Les enfants du village étaient chacun retournés auprès de leur famille. Quant aux autres, ils furent logé dans la petite auberge, chaleureusement accueilli par la gérante. La famille du petit Theo s’était occupé des chiens-loup pendant leur absence, les avait dessellés et abreuvés. Ils laissèrent les Arcaniste s’installer près de leur maison pour la nuit. N’ayant plus l’énergie et le courage de monter les tentes, ils sortirent simplement les couvertures et s’installèrent près de leurs montures pour s’endormir au chaud. Daliah trouva le sommeil rapidement, épuisée par sa journée. Le lendemain matin, Vallys avait transmis un message au conseil de Ravière pour leur confier le reste des enfants et les laisser assurer la suite de l’affaire du Havre. Ils rassemblèrent leurs affaires, saluèrent les habitants du village qu’ils quittèrent, suivis par des applaudissements sonores de remerciements.
Le trajet du retour jusqu’à la forteresse se fit plus rapidement que l’aller. Le ciel gris de plus en plus sombre laissa bientôt place à une petite tempête locale. Moins limité par la haute température, les chiens-loups couraient plus vite, dévoilant leur potentiel véritable. Malgré tout, une mauvaise ambiance planait sur la petite équipe. Depuis la sortie du Havre, Vallys n’avait pas sortit plus de dix phrases, avançant en tête du groupe, sa capuche rabattue sur ses cheveux noirs. Chacun des regards que Daliah avait échangé avec lui était empreint d’un nouveau mépris furieux. Les cinq autres voyageurs avaient remarqué la tension évidente entre eux deux, mais ne semblaient pas vraiment pressés de s’en mêler. Maître Lumenor fût le premier à passer le pas, allant rejoindre son collègue qui filait sous la pluie devant lui pour parler. Kessy avait essayé de parler avec son amie, mais elle savait déjà à quoi elle pensait.
Déjà que Vallys n’était pas vraiment réputé pour être extrêmement tolérant, alors au vu de l’insolence dont l’adolescente avait fait preuve, il allait sans doute la traîner dans une montagne de problèmes. Dont le plus gros pouvait aller jusqu’à la renvoyer de la forteresse pour son insolence en mission.
Les quatre jours furent extrêmement long pour elle, et elle n’avait plus qu’une envie : retrouver sa chambre et prendre une bonne douche chaude. À l’approche du Bois de la Lamentation, l’apprentie sentit son cœur s’accélérer de joie. Vallys, toujours en tête, ne prit même pas la peine de le contourner et s’enfonça dans la forêt sans hésiter. Les chiens-loup le suivirent docilement en courant. La pluie s’était intensifiée au cours des dernières heures, trempant la fourrure des montures. L’eau ruisselait sur les vestes et les capuches des voyageurs, leurs muscles étaient engourdis par les heures de trajet. Jamais Daliah n’avait été aussi contente de revoir le mur d’enceinte de la forteresse. Devant elle, le noiraud ralentit progressivement, avant de se laisser tomber sur le sol trempé.
Le reste du groupe mis également pied à terre, éclaboussant leurs bottes et leur pantalon. Des apprentis les attendaient manifestement à l’entrée, et prirent en charge les chiens-loup. En entrant dans le hall de leur école, les apprentis sentirent un soulagement alléger leur cœur. La silhouette de la Grande Conseillère apparut dans le couloir, et elle leur offrit un grand sourire ravi.
— Que les dieux soient loués, vous êtes là ! lança-t-elle avec douceur en s’approchant. Vous voilà dans un bel état…
La jeune femme posa ses mains sur les épaules des deux Maîtres, bien que Vallys ne puisse cacher un léger « Aïe » de douleur. Immédiatement, son interlocutrice la retira.
— Désolée, s’excusa-t-elle d’un air gêné. Je vous propose d’aller vous laver un peu, puis les blessés peuvent aller à l’infirmerie.
Chacun partit de son côté pour aller prendre une douche. Daliah savoura la sensation de l’eau chaude, ce qu’elle n’avait pas sentit depuis une longue semaine. Cependant, elle ne traîna pas dans son bain trop longtemps, s’enroulant dans une serviette. Après avoir très brièvement séché ses cheveux violets, elle les attacha dans un chignon désordonné. Ses plaies sur ses épaules avaient commencé à cicatriser, et celle en-dessous de ses côtes se refermait lentement. Mais les bons soins professionnels de la médecine ne seraient certainement pas de trop.
Elle redescendit vers le premier étage pour rejoindre l’infirmerie. Les couloirs étaient plutôt vide, ce qui n’était pas surprenant puisqu’à cette heure-ci, la plupart des élèves étaient en cours.
Lorsque l’adolescente arriva à sa destination, elle trouva Vallys, Abyss et Priam, eux aussi les cheveux humides de leur douche récente. La Grande Conseillère était assise sur un tabouret, attendant manifestement de savoir comment ses élèves se portaient. Devant le professeur, Maître Aloysius, une Arcaniste d’une quarantaine d’années examinait attentivement les traces des profondes griffures sur son avant-bras. Elle portait une blouse blanche, et des gants à ses mains. Sa longue natte brune pendait sur son épaule.
— Sérieusement, je commence à croire que vous le faites exprès, marmonna-t-elle en prenant une fiole dans une armoire.
— De quoi vous parlez, encore ? grommela Vallys en réponse, roulant des yeux d’un air impatient, la voyant déboucher la bouteille pour imbiber un tissu du liquide qu’il contenait.
— De vous blesser ! s’impatienta Aloysuius avec fureur. À chaque fois que vous partez, vous revenez avec des plaies !
La médecin apposa le tissu sur son bras, et l’adulte laissa voir une grimace. Puis la femme banda correctement la blessure. Elle passa ensuite au patient suivant, s’occupant de soigner les marques laissées pas les Mains du Démon sur les deux adolescents.
— Maître Vallys, l’interpella la Grande Conseillère, je vous laisse un jour à vous ainsi qu’à Maître Lumenor pour écrire les rapports de mission. Nous les passerons en revue avec les apprentis après-demain.
— Très bien, je vais m’y mettre tout de suite, approuva l’Arcaniste en se levant, passant une main dans ses cheveux humides pour les remettre en arrière.
— Quant à vous, mes enfants, continua-t-elle en se tournant vers les adolescents, je vous laisse le soin de prévenir vos amis que vous avez droit à une semaine de repos avant la reprise des cours.
C’était plutôt une bonne nouvelle, et Daliah esquissa un sourire ravi.
— En outre, je vous informe tous que les élèves du groupe quatre reviendront de Dalvir d’ici quatre ou cinq jours, acheva-t-elle. Ils devraient arriver en même temps que les élèves de l’Académie royale de Lorina, qui viennent en visite ici.
— Quoi ? s’étrangla la jeune fille avec surprise. Ceux qui ont un balai dans le cul ?
Immédiatement, elle plaqua sa main sur sa bouche. Elle venait vraiment de dire ça devant deux de ses camarades, Maître Aloysius, Vallys et la Grande Conseillère ?
Cette dernière, une fois le choc passé, esquissa un sourire amusé, le docteur roula des yeux et se concentra de nouveau sur Priam tandis les deux garçons ricanèrent.
— Pour une fois, je suis de son avis. Qu’est-ce qu’ils viennent faire ici ? interrogea le noiraud en haussant un sourcil agacé.
— Ils viennent pour une visite de courtoisie, m’a-t-on dit, répondit la plus âgée en gardant son fou rire pour elle. Mais ce n’est pas le moment d’en discuter. Si vous le voulez, il y a encore du gâteau du goûter dans la salle à manger. Profitez bien de votre repos !
Les deux adultes s’en allèrent, tandis que Maître Aloysius finissait de soigner Abyss. Une fois les blessures de tous les apprentis pansées, les adolescents quittèrent l’infirmerie. Daliah sentait une agréable impression de fraîcheur, malgré les bandages sur ses épaules sous son débardeur.
— Qu’est-ce qu’on pourrait faire ? interrogea Priam en s’étirant langoureusement.
— Je pense que je vais prendre une part de gâteau, me poser dans un coin et me détendre, soupira la jeune fille d’un air épuisé. Enfin, essayer de me détendre.
— Dites, vous pouvez me dire qui c’est, ces élèves de l’académie machin-truc ? demanda leur camarade avec curiosité.
— Ah, c’est une bande de crâneurs, expliqua brièvement la demoiselle en roulant des yeux. Simplement parce qu’ils vivent dans la capitale et que c’est une école de riches, ils se croient tout permis. Ils ne nous aiment pas vraiment, et ça tombe bien, on les apprécie pas non plus. Mais nos deux écoles ont une longue tradition d’échange scolaire, et la Grande Conseillère n’a pas voulu y renoncer.
— Vous les avez déjà rencontré ?
— La dernière fois, c’était il y a presque deux ans, j’étais à peine arrivée, grommela Daliah en serrant les poings, mais ils se sont bien foutu de moi et des autres novices. Bon, est-ce qu’on peut parler d’un sujet moins déprimant ?
En réalité, Daliah n’avait pas vraiment envie de penser à ce qui les attendaient dans les premiers jours. Elle était d’ailleurs surprise que Maître Vallys ne l’ait pas déjà jetée dehors. Mais cela ne faisait qu’empirer son anxiété ; quand allait-on la confronter à ce qu’il s’était passé ? Quand son professeur allait-il lui envoyer son retour de flammes ?
Le lendemain, des tas de rumeurs circulaient sur leur mission dans le Havre et tout les dangers qu’ils avaient pu affronter. Trent avait tôt fait de reprendre ses habitudes de prétentieux et s’était largement vanté de ses exploits auprès de son groupe d’ami. Il ne s’était pas privé de raconter combien les monstres qu’ils avaient combattus étaient affreux, ce qui, aux yeux des plus jeunes, leur attribuait une étiquette de héros. Dans l’après-midi, le secrétaire du conseil de Ravière et quelques hommes étaient revenu récupérer le matériel et les chiens-loups.
Pourtant, le surlendemain de leur retour, c’était loin d’être une journée facile qui les attendait. Maître Lumenor les informa qu’ils avaient rendez-vous dans la salle de réunion du quatrième étage à deux heures de l’après-midi. Cette pièce n’était d’ordinaire pas accessible aux élèves, et c’était bien la première fois qu’ils allaient y mettre les pieds. Lorsque le groupe de cinq toqua à la porte, la voix douce de la Grande Conseillère les invita aimablement à entrer.
Immédiatement, Daliah sentit une atmosphère très sérieuse l’embaumer. La pièce était assez grande, avec une ambiance très tamisée et silencieuse. Au milieu trônait une grande table ovale, bordée par des chaises matelassées. Juste en face d’eux se trouvaient la dirigeante de la forteresse, entourée par Maître Aloysius et Maître Chael. Cette dernière, une femme d’une bonne cinquantaine d’années avait des traits crispés et un visage austère accentué par le froncement de ses sourcils. Quelques rares cheveux blancs se démarquaient de sa chevelure rousse attachée en queue de cheval. Ensuite, avec quelques places vides d’écart, se trouvaient Lumenor et Vallys, tous deux assis l’un à côté de l’autre. Le blond leur adressa un petit sourire en les voyant entrer, et son collègue, sans surprise, ne leur lança pas le moindre regard, fixant le bord de la table, les bras croisés. La femme leur fit un petit signe de s’installer sur des chaises en face des deux adultes. Ils s’assirent en silence, légèrement mal à l’aise à cause de l’ambiance lourde.
La Grande Conseillère rassembla ses papiers devant elle et s’éclaircit la voix pour attirer leur attention.
— Bien, merci de vous être rassemblés, commença-t-elle avec sérénité, mais avec une prestance qui imposait le mutisme. Nous sommes ici pour passer en revue la mission de sauvetage du Havre. Maître Aloysius et Maître Chael seront mes assistantes pour apporter un regard objectif sur cette affaire.
Personne ne lui répondit lorsqu’elle finit sa phrase. Daliah sentit son cœur s’accélérer dans sa poitrine, se doutant que Vallys n’allait se priver de cracher son venin pour essayer de la faire disparaître de la forteresse. La femme aux cheveux argentés prit quelques papiers et les étala devant elle.
— Commençons par vous, Maître Lumenor, reprit-elle en les parcourant rapidement des yeux. Le début de votre rapport est similaire à celui de Maître Vallys. La mission avait commencé sans problème, jusqu’à ce que vous arriviez à proximité du Havre. Un jeune homme vous a agressé et vous a fait perdre conscience. En vous réveillant, vous étiez seul mais, vous avez réussi à vous échapper en…
Ses yeux verts continuaient de parcourir le papier, puis s’arrêtèrent au milieu de la feuille. Son sourcil se haussa élégamment, et elle releva la tête pour regarder le professeur. Ce dernier ne répondit que par un petit sourire gêné.
— …en vous débarrassant de deux ennemis, reprit sa supérieure en faisant comme si elle ne s’était pas arrêtée. Vous avez réussi à retrouver les disparus, vous les avez libérez, retrouvé l’entrée et aidé le reste du groupe à sortir tout en protégeant les apprentis et les enfants.
Elle acheva son résumé sans pouvoir cacher une certaine fierté dans la voix. À côté d’elle, Maître Aloysius souriait sans se cacher, et le froncement de sourcils de Maître Chael s’était atténué.
— Eh bien, je n’ai rien à dire là-dessus, Maître, conclut la Grande Conseillère. Vous avez su réagir avec calme et réflexion, en privilégiant toujours la sécurité des autres et la vôtre. Je n’ai rien à redire sur vos décisions et vos actions. Sur ce, je propose de passer à Kessy Fitz et Trent Luxford…
Daliah ne put s’empêcher de trembler légèrement. Pourquoi n’était-elle pas incluse avec eux alors qu’elle avait été dans le même groupe dans le Havre ?
— Ce qu’il s’est passé avec vous nous a été transmis par le rapport de Maître Vallys, malgré tout, si l’un de vous souhaite ajouter quelque chose qui aurait pu lui échapper lors de la rédaction, n’hésitez pas à m’interrompre. Pour commencer, Trent, vous étiez à l’endroit où se trouvait Maître Vallys à son réveil et Daliah. Vous n’étiez pas très à l’aise…
Pas très à l’aise ? C’est un euphémisme, songea l’adolescente aux cheveux violets en se rappelant combien il tremblait de peur.
— Le groupe s’est aventuré dans les couloirs pour retrouver les autres, et vous avez découvert la dépouille d’un homme. Juste après, Kessy, vous les avez entendu et rejoint. Pourriez-vous nous préciser ce qu’il s’est passé de votre côté avant que vous ne retrouviez le groupe ?
La blonde tressaillit et, d’une voix hésitante et timide, entama le récit de l’endroit où elle s’était réveillée. Pendant ce temps, son amie réfléchissait intensément. Elle avait déjà eu cette sensation lors du résumé du rapport de Lumenor, mais cela ne faisait que se confirmer à présent : les rapports des deux adultes étaient dénués de tout sentiment. Si elle avait été en charge de le rédiger, elle n’aurait pas pu s’empêcher de préciser l’angoisse et l’oppression qu’elle avait ressenti à chaque instant. Elle en venait même à se demander si Vallys avait vraiment simplement écrit qu’ils avaient découvert un corps et c’était tout.
Dans sa tête, les images étaient encore nettes, elle se souvenait encore à la perfection des moindres traces de sang sur le sol, et du cadavre en décomposition. Elle frissonna rien qu’en y repensant.
Kessy acheva son récit à l’instant où elle les avait rejoint dans le couloir. La Grande Conseillère ne fit aucun commentaire, hocha simplement la tête et reprit sa lecture.
— Vous avez ensuite été attaqué par une créature non humaine et vous avez pris la fuite pour vous réfugier dans une pièce vide. Plus tard, vous avez entendu des bruits d’affrontements, et vous avez décidé d’aller voir si quelqu’un de l’autre groupe s’y trouvait. Vous vous êtes fait attaqué par une autre créature, une dispute a éclaté entre deux d’entre vous…
Les yeux verts de la femme se relevèrent pour toiser les deux concernés. Vallys ne répondit rien, sa main se crispant autour de son bras, les yeux toujours rivés sur le bord de la table. En voyant son regard se tourner vers elle, Daliah baissa brusquement le sien pour fixer ses genoux, honteuse.
— Trent a failli se faire attaquer, et l’autre groupe est arrivé à votre secours. Vous avez protégé les enfants, et êtes sortis derrière eux. Souhaitez-vous ajouter quelque chose avant la conclusion ?
Les deux adolescents échangèrent un regard, avant que Kessy ne lève timidement la main. La Grande Conseillère l’invita à parler.
— Je…je n’ai pas l’impression qu’il a été précisé que…nous étions vraiment terrorisés…bredouilla la blonde, l’air légèrement coupable. J’y ai beaucoup pensé depuis qu’on est sortis…je n’ai pas fait grand-chose, j’avais trop peur pour agir…J’aurais voulu faire plus que ça, mais sur le moment, mon corps refusait de bouger…
— Ne vous en faites pas, intervint Maître Chael avec un calme redoutable. Nous prenons bien en compte que c’est votre première « vraie » mission, et que cette expérience a dû être assez traumatisante.
— Je n’aurais pas dit mieux, approuva sa supérieure avec douceur. Kessy, vous n’avez que quatorze ans, et nous sommes conscients que ces derniers jours ont dû être difficiles. Malgré tout vous êtes restée prudente, tout comme Trent, et vous avez écouté vos professeurs attentivement. Vous n’avez pas à vous en vouloir, vous vous en êtes admirablement sortis !
— Si je peux me permettre, lança Maître Aloysius en se tournant vers le garçon aux cheveux bruns, Trent, j’ajouterai simplement ceci pour vous : vous êtes l’aîné parmi les apprentis, veillez donc sur eux, c’est aussi cela, le rôle d’un Arcaniste.
Silencieux, l’intéressé approuva d’un signe de tête, semblant moins fier que lorsqu’il racontait ses prouesses à ses amis.
— Bien, passons à présent à Abyss et Priam Salirno, reprit la Grande Conseillère en attrapant d’autres papiers.
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