«

»

II-6. Anticipation et Indifférence

Sirius ne perdit pas de temps. Il était à la poursuite du traître depuis plusieurs lunes, déjà. Donovan lui avait demandé de régler ça rapidement, mais sa cible se déplaçait tel un fantôme, insaisissable et rapide comme l’éclair, dérobant les Ombres de ses victimes à une vitesse effarante.

En y réfléchissant bien, sa seule chance de retrouver ce fauteur de troubles serait de pouvoir anticiper ses actions, de comprendre comment il fonctionnait. Cependant, il agissait de façon erratique. Aucune logique ne transparaissait dans ses déplacements. Un casse-tête chinois. Sirius commençait à en avoir assez.

Pourquoi l’avait-on envoyé, lui ? Certains parmi ses semblables auraient très bien pu faire l’affaire et il n’avait aucune envie de s’y coller. Sans doute Donovan lui faisait-il plus confiance qu’à n’importe qui d’autre… La fourberie et le mensonge étaient plutôt de mise, chez eux ; rares étaient les personnes sur lesquelles on pouvait compter.

De plus, il ne comprenait pas réellement l’urgence de la situation. Au final, les pauvres âmes dont la part d’Ombres était dérobée ne finiraient certainement pas si bien que ça. De plus, le traître ne s’attaquait pas à ceux qui étaient les plus importants pour l’équilibre de Tenebrae ; ceux qui vivaient parmi les ténèbres et les répandaient dans le Monde des Mortels. Les êtres les plus Lumineux se faisaient toujours moins nombreux tandis que les Ombres progressaient à grand pas. Pas de quoi en faire tout un plat, somme toute.

Sirius finit par se résigner. Il n’avait pas vraiment le choix, après tout. De toute façon, les motivations de Donovan lui avaient toujours paru obscures. Peu importait… Il pesta car il venait déjà de perdre la piste fraîche qu’il avait à peine trouvée. Finalement, il s’éloigna, sans grande conviction, tout en cogitant indolemment pour enfin parvenir à piéger sa proie.

***

Une désillusion de plus. L’attente n’en finissait pas. Combien de faux espoirs, encore ? Courrait-elle après une chimère ? Tessa avait parfois l’impression ridicule d’attendre un prince charmant… Mais les princes charmants, ça n’existe pas. Tout le monde sait ça, se raillait-elle. Elle se prenait parfois à rêver que tout finirait bien, qu’à la fin, il l’emmènerait peut-être loin d’ici, comme dans les contes de fées. Imaginer Lumnia lui offrait une multitude de fantasmes enchantés. Quelle bêtise… Je n’aurai jamais l’occasion de visiter ce Paradis perdu ! songeait-elle avec amertume.

Malgré sa situation, elle parvenait encore à obtenir les informations qu’elle désirait. Un Lumineux aurait déjà dû atterrir chez eux, mais il n’était jamais arrivé. Les rumeurs disaient qu’il s’était enfui dans le Monde des Mortels. Grand bien lui en fasse. Ce n’était certainement pas le bon. Les êtres de Lumnia condamnés à venir errer ici se comptaient sur les doigts d’une main depuis qu’elle avait eu vent de la Prophétie. Ils avaient tous été pitoyables et pourrissaient désormais au fin fond de cette horrible forêt où elle avait élu domicile par défaut.

De violents coups frappés à la porte la sortirent de sa torpeur. Pourquoi avait-il fallu que Donovan le choisisse lui, pour la surveiller ? Elle savait pertinemment que le Protecteur des Ombres ne la lâcherait pas comme ça dans la nature ; il la tolérait dans son entourage, la tenant sous bonne garde. Sûrement parce qu’il appliquait le tristement célèbre adage qui préconisait de garder ses ennemis proches. Sans doute espérait-il toujours se servir d’elle à un moment ou un autre.

Cette surveillance l’agaçait au plus haut point. D’ailleurs, elle s’était déjà débarrassée des trois premiers chargés de cette tâche, n’ayant fait que se défendre lorsqu’ils avaient abusé de la situation, ou tout simplement de sa patience. Les représailles qu’elle avait attendues n’avait jamais eu lieu. Donovan n’avait offert qu’une profonde indifférence à ses actions, se contentant de remplacer ces pauvres idiots, les uns après les autres. Après tout, ils n’étaient tous que des pions dont il usait à sa guise, ici. Mais lui, elle ne pouvait pas s’en défaire ainsi…

— Tessa, gronda-t-il avec agacement, pourquoi est-ce que tu n’es toujours pas sortie de ton taudis ?

— La ferme. Tu peux dire c’que tu veux, c’est sans moi cette fois.

— Tu n’as pas le choix, et tu le sais !

— Je fais ce que je veux, répliqua-t-elle fermement. Je peux plus le voir en peinture, alors qu’il se pavane devant sa cour, je m’en fiche. De toute façon, qui remarquera mon absence ?

— Donovan la remarquera. Et la mienne par la même occasion, ajouta-t-il avec agacement. Ne m’oblige pas à défoncer cette porte.

— Essaie pour voir.

Un sourire étira ses lèvres alors que le silence lui donnait satisfaction. Pourtant, ce répit ne dura pas aussi longtemps qu’elle l’aurait escompté.

— Ok, je te couvre pour cette fois, mais t’as intérêt à ne pas avoir bougé de là. Et c’est la première et dernière fois.

Tessa se renfrogna et ne prit pas la peine de répondre, perturbée par cette soudaine sollicitude. Qu’est-ce qui lui prenait tout à coup ? Est-ce qu’il faisait ça en souvenir du bon vieux temps ? Elle ne put réprimer un rire sarcastique à cette idée. Parfois, elle déraillait vraiment complètement. Peut-être qu’elle finirait par perdre définitivement la raison, un de ces jours…