux, mais sentait encore leur poids. Cette présence muette s’était gravée en elle.
— Vous étiez vraiment là… n’est-ce pas ?
Un murmure, adressé à elle-même… ou peut-être à l’ombre qui la hantait. Elle n’avait pas vu ses yeux, mais elle sentait encore leur poids, comme une empreinte laissée dans sa chair. Cette présence silencieuse s’était gravée en elle, bien au-delà de cette main froide mais réconfortante sur son front.
Depuis, les nuits s’enchaînaient, peuplées de rêves à la frontière du cauchemar. Elle se voyait courir dans les bois, poursuivie par des démons. Parfois, elle trébuchait et se réveillait en sursaut, haletante, persuadée que leurs griffes l’avaient atteinte. D’autres fois, la Pourfendeuse apparaissait et terrassait les assaillants.
Et cette voix répétant son nom… Était-ce celle de la Pourfendeuse ? Celle d’Aelia réclamant le sourire de sa grande sœur égarée ? Ou simplement la sienne, brisée et déformée ?
Au réveil, elle n’en était jamais sûre. Cette nuit-là avait-elle seulement eu lieu ? Ou n’avait-elle fait que rêver d’être sauvée ? Une seule certitude persistait : la Pourfendeuse de Démons était là, quelque part… et elle détenait des réponses.
Un après-midi, alors que Célia n’était pas descendue de la journée, Anyse monta avec un plateau de nourriture. Elle trouva sa fille assise dans l’encadrement de la fenêtre, les yeux fixés sur les allées et venues des villageois en contrebas. La mère prit place sur le lit.
— L’hiver approche… Toi aussi tu attends le retour des jours plus cléments ?
Célia ne répondit pas.
— Aelia a peur de venir te voir, reprit-elle doucement. Alors, elle aide beaucoup au village pour se changer les idées. Pourquoi ne pas aller la rejoindre ?
Toujours pas de réponse… mais Anyse savait que sa fille écoutait, surtout lorsqu’il était question de sa petite sœur.
— Ce serait triste qu’elle ne voie plus qu’une ombre à la place de la grande sœur qu'elle admire tant…
Ces mots semblèrent atteindre Célia, qui tourna enfin la tête. Après un long silence, elle inspira et se mit à raconter. Sa voix hésitante évoqua sa dernière envie de parler avec Jael et Eldan, son réveil confus dans leur charrette… et les cauchemars qui avaient suivi.
— J’ai revu la Pourfendeuse de Démons…
— Vraiment ? Elle t’a parlé ?
— Je ne sais plus… Elle m’a sauvée, puis je me suis réveillée derrière la maison. Est-ce qu’elle m’a ramenée ? Comment a-t-elle pu passer les sentinelles ? Et pour les marchands… est-ce qu’elle…
Elle s’interrompit, frappée par une hypothèse aussi insupportable qu’improbable. Et si… la Pourfendeuse elle-même avait tué Jael et Eldan ? Le doute s’insinua dans son esprit comme un poison. Les larmes montèrent, lentes et silencieuses.
— Je ne sais plus quoi croire…
Sentant la détresse de sa fille prête à déborder, Anyse s’approcha et passa un bras autour de ses épaules.
— Commence par croire en toi, souffla-t-elle en déposant un baiser tendre sur ses cheveux emmêlés. Tu es encore là, et Aelia aussi.
Célia demeura immobile un long moment, s’imprégnant de cette chaleur maternelle. Puis, sans un mot, elle se leva et se dirigea vers la porte. Avant de quitter la pièce, elle adressa à sa mère un regard empreint de reconnaissance. Anyse lui répondit par un sourire encourageant.
En descendant les escaliers, Célia sentit ses jambes vaciller, engourdies par l’inactivité des derniers jours. Elle ne ralentit pas pour autant. Passant la porte, elle partit à la recherche d’Aelia et la trouva sur la place du marché, occupée à examiner les produits d’un étal.
La vendeuse, remarquant l’arrivée de l’aînée, interrompit sa conversation pour en signaler la présence. Avant même qu’Aelia ne se retourne, Célia l’enlaça dans le dos. Ce contact, lourd d’émotion, fit monter les larmes aux yeux de la cadette. Elle se retourna et se blottit contre sa sœur, comme si elle retrouvait une part d’elle-même. La vendeuse, bienveillante, reprit ses occupations.
— Passons l’après-midi ensemble, murmura Célia. Raconte-moi tout… depuis notre…
Elle n’acheva pas sa phrase, mais Aelia comprit. Enthousiaste, elle lui prit le bras et la guida vers le four à pain.
Le bâtiment, modeste mais fonctionnel, abritait un atelier pour le pétrissage. Le fournil, lui, se trouvait au fond. Les boulangers les saluèrent chaleureusement.
Aelia expliqua qu’elle voulait montrer son travail à Célia, ce qui les fit sourire. Ils la laissèrent faire, amusés. Elle descendit dans la cave et revint avec un bol où reposait une pâte encore plate.
— J’en ai préparé une dizaine comme ça ce matin ! J’en cuirai toute seule demain. Tu pourras goûter !
— Avec plaisir… mais…
Le regard de Célia glissa vers les pains exposés ce jour-là. La faim lui noua l’estomac, et Aelia s’en aperçut aussitôt. Sans hésiter, la cadette demanda aux boulangers si elle pouvait en prendre un. Attendris, ils lui en offrirent même un second. Leur petite apprentie les remercia d’un sourire rayonnant, promettant de travailler encore plus dur pour les rembourser.
Les sœurs s’éloignèrent jusqu’à trouver un coin tranquille. Assise, Célia mordit à pleines dents dans son pain, tandis qu’Aelia posait le sien sur ses genoux.
— Prends-le. Tu en as plus besoin que moi.
Célia aurait voulu refuser, mais son estomac décida pour elle. Elle engloutit le premier, tapotant sa poitrine pour le faire passer.
— Ne t’étouffe pas, rit Aelia en lui tendant sa gourde.
Rougissante, Célia en prit une gorgée, puis fixa longuement le second pain, comme si elle y cherchait une réponse.
— C’est vraiment ce que tu veux faire de ta vie ? Je veux dire… devenir boulangère ?
— C’est ce qui me plaît le plus ! Et puis, au moins, je ne serai plus la dernière levée le matin !
Célia mit une main devant sa bouche pour dissimuler un gloussement, mais pas suffisamment pour qu’il échappe à Aelia, heureuse de revoir une lueur de joie chez son aînée.
— Il y a un endroit où tu veux aller ? demanda la cadette, toute enjouée.
Célia hésita un instant.
— Et si… on marchait un peu, sans but ? Juste toi et moi.
Bras dessus bras dessous, elles flânèrent à travers le village. Les passants leur adressaient des sourires sincères ; certains se contentaient d’un signe de tête, d’autres prenaient le temps de les saluer, heureux de revoir une Célia moins sombre.
La jeune fille répondait avec retenue, surprise par cette bienveillance discrète. Ce n’étaient que des gestes simples, mais elle y sentait un véritable soutien.
Le soir approchait, et l’aînée proposa une idée pour parachever cet après-midi riche en émotions.
— Allons admirer le coucher du soleil.
Les deux sœurs montèrent sur le chemin de ronde et s’appuyèrent, côte à côte, contre la barrière de bois. Elles restèrent un moment silencieuses, les yeux rivés vers l’horizon orangé.
Le soleil déclinait derrière la ligne des arbres, parant les cimes d’une lumière dorée presque irréelle. Célia fixait également l’orée de la forêt.
— Tu crois que la Pourfendeuse de Démons se bat en ce moment ? demanda-t-elle sans détourner les yeux. Si aucun démon n’attaque notre village, c’est grâce à elle, non ?
Aelia n’avait pas d’avis sur la question, et au fond, elle préférait ne pas y penser. Tout ce qui comptait, c’était que sa sœur soit là, près d’elle.
En contrebas, les bruits du marché persistaient. Ce contraste entre l’agitation du village et le calme suspendu du chemin de ronde tissait autour d’elles une bulle hors du temps.
Malgré les sourires, Aelia percevait toujours cette ombre tapie au fond du regard de son aînée, comme une épine invisible enfoncée dans son âme, empêchant toute guérison complète.
Lorsque la dernière lueur du soleil disparut, elles redescendirent en silence. Le chemin jusqu’à la maison se déroula paisiblement, rythmé par quelques mots simples, des gestes timides et une complicité doucement retrouvée.
Au dîner, Célia se montra plus bavarde. Elle posait des questions, riait aux anecdotes d’Aelia, s’émerveillait de détails insignifiants… comme si elle redécouvrait le monde. Elle évitait soigneusement toute allusion à cette nuit fatidique, préférant évoquer de doux souvenirs d’enfance.
Des courses effrénées dans les sous-bois, des après-midis passés à troquer au marché, ou encore ce jour où Aelia avait failli tomber dans le puits en jouant à cache-cache.
Les parents écoutaient sans l’interrompre, un sourire discret aux lèvres. Rocvin lançait parfois à sa fille un regard amusé, tandis qu’Anyse, émue, retenait ses larmes.
Elle savait que Célia traversait encore des eaux troubles, que ses blessures intérieures demanderaient du temps pour se refermer… Mais ce soir-là, autour de ce repas simple, leur famille avait retrouvé un peu de chaleur.
Célia s’accorda quelques jours de répit. Le matin, elle restait allongée, ne descendant qu’au moment du repas de midi. L’après-midi, elle rejoignait Aelia au four à pain, puis toutes deux flânaient dans les rues d’Uleth jusqu’au dîner.
Le soir, la famille se retrouvait autour de la table dans une atmosphère redevenue chaleureuse, et la nuit, les sœurs dormaient à nouveau ensemble.
Un matin, se sentant enfin prête à reprendre une activité plus exigeante, Célia se leva en même temps qu’Aelia. Elles déjeunèrent ensemble, puis l’aînée l’accompagna à son travail.
Célia s’attarda un peu, observant sa cadette avec curiosité. Aelia pétrissait la pâte avec des gestes précis, concentrée mais joyeuse. Elle avait l'air vraiment heureuse dans sa nouvelle profession.
— J’y vais, dit Célia au bout d’un moment. Travaille bien.
— Toi aussi ! Fais de ton mieux ! répondit Aelia, son sourire empli d’encouragement.
Célia se rendit à la forge, où elle retrouva Rick préparant ses outils pendant que Nyeli attisait le feu. Déterminée à apprendre, elle proposa son aide. Rick accepta volontiers, se souvenant de la proposition qu’elle lui avait faite par le passé.
Ce jour-là, il devait fabriquer des fers à cheval. Avec l’hiver approchant et les chevaux moins sollicités, c’était le moment idéal pour les changer. Le chef d’Uleth lui installa une de ses anciennes enclumes et donna quelques lopins de fer à sa nouvelle apprentie.
— On pourra les refondre si tu rates, rassura-t-il tout de suite.
Après une démonstration en solitaire, Rick lui confia un marteau. Sous ses directives, Célia parvint à forger un premier fer… non sans mal. Mais dès qu’elle se retrouva seule à l’ouvrage, tout se compliqua.
Le premier morceau, trop chauffé, s’étira avant de se fendre. Le second, frappé trop tôt, se brisa net. Le troisième semblait prometteur… jusqu’à ce que la chaleur étouffante et la répétition des gestes n’épuisent ses forces. Ses bras tremblaient, l’acier refusait de plier.
Non loin, Nyeli, occupée à affûter une faux, remarqua sa pâleur.
— Fais une pause si ça ne va vraiment pas.
Célia posa son marteau et sortit prendre l’air. Après quelques minutes, elle revint, mais la fatigue avait déjà gagné. Vers midi, Rick avait terminé l’ensemble des fers prévus, sans que sa nouvelle apprentie ne parvienne à en achever un seul.
— J’aurais dû te confier une tâche plus simple, admit-il avec un sourire d’excuse. Ne te décourage pas. Repose-toi et reviens quand tu veux.
Elle le remercia et alla retrouver Aelia à leur point de rendez-vous habituel. Les deux sœurs partagèrent un pain chaud, tout juste sorti du four.
— Tu feras mieux la prochaine fois, dit la cadette. Moi aussi, j’ai raté plein de pâtes au début.
— J’imagine…
D’ordinaire, c’était l’aînée qui réconfortait la cadette. Ce jour-là, les rôles s’inversèrent. Pour Aelia, c’était une première. Cette tendresse inattendue touchait Célia plus qu’elle ne se l’avouait. Son cœur se relâchait peu à peu, au rythme discret de cette routine nouvelle.
Au fil des matinées à la forge, ses gestes gagnaient en précision. Elle anticipait mieux ses erreurs, même si son manque d’expérience restait un frein. Rick, conscient de ses progrès, la laissait avancer à son rythme.
Parfois, il l’emmenait aux écuries pour assister à un changement de fer. Il lui avait même appris à harnacher et à seller un cheval. Désormais, si une autre profession réclamait une monture, Célia saurait la préparer.
Certains après-midi, elle restait brosser les chevaux avec Aelia. Un moment complice entre sœurs qui rendait aussi service au village.
Pourtant, malgré cette impression de normalité retrouvée, ni la forge, ni les sourires d’Aelia, ni les repas en famille, ne parvenaient à combler le vide qui persistait en elle.
Une nuit, incapable de trouver le sommeil, Célia quitta la maison sur la pointe des pieds. Elle longea les ruelles silencieuses et se glissa derrière les écuries, là où l’on avait déplacé la charrette des marchands défunts. Une lanterne à huile à la main, elle monta à bord et entreprit de fouiller.
Les caisses étaient nettement moins nombreuses, en raison de la distribution des vivres. Le trésor de Jael et d’Eldan était toujours là. Toutes ces richesses… De quoi bien aider le village pendant des mois.
Célia poursuivit ses recherches jusqu’à tomber sur un coffre. Elle l'ouvrit et trouva des vêtements pliés avec soin, de petites babioles en cuivre, quelques bijoux, et une boîte contenant d’étranges outils. Et, dissimulé sous un châle… un carnet.
Elle s’assit contre une caisse, plaça la lanterne derrière elle, puis ouvrit doucement l’ouvrage. L’écriture fine et régulière trahissait immédiatement l’identité de son propriétaire. Célia, qui avait appris à lire auprès des anciens du village, parcourut la première entrée.
[Jour 1 – Sortie de Stelaris]
Nous devons réussir, pour l’avenir de notre peuple et la prospérité de notre famille. Mère, vous serez fière de nous lorsque nous reviendrons, non seulement couverts de gloire, mais reconnus par la Lignée Divine comme les artisans discrets d’une paix retrouvée. Le ciel était limpide à notre départ. Père a vu un présage dans le vol d’un oiseau sombre. Moi, je n’y ai vu qu’une pie… bruyante et opportuniste, comme tant d’autres.
Les yeux rivés sur chaque mot, Célia tourna la page, les sourcils légèrement froncés.
[Jour 2 – Mission]
Ordres de la Reine Sorane selon le parchemin officiel :
— Obtenir des informations fiables sur les Neantys et leurs manifestations dans les Plaines d’Ashon.
— Confirmer l’existence d’une mystérieuse guerrière masquée, vêtue de noir. Selon les elfes, elle serait liée à la disparition de leur souveraine et à l’apparition des Neantys.
Important : en cas de contact avec la cible, négocier sa venue à Stelaris. En cas de refus, la neutraliser sans lui ôter la capacité de parler, et la ramener à la Cité Céleste.
— Ne pas attirer l’attention par la magie ou par une invention quelconque.
Sur ce dernier point, mon père porte déjà une cape brodée d’or. Je doute que sa discrétion survive au premier marché… Nous y travaillerons. J’ai aussi brûlé le parchemin officiel. On ne sait jamais avec les humains…
Le souffle suspendu, Célia se laissait happer par le contenu du journal. Autour d’elle, tout semblait figé.
[Jour 6 – Village de Brakel]
Le vin local est infect… Un malheureux croisement entre le vinaigre et l’illusion de la cerise. L’aubergiste, en revanche, avait deux filles charmantes. Pas très raffinées, mais je ne suis pas difficile. Père a prétendu vouloir « étudier la culture locale ». Comme si ces rustres avaient une culture… Il détournait l’attention pendant que je « négociais nos frais de route ».
Résultat : six bourses pleines et une caisse de baies rouges locales. Immangeables. Elles feraient vomir un mulet. À revendre dès que possible contre quelque chose de plus clinquant.
Note : quelques rumeurs extravagantes sur les Neantys, mais rien de concret.
La jeune humaine referma le carnet, n’osant pas aller plus loin. Elle demeura là, assise, le teint livide, comme si ce qu’elle venait de lire appartenait à un monde étranger au sien.
Et, dans ce creux que ses activités quotidiennes n’arrivaient pas à combler, quelque chose venait enfin de germer. Encore informe, encore enfoui, mais déjà prêt à pousser.
Elle glissa le précieux ouvrage dans sa veste et s’apprêtait à quitter le chariot lorsqu’un éclat métallique entre deux caisses attira son regard. Elle s’approcha, et reconnut immédiatement l’objet.
Sa poignée finement ouvragée, son fourreau sombre, l’éclat du métal argenté dans la lumière vacillante de la lanterne… c’était l’épée d’Eldan. Rick aurait pu la récupérer, mais il avait respecté sa propre consigne, malgré l’attrait qu’une telle lame aurait exercé sur un forgeron.
Sa main hésita avant de finalement la prendre. Elle quitta le chariot, l’arme serrée contre elle.
Et maintenant ? Que faire de tout ça ? Le carnet serait facilement dissimulable, mais pas une telle épée. Célia marcha d’un pas rapide jusqu’à l’arrière de sa maison. Elle chercha un endroit où la mettre, sans que son père, ou même quelqu’un d’autre, ne tombe dessus. Son regard s’arrêta sur une pile de bois assez haute, que Rocvin n’était pas près d’entamer.
Elle écarta quelques bûches et allait glisser l’arme entre le mur et le bois. Mais elle la reprit. Elle posa sa lanterne et l’orienta pour éclairer juste assez, et se plaça de façon à disposer d’un espace dégagé autour d’elle. La jeune fille tira l’épée de son fourreau.
La lame, rouge et polie comme un miroir, ne présentait ni entaille ni imperfection. Elle captait la moindre lueur et la renvoyait avec une intensité presque irréelle. Eldan avait parlé d’une arme enchantée… Une magie se manifesterait-elle si elle la maniait ? La curiosité finit par l’emporter sur la prudence.
Célia la brandit à deux mains, fit un premier pas et exécuta de nombreux mouvements. Elle n’avait jamais manié d'armes, et cela se voyait. Ses passes étaient bancales, sèches et imprécises. Pourtant, elle recommençait, encore et encore. Comme si, à force d’insister, une réponse finirait par naître. Comme si… la silhouette masquée allait surgir de l’ombre pour croiser le fer.
Les minutes s’égrenèrent. Son souffle se fit court et sa poigne incertaine. La sueur lui collait la tunique au dos et perlait sur ses tempes. Pourtant, elle persistait à fendre l’air glacé avec une épée appartenant à un mort.
À bout, Célia ploya les genoux et planta la lame dans la terre, droite comme un pieu. Ses doigts crispés sur la garde semblaient retenir un espoir qu’elle refusait de lâcher. Front contre le métal froid, elle demeura immobile, sans larmes, même si tout en elle appelait à pleurer. Sans le savoir, quelqu’un l’observait, peiné de la voir ainsi.
Tapie dans l’ombre du mur, Aelia restait immobile. Réveillée par les pas de sa sœur, elle l’avait suivie, le ventre noué par un pressentiment. En cet instant, elle ne voyait pas l’épée, seulement Célia, seule dans la nuit, affrontant un adversaire invisible… ou un vide que nul autre qu’elle ne percevait.
La cadette savait que les mots ne l’atteindraient pas. Alors elle resta là, invisible et muette, simple témoin d’une détresse qu’elle ne pouvait apaiser.

| LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
|
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
3333 histoires publiées 1459 membres inscrits Notre membre le plus récent est Bleu Paris Festival |