Daliah ouvrit les yeux d’un coup, prise d’une nausée violente. Elle se redressa et se tourna sur le côté pour rendre son petit-déjeuner. Elle toussa quelques instants, et ses membres tremblaient légèrement. Pendant une bonne demi-minute, elle essaya de se calmer, et de reprendre une respiration normale. Comme lorsqu’elle avait été enlevée la première fois, elle se sentait nauséeuse et fiévreuse. Autour d’elle, il n’y avait presque pas de lumière. Une petite lanterne était accrochée à un poteau à l’aide d’un clou, et enfermées à l’intérieur, il y avait quelques lucioles qui illuminaient faiblement la pièce.
D’un doigt hésitant, elle traça un Arcane bleu roi, qui s’enroula autour de son poignet, et une petite sphère lumineuse apparut dans sa main. Elle regarda dans les alentours : elle était dans un endroit rempli de débris de pierre, comme des façades détruites et réduites en petits morceaux. Elle remarqua aussi des cadres de lit cassés, et des bouts de verres tranchants.
Un reniflement attira son attention, et l’apprentie se retourna d’un coup, sur le qui-vive. Une silhouette était recroquevillée entre deux tas de pierres. Daliah s’approcha lentement, remarquant les tressaillements du corps, comme s’il pleurait. Elle distingua une chevelure brune en bataille, et reconnut peu à peu un visage familier.
— Trent ?
L’adolescente s’accroupit à côté d’elle, et posa une main sur son épaule pour le faire réagir, mais il s’écarta brusquement. Il tremblait de peur et avait les larmes aux yeux, comme un gamin terrifié. Ses vêtements étaient un peu sales et poussiéreux, comme les siens.
— Tu as vu Kessy ? interrogea-t-elle, bien qu’elle ne pensât pas recevoir de réponse. Ou bien Vallys?
Le jeune homme secoua la tête, frissonnant et sanglotant, jusqu’à ce qu’un nouveau bruit ne se fasse entendre à quelques mètres. C’était le bruit de quelqu’un qui prenait une grande inspiration, avant que ce ne soit celui de quelqu’un crachant tripes et boyaux sur le sol. Daliah se releva et s’approcha de la source du son. Une silhouette grande et mince sortit de l’obscurité, à moitié allongée, appuyée sur un coude.
— Maître ? Vous allez bien ?
En voyant une flaque de sang autour de lui, l’adolescente se rendit compte à quel point sa question était stupide. Vallys haletait, lui aussi le teint blême et légèrement fiévreux. Une blessure à sa cuisse avait l’air plutôt profonde, mais elle semblait avoir arrêté de saigner depuis un moment. Il glissa une main tremblante dans la sacoche attachée à sa ceinture, et en ressortit un rouleau de bandage.
— Laissez-moi vous aider, lança Daliah en le saisissant.
Elle commença à enrouler le bandage autour de sa jambe. C’était la moindre des choses qu’elle pouvait faire après que son professeur ait lutté jusqu’au bout pour les sauver. Elle le serra assez fort pour éviter que l’hémorragie ne reprenne. Vallys laissa voir une grimace de douleur alors qu’elle achevait un nœud solide.
— Luxford et Fitz… Ils sont là ? interrogea l’Arcaniste en se relevant péniblement.
— Trent est dans le coin là-bas, mais je n’ai pas encore trouvé Kessy, répondit la jeune fille. Est-ce que vous savez où nous sommes ?
L’adulte regarda autour d’eux d’un air passablement dégoûté.
— Le Havre, Rosenwald. Bienvenue au Havre.
Il s’approcha du deuxième apprenti d’une démarche boiteuse, l’attrapa par le col et le redressa d’un coup.
— Nous avons intérêt à retrouver les autres et à partir d’ici, marmonna l’adulte en se munissant également d’un Arcane pour illuminer l’endroit. Luxford, je me doute que vous avez subi un choc, mais restez concentré.
Ils étaient dans un cul-de-sac, qui semblait réellement n’être qu’une poubelle pour débris de bâtiments. Ils trouvèrent un petit passage, une sorte de couloir accidenté.
— Maître, vous pensez que… le deuxième groupe s’est également fait attaquer ?
— Impossible d’en être sûr, mais c’est très probable, répondit Vallys en marchant devant, le verre cassé crissant sous ses pas. À moi de vous poser une question : la personne qui nous a agressés ressemblait au portrait que vous aviez fait de l’élève de Sawyer. Était-ce bien lui ?
— Je ne sais pas… Il a la bonne couleur de cheveux, mais… ils étaient plus longs, et ses yeux étaient… vides. Asaï était plutôt… sanguin, il était très remonté quand on s’est échappé. Ici, il était un peu trop calme…
— Dans tous les cas, si un seul gamin a pu tous nous mettre hors d’état de nuire, nous devons être très prudent, grommela le plus âgé.
— Est-ce que… ce serait possible que les enfants kidnappés soient ici ?
— Honnêtement, cela ne me surprendrait pas.
Ils marchaient dans un long couloir étroit, parsemé de débris, seulement éclairé par leurs Arcanes. Malgré le calme apparent, cet endroit n’était pas du tout rassurant. Daliah espérait qu’ils retrouveraient bientôt Kessy, qui depuis leur évanouissement, avait disparu. Trent marchait en silence derrière eux, mais il ne semblait toujours pas dans son assiette, toujours un peu frissonnant.
Ils arrivèrent à un croisement, mais ils continuèrent tout droit. Pourtant, au fur et à mesure que le groupe avançait, une odeur infecte se faisait sentir. L’apprentie plaqua sa main sur son nez et sa bouche, son cœur se soulevant de dégoût. Et ils ne tardèrent pas à trouver l’origine de la senteur ignoble.
Un cadavre était contre un mur, en position assise. Une traînée de sang au sol laissait penser qu’il avait rampé, agonisant avant de s’immobiliser. Sa chair commençait déjà à se décomposer, laissant échapper l’odeur de putréfaction qu’ils avaient sentie.
— Eh bien… voilà un des hommes du gouvernement, marmonna Vallys d’un air passablement répugné.
— À quoi vous voyez ça ? interrogea Daliah, tandis que Trent allait vomir un peu plus loin.
— L’écusson sur son épaule… et la fraîcheur de la dépouille…
— C’est dégueu…
— On va prendre l’autre couloir, reprit le Maître. Dépêchons-nous de retrouver les autres avant de finir dans le même état que ce pauvre type.
Ils tournèrent les talons, mais au moment de s’en aller, l’adolescente entendit le murmure d’une voix lointaine. Elle s’arrêta d’un coup, regardant derrière elle.
— Qu’est-ce qu’il y a, Rosenwald ? demanda l’Arcaniste en remarquant son immobilité. Les cadavres vous fascinent ?
— J’ai cru entendre… quelque chose…
— Cet endroit est hanté, gémit Trent d’un air terrorisé.
— Ne commencez pas, Luxford ! répliqua l’adulte avec exaspération. Ce n’est pas le moment de raconter des histoires de fantômes. S’il y a un danger ici — et il y en a sûrement plus d’un — c’est à cause d’une présence humaine.
— Maître Vallys ? C’est vous ?
Daliah sentit son cœur bondir dans sa poitrine, mais cette fois, ce n’était pas l’envie de vomir. Elle reconnaîtrait cette voix entre mille. Une silhouette remua dans l’obscurité, avant qu’elle n’apparaisse dans la lumière. La jeune fille courut dans sa direction, et serra Kessy dans ses bras.
— Je suis tellement contente de vous voir ! s’exclama la blonde en répondant vivement à son étreinte. Je me suis réveillée toute seule dans une décharge, j’ai eu la trouille !
— Pas de blessure, Fitz ? interrogea Vallys en l’examinant du regard.
— Des égratignures, rien de grave, lui assura l’adolescente. Arrêtez-moi si je me trompe, on est dans le Havre, non ? Je savais pas que ce truc était sous terre.
— Il a été construit en profondeur, pour des raisons évidentes. Personne ne voulait que ce qu’il s’est passé ici se sache. Et personnellement, je n’ai aucune envie de moisir ici. Retrouvons le deuxième groupe et fichons le camp.
— Mais… et si les enfants sont ici ?! s’insurgea Daliah. On ne va pas les laisser ici !
— Rosenwald, je sais que vous voulez bien faire, mais cet endroit est un dédale de couloirs, un véritable labyrinthe ! Sans un plan, nous n’avons presque aucune chance de nous en sortir. Une fois dehors, nous demanderons ce plan au conseil de Ravière, et nous irons chercher les disparus.
L’apprentie savait que sa décision était rationnelle et guidée par une certaine responsabilité. Mais de temps en temps, elle aurait aimé que ce type soit moins logique. À sa place, elle ne pourrait pas affronter les regards des parents désespérés s’ils revenaient sans les gamins.
Mais il serait toujours temps de convaincre Maître Lumenor lorsqu’ils auraient retrouvé le deuxième groupe.
— Jeune homme… vous êtes enfin réveillé ?
Abyss sentit son estomac se tordre, le faisant se redresser d’un coup, à deux doigts de vomir. Face à lui, il vit quelqu’un qui lui semblait vaguement familier. Une chevelure noire, une barbe et une moustache poivre et sel ainsi que des yeux verts qui le fixaient…
— Vous !
Le garçon se traîna en arrière pour s’éloigner le plus possible de Sawyer, jusqu’à ce qu’un mur le bloque dans son dos. Il n’était clairement pas en état de fuir, mais l’adulte ne semblait même pas vouloir essayer de le pourchasser. Il regarda autour de lui ; il était dans un endroit assez petit, dont trois des quatre façades étaient des murs de pierre, et la dernière était une grille métallique. Le quinquagénaire s’adossa à cette dernière en soupirant. Il avait des traits tirés, des cernes noirs sous les yeux et un air très las.
— On est où ? finit par demander l’apprenti.
— Vous ne devinez pas ? répliqua sarcastiquement le professeur en désignant ce à quoi il se tenait.
— Non, si, je vois, mais qui m’a amené ici ?
— Je pense que vous avez également la réponse à cette question.
Abyss devait bien reconnaître qu’il n’avait pas tort. Il avait parfaitement vu le visage de leur agresseur, et il s’en souviendrait sans doute un bon moment.
— C’était votre élève, soupira-t-il en fixant le plus âgé. Pourquoi vous n’êtes pas avec lui ?
— C’est bien Asaï qui s’en est pris à vous… enfin, ce qu’il en reste, confirma l’homme d’un air lugubre. Je ne suis plus en charge de lui depuis plus d’un mois. Je suis ici en guise de sanction pour faute.
L’adolescent se tut quelques instants. La faute en question était sans doute de ne pas avoir réussi à le ramener à Nivalith. Pour l’instant, Sawyer ne semblait pas avoir la moindre intention de l’agresser, alors il comptait bien en profiter pour récupérer le plus d’informations possible.
— Vous n’auriez pas vu mon ami ? Il a des cheveux auburn, on a dû être séparé après avoir affronté Asaï…
— Je suis désolé, je n’ai pas vu votre compagnon. Et malheureusement, je crains que vous ne puissiez revoir vos amis vivants. Vous survivrez, vous, et je pense que vous devinez pourquoi.
— Pourquoi vous dites ça ? interrogea Abyss d’une voix à moitié étranglée par la peur.
Le noiraud ne répondit pas, comme s’il hésitait à lui révéler la vérité. Après tout, ils étaient censés être ennemis, et pas copains.
— C’était une erreur de venir ici, finit-il par souffler.
Le garçon se retint de justesse de lâcher un « noooooon sans rire ? » très ironique. Cette fois-ci, il ne se sentait pas trop le cœur à plaisanter. Il sentait son sang se glacer dans ses veines, un frisson désagréable parcourut sa colonne vertébrale. Les questions se bousculaient dans sa tête, à tel point qu’il avait l’impression d’avoir une migraine atroce. Mais il ne pouvait pas rester là sans rien faire, sans rien tenter.
Rassemblant du courage qu’il n’avait pas, l’apprenti se releva, s’appuyant sur le mur pour ne pas chanceler.
— Vous avez essayé de vous enfuir ? demanda-t-il d’un ton décidé.
Sawyer tourna la tête vers lui avec des yeux ronds, comme s’il venait d’entendre la pire idiotie de toute sa longue vie.
— Il faudrait être fou pour sortir d’ici ! rétorqua-t-il d’un ton sec en balayant l’idée d’un geste de la main. Vous n’avez pas idée des individus qui rôdent dans cet endroit ! Ironiquement, c’est dans cette cellule que vous êtes le plus en sécurité !
— Ce n’est pas ce que je vous demande, s’impatienta Abyss en levant les yeux au ciel. Je vous demande si vous avez essayé.
— Non. Ce n’est pas très compliqué, mais je n’ai aucune raison de partir. Pas sans emmener Asaï avec moi. Mais je n’ai pas encore pu lui parler.
L’adolescent le fixa d’un air désespéré. Espérait-il qu’en faisant la larve dans une prison, son petit élève psychopathe viendrait lui rendre visite ?
— Je vous propose quelque chose, professeur Sawyer, déclara l’apprenti. Vous m’aidez à sortir et à retrouver mes amis, et en échange, je vous promets de vous aider à parler à Asaï. Ça vous va ?
Il tendit une main dans sa direction pour sceller un accord, mais l’adulte le fixa avec une certaine réticence.
— Vous êtes complètement malade, jeune homme ! cracha-t-il avec un fond de mépris. Vous risquez de vous faire tuer à la seconde où vous poserez un pied en dehors de cette pièce.
— Je sais, je sais, je ne tourne pas rond, répliqua Abyss en haussant les épaules. Mais moi, je refuse de rester ici à jouer les plantes vertes ! Alors, vous acceptez, oui ou non ?
L’homme hésita encore un peu, avant de finalement serrer sa main dans la sienne.
— Bon, comment on sort de là ? interrogea le garçon avec un dynamisme nouveau.
— Il suffit d’attraper la clé, qui est au crochet là-bas, répondit Sawyer en désignant un petit bout de métal qui pendait sur un mur à plus de cinq mètres d’eux.
— Et on l’attrape de quelle manière ?
— Aucune idée.
L’apprenti fut à deux doigts de se fracasser la tête contre un mur de désespoir. Si cet homme n’y mettait pas un peu du sien, ils ne sortiraient jamais de cet endroit.
— Abyss ?
Le concerné sursauta en entendant une voix familière murmurer son prénom. Il s’approcha de la grille et jeta un coup d’œil dans le couloir.
— Priam !! hurla-t-il en agitant un bras pour attirer son attention. J’en reviens pas, tu tombes à pique !
— Ça fait du bien de voir une tête connue ! s’exclama le garçon aux cheveux auburn en s’approchant de la grille. Par contre, c’est qui le type derrière toi ?
— L’ex-prof de notre agresseur, résuma son ami. On a une trêve pour le moment. Tu peux prendre la clé sur le crochet et nous ouvrir la porte ?
L’adolescent hocha la tête pour approuver, il attrapa le petit bout de métal et le glissa dans la serrure. La porte se déverrouilla, et Abyss se dépêcha de sortir pour serrer son camarade dans ses bras.
— Bon, on retrouve les autres et on se tire d’ici, soupira-t-il en le laissant respirer. Et professeur Sawyer, je tiendrais ma parole envers vous !
— Véritablement, je ne m’attendais pas à cette aubaine…
Un homme se leva de son siège, avant de s’étirer langoureusement. Sa chemise noire était pratiquement dissimulée sous une cape déchirée enroulée autour de ses épaules. Il quitta la pièce, se dirigeant vers un escalier qui menait vers un sous-sol.
— Ce cher Sawyer, je savais qu’il nous trahirait tôt ou tard…Mais aller jusqu’à libérer mon cadeau pour mon seigneur…
Il descendit les marches avec une certaine lassitude, jusqu’au souterrain. Une lanterne remplie de lucioles lumineuses éclairait légèrement la pièce. Une masse était assise contre un mur, et l’homme s’approcha avec un rictus amusé. La personne inconsciente ne remuait pas, ses chevilles et ses poignets étaient reliés par des chaines attachées au mur. Sa chevelure blonde tombait devant ses yeux clos.
— Quant à toi, il était temps que tu reviennes, 1340…
L’intéressé esquissa un sourire discret sous ses mèches dorées. L’individu face à lui perdit son sourire crispé.
— Ça te fait rire, en plus ? interrogea-t-il avant de claquer des doigts.
Un coup de pied arriva en plein dans son visage, et son nez se mit à saigner. Lumenor releva la tête, l’air plutôt satisfait, malgré les traînées rouges qui s’écoulaient.
— Je vois que tu t’es trouvé un autre toutou fidèle pour exécuter tes ordres…marmonna-t-il d’un ton moqueur. Il donne la papatte aussi ?
— Mieux que tu ne le crois, susurra son interlocuteur. 1967, va chercher nos invités, et montre à ton prédécesseur combien tu lui es supérieur…
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