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tome 1, Prologue « Le Conseil d'Aldria » tome 1, Prologue

Honorables consœurs, souveraines des peuples magiques,

Je vous écris aujourd’hui pour vous faire part de nouvelles alarmantes. Mes espions ont récemment confirmé que les étranges créatures, auxquelles le peuple elfique a déjà eu affaire, prolifèrent désormais en terres humaines.

Leur présence a également été signalée dans les prairies aux pieds de nos montagnes. Bien que nos systèmes de défense assurent la sécurité de la Cité Céleste, je ne peux tolérer que la panique gagne les habitants.

Les tragiques événements du Cratère Sylvestre ne doivent en aucun cas se reproduire, au regard de l'immense perte qui en a résulté. C’est pourquoi, je vous propose de nous réunir en un Conseil exceptionnel dans un délai d’une semaine.

Malgré nos différends, unissons nos efforts pour empêcher ces abominations de précipiter notre monde dans le chaos. Si je peux compter sur votre soutien sans faille, alors mon peuple se tiendra prêt à vous offrir son aide en ressources, en renforts militaires, ou en inventions à la hauteur de vos besoins.

Ensemble, défendons notre monde face aux ténèbres qui le menacent.

Sorane, Reine des Lumiailes.

P.S. Conformément à nos accords ancestraux, et en l’absence de la souveraine des elfes, la représentante de sa Lignée Divine est conviée à nos échanges et jouira du même droit à la parole que chacune d’entre nous.

***

Dans un couloir qui lui paraissait interminable, une jeune elfe avançait aux côtés de son intendante, tenant l’invitation en main. Régente malgré elle, l’enfant ne cessait de se demander si elle était réellement digne de celle qu’elle remplaçait, reléguant au second plan les enjeux pourtant cruciaux de ce Conseil.

Elles s’arrêtèrent devant une structure circulaire en bois clair, constellée de runes dont la lumière pulsait comme un battement de cœur. Un portail. La régente le contempla longuement, la gorge serrée.

Combien de fois avait-elle vu sa mère franchir ce portail, droite et fière, emportant avec elle les espoirs de tout un peuple ? Combien de fois avait-elle attendu son retour ? Aujourd’hui, c'était à son tour d’y aller.

Un léger vertige saisit la régente. Elle inspirait profondément, luttant pour calmer son cœur affolé. Son intendante lui adressa une dernière parole d’encouragement, avant de la laisser franchir le passage, seule.

La jeune elfe émergea en un lieu plongé dans une nuit éternelle. Un ciel limpide dévoilait une infinité d’astres cosmiques, entre lesquels serpentaient lentement des veines d’énergie magique.

Un peu plus loin, à sa gauche, une fontaine majestueuse déversait une eau cristalline dans un bassin de pierres blanches polies. À sa droite, un portail fait de métaux entrelacés dans une harmonie parfaite se dressait avec élégance. Enfin, devant elle, une arcade de cristaux diffusait une chaleureuse lumière derrière la table ronde placée à l’exact milieu des monuments. Aucun horizon. Rien d’autre que ce sanctuaire, isolé dans l’infini.

L’arrivante jeta un dernier coup d’œil par-dessus son épaule, vers le passage menant à son palais, niché dans le tronc d’un grand arbre. L’idée de tourner les talons l’effleura, mais elle ne pouvait plus reculer. Elle avança d’un pas encore fébrile, inclina poliment la tête devant les deux souveraines déjà présentes, et s’installa à sa place.

— Nous n’attendons plus que cette sirène à la ponctualité désastreuse, soupira l’une d’elles.

Jamais l’elfe n’avait vu Sorane, la redoutable reine des Lumiailes, dans un tel état d’irritation. Elle avait déjà échangé avec elle lors de réceptions officielles à la Cité Céleste. Toujours droite et inébranlable, son intelligence imposait le respect autant que la prudence. Aujourd’hui, une nervosité contenue s’accrochait à ses traits.

Ses prunelles orangées restaient rivées sur le monument ondin, tel un rapace prêt à fondre. Mieux valait ne pas lui adresser la parole maintenant. L’elfe détourna donc les yeux vers la troisième figure assise à cette table.

Elle ignorait presque tout de la matrone du peuple feyrique, sinon que sa taille actuelle ne reflétait en rien sa véritable nature. Le portail qu’elle avait traversé altérait les proportions : il agrandissait ou rapetissait ceux qui l’empruntaient, selon le sens emprunté. En temps normal, la fey aurait tenu sur une épaule. Ici, elle égalait Sorane en stature.

Des tatouages dorés s’étendaient en motifs complexes autour de ses yeux écarlates, pulsant doucement comme s’ils vibraient au rythme de ses pensées. Son regard, fixe et insondable, ne lâchait pas la nouvelle venue. Un frisson remonta l’échine de la régente. Avait-elle déjà commis une faute ? Qu’avait-elle bien pu faire pour mériter un tel accueil ?

Une tension silencieuse s’installa, s’étirant jusqu’à ce qu’une silhouette jaillisse avec fracas de la fontaine.

— Il était temps, grinça Sorane.

La sirène se redressa lentement, rejetant sa longue chevelure d’argent en arrière. Une courbe d’eau scintillante accompagna son geste, comme un voile d'écume dans la lumière astrale. Un bandeau mauve ceignait sa poitrine, soulignant ses formes avec une insolence assumée.

Un sourire espiègle se dessinait sur ses lèvres. Son regard pétillant s’attarda un instant sur chacune des invitées. Sorane la dévisageait. La fey, impassible, leva légèrement le menton. Quant à l’elfe, elle restait abasourdie par tant de désinvolture en pareille circonstance.

— J’espère ne pas vous avoir trop fait attendre, lança la créature aquatique d’un ton faussement candide. Vous savez, il est difficile d’être ponctuelle quand…

Un raclement de gorge sec l’interrompit, Sorane ne cachant plus son exaspération. Loin d’être vexée, la sirène parut plutôt s’en amuser.

Elle s’appuya sur le rebord de la fontaine, révélant des écailles bleu-clair sous son nombril, avant de glisser hors du bassin, tel un serpent. Sa queue se désagrégea dans un chatoiement d’eau et de lumière, laissant place à deux longues jambes fines, enveloppées d’un pagne azur aux reflets irisés.

La sirène vint s’installer sans prêter attention aux deux habituées, puis adressa un sourire bienveillant à l'elfe.

— C’est un plaisir de te voir ici. J’espère que nos charmantes consœurs ne t’ont pas trop…

— Maintenant que nous sommes enfin toutes réunies, s'exprima Sorane d’une voix tranchante, nous allons pouvoir ouvrir ce Conseil d’Aldria.

La Lumiailes prit quelques secondes pour retrouver sa contenance.

— Honorable matrone, montrez-nous, je vous prie.

La fey tendit une main vers le centre de la table. Un faisceau de lumière jaillit, dévoilant l’image d’une créature. L’elfe déglutit difficilement.

La chose avait une forme vaguement humanoïde, mais son corps était enveloppé d’un voile d’ombres ondoyantes, comme si la lumière elle-même refusait de l’atteindre. Seuls deux lueurs violettes en guise d'yeux perçaient cette obscurité mouvante. L’entité, accroupie sur quatre membres griffus, dégageait une aura aussi sauvage qu’infernale.

— Un Neantys, présenta Sorane. C’est ainsi que les chercheurs de la Cité Céleste ont nommé ces créatures apparues dans les Plaines d’Ashon, un territoire humain. Les spécimens observés varient de petites bestioles agiles et bondissantes comme celle-ci, à des entités plus imposantes aux traits animaliers.

— Ces abominations, intervint la fey, sont baignées d’une magie corruptrice qui semble vivante. Une blessure grave suffit à transformer une victime. La mutation est progressive, mais inévitable. Sans surprise, les humains sont dépassés. Dans leur impuissance, ils nourrissent ce fléau.

— Nous devons localiser l’origine de ce mal tout en endiguant sa propagation, conclut la Lumiailes. Ces démons arriveront à nos portes tôt ou tard.

— Ils nous ont déjà atteints, rappela gravement la sirène, jetant un bref regard à l’elfe angoissée. Les événements du Cratère Sylvestre auraient dû nous inciter à agir dès le lendemain de sa disparition.

— Et que suggérez-vous donc, très chère ? demanda Sorane, un sourire narquois aux lèvres. Envoyons donc nos troupes respectives purger les Plaines d’Ashon. Simple, rapide, et surtout efficace.

La sirène croisa les bras, son visage empreint d’une ironie non dissimulée.

— Vous en mourez d’envie, mais ce n’est pas la bonne solution. Par ailleurs, votre lettre m’a laissée… perplexe. J’aimerais que vous m’éclairiez.

L’agacement perçait à peine sur le visage de Sorane, contenu derrière sa façade de souveraine digne. Que pouvait encore lui reprocher cette peste d’impératrice ?

— Personne ici ne remet en question votre puissance ni celle des vôtres, poursuivit la sirène, son ton aussi doux que traître. Pourquoi solliciter notre aide aujourd’hui, et surtout la mienne ? Votre peuple a toujours refusé la moindre main tendue de la part des miens.

Un point intéressant venait d’être soulevé, et la fey tourna un regard curieux vers Sorane. Cette dernière fronça les sourcils. Cette maudite sirène n’avait pas tort : jamais son peuple ne traiterait avec les Ondins. Hors de question cependant de lui donner raison pour autant.

— Alors dites-nous, insista la créature aquatique. S’agit-il d’un véritable désir de réconciliation ? Ou simplement de jolis mots destinés à vous glorifier comme l'instigatrice d’une coalition aussi éphémère qu’hypocrite ?

Sorane se leva d’un bond, abattant avec force ses poings sur la table.

— Tu oses mettre en doute ma sincérité ?!

Un sourire satisfait étira les lèvres de la sirène.

— Comme toujours, c'est la peur de l’inconnu qui perturbe ton esprit si aiguisé.

— Vipère arrogante ! Je vais… !

— Mesdames !

La voix de la fey coupa immédiatement l’échange. Elle n’avait pas crié, mais l’agacement perçait derrière son ton mesuré.

— Ce n’est ni le lieu ni le moment. Ce Conseil concerne l’avenir du monde, pas vos querelles ancestrales. Trois d’entre nous se sont donc exprimées, écoutons maintenant la dernière personne présente.

L’attention des souveraines se tourna alors vers la régente, restée silencieuse tout du long. Elle n’avait presque pas suivi les échanges, son attention fixée sur l’image de la créature.

— Les vôtres ont déjà eu affaire aux Neantys, reprit la fey d’un ton sérieux. Si ces créatures revenaient sur vos terres, comment réagiriez-vous ?

— Si elles envahissaient votre capitale et corrompaient vos semblables, fuirez-vous ou vous battrez-vous ? surenchérit Sorane, sa colère toujours palpable.

L’effroi se peignit sur le visage de l’elfe, tandis que son cœur s’emballa. Bien que les Neantys qui avaient pénétré dans le Cratère Sylvestre eussent été exterminés, leur simple apparition ne fut pas sans conséquences. Si la régente était assise à cette table aujourd'hui, c’était parce qu’une autre n’y était plus.

— Allons, soyons indulgentes, intervint la sirène. Laissons-la faire ses preuves, et quand le moment viendra, j’ai foi qu’elle saura se montrer à la hauteur. Pas vrai, jeune elfe ?

Les trois attendaient une réponse, et cette fois, l’elfe ne pouvait plus se contenter d’observer. Elle rassembla ses ultimes bribes de courage, et, d’une voix tremblante mais résolue, déclara qu’elle soutiendrait les autres peuples sans faillir.

La sirène lui adressa un sourire tendre, presque complice. Sorane haussa un sourcil avec scepticisme, tandis que la fey se contenta d’un regard scrutateur. La Lumiailes se rassit, les discussions reprirent.

Désireuse de protéger l’elfe face à tant de sévérité, l’impératrice des Ondins s’impliqua davantage. Elle proposa des idées, souvent farfelues, parfois franchement absurdes, mais toujours avec l’intention claire de ralentir le rythme. Après deux longues heures de palabres stériles, Sorane perdit le peu de patience qui lui restait.

— Assez. Nous reprendrons ce Conseil lorsque nous aurons davantage d’informations, et lorsque chacune d’entre nous, sans exception, prendra cette situation avec le sérieux qu’elle mérite.

La lumiailes se leva.

— Soyez prudentes. Les Néantys ne sont certainement pas les seuls monstres à rôder dans l’ombre…

Sur ces mots, Sorane remercia ses consœurs par pure courtoisie, et s’éloigna vers son portail. La fey fit de même et disparut dans le sien.

Le visage rouge et les yeux au bord des larmes, la régente resta figée sur son siège, accablée par l’image pathétique qu’elle venait de donner. Elle n’avait pas été digne, et maintenant, qu’allaient penser les siens à son retour ?

Elle sursauta, un gémissement s’échappant de ses lèvres, lorsque des mains se posèrent délicatement sur ses frêles épaules tremblantes.

— Leurs préoccupations sont légitimes, admit la sirène à voix basse. Mais leur façon d’agir… non. Elles auraient pu faire preuve de plus d’empathie à ton égard.

Ses bras vinrent l’enlacer dans un geste protecteur, empreint d’une douceur inattendue. L’étreinte avait la chaleur d’une mère, et le poids de la mémoire.

— Mon soutien t’est acquis, souffla-t-elle, tout comme celui de ta mère m’a été précieux autrefois. Redresse-toi, elle aurait été peinée de te voir ainsi.

L’elfe sentit son malaise s'apaiser un peu. Depuis la disparition de sa mère, et souveraine légitime du Cratère Sylvestre, l’impératrice des ondins témoignait d’une bienveillance particulière envers l’enfant unique de son amie.

— J’aurais aimé rester encore, mais je dois retourner avant que ma fille aînée ne fasse encore des vagues. Que les divinités te gardent, brave Erulyn.

La créature aquatique se dirigea vers le bassin et y plongea avec grâce. Ses esprits plus ou moins retrouvés, l’elfe quitta également les lieux.

De retour dans son palais, Erulyn fut accueillie par son intendante, qui l’accompagna jusqu’à ses appartements. Arrivées, la jeune régente se laissa tomber sur son lit. Un profond soupir s'échappa de ses lèvres, mais le répit fut de courte durée.

Une aura noire se manifesta soudainement sur le seul mur dépourvu de meuble. L’intendante réagit aussitôt et verrouilla la porte. Non pas pour empêcher celle qui arrivait de sortir… mais pour éviter que quiconque n’entre et la voit.

De ces ténèbres émergea la silhouette élancée d'une elfe à la peau d’une pâleur spectrale. Les ombres mouvantes enveloppant le haut de son visage descendaient aussi jusqu’à la moitié de son dos telle une cape.

Erulyn se redressa et déglutit. Ce voile obscur, dissimulant les yeux et le front de sa congénère, était similaire à l’aura sinistre de la créature présentée au Conseil.

La mystérieuse elfe vint s’agenouiller devant sa régente, et déclara d’une voix empreinte d’une détermination sans faille :

— J’ai retrouvé sa trace.


Texte publié par K. Helphine D., 23 février 2025 à 10h32
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