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14. Refuge

Dimanche 11 mai 2070 - Los Angeles

Déterminée, je m'infiltre dans le laboratoire où travaille mon père en ce moment. Les couloirs froids s’étirent devant moi, déserts à cette heure un dimanche. Peu importe si quelqu'un me voit : après tout, je peux facilement trouver des excuses. Mon pass fonctionne. C'est mauvais signe. Il ne cache certainement rien ici. Par acquis de conscience, je fouille méthodiquement et vérifie en RA que je ne rate rien. Les données défilent, monotones. Comme je m'y attendais, même après avoir tout passé au peigne fin, je ressors bredouille.

Frustrée, je laisse échapper un soupir. Je me doute bien que mon père doit cacher un labo secret quelque part. Malgré mes appréhensions qui refont surface, je n’ai plus d’autre choix que de reprendre mes investigations sur les magouilles les plus sombres de mon père. J'essaie de me persuader que je ne trouverai rien de plus affreux que cette fois-là, mais le traumatisme reste tenace. Je me sens au bord du malaise lorsque j'entreprends de lancer mon programme de furtivité. J'ai progressé, depuis : je suis sûre de pouvoir déjouer sans difficulté les sécurités instaurées par mon père. Seulement, quelles horreurs vais-je encore y trouver ?

Je n'ai pas le choix, si je veux le sauver.

Peut-être que je serais même capable, désormais, de trouver des preuves pour faire inculper mon père. Je pince les lèvres. Soyons réalistes. Mon paternel a bien trop de pouvoir et d'appuis pour finir condamné, peu importe les ignominies dont il s'est rendu coupable.

Alors que je m'affaire pour retrouver le dossier des Gladiateurs Matriciels dans le nœud local, un signal m'interpelle. Une intrusion. Quelqu'un a entré le mot de passe.

Il est venu !

J'évite de justesse de faire voler en éclat mon infiltration matricielle sous la surprise et l’empressement. Ce n’est pas le moment de déclencher des contre-mesures*, Damian a décrypté mon message, ça ne peut être que lui ! Je m’exfiltre immédiatement du terrain ennemi et trouve sans encombre un coin où me cacher pour le rejoindre, fébrile.

Il est bien là, assis au bord du plateau, les yeux clos. Il a délaissé son armure pour une tenue plus simple, t-shirt blanc et jean. J'approche en silence, puis m'assois à ses côtés. J'ai tellement rêvé de cet instant !

Il est toujours aussi beau…

Je suis envahie par l'angoisse. Et s'il n'était qu'un mirage qui pourrait disparaître à tout moment ? Mes pensées s’envolent lorsqu’il esquisse un sourire en coin, sans ouvrir les paupières.

– Tu es bien silencieuse, Adara.

Adara… Pas Dynah. Pourquoi ? Pourquoi laisser cette distance entre nous ? Je me sens blessée par cette volonté de sa part. Blessée par cette indifférence qu’il me renvoie. Même s'il ignorait qu’il s'agissait de moi, je lui ai dévoilé l’identité d’Adara en l'invitant ici. Cet endroit, ce refuge, nous l'avons créé ensemble.

Face à mon silence qui s'éternise, il finit par tourner son visage vers moi, dévoilant l'azur percutant de son regard. La rage y a laissé son empreinte, mêlée d'une profonde tristesse qui me bouleverse. Une lueur d’espoir, aussi.

– Pourquoi avoir pris le risque de m’inviter ici, si c'est pour rester muette ? Ne voulais-tu pas me dire quelque chose ?

Son timbre profond m'émeut. Il s'est imprégné de cet accent chantant que j'avais déjà remarqué. Où a-t-il vécu, toutes ces années ? Où se trouve-t-il, à présent ? Je me recentre sur le sens de ses questions. Ses paroles m’apparaissent plutôt froides, contrairement à son ton. Je n'y comprends plus rien. Qu'est-ce que cela signifie ? C'est comme s'il ignorait qui j'étais. Il évoque un risque… Mes craintes seraient fondées ? Me croit-il liée de près ou de loin au meurtre de ses parents ? Je divague sans trouver la force de lui répondre. Son attention se déporte à nouveau sur le paysage en contrebas. Je ne veux pas qu'il perde patience, qu'il s'en aille, aussi je bafouille maladroitement, d'une voix presque inaudible :

– Ça fait si longtemps…

Il ne réagit pas. M'a-t-il entendue ? Il ouvre la bouche mais n’en laisse sortir aucun son. Puis, il se lève, m’offrant toujours son profil. Je l’imite immédiatement. Prise de panique par ce mouvement soudain, je lui attrape le poignet tout en explosant :

– Pourquoi n’es-tu jamais revenu ? Pourquoi m’imposer ce silence ? Toutes ces années… Je te croyais mort, Dam !

J’ai perdu le contrôle. J’ai l’air d’une hystérique. Damian me fait enfin face et je perçois sa stupeur, puis son désarroi. Il fuit mon regard tandis que je relâche mon étreinte.

– Je… hésite-t-il. Je suis désolé… Je ne voulais pas…

Ses poings se serrent et desserrent, je perçois sa détresse, sa difficulté à trouver les mots. J’attends. J’ai besoin de ces réponses. Son expression résolue me trouble lorsqu’il m’avoue enfin :

– J’ai eu… un accident. J’ai tout oublié de mon passé. J’ai juste… Quelques images, des réminiscences, parfois. Je ne t’ai pas abandonnée volontairement…

Au premier abord, je suis choquée par cette révélation. Cependant, tout prend son sens et cet aveu me soulage. Damian a perdu la mémoire. Cet accident… Est-ce le fruit de la machination orchestrée par mon père ? Dans tous les cas, il ne sait pas qui je suis.

Il ne sait plus qui je suis…

Au fond, cette pensée me réconforte. Ainsi, même s’il connaît l’implication de mon père, il ne se souvient pas de mon lien avec lui. D’un autre côté, il ne se souvient donc pas non plus de notre lien à nous… Je réalise qu’il attend une réaction de ma part avec un air inquiet. Je lui souris pour le rassurer.

– Ça explique pas mal de choses, oui…

Tout se bouscule dans mon esprit. J’ai gardé l’apparence d’Adara, même si je ne porte pas mon armure. M’aurait-il reconnue, autrement ? Si je lui dévoile la vérité maintenant, je prends le risque qu’il me soupçonne. Je dois savoir ce qu’il s’est réellement passé et ce dont il est au courant, mais la manœuvre me paraît délicate.

– Pourquoi être venue en RVI ? demande-t-il soudainement.

Je fronce les sourcils, perplexe.

– Comment ça ?...

Il s’approche et essuie ma joue de son pouce. Je ne m’étais pas rendu compte que j’avais pleuré. Ce contact m’arrache un frisson IRL.

Il n’a rien perdu de sa douceur…

– Ces larmes… Je constate, c’est tout. Et je n’en saisis pas l’intérêt, puisqu’il n’y avait aucune obligation, ici. Surtout après mes menaces, pourquoi prendre ce risque ?

– Comme si…

Je m’interromps, consternée. Le visage de Damian s’est fermé.

Même notre particularité, il l’a oubliée ?

– Comme si quoi ?

Je me mords la lèvre. La situation est encore plus complexe que ce que j'avais imaginé. J'ai du mal à accepter que nous n'ayons plus aucun souvenir en commun. J'aurais tant de choses à lui dire, mais par où commencer ?

– Je t'ai toujours fait confiance…

– Alors pourquoi ne pas me montrer ton vrai visage, dans ce cas ? me coupe-t-il.

Je reste interdite, avant de me reprendre, acerbe :

– Je croyais que tu avais tout oublié !

– La couleur de tes yeux. Ça, je m'en souviens. Et j'ai maintenant la confirmation que ce n'est pas la seule chose que tu as modifiée, avance-t-il avec l'insolence d’un rictus charmeur.

En effet, les nuances que j'ai choisies d’afficher autour de mes pupilles sont tout sauf naturelles et je viens de me trahir suite à son habile manipulation. Je laisse s'évanouir le cyan iridescent de mes iris pour dévoiler leur véritable pigmentation. Damian adorait la couleur de mes yeux. Il me l'avait avoué, le jour de son départ soudain de Los Angeles. Ma gorge se serre à ce souvenir.

– Et ton prénom. Tu ne me l'as toujours pas donné non plus, revient-il à la charge.

– Damian, je…

– Tu n'as aucune envie que je sache qui tu es. Crois-tu que je n'ai pas perçu ton soulagement, lorsque je t'ai annoncé que je l'avais oublié ? Tu dis me faire confiance, mais c'est faux. Et après tout c'est normal… Nous ne nous sommes plus côtoyés depuis au minimum dix années. Et en dix ans, il peut se passer beaucoup de choses.

Mise à nu, je croise les bras sur ma poitrine et détourne le regard. Il a raison… Même si je déteste l'accepter. Nous n'étions encore que des adolescents lorsque nous avons été séparés.

Nous ne sommes plus que des étrangers.

– J'ai bien compris que j'avais compté pour toi, reprend-il d'une voix plus douce, mais…

– Tu comptes toujours autant pour moi, Dam. Je n'ai jamais cessé de penser à toi.

Je lui fais à nouveau face en prononçant ces paroles. Il paraît troublé par mon interruption. Je regrette d’avoir laissé mes sentiments prendre le dessus : je ne peux pas lui reprocher son amnésie, ni sa méfiance envers moi, et je ne souhaite pas lui donner cette impression. Je dois me concentrer sur la priorité, alors j’enchaîne le plus vite possible :

– S’il y a une chose importante que tu as oubliée… C’est ce dont nous sommes capables, toi comme moi. Tu t'es toujours senti plus à l'aise dans la matrice que dans la vraie vie, non ?

Mon cœur chavire lorsqu'il me répond du tac au tac dans un sourire ravageur :

– Sans doute, surtout depuis que je t'y ai retrouvée.

Il souffle le froid et le chaud… Il va me rendre folle !

* contre-mesures : systèmes de sécurité, ici matriciel, pour empêcher les vilains intrus de s'introduire là où on ne veut pas qu'ils fouinent et alerter si il y a une intrusion (exemple : pare-feu, anti-virus etc...)


Texte publié par Wildflower8906, 11 juin 2025 à 08h15
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