Honorables consœurs, souveraines des peuples magiques,
Je vous écris aujourd’hui pour vous faire part de nouvelles alarmantes. Mes espions m’ont confirmé que les créatures déjà affrontées par le peuple elfique se multiplient en terres humaines, et rôdent désormais jusque dans les prairies au pied de nos montagnes.
Si les défenses de la Cité Céleste garantissent pour l’instant notre sécurité, je ne saurais tolérer que la peur s’installe parmi ses habitants. Les tragiques événements du Cratère Sylvestre ne doivent, en aucun cas, se reproduire. C’est pourquoi je vous propose de nous réunir en un Conseil exceptionnel dans un délai d’une semaine.
Malgré nos différends, unissons nos forces pour empêcher ces abominations de précipiter notre monde dans le chaos. Si je peux compter sur votre soutien indéfectible, mon peuple se tiendra prêt à vous offrir son aide, qu’il s’agisse de ressources, de renforts militaires, ou d’inventions adaptées à vos besoins.
Ensemble, préservons notre monde contre les ténèbres qui le menacent.
Sorane, Reine des Lumiailes.
P.S. Conformément à nos accords ancestraux, et en l’absence de la souveraine des elfes, la représentante de sa Lignée Divine est conviée à nos échanges et jouira du même droit de parole que chacune d’entre nous.
Dans un couloir qui lui semblait interminable, une jeune elfe avançait aux côtés de son intendante. L’enfant ne cessait de se demander si elle était digne de celle qu’elle remplaçait. Ces pensées reléguaient au second plan les enjeux pourtant cruciaux de ce Conseil.
Elles s’arrêtèrent devant une structure circulaire en bois clair. Des runes y étaient gravées, pulsant d’une lumière régulière, semblable à un battement de cœur. Un portail. La régente le contempla longuement, la gorge nouée.
Combien de fois avait-elle vu sa mère le franchir, drapée de la fierté de tout un peuple ? Et combien de fois avait-elle attendu son retour, le cœur serré ? Un vertige la saisit. Elle inspira profondément, luttant pour apaiser son cœur affolé. Aujourd’hui, c’était à son tour d’y aller.
Son intendante lui adressa une dernière parole d’encouragement avant de la laisser franchir seule le portail. La jeune elfe émergea de l'autre côté, dans un lieu plongé dans une nuit éternelle.
Un ciel limpide dévoilait une infinité d’astres cosmiques. Entre eux dérivaient lentement des flux d’énergies magiques. Aucun horizon, rien d’autre que ce sanctuaire perdu dans l’infini.
À sa gauche, une fontaine majestueuse versait une eau cristalline dans un bassin de pierres blanches polies. À sa droite, un portail de métaux entrelacés se dressait avec une harmonie parfaite. Enfin, droit devant, une arcade de cristaux diffusait une lumière chaleureuse derrière la table ronde, placée à l'exact centre des monuments.
L’arrivante jeta un dernier regard par-dessus son épaule, vers le passage menant à son palais niché dans le tronc d’un grand arbre. L’idée de tourner les talons l’effleura… mais il était déjà trop tard.
D’un pas fébrile, elle s’avança, inclina la tête devant les deux souveraines déjà présentes, et prit place.
— Nous n’attendons plus que cette sirène à la ponctualité désastreuse, soupira l’une d’elles.
Jamais l’elfe n’avait vu Sorane, la redoutable reine des Lumiailes, afficher une telle irritation. Ses prunelles orangées restaient rivées sur le monument ondin, tel un rapace prêt à fondre sur une proie. Mieux valait ne pas lui adresser la parole maintenant. L’elfe détourna donc les yeux vers la troisième figure assise à cette table.
Elle ignorait presque tout de la matrone du peuple feyrique, sinon que sa taille actuelle ne reflétait en rien sa véritable nature. Le portail qu’elle avait traversé altérait les proportions : il agrandissait ou rapetissait selon le sens emprunté. En temps normal, la fey aurait tenu sur une épaule. Ici, elle égalait Sorane en stature.
Des tatouages dorés s’étendaient en motifs complexes autour de ses yeux écarlates. Son regard ne lâchait pas la nouvelle venue. Un frisson remonta l’échine de la régente. Avait-elle déjà commis une faute ? Qu’avait-elle bien pu faire pour mériter un tel accueil ?
Une tension silencieuse s’installa, s’étirant jusqu’à ce qu’une silhouette jaillisse avec fracas de la fontaine.
— Il était temps, grinça Sorane entre ses dents.
La sirène se redressa d'un coup, rejetant sa longue chevelure d’argent en arrière. Une courbe d’eau scintillante accompagna son geste, dessinant un voile d'écume dans la lumière astrale. Un simple bandeau mauve ceignait sa poitrine, soulignant ses formes avec une insolence assumée.
Un sourire espiègle se dessinait sur ses lèvres tandis que son regard pétillant s’attardait sur chacune des invitées. La lumiailes la dévisageait. La fey, impassible, leva légèrement le menton, tandis que l’elfe restait abasourdie par tant d’exubérance en pareille circonstance.
— J’espère ne pas vous avoir trop fait attendre, lança la créature aquatique d’un ton faussement candide. Vous savez, il est difficile d’être ponctuelle quand…
Un raclement de gorge sec l’interrompit, Sorane ne cachant plus son exaspération. Loin d’être vexée, la sirène parut plutôt s’en amuser. Elle s’appuya sur le rebord de la fontaine, révélant des écailles bleu-clair sous son nombril, avant de glisser hors du bassin avec la souplesse d'un serpent.
Sa queue se dissout alors dans un chatoiement d’eau et de lumière, révélant deux belles jambes fuselées, drapées d’un simple pagne azur. D'un pas désinvolte, la sirène vint s’installer sans accorder plus d’attention aux deux habituées, puis adressa un sourire bienveillant à la nouvelle venue.
— C’est un plaisir de te voir ici. J’espère que mes charmantes consœurs ne t’ont pas trop…
— Maintenant que nous sommes enfin toutes réunies, trancha Sorane, nous allons pouvoir ouvrir ce Conseil d’Aldria.
La Lumiailes prit quelques secondes pour retrouver sa contenance, avant de s'adresser à la matrone des Fey.
— Montrez-nous, je vous prie.
Celle-ci tendit une main vers le centre de la table. Un faisceau de lumière jaillit, faisant apparaître l’image d’une créature. L’elfe déglutit en la voyant.
La chose avait une forme vaguement humanoïde, et se tenait accroupie sur ses quatre membres griffus. Son corps était enveloppé d’un voile d’ombres ondoyantes, à travers lesquelles seules deux lueurs violettes en guise d'yeux perçaient.
— Un Neantys, présenta Sorane. C’est ainsi que les chercheurs de la Cité Céleste ont nommé ces créatures apparues dans les Plaines d’Ashon, un territoire humain. Les spécimens observés par mes espions varient de la petite bestiole agile et bondissante comme celle-ci, à des entités plus imposantes aux traits animaliers.
— Ces abominations sont baignées d’une magie corruptrice qui semble vivante, compléta la fey. Une blessure grave suffit à transformer leurs victimes. La mutation est progressive, mais inéluctable. Sans surprise, les humains sont dépassés. Et dans leur impuissance, ils nourrissent ce fléau.
— Nous devons localiser l’origine de ce mal tout en endiguant sa propagation, conclut la Lumiailes. Ces démons arriveront à nos portes tôt ou tard.
— Ils nous ont déjà atteints, rappela gravement la sirène, jetant un bref regard à l’elfe angoissée. Les tristes événements du Cratère Sylvestre auraient dû nous inciter à agir dès le lendemain de sa disparition.
— Et que suggérez-vous donc, très chère ? lança Sorane, un sourire narquois aux lèvres. Envoyons nos troupes purger les Plaines d’Ashon. Simple, rapide, et surtout efficace.
La sirène croisa les bras, son visage empreint d’une ironie non dissimulée.
— Vous en brûlez d’envie, mais ce n’est pas la bonne solution. Par ailleurs, votre lettre m’a laissée perplexe, et j’aimerais que vous m’éclairiez sur quelque chose.
L’agacement perçait à peine sur le visage de Sorane, contenu derrière sa façade de souveraine digne. Que pouvait encore lui reprocher cette peste d’impératrice ?
— Personne ici ne remet en question votre puissance ni celle des vôtres, poursuivit la sirène, son ton aussi doux que traître. Pourquoi solliciter notre aide aujourd’hui, et plus particulièrement la mienne, alors que votre peuple n’a jamais tendu la main au mien ?
Un point pertinent venait d’être soulevé, et la fey tourna un regard curieux vers Sorane. Cette dernière fronça les sourcils. Cette maudite sirène n’avait pas tort : jamais son peuple ne traiterait avec les Ondins. Hors de question cependant de lui donner raison pour autant.
— Alors ? reprit l’Ondine. Est-ce un véritable désir de réconciliation ? Ou simplement de belles paroles destinées à vous glorifier comme l'instigatrice d’une coalition aussi éphémère qu’hypocrite ?
Sorane bondit de sa chaise et abattit ses paumes sur la table.
— Tu oses remettre en question ma sincérité ?!
Un sourire satisfait étira les lèvres de la sirène.
— Comme toujours, Sorane. La peur de l’inconnu trouble ton esprit pourtant si affûté.
— Vipère arrogante ! Je vais…
— Mesdames !
La voix de la fey coupa immédiatement l’échange. Elle n’avait pas crié, mais l’agacement perçait derrière son ton mesuré.
— Ce Conseil concerne l’avenir du monde. Ce n’est ni le lieu ni le moment pour vos petites querelles ancestrales. Trois d’entre nous se sont donc exprimées, écoutons maintenant la dernière personne présente.
L’attention des souveraines se tourna alors vers la régente, restée muette tout du long. Elle n’avait presque pas suivi les échanges, comme happée par l'image de la créature et le mauvais souvenir qu’elle représentait.
— Les vôtres ont déjà affronté les Neantys, rappela la fey, le ton grave. S’ils revenaient sur vos terres, comment réagiriez-vous ?
— Si elles envahissaient votre capitale et corrompaient vos semblables, fuirez-vous ou vous battrez-vous ? surenchérit Sorane, sa colère toujours palpable.
L’effroi se peignit sur le visage de l’elfe, tandis que son cœur s’emballa. Bien que les Neantys qui avaient pénétré dans le Cratère Sylvestre eussent été exterminés, leur simple apparition ne fut pas sans conséquences. Si la régente était assise à cette table aujourd'hui, c’était parce qu’une autre ne pu l'être.
— Allons, soyons indulgentes, intervint la sirène, volant à son secours. Laissons-la faire ses preuves, et quand le moment viendra, j’ai foi qu’elle saura se montrer à la hauteur. Pas vrai, jeune elfe ?
Les trois attendaient une réponse, et cette fois, l’elfe ne pouvait plus se contenter d’observer. Elle rassembla ses ultimes bribes de courage, et, d’une voix tremblante mais résolue, déclara qu’elle soutiendrait les autres peuples sans faillir.
La sirène lui adressa un sourire tendre, presque complice. Sorane haussa un sourcil avec scepticisme, tandis que la fey se contenta d’un regard scrutateur. La Lumiailes se rassit, les discussions reprirent.
Soucieuse d’alléger la pression pesant sur la régente, l’impératrice des Ondins s’impliqua davantage dans les débats. Elle proposa des idées, souvent farfelues, parfois franchement absurdes, mais toujours avec l’intention claire de ralentir le rythme. Deux heures de palabres stériles suffirent à épuiser la patience de Sorane.
— Assez. Nous reprendrons ce Conseil lorsque nous aurons davantage d’informations, et lorsque chacune d’entre nous, sans exception, prendra cette situation avec le sérieux qu’elle mérite.
La lumiailes se leva.
— Soyez prudentes. Les Néantys ne sont certainement pas les seuls monstres à rôder dans l’ombre…
Sur ces mots, Sorane remercia ses consœurs par pure courtoisie, et disparut dans son portail. La fey n'ajouta mot et fit de même.
Le visage rouge et les yeux au bord des larmes, la régente resta figée sur son siège, accablée par l’image pathétique qu’elle venait de donner. Elle n’avait pas été à la hauteur, et redoutait déjà le jugement des siens à son retour.
Un contact soudain la fit sursauter. Un léger gémissement lui échappa lorsque des mains se posèrent avec douceur sur ses épaules crispées.
— Leurs inquiétudes sont légitimes, concéda la sirène à voix basse. Mais un peu d’empathie n’aurait pas fait de mal.
Ses bras vinrent l’enlacer dans un geste protecteur, empreint d’une douceur inattendue. L’étreinte avait la chaleur d’une mère, et le poids de la mémoire.
— Mon soutien t’est acquis, souffla-t-elle, tout comme celui de ta mère m’a été précieux autrefois. Elle aurait été aussi peinée que moi de te voir ainsi…
L’elfe sentit son malaise s'apaiser un peu. Depuis la disparition de sa mère, souveraine légitime du Cratère Sylvestre, l’impératrice des Ondins témoignait une bienveillance presque familiale à son égard.
— J’aurais aimé bavarder plus longtemps avec toi… mais je dois rentrer avant que ma fille aînée ne recommence à faire des siennes. Que les divinités te gardent, brave Erulyn.
D’un pas fluide, la sirène regagna le bassin et y plongea avec grâce. Ses esprits plus ou moins retrouvés, l’elfe quitta également le sanctuaire.
De retour au palais, elle fut accueillie par son intendante, qui l’escorta en silence jusqu’à ses appartements.
Erulyn se laissa tomber sur son lit. Un profond soupir s'échappa de ses lèvres, la violence des échanges du Conseil résonnant encore dans sa tête. Puis, sans prévenir, une aura noire se manifesta sur le seul mur dépourvu de meuble.
La régente se redressa d’un bond, pendant que l’intendante verrouilla aussitôt la porte. Non pour retenir celle qui arrivait, mais pour empêcher quiconque d’entrer et de la voir.
Des ténèbres émergea une silhouette élancée, drapée d’une tenue sombre et moulante, dénuée de toute pièce d’armure. Des ombres mouvantes recouvraient le haut de son visage et glissaient le long de son dos comme une cape vivante.
L’elfe déglutit. Ce voile obscur, masquant les yeux de sa congénère réduits à deux lueurs violettes, évoquait irrémédiablement l’aura sinistre de la créature présentée au Conseil.
La femme vint poser un genou devant sa régente et, d’une voix ferme, prononça :
— J’ai retrouvé sa trace.

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