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3. Le Château de glace

Je me trouvais à présent dans une sorte de chambre minuscule où trônaient un simple fauteuil, une commode et un miroir. Pas de lit. D’ailleurs, après toutes ces émotions, je ne souffrais d’aucune fatigue, ni de faim, ni de soif. Néanmoins, je me sentais lasse de penser, usée par cette confusion qui m’habitait.

J’avais perdu toute notion du temps depuis que je m’étais réveillée dans ce bus de malheur. Tout s’était enchaîné trop vite. Mes efforts restaient vains : j’avais oublié mon identité et comment j’avais atterri dans ce véhicule… La dernière chose dont je me souvenais, c’était que je devais rejoindre John à notre point de rendez-vous habituel. Manifestement, je n’y étais jamais arrivée, mais pourquoi ?

Par la fenêtre, j’observais le brouillard aux reflets bleutés qui emplissait le paysage. Hypnotisé par cette étrange brume qui jouait au dehors, s’enroulant et se déroulant, mon esprit dériva vers le visage du charmant inconnu dont j’avais été séparée. Comment s’en sortait-il, de son côté ? Je sursautai quand des coups pourtant légers frappèrent à la porte. L’asiatique aux yeux rieurs vêtue d’un kimono qui m’avait menée ici apparut devant le seuil.

– Bonjour, vous êtes-vous bien reposée ?

– Hum… Euh oui… Qui êtes-vous ? J’aimerais bien savoir ce que je fais ici.

Malgré mes bafouillements, ma voix s’était voulue plus affirmée à mesure que je formulais ces interrogations légitimes.

– Veuillez me suivre je vous prie, intima-t-elle avec un drôle de sourire.

– Pas si vous ne me répondez pas.

La dame me refit face avec un air plus sérieux et rétorqua avec détachement :

– Ce n’est pas de mon ressort de vous dire quoi que ce soit, mais je ne pense pas que qui que ce soit sera disposé à vous répondre si vous vous comportez ainsi.

– Alors ça, c’est la meilleure ! C’est vous qui m’avez amenée ici sans aucune explication, il est normal que j’aie des questions, vous ne croyez pas !?

Elle ignora mon coup de sang et fit volte-face à nouveau. Je ne pus m’empêcher de remarquer la noblesse et la grâce qui se dégageaient de ses mouvements.

– Soit. Faites comme vous le souhaitez, si vous désirez rester ici…

Sur ces paroles, elle commença à s’éloigner. Pestant, je m’empressai de la suivre en refermant la porte derrière moi. Je ne comptais pas m’en tenir là.

– Pourquoi refusez-vous de me répondre ?

– Je vous l’ai dit, je n’en ai pas le droit, répondit-elle fermement. Je ne suis là que pour vous accompagner durant votre séjour ici.

– D’accord, je vous crois… Mais n’y a-t-il pas quelqu’un qui pourrait me renseigner, dans ce cas ?

La dame continua de marcher sans prendre la peine de donner une réponse. Je n’eus pas d’autre choix que de la suivre en silence.

~~~

Prisonnier de cette cellule modestement meublée d’un simple banc sculpté à même le mur céruléen, je bouillais de colère. Combien de temps avais-je trimé dans cette carrière ? L’homme tyrannique nous avait traités comme des esclaves, chacun à un poste différent de réfection ou de construction, avant de nous mener dans ces compartiments de fortune. Seuls mes pas emportés résonnaient. Ce silence finirait par me rendre dingue !

Pourquoi avais-je atterri là, condamné aux travaux forcés ? Et tous ces gens, depuis combien de temps s’épuisaient-ils comme des forcenés ? Pourquoi ne se rebellaient-ils pas ?

Personne n’avait le droit de prononcer un mot. Quand j’avais tenté d’en savoir plus, notre nouveau guide ô combien sympathique n’avait même pas pris la peine de me répondre. J’avais insisté, bien sûr. Il s’était retourné avant de prononcer exactement ces mots :

« Dans ce château il vous sera interdit de prononcer une parole, commencez donc à vous y habituer. »

Puis il s’était éclipsé sans même me laisser le temps de répliquer. J’aurais voulu lui tenir tête. Néanmoins, je m’étais ravisé ; après tout, je ne connaissais pas ses pouvoirs en ce lieu. Un peu de repérage s’imposait avant d’agir. Tous les autres avaient l‘air résignés. Pas moi. Ça n’était pas dans ma nature.

Je m’assis sur le banc gelé et fus surpris de constater que la roche n’était pas aussi froide que de la véritable glace. Même si je ressentais la température ambiante, je ne tremblais pas et n’éprouvais aucun besoin primaire. Pourtant, j’avais l’impression d’être cloîtré ici depuis une éternité.

Du calme… Si je voulais trouver une solution pour sortir de ce cauchemar, la patience serait ma meilleure alliée : garder les idées claires, trouver un plan pour me sortir de ce guêpier.

Je n’entendis pas mon geôlier arriver ; même pour se déplacer, ils étaient silencieux !

– Debout ! Aller, au boulot ! railla l’homme blond au visage angélique devant mon sursaut. Ça va pas se faire tout seul, alors du nerf !

– Je ne suis pas votre esclave quoi que vous pensiez, et je ne resterai pas poli longtemps si…

La douleur au ventre me foudroya sans me laisser le temps de finir ma phrase. Le souffle coupé, je dus me rasseoir. Que s’était-il passé ? Interloqué, je scrutai le gardien : il me pointait avec une sorte de pistolet. Ils étaient donc bien armés… Malgré la souffrance qui me tenaillait encore les entrailles, je me relevai d’un mouvement sec et marchai droit vers la sortie d’un pas assuré. En passant devant le grand blond, je lui lançai même un regard de défi. L’insolente indifférence qu’il laissa filtrer à travers ses iris glacés en rangeant son arme m’insupporta. Cependant, je n’en montrai rien ; je ne tenais pas à réitérer cette expérience désagréable.

Soit. Mes ennemis seraient difficiles à vaincre. Cela ne rendrait la tâche que plus excitante. Et de toute façon, quelle autre option s’offrait à moi ? Par ailleurs, je m’inquiétais pour la belle inconnue du bus. Vivait-elle le même cauchemar, ou pire encore ? Je frissonnai. Pire que ça, je préférais ne pas y penser. Je la connaissais à peine, mais j’avais ressenti cette étrange connexion entre nous. D’accord, c’était peut-être une fausse intuition… Malgré tout, j’avais envie de lui venir en aide. Une fois ma stratégie élaborée, je devrais donc agir vite.