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1. Gains

Un mois plus tôt…

Dimanche 27 avril 2070 - Marseille

– Rev… Rev !

Je me réveille brusquement d’un sommeil sans songe, secoué comme un prunier.

– Jay ! Je dormais, au cas où t’aurais pas remarqué.

Mon grommellement fait pitié. Déboussolé, je serais incapable de dire où je me trouve ni quel jour on est. À quel point j’ai dû picoler pour finir dans cet état ?...

– Bordel, Rev ! Debout ! T’as braqué une banque à toi tout seul ou quoi ?? Il vient d’où cet argent ?

Il me colle l’écran de son comtech* sous le nez et je le repousse sans ménagement.

– Mais qu’est-ce que tu…

Brusquement, tout me revient en mémoire. Les combats… Le tournoi ! Bon sang je l’ai gagné ! Mes lèvres s’étirent en un sourire narquois et j’affirme avec un aplomb soudain :

– Nan mec, j’ai fait bien mieux que ça.

– Ah ouais ? Tu m’expliques s’teuplait ? Parce que jusqu’à maintenant on a fait profil bas, alors j’espère que t’as pas tout fait capoter !

– Relax Jay, en plus la somme n'est pas si astronomique !

Je fais mine de me lever mais une migraine d’enfer m’en empêche. J’ai quand même pris de sacrés coups, malgré tout. Je soupire tandis que Jay récupère l’ersatz de café qu’il avait mis à couler. L’odeur m’écœure.

– En tout cas, t’as pas l’air frais ! constate-t-il d’un ton suspicieux.

– C’est ça, Captain Obvious**… Tu te souviens du projet dont je t’avais parlé ? Le matos dont j’avais besoin… tout ça.

– Attends… Ouais, ça m’dit quelque chose. Une dinguerie, non ?

– J’ai fini par arriver à rassembler tout ce qu’il me fallait ! J’ai mis le temps mais j’ai réussi. Hier soir j’ai tenté ma première plongée en RVI.

Mon pote en lâche sa tasse qui tombe sur la moquette synthétique dans un bruit mat. Il émet un juron et son regard en dit long.

– Je t’avais dit de laisser tomber ce délire ! C’est dangereux et illégal, ce machin !

Je ricane. Il en a de belles, parfois.

– Parce que tout ce qu’on a fait jusqu’à présent est tout à fait légal, bien sûr ?

– C’est pas pareil ! C’est pour la bonne cause ! Et on fait gaffe ! Si t’es grillé dans la matrice avec ça, t’es grillé pour de bon, non ?

Son accent du sud ressort comme jamais. Il s’inquiète déjà pour moi… Et encore, je ne lui ai pas tout dit, pour l’instant. Jay sait ce dont je suis capable, même s’il n’y comprend rien dans mon domaine. Il verse distraitement un peu de Puri-nanites™ et la tache de café commence à disparaître comme par magie.

– C’est le principe, oui.

– T’es complètement malade, Rev.

– Comme si on avait pas déjà pris le risque de se faire trouer la peau ! C’est une opportunité, mon pote !

– T’as participé à ces combats.

Il me toise, les poings sur les hanches. Il n’a jamais approuvé que je prenne les devants. Jay et moi, ça fait un bail qu’on est amis et, même si ni lui ni moi ne connaissons nos identités ni passés respectifs, entre nous, c’est plutôt à la vie, à la mort. Le problème, c’est qu’il a souvent tendance à me considérer comme le petit frère qu’il n’a jamais eu.

– Et alors ? On en a besoin, de cet argent, non ?

– Jusqu’à maintenant, les risques, on les prenait ensemble ! J’ai entendu parler de ces “gladiateurs matriciels”, ça pue !

– Les combats pour l’argent et la gloire, ça a toujours existé, légaux ou illégaux. Et puis, tu te souviens de la dernière fois où t'as voulu m'accompagner dans la matrice ?

Il m'offre une moue de dépit, vexé par ce rappel à son bon souvenir. Jay fait partie de ces rares personnes sujettes au mal matriciel. C'est comme le mal de mer, mais pour la plongée dans la matrice. Il se penche avec son récupérateur pour ranger les nanites qui ont terminé leur travail. J’ai beau lui expliquer que ce système, soi-disant écologique puisqu’il permet de se passer de produit nocif, ne l’est pas du tout dans son processus de fabrication, il persiste dans sa flemmardise.

– J’ai pas foncé tête baissée, Jay. Ça fait des mois que je fais des recherches et que je peaufine mes stratégies. La preuve, même si c’étaient des combats mineurs, j’ai gagné mon premier tournoi !

– Ouais, ouais… marmonne-t-il. Y a pas un truc que je pourrais faire pour t’aider, quand même ?

Je souris à son initiative.

– La dernière fois que t’as voulu m’aider parce que tu trouvais qu’à mon âge je devrais…

– Lâche-moi avec ça ! J’y peux rien si la nana était déglinguée ! me coupe-t-il.

– Tu pourrais me débrancher si ça tourne mal.

Sa mine s’éclaire, puis il fronce les sourcils, décontenancé.

– Et comment je peux l’savoir, hein ?

– Oh, genre, saignement de nez, convulsions…

Je m’interromps et grimace en songeant qu’il pourrait agir au moindre mouvement suspect de mon petit doigt. Il me dévisage avec horreur.

– Hum. Finalement je ne crois pas que tu puisses m’aider. Chacun son domaine, non ?

Pour toute réponse, il balance sa main en l’air, exaspéré, et ferme bruyamment le placard où il rangeait ses petites bêtes microscopiques.

– En parlant de ça, on a rendez-vous aujourd’hui avec Marius pour la transaction. Notre plan se déroule comme prévu, pour l’instant.

– Et maintenant, grâce à moi, nous avons vraiment de quoi le payer !

J’enroule mon bras derrière les épaules de mon pote, fier de ma conclusion. Il se contente de grogner. Je sais que j’ai raison.

J’ai gagné sur tous les plans.

* comtech : l'équivalent de nos “téléphones” actuels, des ordinateurs miniatures quoi !

* Captain Obvious : Capitaine Évidence, personnage de meme (re)devenu un vrai personnage de comics dans les années 30 (2030… obviously !), le Superman de la blague !