Des cernes sous les yeux et le dos fourbu, Chilk décide de s’asseoir sur un tronc d’arbre mort. L’écuyer souffle plusieurs fois, observe la mangrove avec circonspection puis déroule un parchemin vierge.
Après quelques minutes d’hésitation, il sort sa plume et se lance.
« Je dois compter peut-être quinze nuits depuis mon départ du château Rochenoire. À moins qu’un cycle entier de lune ne soit passé. Il m’est difficile de savoir avec certitude. Se peut-il qu’un sortilège ait affecté le temps ?
Esengrid m’a mis en garde contre les ruses de l’esprit. Je ne dois émettre l’hypothèse du sortilège qu’en dernier ressort, après avoir épuisé toute autre explication.
Je dois avouer que l’exercice n’est pas des plus évidents. Car certains événements survenus dans la Fange me paraissent étranges.Avant de relater ceux-ci, voici ce que j’ai pu observer dans la plaine.
Bien que vaste, étendue, celle-ci souffre d’un manque de végétation et de sources d’eau. Son sol brûlé est composé de boue sèche, sous laquelle luit une substance gluante, semblable à du gruau. On en trouve partout. Une odeur de soufre émane de la terre noire. Je dois régulièrement nettoyer mes bottes afin qu’elles ne s’abîment point, le cuir rongé par cette matière corrosive.
J’ai décidé d’en mettre dans un des petits sacs qu’Esengrid m’a donné afin que notre alchimiste l’étudie.
Tous mes petits sacs seront bientôt pleins. J’ai une belle collection d’insectes, de reptiles, de feuilles, de pierres, de graminées et d’excréments.
Est-ce que cela sera suffisant pour découvrir la nature du mal qui souille ces terres infertiles ?
Je n’ai pas encore trouvé de minerai. La Fange ne semble pas regorger de fer. Mon maître m’a bien recommandé d’être attentif et de donner régulièrement des petits coups de pioche tout au long de mon périple. Si les terres noires ne peuvent nous nourrir, qu’elles nous permettent au moins de fabriquer notre acier, a dit notre bon roi Turel Chardonnet. Les Cités de Fer nous fournissent régulièrement en armes, mais augmentent aussi régulièrement leurs prix, m’a assuré Esengrid, asséchant les finances du royaume.
Bien sûr, je n’ai pas inspecté tous les recoins de la plaine, et ai déjà atteint le marais. Mais je dois avancer à bon rythme pour rejoindre le monastère de Saal au plus vite. À mon retour, je fouillerai plus avant ce sol aride. Peut-être me faudra-t-il creuser plus profondément.
Le froid est tombé à plusieurs reprises, à tel point que j’ai dû me rouler en boule la nuit pour me réchauffer. Grand mal m’en a pris ! Un gigantesque mille-pattes m’a confondu avec un rocher et m’a grimpé dessus, me lacérant le dos. Je l’ai tué et mangé. La vermine constitue ici un repas qui, à défaut d’être savoureux, ne manque pas de consistance.
Mon maître m’a conseillé d’observer la nature et de l’imiter afin de survivre. J’ai donc décidé de me constituer une sorte de carapace hérissée de petits pieux. J’ai ramassé tout le bois que j’ai pu, l’ai taillé en pointes et fixé à un socle que j’ai harnaché à mon dos. De la sorte, je l’ai protégé et ai pu dormir sans crainte. Je sais que certains animaux, tels les hérissons, se roulent dans les feuilles mortes afin d’être au chaud. J’ai trouvé quelques feuilles mortes, mais hélas en nombre insuffisant.
J’ai été soulagé de quitter la plaine et sa terre aride. Le marais a une végétation plus généreuse, et de multiples points d’eau.
La plupart du temps cette eau est putride, mais j’ai pu trouver quelque source non souillée afin d’étancher ma soif.
Mon répit en ces lieux a été de courte durée, car le marais est infesté de nuisibles.
À ce sujet, voici l’étrange aventure qui m’est arrivée.
J’évoluais à pas de loup parmi les joncs à la recherche de nourriture quand, au sortir d’un buisson, me suis retrouvé nez à nez avec la jeune femme aux yeux verts que j’avais sauvée des Voreks. Quelle ne fut pas ma surprise, moi qui la pensais à des lieues d’ici ! Son visage n’était plus recouvert de boue et, à mon grand étonnement, quelques traits gracieux apparaissaient à la lueur de la lune. Je lui ai souri afin de manifester mon contentement et n’ai eu pour tout retour qu’un coup d’épée sur le crâne. Plût aux dieux qu’elle ne sache pas manier l’épée ! J’aurais eu le crâne fendu. Au lieu de se servir du tranchant, elle m’a frappé du plat de la lame. Je fus un instant étourdi et, lorsque je repris mes esprits, constatai avec effarement que la donzelle avait disparu.
Je me suis demandé si je n’avais pas rencontré là une créature enchantée. Mon grand-père, Moran d’Aubertin, m’a souvent conté des histoires de sorcières vivant dans des marais. Ces sorcières me terrifiaient car leurs maléfices étaient abominables et leur cruauté sans pareil. Ils me les décrivaient comme des vieilles femmes au nez et aux doigts crochus habillées en haillons. Bien sûr, une de leurs ruses était de prendre l’apparence de belles et douces jeunes femmes afin d’attirer dans leurs griffes de pauvres malheureux dont elles mangeaient le cœur.
Je sais que l’hypothèse du sortilège et de la magie ne doit être utilisée qu’en dernier ressort, mais je ne peux m’expliquer ni ses apparitions ni sa disparition soudaine. Comment une jeune femme seule aurait pu survivre au monde hostile de la Fange ? Le marais lui est-il si familier qu’elle ait pu disparaître comme par enchantement ?
Je n’ai pas souhaité la poursuivre, de peur d’être égaré. Je dois garder ma quête à l’esprit, me suis-je répété. J’ai donc décidé de sortir du marais sans perdre de temps.
Mais alors que je longeais un marécage, un cri d’effroi m’a fait dévier de mon chemin. L’épée à la main, je me suis précipité à travers un bosquet de buisson. Là, les pieds dans l’eau boueuse, j’ai dû affronter un véritable monstre aquatique surgi de l’étang. Je n’avais jamais rien vu de tel. Il mesurait douze pieds de haut et ses bras étaient multiples. Des milliers de dents pointues cerclaient sa bouche baveuse. Il s’en prenait à la jeune sorcière, qu’il promettait de dévorer, puis m’a aperçu. Il s’est jeté sur moi et le tranchant de mon épée a fait tomber quelques bras. Le combat fut ardu, mais, protégée par le sceau de Tessalic, l’épée m’a donné la victoire. Mon dos hérissé de pieux m’a également bien aidé en empêchant la bête immonde d’enrouler ses bras gluants autour de mon buste. La surface aqueuse fut recouverte d’une nappe de sang noir et la tête lacérée du monstre s’est enfoncée dans la boue.
Comme du sang avait giclé sur mon visage, j’ai dû chercher un point d’eau pour me laver. Il m’a fallu frotter avec insistance car le liquide noir est très épais et aussi collant que de la résine d’arbre. J’en ai mis dans un petit sac afin de le rapporter à notre alchimiste. Ainsi qu’un bout du monstre. J’ai hésité car l’odeur est assez répugnante. Mais mon maître sera sans doute satisfait.
Bien entendu, la jeune femme étrange avait encore une fois disparu.
Peut-être avait-elle invoqué ce monstre, me jouant là un mauvais tour ?
Quoi qu’il en soit, j’ai fini par atteindre le maquis qui sépare le marais des montagnes.
Il me tarde de rejoindre Isthar et de commencer ma formation.
La geste de Chilk d'Aubertin, mandé par Turel Chardonnet, roi de Tessalic »
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