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10. Surprise

Samedi 10 mai 2070 - Los Angeles

Encore une semaine interminable qui s'achève enfin. Entre ce gala à vomir et les transactions qui ont suivi… Johnz Corporation peut sans doute se vanter d’afficher la pire empreinte carbone de tous les temps, même si mon père, en bon PDG qui se respecte, s’applique à soutenir qu’il fournit des efforts pour préserver l’environnement. Dommage que le charmant Nicholas m'ait abandonnée, accaparé par mon père une fois son discours de propagande terminé. Accessoirement, ce dernier a encore tenté de me caser avec des hypocrites de la pire espèce, fils de ses soi-disant amis.

Qui se ressemble…

Et dire que Johnz Corporation avait si bien démarré avant toute cette corruption… Qu'est-ce qui a pu aussi mal tourner pour que mon père se détourne à ce point de ses objectifs de départ ? Cette société, à la pointe de la recherche pour sauver des vies, incarnait l'espoir pour de nombreuses victimes de maladies, certaines considérées comme incurables. Un modèle d'éthique et de responsabilité durable, lointain souvenir même si les apparences restent sauves grâce aux habiles manipulations médiatiques gérées par mon paternel. Maman était-elle la seule instigatrice de ces idéaux ? Mon père n'a eu de cesse de trahir sa mémoire en multipliant les dettes et malversations. Et encore, ce n’est pas le pire…

Je me ressaisis et me prépare mentalement à ces nouveaux combats. Les affrontements s’annoncent plus rudes. Toutefois, je ne m’inquiète pas pour si peu. La seule chose qui m’angoisse, c’est qu’il pourrait avoir refusé l’invitation. Après tout, il a gagné haut la main son premier tournoi, mais je lui ai volé la victoire au second. S’il porte bien son surnom, il devrait néanmoins attendre cette revanche de pied ferme.

Cette fois, je ne compte pas le laisser filer comme ça. Je suis persuadée que les organisateurs auront pour but une finale entre lui et moi. Si c’est le cas, notre duel sera le dernier et le plus attendu. J’ai élaboré plusieurs stratégies pour qu’il accepte un rendez-vous en dehors des arènes, même si je redoute un refus. Le nœud matriciel que je lui proposerai est certainement le plus sûr que je connaisse. J’en sais quelque chose, puisque je l’ai élaboré moi-même.

Pas toute seule cependant…

Mon cœur se serre à cette pensée. Cela fait désormais plus de dix ans. Je n’ai plus visité ce refuge virtuel depuis que j’ai découvert l’ignoble vérité.

Je m’efforce de chasser ces pensées noires. J’ai donc des arguments pour convaincre Revenge d’accepter cette entrevue. Le problème, c’est que je ne connais pas réellement ses intentions. Dans quel but participe-t-il à ces joutes ? Pour la gloire ? Pour l’argent ? Ou bien pour un motif plus personnel ?

Alors que je me perds en tergiversations, l’heure tourne. Je ferme les yeux. Qui ne tente rien… Je plonge, déterminée.

Les gradins débordent. Cela ne me fait ni chaud ni froid, contrairement à la première fois. Tout ce qui m’importe, c’est qu’il soit présent. Je balaie du regard la vingtaine de concurrents en armure qui agitent leurs mains pour répondre à la foule en délire. Je ne l’aperçois pas tout de suite. Instinctivement, je me retourne. Il est là, juste derrière moi.

– Bonne chance, ma jolie… me glisse-t-il en passant.

Son léger accent chantant* m’interpelle. Italien ? Français ? Son timbre éveille une drôle de sensation en moi. Je brûle de le démasquer. Je suis tirée de ma torpeur par le présentateur qui vient d’annoncer les surnoms des premiers combattants.

Encore une fois, je vais devoir patienter. Je ne ferai qu'une bouchée de tous les autres concurrents pour atteindre mon objectif. Lorsqu’on vient me chercher pour le premier duel, je suis pire qu'une pile électrique.

Mes adversaires sont effectivement plus rapides et compétents que lors de mon premier tournoi, mais comme je m'y attendais, pas assez pour me poser de difficultés majeures. Cet opposant-là me donne un peu plus de fil à retordre. Strongman… Aucune originalité ! Dans mon empressement à en découdre, je bâcle une parade et roule de justesse pour éviter de me faire embrocher. Certains candidats n’hésitent pas à lancer des attaques létales. Visiblement, celui-ci en fait partie. Dans un mouvement vif de balancier, je me relève en analysant la posture du mastodonte devant moi. Il est dos au mur et n’hésite pas à charger à nouveau. Les spectateurs scandent mon nom : je suis manifestement la favorite. Avec un rictus satisfait, je glisse entre ses jambes, prends appui sur la paroi et m’accroche à son dos. Mon épée se place sous sa gorge. Ce duel est terminé.

J'ai perdu le compte de mes combats. Était-ce enfin le dernier ? Au vu de ce que j’ai entendu, Revenge aussi s’annonce plutôt expéditif. Attend-il, lui aussi, notre confrontation avec impatience ?

Enfin, la finale est annoncée. Je vérifie brièvement que mon message est prêt avant d'entrer dans l’arène. Nous arrivons en même temps sous un tonnerre d’applaudissements. Ne rien percevoir de son expression me frustre au plus haut point.

Dès que le signal est lancé, il fond sur moi. Rien à voir avec notre première rencontre. Agréablement surprise, j'entre dans la danse, enchaînant parades et attaques. Nous virevoltons avec célérité, les spectateurs semblent retenir leur souffle.

Je m'élance dans un saut périlleux pour l'attaquer par derrière et il bloque sans efforts sous les clameurs enjouées de la foule qui scande tour à tour nos pseudos. Il roule sur le côté et j'évite son croche-pied de justesse en bondissant. Il ne me laisse pas l'occasion de placer un mot, cette fois. Tant pis ; cette occasion finira par se présenter d'elle-même. Pour l'instant je profite de l'adrénaline qui court dans mes veines. Je m’enivre de cette sensation de voler, d'être invincible. Il est le seul à pouvoir rivaliser ainsi avec ma vitesse et ma stratégie. Lorsqu'il prend le dessus et m’accule vers un coin de l’arène, j’en profite pour rebondir sur sa prise de confiance. J'entrevois une faille. J’éclate de rire lorsque je parviens à faire voler son heaume dans les airs. Nos lames se croisent et nous sommes tout proche, comme à la fin de notre premier affrontement.

Cependant, je me fige de stupeur en découvrant ses traits durcis par la colère. Ces iris bleu glacier qui me transpercent, ces épis de jais en bataille, ce visage ciselé et cette mâchoire carrée…

Impossible…

* Eh oui ! Je sais que mes petites notes vous ont manqué ! Je ne l’ai pas précisé jusqu’ici, mais bien évidemment tous les échanges à Los Angeles ou dans la matrice se déroulent dans la langue de Shakespeare… International speaking oblige !