Eliza n’avait jamais vu le ciel. Du moins, le vrai ciel, ce bleu infini et impalpable traversés de nuées, qui s’embrasait chaque soir et chaque matin, et s’assombrissait durant la nuit. Celui que le croissant de la lune traversait comme un vaisseau d’argent. Celui où des nuées d’étoiles scintillaient chaque soir.
Elle était née dans l’Horologue, le dernier refuge contre les guerres qui déchiraient le continent. Un petit monde paisible, mais artificiel, enfoui sous une chaîne de montagne qu’aucun obus ne pouvait ébranler. Un millier de personnes, des notables de l’ancien monde, s’y étaient réfugiés, pour jouir d’un confort artificiel et d’une illusion de paix. Mais tout cela, Eliza ne le savait pas. Elle ne connaissait le monde extérieur que comme un mythe dans des livres d’images.
Son père faisait partie des ingénieurs qui entretenaient cette minuscule utopie éclairée par un soleil artificiel et une lune toujours ronde, où les oiseaux possédaient de plumes de métal et chantaient avec la voix d’une boite à musique. Pour la petite fille, il n’y avait rien de plus normal.
Sa mère faisait le tour des salons que les dames de l’Horologue aimaient à tenir, devisant sur la dernière mode, les lectures en vue et les potins du microcosme. Eliza se réfugiait dans ses livres. L’un d’eux la fascinait particulièrement : il parlait d’une étoile très spéciale, qui voyageait dans le ciel la nuit de Noël.
Noël était une fête magnifique dans l’Horologue. Un énorme sapin surgissait au cœur de la grand-place, revêtu de décorations chatoyantes et de lumières étincelantes. Eliza avait beau observer le ciel, elle ne parvenait pas à voir cette étoile si spéciale. Elle pouvait distinguer les constellations qui tournaient lentement, mais aucune étoile ne voyageait seule à travers la voûte émaillée.
La veille de Noël, ses parents lui demandèrent quel cadeau elle souhaitait.
— Je veux une étoile, répondit-elle.
— Une jolie étoile dorée ? Ou pailletée d’argent ?
— Une vraie étoile, une étoile du ciel. L’étoile de Noël.
— Celle qui est en haut du sapin ? demanda son père en riant. Voyons, on ne peut pas la prendre comme ça. Elle est bien plus grande que tu le crois, que voudrais-tu en faire ?
La petite fille secoua violemment la tête.
— Non, je veux la vraie ! Regardez !
Elle alla chercher son livre pour la leur montrer.
— Père, je sais que parfois, vous envoyez les automates chercher les étoiles, quand elles ne brillent plus. Je suis sûre qu’ils peuvent la trouver. Je ne veux pas la garder pour moi ! Juste la tenir entre mes mains, pendant un instant.
Ses parents échangèrent un regard embarrassé. Sa mère lissa sa longue jupe. Son père rectifia le col de sa redingote :
— Je vais voir ce que je peux faire, dit-il d’un ton gêné. Je ne peux rien te promettre…
Le soir de Noël dans l’Horologue arriva enfin. Le grand sapin étincelait de mille feux, et tous les habitants avaient revêtu leurs plus beaux habits. Partout, ce n’était que soie, velours et dentelles. Des tables avaient été disposées tout autour de la place et étaient chargées des mets les plus délicieux, des pâtés dorés, des fruits vermeils, des sucreries aussi délicates que des joyaux. Des enfants couraient en riant entre les automates en livrée dorée, masques d’émail et gants de soie blanche qui faisaient passer les plats. Eliza n’avait pas vraiment faim : son regard restait braqué vers le ciel, à la recherche de l’étoile de Noël. Hélas, elle ne voyait rien d’autre que les constellations habituelles, entraînées dans leur lente ronde autour de la coupole du ciel.
Quand enfin, arriva l’heure de se coucher, ce fut avec déception qu’elle reprit la direction de sa maison, un joli pavillon blanc au toit de tuiles vernissées. Sa mère eut à peine le temps de lui passer sa chemise de nuit avant qu’elle ne tombe endormie.
Un bruit étrange la tira du sommeil, comme le tintement d’une clochette. Elle ouvrit un œil et aperçut un automate comme ceux qui avaient effectué le service, une lanterne à la main. Ses yeux de verre brillaient derrière son masque blanc aux lèvres rouges, orné de fines arabesque. Il s’inclina avec raideur, puis lui désigna la porte.
— Tu veux que je te suive ? Murmura-t-elle.
L’automate opina. La petite fille resta un moment silencieuse. Est-ce qu’elle était en train de rêver ? À moins que…
— Tu vas m’emmener voir l’étoile ?
Il acquiesça de nouveau.
Un grand sourire illumina le visage de la fillette. Elle se leva d’un bond, attrapa un châle en crochet qu’elle jeta sur ses épaules et suivit l’automate, persuadée que son père l’avait envoyé pour lui faire la surprise. Ils traversèrent la maison silencieuse, puis les ruées désertées. La pénombre régnait dans l’Horologue. Seule la lune toujours ronde et les constellations illuminaient le ciel. Il la mena jusqu’aux confins de la ville, où se trouvait l’une des nacelles qui servaient à monter dans la coupole du ciel pour entretenir les astres. Tremblante de crainte et d’excitation, Eliza monta dans le grand panier d’osier à la suite de l’automate. Comme s’il sentait sa crainte, il posa brièvement sa main gantée sur son épaule. Ils montèrent, montrèrent encore… Eliza pouvait distinguer les armatures de métal des étoiles de verre ciselé. Un souffle d’air parcourait la voûte. Elles se balançaient doucement, en tintant comme des clochettes.
La nacelle monta encore, traversa la voûte du ciel. Au-dessus, se trouvait un espace sombre traversé de poutrelles. Eliza frissonna : c’était là que se cachait son étoile ? Ils s’arrêtèrent au niveau d’une vaste plateforme de bois ; l’automate l’aida à descendre. Tout près d’eux, reposait une étoile, plus grande que les autres, tout juste visible dans l’obscurité. Eliza s’avança et toucha du bout des doigts sa surface froide.
— C’est mon étoile ? souffla-t-elle. Elle ne brille plus ? C’est pour cela qu’on ne la voit pas, même à Noël ?
L’automate posa de nouveau la main sur son épaule et pointa un doigt ganté vers le haut.
La petite fille leva les yeux et aperçut une trouée dans la masse sombre au-dessus d’eux. Une fraîcheur étrange en émanait. L’air portait une odeur différente de tout ce qu’elle avait pu sentir jusqu’à présent, d’une pureté enivrante. Puis elle commença à les voir : des myriades de points scintillants, qui semblaient à la fois si éloignés, et si proches… L’un deux, plus grand que les autres, brillait d’un éclat de diamant. Elle avait l’impression de l’entendre tinter, comme ses sœurs de métal et de verre.
— Ce sont les vraies étoiles. Ne sont-elles pas plus belles que celles de l’Horologue ?
Eliza sursauta en attendant cette voix humaine. Elle se tourna vers l’automate : il avait ôté son masque, pour révéler un le visage d’un jeune homme aux cheveux ébouriffés et aux traits plutôt ordinaire, mais illuminé par un regard éclatant.
— Les vraies étoiles ?
— Bien sûr. Je travaillais comme mécanicien quand j’ai découvert cette issue. Au-delà, se trouve un univers plus vaste que tu l’imagines, dangereux, mais aussi merveilleux.
Il lui adressa un gentil sourire :
— Ton père a parlé devant moi de ton vœu, qu’il jugeait impossible à réaliser. Mais tu avais tellement l’air d’y tenir que j’ai voulu te l’offrir. Tu ne pourras jamais toucher les étoiles, et encore moins les posséder. Elles sont énormes, et brûlantes, et lointaines… et aussi pleines de mystère. N’est-ce pas mieux que des étoiles de verre et de métal ?
La petite fille ne comprenait pas tout. Elle opina gravement, les yeux braqués vers cette vision incompréhensible et sublime.
— Viens, à présent. Il faut rentrer avant que tes parents ne s’aperçoivent de ton absence.
Le jeune homme l’aida à remonter dans la nacelle. Tandis qu’elle redescendait lentement, elle sentit ses paupières devenir lourde. Quand elle rouvrit les yeux, elle se trouvait dans son lit. Avait-elle rêvé ?
Quand elle passa la main sous son oreiller, elle trouva une clochette. Quand elle la fit tinter, elle émit le même son doux que la chanson des étoiles. Elle la fit doucement tinter : c’était une promesse. Celle de découvrir un jour les mystères qui s’étendaient au-delà de son tout petit monde.
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