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tome 1, Chapitre 8 « Un changement qui n'arrive jamais seul » tome 1, Chapitre 8

Chapitre 8

― 73 ans. C’est le temps durant lequel j’ai cru que tu étais mort, et te voilà maintenant devant moi.

Tout en continuant de parler, elle se leva avec une grâce féline, son voile de tulle glissant sur ses cuisses dans une lente caresse.

― Tu n’as pas changé d’un pouce. Toujours aussi fier, glacial et terriblement séduisant, susurra-t-elle en s’approchant de lui jusqu’à arriver à quelques centimètres de son torse.

Les traits crispés sous la colère et le dégoût qu’elle lui renvoyait, Vince la regarda de haut afin de lui faire comprendre qu’elle n’avait pas intérêt à le toucher. Surtout pas après ce qu’elle lui avait fait. Heureusement pour lui, la vampire ne s’approcha pas plus, se contentant de l’observer avec gourmandise comme si elle venait de trouver un nouveau jouet. Puis il porta son attention sur l’ensemble de ses compagnons. Et il put voir à son tour les différentes réactions de ceux-ci.

Swaï ne bougeait plus d’un pouce, restant sur ses gardes en s’attendant à être attaqué à n’importe quel moment. Cette expression qui était fixée sur son visage définissait amplement le mal-être qu’il ressentait en cet instant. Cet endroit ne lui plaisait en aucun cas, il aurait préféré se trouver à cent mille lieux d’ici au lieu de faire face à ce genre de créatures. Ces vampires n’étaient sûrement pas des enfants de cœurs, rien que voir l’endroit où ils vivaient suffirait à en faire fuir plus d’un. Et pour une fois, Fenl était totalement du même avis que son ami. Elle aussi avait laissé tomber son côté gamine irréfléchie pour revenir à son caractère naturel. Sérieux, strict et impassible. Dans ces cas-là, mieux valait ne pas se frotter à elle si l’on ne voulait pas perdre quelques membres. Après tout, elle n’était pas une fée guérisseuse pour rien. Le corps, qu’il soit inhumain ou pas, n’avait plus aucun secret pour elle.

Devant elle, se trouvait Stefan. Celui-ci essayait tant bien que mal de retenir ses grognements de frustration. Cette vampire ne lui disait rien qui vaille, il le sentait, elle n’était pas de leur côté et on pouvait s’attendre à tout de sa part. Son instinct de loup lui criait haut et fort de la décapiter sur le champ afin d’éviter que le pire n’arrive, mais son côté humain ne pensait pas la même chose. La rationalité prenait le pas sur son loup, il ne devait pas laisser ses instincts prendre le dessus s’il ne voulait pas que cette histoire finisse en bain de sang. Ce n’était ni le moment ni le lieu pour tuer des vampires. Pourtant, un autre facteur était aussi pris en compte dans cette décision. La sécurité de ses amis, et surtout celle d’Elana. Si l’un de ces vampires venait à lui faire du mal, ou à en prendre l’initiative, il se ferait un plaisir d’arracher quelques têtes. La perdre n’était pas une chose qu’il pourrait endurer, son cœur ne le supporterait pas.

Mais alors que le côté loup de Stefan se débattait avec sa part humaine, Elana se contentait d’observer les deux vampires l’un après l’autre, comme si elle cherchait à comprendre quel lien les liait. Il était flagrant qu’ils se connaissaient, mais dans quelle mesure ? Qui étaient-ils l’un pour l’autre ? La jeune femme n’arrêtait pas de se poser cette question. Le passé de Vince n’était pas un sujet abordé régulièrement avec facilité. Tout ce qu’elle savait c’est qu’avant de la rencontrer il était L’Hemolc’her et qu’il avait arrêté ce « travail » juste après sans qu’elle n’en sache la raison. Cela l’avait toujours intrigué. Était-ce de sa faute ? Avait-elle fait quelque chose l’ayant poussé à faire ce choix ? Ou bien son père était-il intervenu ? Son ami n’aurait sûrement pas brusquement interrompu sa chasse aux vampires sans véritable raison, il n’était pas du genre à laisser tomber sur un coup de tête. Il avait tout de même plus de cinq cents ans de carrière derrière lui. Mais pour l’instant, ce n’était pas ça le plus important. Elle était face à une vampire, de surcroît maîtresse d’un autre buveur de sang, habitant dans un endroit plus ou moins incongru et dangereux. Elle devait faire place à ses priorités.

― Alessia, que fais-tu ici ?

La concernée arqua un sourcil alors que le reste de son visage se figeait dans une expression impassible. Puis elle se pencha légèrement vers l’avant en plantant son regard dans celui de son ex-mari.

― J’évolue, si tu veux tout savoir. Je fais mes petites affaires, loin des problèmes et loin du conflit existant entre les démons.

Sa voix était alors devenue sèche, tranchante et terriblement cassante.

― Tes petites affaires ? De la prostitution tu veux dire.

― Je marchande du plaisir, ce n’est pas pareil. Et je me passerais bien de tes commentaires, grinça-t-elle d’un air mauvais. D’ailleurs, tant que tu es là, pourrais-tu me dire comment tu as fait pour être toujours en vie ? Si je me rappelle bien, la dernière fois que nous nous sommes vu tu étais en train d’agoniser avec un pieu dans le torse tandis que ton manoir brûlait.

L’ensemble des amis du vampire sursautèrent simultanément en le fixant d’un air ahuri.

― De quoi parle-t-elle, Vince ? demanda Elana, pas très sûre d’avoir bien entendu.

― Oh ? Tes amis ne sont pas au courant ? se surprit Alessia en le regardant à son tour avant d’ajouter : Ils ne savent donc pas non plus qui je suis ?

― Et ils n’ont pas besoin de le savoir ! cracha le concerné, ne souhaitant pas que les parties de son passé qu’il souhaitait oublier soient dévoilées.

En réaction à cette réponse quelque peu brutale, Elana sentit son cœur se crisper. S’il disait cela, c’est qu’il n’avait pas une entière confiance en eux. Moi qui lui ai pourtant raconté les pires moments de ma vie, voilà qu’il rechigne à nous dire qui est cette femme. Qu’est-ce qu’elle lui a donc bien fait pour qu’il en ait honte comme ça ? Et sans qu’elle ne le sache, ses amis eurent à peu près la même réaction. Eux qui avaient vécu tant de choses ensemble, leur amitié n’était donc-t-elle pas aussi forte qu’ils le pensaient ? Un malaise pesant s’installa entre les membres du groupe, chacun n’osant se regarder de peur de découvrir dans les yeux de l’autre quelque chose qu’il ne voudrait pas voir.

Malheureusement pour Vince, Alessia remarqua avec un malin plaisir les têtes déconfites puis blessées des jeunes gens. Elle s’empressa donc d’enfoncer le couteau dans la plaie ouverte par le vampire lui-même.

― Je m’appelle Alessia Vernstoski et je suis l’ex-femme de ce cher Vince. Et c’est moi qui ai aussi tenté de le tuer il y a 73 ans avant de le laisser agoniser dans son manoir auquel j’avais mis le feu. Une bien belle histoire, n’est-ce pas ?

Un léger ricanement sortit de sa bouche aux lèvres pulpeuses, faisant encore plus de mal à l’ancien chasseur de vampires ainsi qu’à ses amis qui le regardait d’un air indescriptible. Il n’osait même plus affronter leur regard, de peur de voir du dégoût, de la colère ou de la honte. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de répéter inlassablement les mêmes questions dans sa tête : Pourquoi ne l’avait-il pas arrêté quand il l’avait pu ? Comment un vampire tel que lui avait pu se laisser prendre au piège par une femme ? Pourquoi n’avait-il rien vu ? Il était pourtant l’un d’eux. Il aurait dû voir, réagir et surtout anticiper. Mais l’amour avait alors entravé son cœur ainsi que sa raison. C’était ce qui lui avait rendu le bonheur mais aussi le plus de malheur. C’est pourquoi il s’était juré, il y a de cela 73 ans, de ne plus jamais ouvrir son cœur à qui que ce soit. Jamais plus il ne laissera quelqu’un l’attendrir, lui faire baisser sa garde ou même le lui enlever totalement. Que cette personne soit un homme, et encore plus une femme, son cœur restera hermétique à tout ce qui l’entoure et à tout le monde. La souffrance devait sortir de sa vie, quoi qui lui en coûte. Il l’avait trop vécu et savait que si son cœur venait encore à être brisé, il ne pourrait plus jamais cicatriser et ça en serait fini de lui. Il ne pourrait plus jamais redevenir celui qu’il avait toujours était, Vince Magaldhaes.

Une minute passa durant sa remise en question tandis que ses amis réfléchissaient chacun sur la position à adopter envers lui. Mais alors que tous se taisaient, Elana brisa ce silence pesant afin de poser une seule et unique question.

― Pourquoi ?

Personne ne réagit lorsqu’elle parla, pas même Alessia. Elle répéta donc sa question avec plus de force cette fois.

― Pourquoi ?

― Pourquoi quoi ? demanda la vampire d’un air dédaigneux en la regardant de haut.

― Pourquoi lui avoir fait ça ? Si vous étiez bien la femme de Vince, pourquoi avoir tenté de l’assassiner ?!

Elle ne se contenta plus de fixer la femme avec froideur mais avec une telle colère qui crispa ses traits dans une grimace figée. Serrant ses poings aussi fort qu’elle le pouvait, Elana planta ses yeux vairons remplis de fureur dans ceux bleus et impassibles de la vampire. Celle-ci ne réagit même pas en voyant cette fille avancer vers elle, tel un animal prêt à sauter sur sa proie. Et elle ne sentit pas non plus la force qui se dégageait de cette dernière alors que ses amis purent aisément voir son pouvoir entrer en action. Ses cheveux de feu se mirent à voleter légèrement puis plus violemment lorsqu’un courant d’air s’éleva dans la pièce.

― Tout simplement parce qu’il était L’Hemolc’her. Nous, les vampires, souhaitions tous qu’il pourrisse en enfer pour nous avoirs chassés comme des bêtes durant cinq cents ans. Je n’ai fait que rendre justice.

― Juste… pour ça ?! Non mais vous vous fichez de moi ?! hurla Elana en la fusillant du regard.

À cet instant, Alessia, ainsi que l’ensemble des personnes présentes, purent voir son regard animé de rage et de détermination. Ce qui fit la fit reculer malgré elle. Cette fille… elle n’est pas comme les autres. Je ne dois surtout pas me fier à son apparence inoffensive, un pouvoir très étrange réside en sa possession ! Tandis qu’elle fixait la jeune fille avec confusion, cette dernière continua à avancer vers elle jusqu’à ce qu’elle la vît être projetée vers l’avant à une vitesse impressionnante. Pas aussi rapide qu’un vampire ou un loup-garou mais plus qu’un simple humain. Pourtant, Elana réussit à surprendre cette femme qui lui inspirait tant de haine, et réussit même à la plaquer contre le mur avec une force qu’elle ne se connaissait pas. Un violent son se répercuta dans la pièce tandis que ses amis la regardaient d’un air effaré, ne s’attendant pas à une telle démonstration de force de sa part.

― Vince a rendu justice, pas toi ! Il tuait les vampires sanguinaires qui s’en prenaient aux humains et aux autres démons alors je ne vois pas en quoi ça te dérange ! Il a protégé les innocents durant cinq cents ans et c’est ainsi qu’on le remercie ? En essayant de l’assassiner ?! Non mais vous êtes pas net dans votre tête ou quoi ?! Même si du sang a été versé pendant ces siècles, même si beaucoup sont morts, il ne méritait pas ça !

Les poings d’Elana se mirent à trembler de colère, sa rage étant à son maximum face à cette situation qui la dégoûtait au plus haut point. Sa main droite, posée sur l’épaule gauche de la vampire la serra avec force, y mettant ainsi tout ce qu’elle ressentait en cet instant. Haine, fureur, dégoût, ainsi qu’un profond sentiment d’injustice. Bien sûr, elle ne valait pas un vampire, mais avec l’aide de ses pouvoirs, elle pouvait au moins laisser une trace sur cette femme. Seulement, c’était sans compter sur l’autre vampire Égyptien qui était toujours présent dans la pièce. En voyant sa Maîtresse en danger, il s’élança à une vitesse surhumaine vers la source du danger. Pourtant, alors que ses doigts allaient attraper les cheveux d’Elana, il sentit quatre bras ceinturer les siens dans une étreinte brutale. Excédé, il essaya de se dégager mais ne réussit qu’à amplifier la force qui le retenait.

― Bon sang, mais qu’est-ce que…

Il s’interrompit lorsqu’il vit la cause de son tracas. Ce n’était autre que Stefan et Swaï qui le retenait, chacun étreignant le bras de l’Égyptien afin qu’il ne puisse pas toucher leur amie. Ce dernier pesta dans une langue qu’ils ne comprirent pas mais ils purent bien voir qu’il n’était vraiment pas d’humeur ! Malheureusement pour lui, il n’arrivait pas à se débarrasser d’un loup-garou et d’un homme-dragon. Malgré son statut de vampire, sa force n’était pas suffisante face à eux deux.

Pendant ce temps, Fenl s’était approchée de Vince, posant de suite une main sur son bras afin de lui apporter un peu de soutien. Il ne réagit même pas à ce geste, se contentant de regarder Elana vociférer des insultes sur son ex-femme alors que celle-ci essayait de se défendre tant bien que mal en répétant à chaque fois les mêmes raisons. Et son amie n’entendait pas accepter cela. Il la vit froncer brusquement les sourcils, grincer des dents et se concentrer un maximum. Puis un son permit à son visage de se défiger pour afficher directement un air ahuri. Un violent « crac » provenant de l’épaule qu’Elana tenait toujours. Elle… elle vient de casser un os ? De briser l’épaule d’un vampire ? Impossible ! Et pourtant c’était bien ce qu’il venait de se passer. Un hurlement de douleur se répercuta contre les murs dans une belle cacophonie jusqu’à ce qu’un autre bruit se fasse entendre à son tour : une respiration difficile, provenant du fond de la cage thoracique d’Elana. Celle-ci recula de deux pas, laissant la vampire glisser par terre tandis qu’elle se tenait l’épaule, le visage crispé et tendu face à la douleur qu’elle ressentait. La jeune femme déglutit puis recommença une nouvelle fois à respirer du mieux qu’elle le pouvait, la sueur glissant sur son front, ses mains devenant moites et la transpiration collant son fin chemisier contre sa peau. On aurait dit qu’elle venait de courir un marathon.

― Elana ? Est-ce que ça va ?

Elle ne se tourna même pas vers son ami loup-garou, se contentant de fixer en silence la victime de sa colère. Qui, d’ailleurs, se manifesta très vite.

― Salope ! Comment as-tu pu me faire ça ?! Je suis un vampire et toi une répugnante humaine !

Elana ne put s’empêcher d’afficher un sourire narquois en sa faveur, fière de voir cette femme dans un tel état.

― Comment ? Je n’ai fait qu’utiliser une nouvelle technique ainsi que quelques autres petites astuces de ma fabrication. Et malheureusement pour toi, tu es la première à en faire les frais. De plus, je ne suis pas une simple humaine, je peux contrôler les quatre éléments à ma guise… et je suis également une Patromez-ed.

― Une… une… Patromez-ed ? Mais de qui ? bégaya la vampire d’un air ébahi et confus avant de braquer son regard sur son ex-mari. Non ! Pas toi !

En réponse à sa question, Vince baissa les yeux comme s’il avait honte ou ne pouvait affronter son jugement. Elana, quant à elle, le regarda sans broncher, puis reporta son attention sur la vampire toujours sous le choc tandis que ses amis fixaient le trio en attendant la suite des explications. Seul Stefan savait de quoi il en retournait, connaissant depuis très longtemps la signification du statut de Patromez-ed. Alors que Swaï et Fenl restaient totalement ignorants sur le sujet abordé. Ils se regardèrent un instant, cherchant une quelconque réponse chez l’un comme chez l’autre, avant de reporter leur attention sur les concernés. Bien que retenant le serviteur de la vampire, les deux hommes avaient écouté la conversation avec précision en même temps que la fée qui n’avait pas bougé depuis ce moment. Cette fois, même l’Égyptien se stoppa net dans sa tentative de se libérer, préférant ainsi suivre le dénouement de l’histoire qui concernait sa Maîtresse. Tout ce qui la touchait devait être en sa connaissance, c’était une de ses fonctions en tant que favori.

Un silence pesant demeura quelques instants, chacun se dévisageant de différentes façons ou préférant rester dans un mutisme lourd de signification. Ce fut Elana qui coupa net à cette absence de paroles en confirmant ce qu’Alessia n’arrivait toujours pas à croire.

― Si. Je suis bien la Patromez-ed de Vince, ou autrement dit sa Maîtresse.

― Mais comment ? C’est impossible ! Vince ne pourrait jamais être asservi à un Maître, quel qu’il soit ! Il ne l’a jamais été durant toute son éternité, alors ce n’est pas pour une gamine qu’il accepterait de perdre sa liberté ou même sa vie pour protéger son possesseur ! Il n’est pas un vampire asservi, ce n’est pas possible !

Elle refuse de voir la vérité en face. Très bien. Dans ce cas, je ne vois qu’une seule solution.

― Tu veux savoir comment ? Eh bien je vais te le raconter. C’était il y a deux ans, lors d’une soirée qui marqua ensuite un changement définitif à ma vie…

*******************************************************

13 septembre 2010.

J’avais mal à la cheville. Je sentais une forte douleur étreindre mes muscles ainsi qu’une forte chaleur au niveau du bas de ma jambe droite. Mais ce n’était rien par rapport à ce que mes entrailles, mon esprit et ma conscience ressentaient en cet instant. De la peur. Une immense et incommensurable peur me tordait les entrailles avec une violence inouïe. Mon corps tremblait de la tête aux pieds sans que je ne puisse ou ne veuille l’arrêter. Le stress monta au fur et à mesure jusqu’à atteindre l’ensemble de mes membres alors que j’essayai d’assimiler ce que je voyais. Mes yeux, ou plutôt mon esprit, n’arrivait pas à comprendre et surtout à accepter ce que j’avais devant moi. Mon visage devait afficher bon nombre d’émotions, mais décrire mon expression était très facile : l’horreur. J’étais tellement terrifiée que je n’arrivais même plus à bouger alors que je le souhaitais par-dessus tout. Je dois bouger. Il le faut ! Et pourtant je restais là, allongée par terre, fixant la forme derrière moi sans que je ne puisse détacher mon regard.

Un corps était affalé là, tout près de moi, le sang continuant de couler le long de son torse en imbibant au passage une chemise blanche maintenant devenu écarlate. Une flaque de ce liquide si précieux se forma en dessous du macchabée, signant ainsi sa fin dans un silence morbide. Une goutte sortit de sa bouche, dévalant une joue légèrement barbue, jusqu’à se fracasser contre ce bain d’hémoglobine pour enfin s’y dissoudre et encore augmenter sa taille. Et moi, je me contentais de le regarder. Lui. Je voyais sa peau, d’habitude bronzée et pleine de vie, devenir grisâtre, blanchissant au fur et à mesure. La vie le quittait doucement sans que je ne puisse rien faire, ses yeux grands ouverts, fixant le plafond de chêne aux magnifiques armatures, semblaient vitreux. Le gris de ses iris ne contenait plus une seule forme de vie, son regard était confronté à la mort elle-même.

Mon propre regard se confronta au sien et, malgré la distance qui nous séparait, je sus qu’il était définitivement mort. Ma mâchoire trembla brusquement. Mes dents claquèrent l’une contre l’autre. Mes yeux s’embuèrent d’eau jusqu’à former des larmes qui dévalèrent mes joues pour directement tomber sur le carrelage sur lequel j’étais. Une grande souffrance me traversa de part en part, mon cœur se serrant à un point que je crus défaillir. Une boule se créa dans ma gorge. Non… Non. Non ! Je fermais mes yeux à un point que j’en eus mal, je ne voulais plus voir ce spectacle qui me causait tant de souffrance. Il ne pouvait pas être mort ! Mes poings se serrèrent jusqu’à ce que les jointures de mes mains deviennent blanches. Je mourrais littéralement de l’intérieur. J’avais si mal, si mal… Je ne peux pas le croire !

D’un seul coup, j’ouvris mes yeux, revenant à la réalité afin de me libérer de ce poids qui pesait sur mon cœur. Je devais le dire, le prononcer. Et ainsi laisser ma souffrance prendre le dessus sur ma raison. Il était mort. Je devais l’accepter dorénavant. C’est ainsi que je sentis la boule dans ma gorge se désagréger pour laisser ma voix s’exprimer enfin… alors que j’entendais un bruit de pas devant moi… Un bruit qui se rapprochait de plus en plus jusqu’à s’arrêter en face de mon visage. Et tout ce que je pus voir, ce fut une paire de mocassins pour homme en cuir noir ainsi que le bas d’un pantalon foncé coupé droit et celui d’une veste couleur carmin.

― PAPAAAA !!!!

******************************************************

Une heure plus tôt.

― Alors ? Qu’est-ce que tu es venu faire ici en fait ?

― Nom de Dieu, Elana ! Tu m’as fait toute une scène pour venir avec moi lors de cette mission et tu ne sais même pas en quoi elle retourne ?

― Ben… non. Mais j’avais envie de distraction et comme je sais que tes missions sont toujours pleines d’action, je me suis dit que c’était une bonne solution pour tuer le temps, répondit la jeune femme d’un ton désinvolte, un grand sourire collé aux lèvres.

L’homme à ses côtés soupira d’impuissance face à son air détendu. Malgré tout ce que je lui ai raconté de mon travail, elle trouve ça amusant. Amusant ! Je risque ma vie à chaque fois, ce n’est pas une distraction !

― Je sens que je vais avoir des cheveux blancs avant l’heure si ça continue… Tu es vraiment incorrigible ! se lamenta-t-il.

En entendant cela, Elana ne put s’empêcher de rigoler franchement. Elle adorait le faire tourner en bourrique !

― Hahaha ! Mais c’est pour ça que tu m’aimes papa !

Ce dernier ne répondit pas mais se contenta de lui sourire. Elle avait raison, il l’aimait quoi qu’il arrive. Sa fille était la dernière chose qu’il lui restait et il comptait bien en profiter autant qu’il le pouvait car ses missions n’étaient jamais sans risque, la mort planait toujours au-dessus de lui. D’ailleurs, cette fois-ci, la donne n’avait pas changé. Il était censé retrouver un des inhumains, même s’il ne savait toujours pas de quelle espèce il s’agissait. Tout ce qu’il savait, c’était que l’homme qu’il recherchait été le responsable d’une série de meurtres qui s’est arrêtée il y a déjà un an. Le criminel avait soudainement disparu de la circulation durant plusieurs mois et c’est aujourd’hui qu’il réapparaissait. James avait appris, il y a quelques heures, que le meurtrier avait passé une semaine dans un hôtel de la région. Il s’était donc alors empressé d’aller le capturer. Mais c’était sans compter sur sa tête de mule de fille qui lui avait fait toute une scène pour venir avec lui.

― Bon, je vais aller à l’intérieur et demander des renseignements. Toi, tu restes ici.

― Ok !

Elana suivit son père des yeux, le voyant entrer dans un hôtel ni trop chic ni trop miteux avec sa façade en briques rouges et sa porte à double battant en bois brut. Un petit hôtel de quartier en somme. Et lorsqu’elle fut en dehors de la vision de son paternel, son sourire innocent fit place à un rictus malicieux qui ne présageait rien de bon. Si tu croyais que j’allais sagement rester ici, tu te fourres le doigt dans l’œil papa !

Elle s’avança alors à son tour vers la porte, l’entrouvrit et passa sa tête afin d’observer les lieux. Quelques mètres devant elle se trouvait un long comptoir occupé par un réceptionniste à l’air nonchalant. D’une cinquantaine d’années, son visage portait de profondes rides, reflétant une lassitude extrême. Plongé dans un magazine automobile, il leva ses yeux gris cachés par une paire de lunettes noires et des mèches de ses cheveux gras, sur le père d’Elana lorsque celui-ci lui parla. Malheureusement, la jeune fille était trop loin pour entendre ce qu’ils se disaient. Mais elle put quand même apercevoir un homme à sa droite. Ce dernier était en train de lire le journal de la veille sur un fauteuil usé par le temps. Devant lui, se trouvait une table basse recouverte de diverses lectures entourée de trois autres sièges. Ça doit être le coin de tranquillité commun aux clients de l’hôtel. Puis son regard passa sur le reste du hall d’accueil. Deux guéridons portant des vases vides étaient positionnés au recoin gauche de la pièce. Des vases vides ? Ils sont trop pauvres pour acheter des fleurs ou quoi ? Entre eux deux, se trouvait une fenêtre faite d’un bois un peu défraîchi donnant vue sur une petite cour en béton vide de tout objet. Et avec ce papier peint brunâtre aux rayures beiges et cette moquette trouée à certains endroits, l’ensemble de cette réception donnait un air vieillot à l’hôtel. Je ne sais pas pourquoi papa est venu ici mais je n’ai pas très envie de rester. Cet endroit me met vraiment mal à l’aise… Bon, il est temps que je me bouge et que je fasse quelque chose ! Et je crois que je vais commencer par là…

Elana entra en douce, dévia sur la droite et accosta l’homme lisant le journal de la veille.

― Excusez-moi…

― Hm, oui ? Que veux-tu fillette ?

Fillette ?

― Je souhaiterais vous demander un renseignement, continua-t-elle tandis qu’il levait enfin les yeux vers elle.

Elle rencontra un iris aussi noir qu’un abîme sans fond, lui faisant froid dans le dos. L’autre étant caché par un bandeau. Elana ne put s’empêcher de déglutir, son regard restant plongé dans celui de cet homme mystérieux. Un frisson lui parcourut le dos d’un seul coup, faisant se dresser les poils sur ses bras.

― En… en fait…

Son bégaiement la surprit elle-même. Mais pourquoi est-ce que je me sens bizarre ? Je ne sais pas qui c’est mais il me fait vraiment un drôle d’effet. Un effet dont elle ne pouvait trouver le nom et la source exacte. Comme si elle était aspirée par cet unique œil qui ne laissait rien percevoir des émotions que ressentait cet homme. Sauf, peut-être, une sensation de puissance cachée, masquée par un je-ne-sais-quoi qui le rendait terriblement intriguant et inquiétant en même temps. Si elle avait pu décrire ce qu’elle ressentait, cela aurait été une ombre. Quelque chose de mystérieux, renfermant des choses l’étant tout autant, mais qui laissait présager certains ressentiments quant à ce qu’elle contenait. Une ombre compacte, et en même temps fluide, faisant basculer dans la noirceur tout ce qu’elle touchait. Un peu comme une fumée engloutissant tout sur son passage afin de le cacher à la vue de tous. Dans ce cas-là, Elana sentait que si elle approchait cet homme de trop près, il l’engloutirait à son tour vers le côté sombre qui vivait en elle. Et ce n’était pas ce qu’elle souhaitait. Loin de là. Elle avait déjà vécu de dures épreuves dans sa vie, forgeant son caractère et son esprit au fil du temps, mais laissant dans son cœur une part obscure, ténébreuse, noire. Et elle voulait à tout prix ne pas la laisser prendre le dessus sur elle car les conséquences seraient alors catastrophiques. Pour elle, comme pour ce qui restait de sa famille. C’est-à-dire, son père.

Soudain, alors que son esprit ne cessait de se visionner cette ombre si dangereuse à ses yeux, elle sentit une main agripper fermement son poignet. Et par la même occasion, une espèce de décharge électrique dans l’ensemble de son corps. Par instinct, elle se recula vivement, mais les doigts froids qui la maintenaient ne la lâchèrent pas pour autant. Elana releva son visage en vitesse, plantant son regard dans celui du mystérieux homme qui venait de la toucher sans son accord, puis dit d’une voix qu’elle espérait ferme :

― Lâchez-moi.

Il ne bougea pas, se contentant de la fixer sans piper mot. Mal à l’aise, elle bougea son bras, tordit son poignet, tira du mieux qu’elle le pouvait, mais c’était peine perdue. Il restait fixe, telle une statue de cire. Merde ! Pourquoi est-ce qu’il reste comme ça à me regarder ? Ce n’est vraiment pas plaisant ! Et puis, pourquoi est-ce qu’il ne veut pas me lâcher ?! Je ne me sentais déjà pas très bien lorsque mes yeux ont rencontrés les siens, mais ça a empiré lorsqu’il m’a touché. Et là, je lui parle et il ne répond rien. Ce gars est vraiment bizarre ! Si ça continue, je l’assomme. Au moins je serais tranquille ! À trois. Un… deux… Tr…

― Elana !

La voix venait de l’autre bout de la pièce. Elana se retourna et put voir son père arriver en quatrième vitesse à ses côtés, tout en la fixant d’un air sévère. Mais lorsqu’il arriva à sa hauteur et qu’il aperçu la position dans laquelle ils se tenaient, son regard passa du sévère au glacial. La jeune fille en eut même froid dans le dos.

― Monsieur, veuillez lâcher ma fille immédiatement.

Et encore une fois, l’inconnu ne répondit pas, se contentant – cette fois – de fixer sans ciller le père d’Elana. Ils se jaugèrent quelques instants dans un silence quasi religieux, comme s’ils mesuraient leur puissance. Subitement, l’homme relâcha le poignet de la jeune femme qui le fixa bêtement. Elle attendait une réponse, une raison à ce geste qui l’intriguait toujours autant. Hélas pour elle, cette réponse ne vint pas car il se leva brusquement, puis posa son journal avant de partir vers la porte d’entrée par laquelle elle était arrivée.

Elana le suivit du regard et quand il ne fut plus dans son champ de vision, elle s’intéressa à son père. Il avait fait la même chose qu’elle mais d’une façon plus… attentive. Il n’avait pas confiance en cet homme, il ne lui inspirait que dégoût. Ainsi qu’un peu de stress. Sa puissance était palpable, son instinct de chasseur lui disait de ne surtout pas suivre cet inconnu qui dégageait une aura sombre et malfaisante. Ses traits se durcirent malgré lui. Il avait osé toucher sa fille, ce… Il ne fallait surtout pas qu’elle rentre de nouveau en contact avec lui ! Il sentait que si ça arrivait une nouvelle fois, cela ne se terminerait pas dans un simple au revoir. Mais plutôt dans un moment de douleur. Oui. Cet homme ne lui disait vraiment rien qui vaille.

― Papa ?

Lorsqu’il entendit sa fille l’appeler, il reporta son attention sur elle et lui sourit doucement.

― Allons-y. L’homme que je recherchais a pris la chambre 101.

Elana acquiesça puis suivit son père qui se dirigeait vers les escaliers menant aux étages supérieurs. Mais ce qu’ils ne virent pas, c’est que le mystérieux inconnu qui était parti plus tôt, n’était finalement pas allé très loin. Il se trouvait juste à l’endroit où allait se réaliser le pire cauchemar qu’Elana aurait pu imaginer.


Texte publié par zhenli, 6 mai 2015 à 20h44
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