La première demi-heure du retour à la forteresse se fit dans le plus grand silence. Abyss dormait profondément, porté par Vallys, ses bras autour des épaules et sa tête appuyée sur son épaule. Daliah était presque bercée par le pas régulier de Maître Lumenor, et même si elle n’avait pas l’impression qu’elle pouvait dormir, elle ferma simplement les yeux. Après quelques minutes de marche, alors qu’ils quittaient la forêt, le blond prit la parole.
— Je savais que Nivalith en aurait après Abyss, soupira-t-il d’un air épuisé. Mais je ne pensais pas qu’il enverrait quelqu’un pour l’enlever aussi vite…
— Tu vois que tu aurais dû leur en parler, répondit son collègue sans cacher un fond de reproche. Moi, j’en ai parlé au gamin…
— Tu as quoi ? feula Lumenor d’un air vexé, essayant de ne pas parler trop fort pour ne pas réveiller les apprentis.
Daliah ne dormait toujours pas, mais elle gardait les yeux fermés, écoutant leur conversation avec attention.
— Je lui ai dit qu’il risquait d’être la cible d’un enlèvement, peut-être même pendant une de ses missions. Les nœuds jaunes qu’il a attaché tous les cent mètres, c’était pour qu’il soit retrouvable. Je savais aussi qu’il ferait tout pour ne pas avoir de retard pour rentrer, et que s’il n’était pas revenu à vingt-et-une heures, c’était que quelque chose clochait.
— Et la Main du Démon ? Tu lui as appris ça aussi ? marmonna le blond d’un air mécontent.
— Non, je peux te garantir que je n’ai rien à voir avec ça, répondit immédiatement Vallys avec une froide honnêteté. J’ose à peine l’utiliser moi-même, je ne suis pas fou au point de l’apprendre à un gamin de quinze ans. Je ne sais même pas où et quand il a pu apprendre un Arcane pareil…
Jusque là, Daliah avait seulement entendu parler de cette technique sans jamais la voir. C’était un des rares exemples d’Arcane qui couvrait un membre entier. Et la Main du Démon avait la réputation de rendre son utilisateur extrêmement violent s’il ne savait pas se contrôler. Sans compter que s’en servir vidait l’Arcaniste de son énergie à une vitesse folle. Jugée dangereuse et peu pratique, cette technique était rarement enseignée dans les écoles du monde.
Je lui demanderai à son réveil où il l’a apprise…
— Je me demande qui était le gamin qui accompagnait Sawyer, reprit Vallys en serrant la mâchoire.
— Aucune idée, répondit Lumenor d’une voix dangereusement basse, mais connaissant ce brave professeur, on peut s’attendre à ce qu’il ait instruit un véritable monstre. Et au moins, on peut être sûr que ce garçon est au service de Nivalith.
Il soupira à nouveau, visiblement soucieux.
— Nivalith n’arrêtera probablement pas de le chasser… Peut-être qu’on devrait éviter les missions pour le moment, et l’entraîner encore un peu.
— À mon avis, il est un peu trop tôt pour prendre une décision définitive à ce sujet, on ferait mieux d’en parler à la Conseillère avant. Mais je pense qu’il y a une chose sur laquelle nous sommes tout les deux d’accord…
Les deux hommes s’arrêtèrent, et, curieuse, Daliah entrouvrit un œil pour voir ce qui les avait stoppés. La lumière de la lune éclairait leurs deux visages, alors qu’ils se regardaient dans les yeux.
— Hors de question de laisser Nivalith toucher à un seul cheveu de sa tête, gronda Lumenor avec détermination, chacun des muscles de son visage se crispant.
Les deux hommes discutèrent ensuite de tout et de rien, et Daliah finit par s’endormir pour de bon. La fatigue l’emporta, la faisant sombrer dans un sommeil paisible et réparateur. Elle ne vit pas lorsque les deux Maîtres passèrent les portes de la forteresse, où les attendait depuis de longues heures la Grande Conseillère. Ils les amenèrent jusqu’à l’infirmerie, pour soigner les petites blessures des apprentis. Voulant leur épargner un trajet supplémentaire, leur guérisseuse leur proposa de les laisser dormir sur place.
À son réveil, Daliah sentit la douce odeur des plantes, caractéristique de l’infirmerie de la forteresse. Elle soupira de bien-être avant de s’étirer langoureusement. Elle papillonna des yeux quelques secondes avant de les ouvrir pour de bon, se redressant pour s’asseoir. Sur le lit à côté d’elle, Abyss était déjà réveillé et finissait même de s’habiller. Un petit bandage entourait sa tête, probablement à cause de la blessure qu’il avait eue hier lors du combat. Sur sa propre joue, la jeune fille sentit un pansement.
Mais avant même qu’ils ne puissent s’adresser des salutations matinales habituelles, la porte de la pièce s’ouvrit avec une telle violence qu’elle heurta l’armoire qui se trouvait derrière elle. Trois personnes entrèrent d’un pas vif et décidé. La Grande Conseillère était en tête du groupe et avait le pas le plus rapide, suivie par Vallys et Lumenor.
Abyss abandonna l’idée de mettre ses bottes dans l’immédiat, et Daliah attrapa rapidement la robe de chambre au pied de son lit pour dissimuler son pyjama couvert de petits oursons. À l’instant précis où ils allaient s’incliner en signe de respect, ce fut la jeune femme qui se pencha vers eux en première.
La surprise cloua les deux adolescents sur place, et les rendit muets de stupeur. Et à en juger par l’expression des Maîtres derrière elle, ils l’étaient tout autant.
— Je suis désolée, déclara-t-elle avec une sincérité profonde. C’est moi qui vous ai attribué cette mission, j’aurais dû être plus prévoyante.
— Non, ce n’est pas de votre faute ! répondit immédiatement Abyss, manifestement très gêné. Après tout, nous avons eu plus de peur que de mal !
— Vous ne pouviez pas savoir ! ajouta son amie, tout aussi mal à l’aise que lui. S’il vous plaît, relevez-vous, ce n’est pas digne de vous !
— Je dois m’excuser aussi, reprit Maître Lumenor d’une voix qui trahissait un sentiment de culpabilité. En voulant vous éviter le tracas de la possibilité de vous faire enlever, je vous ai causé encore plus de problèmes. Heureusement que Maître Vallys avait averti Abyss, sans cela, je ne sais pas ce qu’il aurait pu se passer.
— Si vous le voulez bien, poursuivit la Grande Conseillère en prenant un tabouret pour s’asseoir, j’aimerais que vous nous racontiez ce qu’il s’est passé.
Daliah entama un récit de leur mission, du comportement étrange de leur client, de temps en temps secondée par Abyss qui précisa qu’il avait appliqué les conseils de son Maître, laissant de petits nœuds jaune vif le long de leur trajet. Ils racontèrent l’arrivée du brouillard étrange, leur somnolence progressive, jusqu’à la découverte de sa provenance.
— Nous ne nous sommes réveillés que quelques minutes avant votre arrivée, je pense que nous sommes restés inconscients plusieurs heures.
— On est arrivé sur place vers vingt-trois heures moins quart, quand nous avons remarqué votre retard, précisa Maître Lumenor.
— Au final, son vrai nom n’était pas Sawyer, mais Asaï. C’est son enseignant qui l’accompagnait qui s’appelle Sawyer, poursuivit Daliah avant de se rappeler un autre détail. Ah, et le jeune homme a utilisé une illusion quand il était à la forteresse. En réalité, ses cheveux sont argentés et ses yeux ambrés. Quand on s’est enfui, Asaï nous a rattrapés. Il nous a clairement dit que son but était de capturer Abyss, mais qu’il ne comptait pas me garder.
— Vous l’avez affronté, je suppose ? interrogea la Conseillère qui écoutait leur aventure avec un calme presque religieux.
— On a essayé, mais il était presque intouchable ! Abyss n’a pu l’atteindre qu’en utilisant la Main du Démon…
— Quoi ?!
Cette fois, la jeune femme avait presque crié de surprise. Son regard, comme celui de ses deux collègues, se posa sur l’adolescent qui resta rigoureusement immobile, fixant ses genoux d’un air fasciné.
— Qui lui a appris une technique pareille ? demanda-t-elle en tournant la tête vers Maître Vallys.
Ce dernier croisa ses deux yeux verts, et sa mâchoire se contracta de frustration.
— Pourquoi dès lors qu’un apprenti connaît une technique qu’il n’est pas censé connaître, c’est moi qu’on accuse ? Que suis-je censé comprendre ?
— Je ne vous accuse pas, cher ami, je m’interroge, répondit diplomatiquement la Conseillère en esquissant un léger sourire. Je pensais que vous pourriez l’avoir fait, puisque vous avez l’air d’avoir de la sympathie pour ce garçon.
Daliah manqua de s’étrangler de rire en voyant la grimace répugnée que Vallys afficha. Il avait l’air de prendre ce constat pour la plus infâme des insultes qu’il n’ait jamais entendue de toute sa vie.
— Bien sûr que non ! Je ne veux juste pas avoir son enlèvement sur la conscience !
— Dis-moi, jeune homme, reprit la jeune femme en souriant, toujours amusée, comment as-tu appris cette technique ?
Abyss sembla hésiter un moment avant de répondre, comme s’il avait peur que son explication ne lui attire des problèmes.
— En fait… je ne sais même pas comment je la connais. Je sais que je la connais, je sais l’utiliser, mais je ne sais pas qui a pu me l’enseigner. C’est comme si je l’avais toujours connue.
— Tu l’as peut-être apprise avant ta perte de mémoire, supposa Lumenor en haussant les épaules. Après tout, il est possible que ton corps n’ait pas oublié comment utiliser un tel Arcane.
— Maîtres, je peux vous poser une question ? demanda Daliah, se rappelant un élément de leur conversation de la veille.
Le blond hocha la tête pour acquiescer.
— Hier, quand vous et Maître Vallys avez vu Sawyer — le vrai Sawyer, je veux dire — vous aviez l’air de le reconnaître. Vous l’aviez déjà rencontré avant ?
— En effet, soupira l’enseignant en passant une main dans sa chevelure. Le professeur Sawyer — et il tient à ce titre — a déjà croisé notre chemin plusieurs fois. Il travaille avec Nivalith depuis de nombreuses années, mais je ne le croyais pas toujours en activité après tout ce temps. Cependant, s’il était en compagnie de ce garçon qui vous a attaqué, on peut être certain que Nivalith est derrière cette tentative d’enlèvement.
— J’en ai discuté avec vos professeurs, reprit la Conseillère avec douceur. Pour le moment, je ne vous attribuerai plus de nouvelles missions. Ce n’est pas une sanction, juste une mesure de sécurité en attendant qu’on trouve une alternative pour que vous puissiez reprendre les commissions. Daliah, voudrais-tu refaire des missions avec Abyss dans le futur ?
L’adolescente la regarda quelques secondes sans comprendre. Pourquoi ne le voudrait-elle pas ?
— Dans les circonstances actuelles, rester à côté de lui fait de toi une cible potentielle. J’ai besoin de savoir si tu le veux en sachant cela.
— Bien sûr ! répondit l’apprentie un peu plus vivement qu’elle ne l’aurait voulu. C’est mon ami, je ne vais pas le laisser tomber sous prétexte qu’un fou lui veut du mal !
En guise de réponse, la Conseillère et Maître Lumenor échangèrent un sourire complice, alors que Vallys roulait des yeux derrière eux.
— C’est exactement ce qu’on espérait que tu dirais, s’amusa le blond. Le fait est qu’à vous deux, vous avez repoussé un des hommes de Nivalith ! Vous avez l’air de former un bon duo équilibré.
— Très bien, c’est tout ce que nous voulions savoir, conclut la jeune femme en se levant. Je vous laisse votre journée pour vous reposer et vous remettre. Bonne journée les enfants !
— À vous aussi, répondirent les deux adolescents en chœur.
Les trois adultes sortirent ensemble et refermèrent la porte derrière eux. Abyss s’employa à enfin remettre ses bottes, tandis que sa camarade récupérait ses vêtements posés sur une petite table.
— Pourquoi tu as accepté de retourner en mission avec moi ? demanda soudainement le garçon avec un sérieux qui ne lui était pas coutumier.
Daliah tourna la tête vers lui, et vit à son expression crispée qu’il ne plaisantait pas et qu’il avait même l’air plutôt contrarié.
— Je l’ai dit, je ne vais pas te laisser tomber, répondit-elle du tac au tac, retirant sa robe de chambre.
— Raaah, je sais ça, j’ai entendu, gronda le jeune homme en se frappant le front, avant de lui adresser un regard noir. Je veux dire : qu’est-ce qui t’a pris ?! Tu te rends compte que tu seras en danger à chaque fois qu’on quittera la forteresse ? C’est hors de question !
— Eh bien, vas-y, reproche-moi d’être une bonne amie ! rétorqua Daliah en croisant les bras, bien que son effet menaçant ne colle pas avec le motif de son pyjama. Si tu crois que c’est ce taré de Nivalith qui va me faire peur, tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au cerveau, mon pauvre !
— C’que tu m’énerves, toi ! grommela Abyss en repliant son pantalon à l’intérieur de ses bottes.
— Moi je t’énerve ?! s’offusqua l’apprentie d’un ton de reproche. Nan, mais tu t’es regardé hier ? Encore en train de plaisanter alors qu’on était attaqué ! Tu prends toujours tout à la légère ! Tu m’étonnes que c’est moi qu’on qualifie de responsable !
— Ah ! Pardon, madame Sagesse Incarnée ! répliqua l’adolescent en levant les yeux au ciel, pour ensuite la fixer d’un regard condescendant. Qui est entré dans le Bois de la Lamentation sans permission ?! Et puis, il faut bien que quelqu’un ait le sens de l’humour pour deux ici !
— Je te jure que…
— HEY ! Comment ça va ?!
Kessy entra d’un pas bondissant dans la pièce, coupant net à leur querelle. La blonde arborait un sourire soulagé et radieux, tout comme Priam qui la suivait de près. Mais plutôt que de trouver leurs deux amis joyeux et ravis de les voir, ils arboraient chacun un visage crispé par l’énervement qui les animait.
— Très très bien. répondit Abyss d’un ton glacial.
Il attrapa son manteau noir et s’approcha de la porte d’un pas furieux, ses bottes claquant sur le carrelage. Le voyant si enragé, les deux visiteurs s’écartèrent pour le laisser passer sans essayer de le retenir. Abyss sortit de la pièce avec fureur et claqua violemment la porte derrière lui.
— Qu’est-ce qu’il lui prend ? interrogea Priam avec surprise, se tournant vers Daliah dans l’espoir d’avoir une réponse.
— Va voir ça avec ce con ! rétorqua l’adolescente aux cheveux violets.
— Je vais rattraper Abyss, murmura le garçon aux cheveux auburn à l’adresse de Kessy.
— OK, je vais rester avec elle, répondit la blonde sur le même ton.
Priam ouvrit la porte, sortit, et la referma avec plus de douceur que son camarade. Une fois seule avec son amie, Daliah se laissa tomber de tout son long sur son lit.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demanda doucement la jeune fille en s’approchant d’elle.
— On s’est engueulé… souffla la jeune fille en essayant d’évacuer sa rage pour ne pas s’en prendre à sa confidente. Il refuse de repartir en mission avec moi, alors que j’ai dit que ça ne me posait pas de problème.
— C’est à cause de la mission d’hier ? Maître Lumenor nous a dit que vous aviez presque été enlevé.
— Ouais… maintenant, ce crétin veut pas que je me mette en danger.
— En soi, il ne veut que ton bien…
— Ne me dis pas que tu vas le défendre ! s’insurgea Daliah en se redressant sur les coudes pour la fixer d’un regard menaçant.
— J’ai dit que je cautionnais le fond de son message, pas la façon dont il l’a formulé, tête de truffe, la taquina gentiment Kessy en posant une main sur son épaule, s’asseyant au bord de son lit.
— Mais je fais ce que je veux de ma vie ! C’est pas à lui de décider à ma place ! Il croit que je suis une petite fille fragile à protéger.
— Aah, les mecs, soupira la blonde en levant les yeux aux ciels. Écoute, la meilleure façon de lui faire comprendre le message, c’est d’aller lui en parler.
— D’accord, mais pas pour le moment, sinon c’est pas ma bouche qui parlera, mais mon poing sur son nez.
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