Dimanche 4 mai 2070 - Los Angeles
Je bats des cils en émergeant dans la pénombre de ma chambre. J’ai mal dormi, c’est un fait. Bien sûr, j’ai gagné haut la main ce tournoi, mais ce n’était pas mon but premier. J’ai pris des risques en m’exposant ainsi et je n’ai plus qu’à prier pour que mon père ne m’ait pas démasquée. Les remords m’assaillent quand je pense que je n’ai fait aucun effort pour dissimuler mes compétences. J’ai agi comme une gamine en m’inscrivant sur un coup de tête. J’ai été trop expéditive, même sur la finale. Encore plus après mon affrontement avec lui… Il est un peu tard pour m’en rendre compte, cependant. Je me console en me répétant que j’ai effacé mes traces. Personne ne pourra trouver d’informations me concernant. Personne… Mon paternel en serait bien capable, malheureusement.
Pourtant, je ne regrette pas cette participation. Revenge… Cette rencontre en valait la peine ! Il est doué, sans conteste, mais il se laisse distraire si facilement ! Que ce soit dans notre duel ou pour le faire tourner en bourrique, je ne m’étais pas éclatée ainsi depuis bien longtemps…
Depuis mes jeux avec Damian.
Pourquoi est-ce qu’il revient m’obséder ? Peut-être parce que nous nous sommes affrontés tant de fois dans la matrice, comme durant ces combats… Sans doute aussi parce que jusqu’à hier, j’étais persuadée qu’il avait été le seul à posséder les mêmes capacités que moi. J’étais persuadée que j'en étais désormais l'unique détentrice après que mon père m’a arraché l’homme que j’aimais… Même s'il n’a jamais complètement quitté mes pensées, j’étais parvenue à me centrer sur ma simple vengeance pour estomper ma peine au fil du temps. Je m’efforce de chasser les souvenirs douloureux qui m'ont troublée toute la nuit pour revenir à mon idée précédente.
Cette escarmouche contre Revenge m’a laissé un goût d’inachevé. J’aurais espéré au moins une répartie de sa part. Il s’est enfui sans un mot et, même si sa révérence m’a charmée, j’aurais bien aimé entendre le son de sa voix. D’où vient-il ? Qui est-il vraiment ?
Lui aussi est comme moi.
J’en suis presque certaine. Jamais il n’aurait pu atteindre un tel niveau aussi vite, autrement. J’aurais aimé apercevoir son visage, ses expressions. J’imagine que, tout comme moi, il ne peut pas modifier son avatar à sa guise. La prochaine fois, je lui arracherai son heaume !
Je grimace en concluant qu’il doit sans doute me détester après mes provocations et la défaite que je lui ai infligée. Attend-il, lui aussi, avec impatience de m’affronter à nouveau ? Je lui ai promis une revanche… Mais est-ce sage que je recommence cette folie ? Par ailleurs, au vu de mes performances, on me passera dans la catégorie supérieure. Tout comme lui, d’un autre côté. Les spectateurs ont apprécié notre combat. Il y a des chances qu’on nous recontacte pour le niveau intermédiaire, même si nous ne souhaitons pas réitérer l’expérience.
Je soupire en me levant pour me préparer. J’ai passé la nuit à ressasser ces questionnements et les souvenirs enfouis. L’idée d’avoir enfin trouvé quelqu’un d’autre qui partage mes aptitudes m’exalte et je ne peux me résoudre à ne pas le rencontrer à nouveau.
Si seulement j’avais un autre moyen de le contacter…
Une idée me traverse l’esprit mais je suis tirée de mes divagations par des coups peu discrets frappés à ma porte. Je sais très bien qui se trouve derrière.
– Tu peux entrer, Nina.
Mon timbre sonne éraillé. Je m’éclaircis la gorge en enfilant mon pantalon tandis que mon assistante personnelle entre dans la pièce.
– Tu as vu l’heure ? me sermonne-t-elle. Tu n’as même pas fini de t’habiller ! Et tu pourrais au moins te maquiller un peu, pour une fois. Tu as l’allure d’un paresseux dépressif.
– Comme si paresseux tout court n’aurait pas suffit… Il faut toujours que tu en rajoutes des tonnes !
Elle pince ses lèvres charnues en signe de désapprobation. Toutefois, je perçois une pointe de malice dans ses yeux chocolat.
– Assieds-toi, chaton, m’intime-t-elle avec un sourire complice.
Ce petit surnom subsiste depuis mon enfance. Nina a été ma gouvernante dès mon plus jeune âge, une bonne amie de Maman, aussi… Naturellement, elle est devenue ma mère de substitution depuis cette tragédie qui m'a laissée orpheline.
Il y a quinze ans déjà…
Je m’exécute tandis qu’elle ouvre les rideaux. Inutile de discuter, j’ai l’habitude. Comme si elle lisait dans mes pensées, Nina poursuit en m’observant à travers le miroir de la commode, un sourire nostalgique se dessinant sur ses lèvres charnues :
– Tu lui ressembles tellement…
Ça, je ne peux le démentir. Maman m’a légué ses iris noisette saupoudrés d’anis et ses boucles rebelles aux reflets dorés. Je toise mon reflet. Effectivement, je n’ai pas très bonne mine. Mon teint d’ordinaire hâlé apparaît presque blême, tout cela agrémenté de belles valises sous mes yeux. Je comprends pourquoi Nina m’a affublée de ce surnom !
– Dynah… Il faut qu’on parle. Tu ne peux pas éternellement t’opposer à ton père.
Je serre les poings. Si elle savait à quel point je le déteste… Pourquoi faut-il qu’elle prenne sa défense ? Mon assistante est au fait des rumeurs me concernant, elle comprend très bien mon but. Elle a toujours tenté de me raisonner, de me pousser à accepter un cessez-le-feu avec mon père, mais c'est peine perdue. Nina n'est pas au courant des horreurs qu'il a commises. Elle ne connaît que la partie émergée de l'iceberg. Moi, je sais. Je sais qu'il n'est qu'un froid calculateur au cœur de glace.
J’observe ma crinière de fauve se faire dompter peu à peu. Les gestes doux de Nina m’ont toujours apaisée, même dans les pires moments, me ramenant aux souvenirs de mon enfance.
– Tu es bien silencieuse aujourd’hui ! s’inquiète-t-elle. En temps normal, tu serais tout de suite monté dans les tours à la mention de M. Johnson. Ça et tes insomnies… Quelque chose ne va pas ?
– Tout va très bien, Nina.
– Oh, toi… Tu me caches quelque chose ! Une peine de cœur ? Tu sais que tu peux tout me dire, ma chérie !
Je lui souris dans la glace, touchée par sa sollicitude habituelle. Nina est coutumière de mes sautes d’humeur. Elle m’aide à garder le cap quand ça va vraiment mal. Une vraie bonne mama africaine, toujours dans l'optimisme et la joie !
– Mais non voyons… Tu sais bien que je n’ai personne !
– Justement, ça, ce n’est pas normal.
Je me renfrogne. Nina n’est pas comme mon père et ne souhaite que mon bonheur. Cependant, je suis loin d’avoir du temps à consacrer à une relation sérieuse. De toute façon, je n’ai pas la tête à ça et je ne veux pas non plus d’une amourette sans lendemain.
– Ça fait plus de dix ans, chaton… Il ne reviendra pas, tu le sais bien, n’est-ce pas ?
Je reste sous le choc devant sa clairvoyance malgré la douceur de son ton. Posséderait-elle des dons de divination ou ai-je été si transparente ?
– Tu ne crois pas si bien dire…
– Mmmmh ? m’interroge-t-elle, une barrette coincée entre les lèvres.
J’ai sifflé entre mes dents, elle ne m’a pas entendue, et tant mieux. Elle ne doit pas découvrir l’ignoble vérité. Pas pour l’instant.
– Je le sais bien, Nanny…
– Mais tu ne l’as toujours pas oublié… Pourquoi n’as-tu jamais suivi mon conseil ? m’interroge-t-elle après un temps d’hésitation. Ton attitude après son départ… Tu aurais dû voir un spécialiste, il n’est pas encore trop…
– Je te l’ai déjà dit. Je n’ai pas besoin de ça.
Ma réplique claque, bien plus sèche que je l’aurais voulu. Elle pose ses mains sur mes épaules et j’aperçois des larmes briller dans son regard. Je me lève, puis lui prends les mains pour la rassurer.
– Je t’assure, tout va bien, Nanny ! Tu t’inquiètes trop.
Je lui offre mon plus beau sourire de façade et elle m’enlace. Ma confidente n’est pas dupe pour un sou mais cette embrassade nous fait du bien à toutes les deux. Je dois continuer mes recherches. Je continuerai sans relâche, jusqu’au jour où je trouverai enfin le moyen de mettre mon père hors circuit pour lui faire payer tout le mal qu’il nous a fait.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
3132 histoires publiées 1375 membres inscrits Notre membre le plus récent est Vilmon |