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Vega n’était franchement pas douée pour les dates. Et elle avait royalement zappé la Saint-Valentin. Ce n’était pas tellement que ça avait une quelconque importance pour elle. Les angelots joufflus, les petits cœurs, le chocolat et tout ce rose dégoulinant avaient plutôt tendance à lui porter sur les nerfs. De toute façon, c’était l’une de ces fêtes stupides que les Terriens avaient réussi à exporter dans tout l’espace interstellaire par un miracle qu’elle ne s’expliquait pas. Chez les Alphagénésiens, le romantisme ne s’encombrait pas de toutes ces niaiseries.

Seulement… Seulement, il y avait Zeck.

Ils s’étaient rencontrés presque un an plus tôt dans l’un des ateliers de réparation du spatio-port de Gora. Il était venu faire réparer une avarie sur son vaisseau, un superbe Carena 738, le dernier cri en matière de technologie terrienne. Une pure merveille comme rarement Vega avait eu à s’occuper. Pour être honnête, elle était tombée amoureuse du vaisseau avant de tomber amoureuse de son propriétaire.

Mais bon, après un long moment passé à s’extasier sur les moteurs, elle avait bien fini par remarquer que celui qui les pilotait était tout aussi agréable à regarder, quoique dans un tout autre genre. Les combinaisons de pilote avaient cet avantage – ou cet inconvénient, c’était selon – qu’elles laissaient assez peu de place à l’imagination. Et ce cher Zeck avait la chance d’être sacrément bien foutu sous le néoprène de son uniforme. Avec ses cheveux châtain foncé coupés n’importe comment – d’ailleurs, elle le soupçonnait fortement de se contenter de couper les mèches qui le gênaient sans réel souci d’esthétique – et ses yeux bleu lagon un tantinet moqueur, il lui faisait penser au flamboyant Héros noir dans la série du même nom, qu’elle avait honte de regarder dans ses moments de désœuvrement tellement c’était mal joué.

Zeck, c’était un Terrien pure souche et bizarrement, elle était certaine que la Saint-Valentin et toutes ces âneries de lapins, de rois mages, de zombies et autres, c’était le genre de trucs qui le branchait.

Aussi, quand elle vit, en sortant de l’atelier, les vitrines soudainement passées à dominante rose et le grand panneau publicitaire du port qui affichait : « Pour la Saint-Valentin, offrez-lui une croisière avec Air-Martien ! », elle songea que ça ne lui coûterait rien d’appeler Zeck. Pas de rendez-vous pour eux : en tant que coursier indépendant, son beau Terrien et son vaisseau se trouvaient toujours fourrés quelque part entre deux galaxies, même s’il faisait toujours un crochet par Gora quand il le pouvait.

Vega n’habitait pas très loin des ateliers, dans un appartement minuscule mais elle s’en moquait bien. C’était le foutoir chez elle, mais c’était chez elle et elle n’en aurait changé pour rien au monde. C’était juste un poil plus compliqué quand Moragh, son meilleur ami, s’invitait ou quand Zeck débarquait à l’improviste mais ils arrivaient toujours à s’arranger.

Bien décidée à prouver à son lointain petit-ami qu’elle était tout à fait capable de penser aux bizarreries culturelles de sa planète, elle prit le chemin pour rentrer chez elle.

Vega aimait l’atmosphère du spatio-port. Tout vibrait et pulsait autour d’elle comme un cœur géant. Parfois, elle avait l’impression que l’univers entier était concentré à Gora, avec toute sa vitalité et ses différences. Du coup, elle avait dû apprendre à se débrouiller dans une quinzaine de langues parce qu’on ne savait jamais sur qui on pouvait tomber à l’atelier mais c’était tellement fascinant de voir tous ces gens d’origines si différentes.

Elle bifurqua dans sa rue, manqua se faire renverser par un aéroglisseur, injuria copieusement le conducteur, qui disparut sans lui adresser un regard et finit par atteindre, saine et sauve, l’entrée de son immeuble. Elle enfonça sa main dans le gel vert fluo du lecteur d’empreintes digitales. La porte s’ouvrit et elle monta en quatrième vitesse les sept étages qui la séparaient encore de son antre.

Depuis son perchoir, Vega avait une vue plongeante sur tout le spatio-port. Chaque matin en se levant, elle observait le ballet gracieux des navettes et des modules de remorquage qui allaient et venaient entre les ateliers de réparation, les espace d’amarrage et les zones de décollage. Elle avait toujours été fascinée par ce milieu. Il n’y avait pas vraiment besoin d’aller chercher plus loin pour comprendre pourquoi elle avait choisi ce métier. Un temps, elle avait voulu être pilote mais elle avait été recalée d’office à cause de sa taille. C’était parfaitement scandaleux mais il avait bien fallu qu’elle se fasse une raison.

Elle jeta son sac sur le canapé où s’entassaient déjà des bouquins techniques, des catalogues de pièces de rechange, un pantalon qu’elle aurait dû mettre à laver deux semaines plus tôt et un pull qu’elle avait chipé à Zeck. Elle enjamba un colis de sa mère qu’elle n’avait pas encore ouvert depuis deux jours qu’il traînait dans le passage pour rejoindre sa minuscule salle de bain, qui tenait davantage du placard à balai que d’une salle d’eau digne de ce nom. Un coup d’œil dans le miroir pour s’assurer qu’elle n’avait pas de cambouis sur ses joues pâles ou de limaille de fer dans ses cheveux bleu nuit et elle s’en alla mettre en marche le transmetteur d’appels holographiques.

« Quel correspondant souhaitez-vous joindre ? demanda la voix désincarnée de la machine.

- Zeck Larchey, numéro 345-C738-T8.

- Patientez s’il vous plaît. »

Le temps que la connexion s’établisse, Vega débarrassa son canapé et s’y laissa choir avec la grâce d’une baleine silurienne. Bételgeuse se couchait et ses rayons d’un rouge de plus en plus sombre entraient à flot par sa seule et unique fenêtre. Vega ferma les yeux. Elle attendit ainsi un long moment. La connexion pouvait parfois être longue à se mettre en place, tout dépendait de l’endroit où Zeck était allé se perdre.

Soudain, il y eut un déclic. Vega ouvrit les yeux. La tête de Zeck se matérialisa sur son bureau, devant elle.

« Bonsoir, toi, » lui lança Zeck.

Derrière lui, elle pouvait entendre les ronronnements caressants des moteurs du Carena 738.

« Salut, sourit-elle. Ça va ?

- Ma foi… A part que j’ai un colis urgent à déposer sur Sangris…

- C’est à l’autre bout de l’univers, ça.

- Ouais. »

Zeck l’observa avec un sourire en coin. Elle pouvait sans peine imaginer son regard pétillant d’espièglerie malgré la mauvaise qualité de l’hologramme. Il avait recoupé ses cheveux à la va-vite, mais il avait dû se rater parce qu’elle voyait un morceau de son oreille droite. Elle était atrophiée, ce qui ne l’empêchait pas d’entendre parfaitement mais ce n’était pas franchement très gracieux. Alors il gardait toujours ses cheveux plus longs d’un côté que de l’autre pour la cacher. Mais Vega l’aimait bien son oreille, ça ajoutait à son charme. Et puis, ça rappelait à son propriétaire qu’il n’était pas parfait, ce qui n’était sans doute pas plus mal.

« Alors, à quoi dois-je cet appel pour le moins inattendu ? demanda Zeck.

- Eh bien… Il paraît que c’est la Saint-Valentin. Alors je me suis dit que je pouvais aussi bien t’appeler à ce moment-là. »

Une brève seconde, elle crut voir ses sourcils se froncer. Ou peut-être n’était-ce qu’une impression due à la mauvaise qualité de l’hologramme. Son regard vrilla sur la droite, comme s’il cherchait à vérifier quelque chose. Puis il éclata de rire.

« Quoi ? Pourquoi tu te marres ? » grogna Vega, un peu vexée sur les bords.

Avant d’avoir une réponse, il fallut qu’elle attende que le fou rire du jeune homme se calme.

« Oh, Vega, tu sais que je t’aime, toi ? » haleta-t-il.

Elle haussa un sourcil. Il essayait de se rattraper ou elle avait raté un épisode ? Non, parce que deux secondes plus tôt, il était bien en train de se moquer d’elle, elle n’avait pas rêvé.

« Tu as vraiment la tête dans les étoiles, reprit-il plus calmement. On est le 13 février, aujourd’hui. C’est demain la Saint-Valentin. »

Pendant une grosse poignée de secondes, Vega resta silencieuse avant de se frapper le front du plat de la main.

« Quelle imbécile… » maugréa-t-elle.

Sa réaction amusa encore plus Zeck qui souriait de toutes ses dents.

« Mais tu sais, je suis content que tu y aies pensé. C’est déjà ça, non ? »

Vega marmonna une réponse inintelligible, tout en ramenant ses cheveux bleus sur son épaule. Elle aurait dû se douter qu’un truc de ce genre lui arriverait. Visiblement, le ridicule allait de pair avec son syndrome d’étourderie chronique.

« Sinon, retiens bien : mon anniversaire, c’est le 5 mai, » ajouta Zeck pour plaisanter.

Vega lui tira la langue, sans pour autant empêcher un sourire de naître sur ses lèvres.

« Tu n’auras qu’à me laisser un message pour me le rappeler, » répliqua-t-elle.

Zeck leva les yeux au ciel, amusé.

« Je me demande comment tu fais pour être aussi efficace alors que tu es aussi distraite, reprit-il pensivement.

- C’est une question d’organisation, trancha Vega. Tu as réussi à réparer ton propulseur gamma ?

- Ouaip, heureusement que tu m’as dit comment faire, d’ailleurs. Ça ne tiendra pas éternellement mais ça m’a pas mal dépanné.

- Laisse la mécanique aux professionnels. Tu n’aurais qu’à faire un détour par Gora pour que je t’arrange ça. »

Il acquiesça. Son regard se fit pensif une brève seconde et il lui adressa un regard narquois. A dire vrai, elle ne voyait pas clairement que son regard était narquois, mais il avait une façon bien particulière de plisser les yeux quand c’était le cas.

« Tu sais, parfois j’ai l’impression que tu t’inquiètes davantage pour le vaisseau que pour moi, » remarqua-t-il.

Vega haussa les épaules. Elle replia ses jambes sous ses fesses pour s’enfoncer plus confortablement dans son canapé.

« C’est un tout. S’il explose, tu exploseras avec. Je prends juste le problème à la source. »

Zeck lui adressa un regard faussement suspicieux. Il savait très bien que son vaisseau avait de quoi faire rêver, le fourbe. Et puis… on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre.

« Je vais devoir te laisser, fit-il. J’ai un champ d’astéroïdes dans le radar droit devant.

- Si je vois un seul impact sur le pare-brise, je t’étripe, » menaça-t-elle.

Un pare-brise de rechange pour un Carena 738, ça ne courrait pas les rues et il le savait bien. Et c’était une horreur à poser. Il lui avait fait le coup trois fois depuis qu’ils se connaissaient. Mais étrangement, ça avait toujours l’air de l’amuser de la voir s’arracher les cheveux autour de son vaisseau.

« Je suis mort de peur. Bon, fais attention à toi.

- Toi-même. Et bonne Saint-Valentin quand même. »

Une lueur d’indignation amusée passa sur son visage.

« Quoi ? Tu ne comptes pas me rappeler demain ?

- Tu sais combien ça coûte les appels trans-stellaires ? rétorqua-t-elle d’un air dédaigneux. J’ai un appartement et des factures à payer, moi. Je n’ai pas des crédits illimités. »

Il soupira.

« Et moi qui aime tant entendre le son de ta voix. »

Elle haussa un sourcil moqueur et sourit.

« Attends une seconde que je me mette à chanter, on verra bien si tu dis la même chose. Allez, fais attention. Ne te prends pas un astéroïde et reviens vite. »

Il eut un sourire extrêmement fier de lui, comme si elle venait de dire exactement ce qu’il voulait entendre.

« Je te manque ?

- Au revoir. »

Il éclata de rire et la communication coupa. Vega se laissa aller contre le dossier de son canapé. Ses conversations holographiques avec Zeck la laissaient toujours rêveuse. Elle n’était pas vraiment du genre amoureuse transie. Mais d’un point de vue purement pragmatique, maintenant qu’elle avait testé le sommeil sur coussin humain, le torse particulièrement bien développé de Zeck en l’occurrence, elle n’était pas contre recommencer plus souvent.

C’est son estomac qui la rappela à l’ordre en protestant bruyamment. Elle soupira. « Retour à la réalité ma grande, » songea-t-elle.

🍃

Vega se réveilla en sursaut. Elle tendit l’oreille, vaseuse. Nom d’une soudeuse laser, qui pouvait bien hurler aussi fort dans l’interphone à… Elle tâtonna le sol et finit par mettre la main sur son réveil. A quatre heures du matin ? Une brusque envie de meurtre se mêla au désir de retourner s’enfouir sous sa couette et d’ignorer le malotru. Mais elle finit par se lever. Elle bailla ostensiblement et tituba en direction de l’engin infernal.

« Qui…

- Ah bah, c’est pas trop tôt ! Allez ouvre ! »

Elle avait activé la commande d’ouverture avant même d’avoir compris que c’était la voix de Zeck qui lui hurlait dessus. Elle secoua la tête. Minute… Zeck ? Mais il n’était pas censé être en route pour Sangris ? Qu’est-ce que c’était que cette embrouille ? Elle tira sur le T-shirt trop grand qui lui servait de pyjama, confuse. Elle voulut aller ouvrir les rideaux mais buta contre quelque chose de lourd et s’étala de tout son long. Elle grommela une bordée de jurons très colorés – on en entendait de belles sur les docks et ça avait peut-être légèrement déteint sur son vocabulaire. Elle se releva difficilement et parvint à atteindre la fenêtre.

Comme de bien entendu, il faisait nuit et la seule lumière venait des enseignes lumineuses. Dire qu’elle aurait pu dormir trois heures de plus. Elle allait étriper Zeck et fricasser ses entrailles pour le petit-déjeuner.

Trois minutes plus tard, le martèlement lourd des pas de Zeck résonna dans l’escalier. Quel idiot, il allait réveiller tout l’immeuble et ça allait encore lui retomber dessus. Vega ne lui laissa pas le temps de tambouriner à sa porte. Elle ouvrit le battant, l’œil furibond et bien réveillé cette fois. C’était bien Zeck dans toute sa splendeur. Les bras croisés dans le dos, il laissa échapper un sifflement d’admiration tandis que son regard bleu détaillait Vega des pieds à la tête et surtout la partie que son T-shirt ne couvrait pas.

« Eh bien, quelle vision enchanteresse. »

Vega croisa les bras.

« Il est quatre heures, Zeck. J’espère que tu as une explication valable. Et d’ailleurs, pourquoi tu n’es pas à Sangris ? »

Il eut la décence de paraître gêné. Dans le fond, elle savait qu’il ne regrettait absolument pas. Et c’était peut-être ce qui l’énervait le plus.

« Je t’ai peut-être un tout petit peu menti, admit-il. Mais je voulais te faire une surprise. C’était pour la bonne cause, non ? »

Elle leva les yeux au plafond. S’il comptait s’en tirer à si bon compte… Il sourit et tira de derrière son dos un gros bouquet de roses.

« Joyeuse Saint-Valentin ! »

Elle regarda fixement le bouquet. Il l’avait réveillée à quatre heures du matin pour lui offrir des fleurs. Il lui avait menti pour lui faire une surprise. Elle ne savait pas si elle devait lui sauter au cou ou pleurer de consternation. Et après deux bonnes minutes, elle n’était toujours pas décidée. Un éclat perplexe passa dans le regard de Zeck.

« Euh… ça ne te plaît pas ?

- On ne m’a jamais offert de fleurs avant.

- Ah. Et c’est si choquant que ça ?

- Oui. »

Dans la seconde qui suivit, elle décida qu’elle lui hurlerait dessus plus tard. Elle lui prit brusquement le bouquet des mains, passa un bras autour de son cou pour attirer son visage vers le sien et l’embrassa à pleine bouche. Pour une fois, Zeck ne chercha pas à avoir le dernier mot.

Quand ils se séparèrent à bout de souffle, Vega marmonna :

« J’étais pourtant certaine de détester ce genre de niaiseries terriennes.

- Mais ? sourit Zeck.

- Je crois que tu vas réussir à me faire changer d’avis. »

Et juste pour étouffer le sourire suffisant qu’elle commençait à voir naître sur ses lèvres, elle l’embrassa de nouveau.


Texte publié par Pixie, 2 février 2015 à 17h10
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