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tome 1, Chapitre 5 « Un début de piste » tome 1, Chapitre 5

Chapitre 5

― Donc… c’est ça ?

― Oui, tout à fait.

― C’est… euh… comment dire… assez spécial !

― Je t’avais prévenu Elana-chan ! Corpsantake est quelqu’un d’unique en son genre alors l’endroit où il vit l’est aussi !

― Mouai…

Le petit groupe d’amis se trouvait devant la boutique (et accessoirement l’habitat) du croque-mort. C’était un bâtiment défraichi, plein de fissures et couvert de toiles d’araignées. Des pierres tombales ainsi que des cercueils entourés de gousses d’ail vagabondaient çà et là. Et comme pour accentuer la décoration, un immense panneau où était inscrit « Corpsantake » trônait au-dessus de la porte, avec en prime une tête de mort dessus.

― Bon, c’est pas tout ça, mais plus vite on sera partis mieux je me sentirai ! Cet endroit empeste la mort, dit Stefan avec dégoût.

― Avoir le flair d’un chien n’est pas toujours pratique, hein Stefan ? lâcha distraitement Vince tout en affichant un sourire sarcastique.

Celui-ci lui lança un regard noir en lâchant un grognement de mécontentement.

― Tu ferais mieux de te taire stupide suceur de sang. Et je suis un loup, pas un chien !

― Mais oui, mais oui… couché gentil toutou…

― Espèce de…, commença le loup-garou en s’avançant d’une façon menaçante vers le vampire qui continuait à sourire d’amusement.

― Ça suffit vous deux ! On n’est pas venu ici pour vous voir vous lancer des piques comme des gamins mais pour rencontrer Corpsantake. Alors je vous prierai de vous taire ! ordonna Elana en les fixant avec autorité.

― À tes ordres, maîtresse.

Après cette intervention, les deux compères ne s’adressèrent plus un mot et s’ignorèrent complètement.

― Bon, alors allons-y maintenant.

Elana fut la première à entrer et à découvrir la décoration, tout aussi morbide, de l’intérieur de la boutique : un comptoir recouvert de statuettes de démons, des étagères remplies de livres poussiéreux et de flacons dont elle ne souhaita pas savoir le contenu, des sépultures en pagaille, des têtes de mort, ainsi que tout un tas de bougies dispersées un peu partout. Ce gars a vraiment une obsession de la mort… Les uns après les autres, ils détaillèrent l’endroit, et diverses réactions fusèrent. Stefan grimaça, n’appréciant pas du tout l’aspect et l’odeur de ce lieu, tandis que Vince semblait on ne peut plus à l’aise. Quant à Swaï et Fenl… ils se contentaient d’observer les lieux avec curiosité avant de dormir sur un cercueil pour l’un et de s’intéresser à un pot à cendre pour l’autre. Ce qui intrigua Elana.

― Pourquoi est-ce qu’elle fixe ce pot à cendre comme…, débuta-t-elle avant d’être brusquement interrompu par un cri venant de la concernée.

― Biscuit !

Au grand ébahissement de la jeune femme, elle vit Fenl se jeter sur le pot, l’ouvrir avec empressement et s’enfourner trois biscuits d’un seul coup. Mais qu’est-ce que fichent des gâteaux dans un pot à cendre ? Et… pourquoi est-ce qu’ils ont la forme d’os ?! Choquée, Elana resta sans voix. Et devant sa tête déconfite, Vince ne put s’empêcher de rire.

― Pourquoi tu rigoles toi ?

― Si tu voyais ta tête ! Et ça, juste pour des biscuits !

― Non mais tu trouves ça normal qu’ils soient dans un pot à cendre ? C’est… dégoûtant ! s’exclama-t-elle, toujours aussi choqué.

― Venant de Corpsantake non ! D’ailleurs, il aurait déjà dû se manifester. Corpsantake ! Corpsantaaake !

Plusieurs minutes passèrent tandis que Vince continuait à appeler le croque-mort sans que celui-ci ne se manifeste. Elana vint à penser qu’il n’était tout simplement pas présent. Mais lorsqu’elle le fit remarquer au vampire, il se contenta de lui dire que c’était impossible car il passait sa vie dans sa boutique. Soudain, un rire sinistre, qui donna des frissons à la jeune femme, engloba toute la pièce. Il fut suivi par une voix d’outre-tombe.

― Je pensais bien que tu ne tarderais pas à venir me voir…

Pas très rassurée, Elana recula d’un pas en regardant autour d’elle d’un air inquiet. Bon sang, cette voix fait froid dans le dos ! Mais tout à coup, alors qu’elle venait de buter contre un cercueil, deux mains venues de derrière elle se posèrent sur ses épaules. La jeune femme se figea littéralement sur place puis tourna lentement sa tête jusqu’à rencontrer un visage blafard accompagné d’une paire de yeux rouges strié de noir ainsi que d’un sourire… de dingue ? Oui. Un sourire de dément avec un regard qui faisait penser à celui d’un scientifique en manque de choses (ou personnes) à disséquer. Effrayée, elle se dégagea en criant de peur avant de se jeter derrière Stefan - qui se contentait de fixer l’individu en face de lui - pour se protéger de cet homme sorti de nulle part. Enfin, nulle part, façon de parler ! Inquiète mais intriguée, Elana jeta un coup d’œil et vit que ce dernier sortait d’un cercueil posé contre le mur. Un cercueil ? Mais ce type est complètement barge ! Et lorsqu’il s’avança pour de bon en dehors de la sépulture, elle put voir son étrange style vestimentaire. Il portait une sorte de longue toge noire coupée à moitié en faisant voir un pantalon bouffant avec un corset en velours gris et une cravate carrelée, des mitaines laissant apparaître ses ongles vernis, un haut-de-forme rehaussé d’une bande de tissu en soie carmin ainsi qu’une montre à gousset pendant à une des poches de son bas. Ses yeux étaient cachés par une longue frange d’un blanc éclatant coupée en biais, mais on pouvait bien voir son sourire qui ressemblait plus à un rictus qu’autre chose.

― Bienvenue Vince ! Je te prépare la dose habituelle ? dit-il en regardant l’heure de sa montre.

― Non, je ne suis pas venu ici pour ça. En fait…, commença le vampire avant d’être interrompu par son interlocuteur qui se dirigeait vers son comptoir de manière nonchalante.

― Inutile de me le dire. Je sais pourquoi toi et tes amis êtes là. Mais je vais d’abord vous servir un bon thé ! Asseyez-vous, je reviens tout de suite.

Et il partit dans l’arrière-boutique en laissant ses invités à leur sort.

― S’asseoir ? Mais où ? (Stefan lui montra du menton le cercueil devant eux) Oh non… T’es sérieux là ? Pff, sans gêne ce croque-mort.

À contre cœur, elle s’assit dessus, avec le loup-garou à ses côtés. Celui-ci n’avait pas beaucoup réagi depuis leur entrée mais il ne put s’empêcher de fixer froidement Corpsantake lorsque celui-ci servait à chacun un bêcher rempli de thé. Quand il lui présenta la boisson, Stefan n’y toucha même pas et se contenta de dire avec dégoût :

― Je ne toucherais pas à ça. Surtout pas dans un bêcher, et encore moins venant d’un croque-mort commerçant du sang aux vampires.

― Hum… je dirais plutôt que j’agis pour la sécurité de la population humaine en vendant le sang de mes cadavres. Ainsi, les vampires n’ont pas besoin d’aller se nourrir sur des personnes vivantes.

― Ça en reste quand même illégal, indécent et d’un profond manque de respect envers les morts.

― Ferais-tu la leçon à un croque-mort ? demanda Corpsantake en le regardant de haut, peu enclin à écouter les remontrances d’un loup-garou.

― Je ne fais qu’exprimer mon opinion. C’est à vous de voir ensuite comment prendre la chose.

Son interlocuteur le toisa quelques instants dans un profond silence avant de se retourner en murmurant un « Saleté de cabot… » qui, heureusement pour lui, ne fut pas entendu par le concerné. Puis il se dirigea vers son comptoir, s’assit et mit ses jambes croisées dessus, tout en commençant à manger les biscuits d’un pot à cendre présent dans ses bras. C’est à ce moment-là que Vince se décida à lui rappeler leur présence ici.

― Donc, Corpsantake, tu as dit savoir pourquoi nous sommes venus te voir.

― En effet. Tu souhaites que je te parle des victimes du « présumé » Borgne Sans Tête ?

― Ce n’est pas tout à fait ça. En vérité c’est ma maîtresse qui souhaite avoir ces renseignements, fit remarquer le vampire en désignant du regard la jeune femme.

― Vince a raison. La police n’est pas de taille contre lui car ce n’est pas un humain comme les autres, nous le savons. Je veux donc régler ça moi-même. Mais il me faut un début de piste pour pouvoir avancer. Et c’est là que tu interviens.

― Dis-moi jeune fille… quel âge as-tu ? demanda le croque-mort, les yeux rivés sur la concernée, tout en finissant sa bouchée.

― Euh… dix-neuf ans pour…

― Comment t’appelles-tu ?

― … Elana De…

Et pour la seconde fois, il l’interrompit sans vergogne.

― Denaïlïhâ. Mais oui, bien sûr ! Tu es la fille de James Nickael Denaïlïha, le chasseur de démons au surnom si célèbre d’Eclair Rouge ! (Il soupira) Aaah il m’avait souvent parlé de sa fille : têtue, râleuse, un peu bourrine sur les bords, colérique, ne respectant aucune règle et aucun interdit mais aussi calme, généreuse, fidèle et réfléchie. Et ta caractéristique particulière : des cheveux rouges comme le sang et des yeux vairons.

Interdite, Elana resta un peu pantoise devant cette parfaite description d’elle-même. Mais très vite elle ne put s’empêcher de s’exclamer devant un détail.

― Vous connaissiez mon père ? Comment ?!

Le croque-mort sourit en voyant sa réaction, elle semblait très surprise, ne s’attendant pas du tout à cette révélation.

― Ton père venait souvent m’amener les corps des démons qu’il tuait afin que je m’en occupe. Et je ne puis le cacher, il était extrêmement rentable à ce niveau-là ! Alors, au fur et à mesure, nous nous sommes liés d’amitié. D’ailleurs, cela m’avait vraiment touché lorsque j’ai appris son décès. C’était vraiment un homme bien sous ses airs de tueur sans pitié, expliqua-t-il avec une pointe de tristesse.

Cette dernière fut également partagée par Elana qui laissa apparaître sa peine aux yeux des autres. La mort de son père était toujours un sujet sensible, malgré les deux années passées depuis sa disparition. Ce fut une terrible perte pour elle, déjà qu’elle avait perdu sa mère il y a six ans, voilà que le dernier parent qu’il lui restait s’en allait à son tour. Depuis ces tragiques coups du destin qui s’acharnait sur elle, la jeune femme vivait seule dans sa grande maison familiale où elle avait vécu toute son enfance. Enfin, le peu qu’elle s’en rappelait… Son souvenir le plus lointain remontait à ses sept ans, le reste avait comme disparu. Elana s’était d’ailleurs toujours demandé pourquoi elle était la seule à avoir oublié cette part importante de sa vie. Choc émotionnel ? Erreur de son cerveau ? Souvenirs si insignifiants qu’elle les aurait naturellement laissé filer ? Toutes les réponses étaient bonnes. Mais à chaque fois qu’elle avait abordé le sujet avec ses parents ils lui disaient qu’un jour elle saurait, que quand l’heure sera venue ses souvenirs émergeront d’eux-mêmes. Voilà pourquoi elle ne s’en formalisait plus et laissait le temps faire son travail.

― Oui… il était vraiment quelqu’un de bien, dit tristement Elana en se remémorant certains souvenirs dont son père était le principal acteur.

Un silence pesant s’installa durant quelques minutes. Ce qui déplut à Stefan et Vince, pour une fois d’accord sur un point. C’est pourquoi, lorsque le loup-garou posa sa main sur celle de sa voisine pour la faire revenir à la réalité (et aussi pour lui communiquer un peu de compassion… mais ça il ne l’avouera jamais !), le vampire rappela à Corpsantake le pourquoi de leur visite.

― Hum oui, c’est vrai. Donc, que vouliez-vous savoir précisément ?

― La cause de la mort des victimes. Ainsi que les détails que vous auriez pu remarquer sur les corps.

― J’ai, en effet, trouvé certaines choses surprenantes, mais ce genre d’information n’est pas gratuite, déclara le croque-mort en enfournant un biscuit.

― Que voulez-vous ? De l’argent ? Je ne…

― Oh non, non, pas du tout ! Je me fiche bien de ton argent jeune fille, tout ce que je veux c’est assouvir mon esprit de nouvelles informations. Vois-tu, la connaissance est ce qui compte le plus pour moi, avec ma boutique évidemment.

― Vous souhaitez savoir des choses sur moi ?

Soudain, lorsqu’elle eut fini sa question, elle sentit la main de Stefan serrer la sienne avec force. Son visage reflétait alors une certaine inquiétude, ce qu’elle ne comprit d’ailleurs pas, mais elle remarqua qu’il fixait quelque chose. Suivant son regard, la jeune femme s’aperçut que c’était Corpsantake et que celui-ci le détaillait avec… avidité ? Un peu confuse, Elana se demanda pourquoi est-ce que ce croque-mort s’intéressait brusquement à son ami alors que jusqu’à maintenant il ne lui avait montré aucun intérêt. Et aussi, pourquoi est-ce que le lycanthrope le regardait avec un stress non dissimulé ?

― Sur toi non. Mais ton ami oui. Me permettrais-tu de le disséquer ? Ça fait très longtemps que je n’ai pas eu de cadavre de loup-garou, et je te confis que ça m’a assez manqué.

Choquée, Elana afficha un visage horrifié puis laissa sa colère éclater.

― Non mais ça va pas la tête ?! Je vous interdis de le toucher, il n’est pas un cobaye sujet à vos expériences douteuses mais un ami très cher ! Alors bas les pattes espèce de croque-mort cinglé morbide et fêlé !

― Euh… Elana ? tenta Vince en espérant ne pas se faire incendier à son tour.

― QUOI ?!

― Ce n’est pas en traitant Corpsantake de « croque-mort cinglé morbide et fêlé » qu’il va accepter de partager ses renseignements avec nous. Enfin… je dis juste ça en passant…

Fulminant contre le dingue, elle considéra quelques instants la remarque de son ami puis souffla de mécontentement en croisant les bras. Vince a raison, c’est pas en lui parlant ainsi qu’il va devenir coopératif. Mais bon Dieu, ce type est complètement barge ! Vouloir disséquer Stefan ? Plutôt mourir que de le laisser faire !

― Qu’il ne touche à aucun de vous et j’arrêterai de le traiter de cette façon, grogna-t-elle en jetant un regard noir au concerné.

― Très bien, j’ai compris ! Pas besoin de monter sur tes grands chevaux jeune fille. Comme tu es la fille de James, je vais te faire une fleur et te donner gratuitement les informations que tu souhaites. Mais ce sera la seule et unique fois, d’accord ? proposa le croque-mort, tandis qu’Elana hochait la tête. Comme tu le sais, ce n’est pas la première fois que je reçois les corps des victimes du Borgne Sans Tête. À l’heure actuelle on peut en dénombrer onze. Le type de femmes ainsi que le mode opératoire n’ont pas changés depuis la première série de meurtres. Certaines ont sûrement dû résister car j’ai pu observer quelques fois des traces de coups à divers endroits : le ventre, la tête, les bras et les jambes. Mais la cause de la mort est restée la même : la gorge tranchée, suivit d’un couteau planté en plein cœur. Le meurtrier l’a fait de façon nette et précise, il n’y avait aucune marque d’hésitation. Pourtant, une chose m’a intrigué dès que j’ai examiné le premier des cadavres. Il avait laissé une sorte de signature – mis à part le message – qui était commune à toutes les victimes.

― Qu’est-ce que c’est ? demanda Vince avec intérêt et appréhension.

― Une cicatrice. Il a tranché méthodiquement la peau de ses victimes à un endroit précis derrière l’oreille gauche pour reproduire à chaque fois une sorte de cicatrice en forme de croix. C’est comme s’il n’arrivait pas à s’empêcher de faire ça, on dirait que ça lui tient vraiment à cœur.

Mais alors que Stefan et Vince étaient attentifs à ce qu’il disait, Elana ne l’écoutait même plus. Son cœur ne cessait de battre furieusement dans sa poitrine, comme s’il cherchait à s’échapper de sa prison de chair. Ses yeux étaient fixés sur Corpsantake, et pourtant elle ne le voyait plus, son regard était comme vide. La seule chose qui lui importait était ce détail que les femmes avaient en commun. Son esprit ne cessait de répéter la même chose, comme s’il essayait de déchiffrer l’information. Une cicatrice en forme de croix… derrière l’oreille gauche… Instinctivement, elle porta sa main à cet endroit précis et y déposa deux doigts. Elle effleura sa peau puis sentit cette boursouflure qu’elle connaissait si bien : une cicatrice en forme de croix. Des larmes inexplicables lui montèrent aux yeux, et des flashs lui virent à l’esprit. Ceux d’un moment qu’elle aurait préféré oublier et qui pourtant refusait de s’en aller depuis six longues années. Une voix tendre et douce qui la réprimandait gentiment de se tenir tranquille. Un paysage montagneux enduit par le soleil d’un début de printemps. Le dos d’un siège avant d’où une longue chevelure bouclée aux couleurs caramel entre passait. Une route, puis soudain une forme sombre, difforme et rapide apparut. S’ensuivi le bruit d’un carambolage, du froissement des tôles de la voiture contre les rochers, d’une sensation de passer du haut vers le bas, et enfin un violent son mat et puissant qui se termina par un silence lourd. Un seul mot vint alors à l’esprit de la jeune femme : maman. Elle venait tout simplement de revivre l’accident de voiture qui avait causé la mort de sa mère et qui lui avait aussi valu cette cicatrice. Malgré la violence du choc, elle s’en était sortie presque indemne avec seulement des bleus, une jambe cassée, quelques coupures et cette trace indélébile encrée dans sa peau.

Elle ne sut combien de temps elle était restée ainsi, plongée dans ses souvenirs, mais cela devait être bien suffisant pour que ses amis l’aient remarqué. Elle n’aperçut la présence de quelqu’un à ses côtés que lorsqu’une main serra doucement la sienne et qu’elle croisa deux yeux gris remplis d’une certaine froideur, mais aussi de curiosité et d’une pointe d’inquiétude. En la voyant ne plus bouger et en ne l’entendant plus parler, Stefan s’était d’abord dit qu’elle réfléchissait. Mais il avait vite changé d’avis quand il avait jeté un coup d’œil vers elle. Ses yeux fixés sur Corpsantake étaient d’abord vides de toute émotion, puis ils se gorgèrent d’une intense tristesse, de douleur, de chagrin et d’une profonde culpabilité. Elle lui avait même semblé sur le point de pleurer. Elana, pleurer ? C’était quelque chose de tout à fait impossible pour lui. Elle lui avait toujours renvoyé l‘image d’une grande force de caractère, d’un courage immuable face aux épreuves de la vie ainsi que d’une ténacité admirable dans ses choix. Non pas de quelqu’un de faible, fragile, et pleurnichard.

― Elana ? dit-il doucement, tandis que l’attention de Corpsantake et Vince était maintenant sur la jeune femme.

Lorsqu’il l’appela ainsi, elle revint directement à la réalité. Son regard se fixa d’abord dans celui de son ami puis il dévia sur les deux autres hommes se trouvant dans son champ de vision. Un peu déboussolée, elle ne put que répondre un « oui » lorsque le vampire lui demanda si tout allait bien. Mais bien vite, elle ajouta d’une voix plus assurée :

― Je viens de me rappeler quelque chose. Lorsque Corpsantake a parlé d’une cicatrice en forme de croix derrière l’oreille gauche.

― Oui, et bien quoi Elana ?

― Je possède également cette marque.

À l’annonce de cette nouvelle, Vince et Stefan se figèrent sur place alors que le croque-mort lâchait le biscuit qu’il tenait à l’instant. Ils ne s’attendaient vraisemblablement pas à une telle révélation.

― Qu… quoi ? bégaya le vampire pour s’assurer qu’il avait bien entendu.

― J’ai une cicatrice en forme de croix derrière mon oreille gauche. Elle date de l’accident de voiture où ma mère a trouvé la mort, répéta-t-elle pour que tous comprennent l’importance de cette information.

Les trois hommes s’entre-regardèrent avec une légère inquiétude pour Stefan, une très grande pour Vince et avec surprise et curiosité pour Corpsantake. Ce qui intrigua la jeune femme.

― Corpsantake ?

― Hum… voilà une nouvelle inattendue ! Peut-être que cela n’a rien à voir avec le Borgne Sans Tête… mais le contraire est aussi possible. Le fait que tu possèdes une véritable cicatrice avec la forme et l’endroit exact alors que ce meurtrier la reproduit sur chacune de ses victimes ne peut être un hasard. Il y a sûrement quelque chose derrière. Mais quoi, je n’en sais rien du tout.

― Il doit avoir un moyen de le savoir, non ? Je sais pas moi… Quelque chose qu’on aurait raté !

― Nous n’avons rien raté Elana-chan. Tu as déjà dit toi-même tout ce que nous savons sur lui.

― Mis à part un point, fit remarquer Stefan après un moment de réflexion.

― Lequel ? s’étonna sa voisine en le fixant avec attention.

― Les messages que ce tueur laisse. Seule la police en sait le contenu. Alors, si on arrivait à y avoir accès, on aurait certainement une nouvelle pièce du puzzle.

― Mais oui, bien sûr ! s’exclama Elana avant de lui sourire et d’ajouter : Tu es vraiment pertinent quand tu veux !

― Je le suis toujours, grogna le concerné en lui jetant un regard noir.

― Bon ! Dans ce cas vous n’avez plus besoin de moi ? Ce n’est pas que vous me dérangez mais j’ai des cadavres à disséquer et ma boutique va sentir le loup-garou pendant une semaine si ça continue !

Et rebelote, Stefan grogna de mécontentement et le fusilla du regard tandis que le croque-mort se moquait clairement de sa réaction. Soupirant, puis levant les yeux au ciel, Elana se dit qu’il ne deviendrait jamais un de ses amis, s’en était certain ! Trop cinglé et morbide à son goût.

Peu de temps après, ils s’en allèrent en laissant Corpsantake à ses… occupations. Sur le chemin du retour, ils se concertèrent afin de trouver une solution à leur problème : récupérer le contenu des messages. Plusieurs idées fusèrent au début puis une fut déclarée la meilleure. Et la jeune femme décida qu’elle serait celle qui exécutera leur plan. Celui-ci étant d’infiltrer le commissariat où étaient gardés les morceaux de papier, les recopier ou les prendre en photo et partir sans se faire remarquer. Les voler aurait été une bonne idée, mais avoir la police aux basques ne plut pas du tout à Stefan et Elana. C’est donc après avoir défini chaque étape du plan qu’ils rentrèrent chez eux.

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Assis sur son siège depuis maintenant deux bonnes heures, il s’ennuyait à mourir. Son second, qui, d’habitude, ne pouvait s’empêcher de lui parler pour combler le silence glacial de la pièce, n’était cette fois pas là pour ça. La seule chose qui titillait sa curiosité était un livre qui l’ennuya au plus au point au bout de seulement trois pages. C’est pourquoi, il le balança par-dessus son épaule, s’affaissa contre le dossier de son fauteuil en soupirant de lassitude. Il n’avait qu’une hâte : venir à bien de son plan puis enfin rentrer chez lui, loin de ce monde humain si terne et sans intérêt à ses yeux. La première étape venait d’être terminée, il avait suffisamment tué de femmes et laissé assez d’indice pour permettre à Elana de poursuivre sa piste et de venir jusqu’à lui. Bien évidemment, il aurait pu directement aller la voir quand elle serait seule et lui révéler ce qu’elle devait savoir, mais où aurait été l’amusement ? Il ne souhaitait pas non plus lui faciliter trop la tâche, il voulait qu’elle cherche par elle-même, qu’elle trouve ses réponses, et surtout qu’elle se remette en question. Tous ses fondements personnels devaient être ébranlés afin qu’elle puisse douter puis croire ce qu’il lui révélera. Cette partie sera la plus éprouvante pour lui, mais aussi la plus intéressante. Elle sera ainsi déposséder de sa force, de son courage et de sa volonté inébranlable.

C’était sa dernière chance de pouvoir enfin atteindre son but, il n’avait pas réussi la première fois mais il ne se louperait pas sur la deuxième. Il en était hors de question, trop de temps était passé depuis cet événement. Celui qui devait lui permettre de réaliser ce qu’il avait pensé, réfléchi et préparé durant de nombreuses années. Mais à son grand désespoir, tout, absolument tout, avait volé en éclat lors d’un revirement inattendu qui avait sonné le début de sa chute. Malgré ça, une partie de son objectif avait pu se réaliser, il avait pu détruire celui qu’il haïssait depuis sa tendre enfance. Il avait gagné une bataille mais pas la guerre. Et cette guerre il comptait la mener ici, maintenant, et Elana serait le point final à son plan qui était devenu au fil de ses années sa principale raison de vivre.

Repensant à chaque partie de son plan, il ne remarqua pas tout de suite qu’une personne se trouvait derrière lui. Ce n’est que lorsqu’un courant d’air arriva jusqu’à ses narines qu’il sentit cette odeur caractéristique de son second : quelque chose d’assez fort, brutale et épicée, avec un arrière-goût de sel. L’odeur caractéristique des loups-garous.

― Alors ? Qu’en est-il de ta mission ?

― Comme vous l’aviez prévu Seigneur. La jeune fille est passée voir Corpsantake avec ses amis. Ils ont pu apprendre ce que vous vouliez qu’ils sachent.

― Très bien… Tu iras remercier le croque-mort pour moi, et tu lui diras que je lui enverrai ce qu’il m’avait demandé d’ici deux jours, ordonna le borgne avec un sourire victorieux.

― À vos ordres mon Seigneur. Souhaitez-vous que je fasse autre-chose ? demanda son second en s’inclinant brièvement.

― Hum… Oui… Je pense qu’il est temps de passer à la seconde étape. Reconnais-tu ceci ?

En posant cette question, il lui montra un petit flacon qu’il tenait délicatement entre ses doigts. Il ne devait pas mesurer plus de six centimètres, d’une forme allongée, sa finesse s’amenuisait vers le bas et, au contraire, d’agrandissait vers le haut jusqu’à se terminer par un minuscule bouchon ressemblant à un pur diamant taillé au millimètre près. Le tout était fait d’un verre épais mais assez transparent pour laisser voir la couleur du contenu : un liquide très foncé, situé entre le rouge carmin et le noir.

Un peu surpris par la vue de ce flacon, Sailar resta quelques instants sans voix, avant de reprendre contenance et de demander d’une voix un peu moins sûre que d’habitude :

― Vous êtes sûr ? S’il venait à se perdre ou à se briser vous…

― Je le sais bien ! Cette fiole est la clé de la réussite de mon plan, sans elle rien ne sera possible. Son contenu ne doit, sous aucun prétexte, se perdre car il est inestimable, expliqua-t-il tandis qu’il plantait son unique œil dans les yeux de perles de son second. Je compte sur toi pour cette mission. Tu devras tout faire pour que ce liquide entre dans le corps d’Elana, de n’importe quelle façon. Mais je t’interdis de revenir ici tant que tu n’auras pas mené à bien ceci. Et si tu perds ou casses cette fiole, tu connaîtras des souffrances pires que la mort. Est-ce que j’ai été clair Sailar ?

Le concerné ne put s’empêcher de déglutir difficilement devant le regard puissant, autoritaire, sombre et en même temps effrayant de son Seigneur.

― Ou… Oui ! Je réussirai cette mission quoi qu’il m’en coûte ! jura-t-il avant de s’incliner profondément et de partir avec la précieuse relique.

De son côté, Ulrick porta son regard sur la cheminée se trouvant à sa droite et soupira fortement tout en posant son menton sur son poing.

― Bientôt… bientôt nous nous verrons Elana, et enfin tu sauras ce qu’il doit être révélé…


Texte publié par zhenli, 8 mars 2015 à 14h18
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