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Chapitre 2

Onze ans plus tôt

La classe était bruyante.

Ils revenaient de la coupure du midi et le cours n’avait pas encore commencé. Le vacarme ne dérangeait pas Forest plus que ça. La tête entre les mains, il réfléchissait à la façon dont il annoncerait à son père qu’il aimait les garçons.

Il ne comprenait pas pourquoi il était autant nerveux. Après tout, son père n’avait jamais montré le moindre dégoût envers les homosexuels, qu’ils soient hommes ou femmes. Forest avait cependant conscience que ce n’était pas le genre de personnalité qu’ils pouvaient côtoyer dans les environs.

Perdu dans ses pensées, il ne prêta pas attention à l’arrivée du professeur et se fit méchamment rappeler à l’ordre. Il se leva précipitamment pour saluer l’enseignant avec le reste des autres élèves.

« Avant qu’on ne débute le cours, je vais vous annoncer le nouveau plan de classe, » déclara le professeur lorsqu’ils furent assis.

Des protestations s’élevèrent, mais un simple regard de l’enseignant les mit en sourdine. Puis il commença à énumérer le nom de certains tout en leur indiquant leur nouveau bureau.

Forest écoutait que d’une oreille, son esprit toujours focalisé sur son problème. Il ne réalisa la présence d’une personne à ses côtés qu’en sentant une jambe toucher la sienne. Machinalement, il se tourna vers elle et remarqua que le garçon assis au bureau voisin n’était autre que Sunti.

Ils se connaissaient depuis l’école maternelle pourtant, ils n’étaient pas spécialement très proches l’un de l’autre.

Le seul moment qu’ils avaient partagé s’était déroulé pendant la course d’orientation du collège. Les professeurs les avaient répartis par groupe de deux. Forest gardait un très bon souvenir de cette journée passée avec Sunti. Ils s’étaient vraiment bien amusés. Seulement voilà, une fois la course finie, ils étaient chacun retournés vers leurs amis respectifs.

Dommage, pensa Forest en adressant un sourire à son voisin.

« Ça faisait longtemps. » Déclara Sunti en lui rendant son sourire.

Finalement, les changements de place pouvaient avoir du bon.

~¤~

« Qu’est-ce que tu vas mettre comme choix d’orientation ? » Demanda Forest.

Ils étaient tous les deux allongés sur son lit, leurs cahiers de cours ouvert un peu partout devant eux. Ils ne travaillaient pas beaucoup, mais si son père arrivait alors, le décor « Révision pour les examens » était planté.

La fin de l’année se rapprochait à grands pas et en plus du A-NET à réviser, ils devaient également choisir leur orientation pour les études supérieures. Forest ne se faisait pas de soucis pour lui, il savait où il voulait aller et avec ses notes, il n’aurait aucun mal à intégrer l’école de son choix.

Pour Sunti par contre, c’était une autre histoire. Son ami n’avait pas spécialement de mauvais résultats, mais ils effleuraient beaucoup trop la moyenne pour qu’il puisse voir toutes les portes s’ouvrir. Peut-être qu’il s’en moquait, qu’il n’avait pas pour but de poursuivre ses études... mais si son souhait était de s’engager dans une filière spécifique, alors Forest ferait tout pour le soutenir.

« Je veux devenir pâtissier.

— Vraiment ?

— C’est quoi cet étonnement ? répliqua Sunti en se redressant sur ses coudes.

— Rien... c’est juste que je ne t’ai jamais entendu parler de cuisine ou de gâteau. »

Face à cette réponse, le silence s’installa entre eux.

« Tu sais que je suis orphelin. » Finit par dire Sunti.

Forest hocha la tête. Tout dans le ton de son ami indiquait une conversation sérieuse.

« Lorsqu’on était en primaire, on a fait une sortie à Chiang Mai, tu t’en souviens ?

— Oui. Je ne m’en souviens pas très bien, mais du peu que je me rappelle, c’était vraiment un chouette voyage. Il faudra que j’y retourne un jour.

— C’est vrai que j’en garde un bon souvenir également. Mais ce qui m’a le plus marqué c’est lorsque je me suis perdu dans la ville. »

Forest se tourna vers Sunti avec surprise. Il n’avait pas gardé en mémoire qu’un de ses camarades avait disparu durant le voyage. Enfin, il avait sept ans à l’époque, ce n’était pas le genre d’information qu’on faisait remonter aux oreilles des enfants.

« Tu as dû avoir peur tout seul dans une si grande ville.

— Bizarrement, non, ricana Sunti. J’étais perdu et pourtant je n’en avais pas le sentiment... c’est compliqué à expliquer, mais je savais que de toute façon personne ne s’inquiéterait pour moi. Ou en tout cas, personne mise à part les professeurs. Alors j’ai marché sans but. Certains adultes me regardaient avec étonnement, se demandant sûrement pourquoi un enfant se baladait seul le soir, sans adulte pour l’accompagner. »

Sunti s’allongea sur le dos, les mains derrière la tête, alors que les souvenirs de cette soirée affluaient avec facilité. Le temps passé à déambuler dans les rues lui avait semblé éphémère. Il n’avait pas vraiment de notion sur ce détail et en soi ce n’était pas ça l’important.

« Alors que je marchais, je me souviens avoir été attiré par une vitrine. Elle était illuminée et on pouvait voir au travers plusieurs pâtisseries différentes. À l’époque, je ne savais pas les différencier, mais cela ne m’a pas empêché de comprendre que c’était bon et que moi j’avais faim. »

Forest l’écoutait avec fascination. Il ne voyait que son profil, son menton légèrement rond, sa joue rebondit, son œil en amande avec un sourcil épais pour le surligner. Parfois, il se demandait pourquoi il n’avait pas fait attention à lui plus tôt. Pourquoi avait-il attendu que le professeur les mette l’un à côté de l’autre pour qu’il s’intéresse à Sunti ?

Il savait qu’il ne trouverait jamais la réponse, que ça ne serait que des suppositions. Par contre, Forest était sûr d’une chose, c’est qu’il était amoureux de son ami. Et qu’ils se soient rapprochés hier ou demain n’aurait rien changé.

Seulement voilà, il n’était pas assez courageux pour le lui dire. Il avait peur d’être rejeté, mais surtout, il craignait de perdre son ami. Alors pour le moment, il gardait pour lui ce qu’il ressentait, même si parfois, il avait l’impression que son amour était partagé.

Égaré dans ses réflexions, Forest fixait Sunti depuis un certain temps et lorsqu’il reprit conscience de son environnement, il remarqua que le garçon l’observait également. Le rouge lui monta aux joues de s’être fait prendre dans sa contemplation.

« Qu’est-ce que tu as fait après ? demanda-t-il pour le relancer dans son histoire et éviter un sujet épineux.

— Moi ? Rien. Répondit Sunti, en comprenant que Forest voulait oublier cet instant. Je suis resté devant la vitrine avec mon ventre qui criait famine. J’ai regardé chaque détail de chaque gâteau essayant d’imaginer le goût qu’ils avaient. Et puis, les lumières se sont éteintes et j’ai compris que le magasin fermé. Pourtant, je suis resté figé là. De toute façon, ce n’est pas comme si je savais où aller. »

Forest fronça les sourcils. Il avait du mal à saisir pourquoi ce souvenir avait donné envie à Sunti de devenir pâtissier.

« Attends, tu vas comprendre, lui dit ce dernier avec un clin d’œil. Le magasin avait fermé et moi j’étais comme un idiot devant, à attendre je ne sais qui, je ne sais quoi. Puis un homme s’est approché de moi et m’a demandé pourquoi j’étais tout seul devant sa boutique. Je lui ai donc expliqué que je m’étais perdu. Il m’a alors tendu une petite boite dans laquelle il avait mis quelques un de ses invendus de la journée. Il m’a dit qu’il m’avait vu depuis le début et qu’il s’inquiétait qu’un petit garçon soit seul dans les rues à une telle heure. Pendant que je me goinfrais de gâteaux, il a appelé la police pour qu’ils viennent me chercher.

— J’imagine que ça a dû te toucher qu’un adulte s’intéresse à toi.

— Ce n’est pas tant le fait qu’il s’inquiète pour moi qui m’a marqué. Mais plutôt qu’il m’ait offert quelque chose. Quand tu es orphelin, tu ne reçois jamais rien. De personne. Qu’un homme qui ne me connaissait même pas pense à me donner des gâteaux qu’il avait confectionnés... c’est ça qui m’a le plus marqué. C’était certes des invendus, mais il n’y a pas beaucoup d’adultes qui auraient eu la même présence d’esprit. »

Il y avait une certaine tristesse dans sa voix qui chamboula Forest. Juste en l’écoutant, il pouvait entrevoir à quel point son ami s’était senti seul durant son enfance. Dans un élan de tendresse incontrôlé, il se pencha vers Sunti et l’embrassa. Il n’y avait rien d’extraordinaire dans son baiser, pourtant, il regretta amèrement son geste lorsqu’il vit ses yeux s’écarquiller sous le choque.

Au moins, maintenant il savait ce que son ami ressentait pour lui, songea-t-il avec tristesse.

Forest ouvrit la bouche près à s’excuser, mais Sunti bougea et cette fois ce fut son tour d’être surpris. Il venait à peine de réaliser que son ami l’embrassait également que ce dernier s’était déjà reculé.

Ils s’observèrent un moment, chacun jaugeant la réaction de l’autre, essayant de déceler le moindre signe négatif. Seulement, il n’y avait rien de plus que de l’étonnement et de l’adrénaline. Le silence dans la chambre était étouffant pour eux deux, mais aucun n’arrivait à trouver les bons mots pour relancer une conversation sans que tout cela soit étrange.

Si jusqu’ici, Forest avait gardé pour lui ses sentiments, ne sachant pas comment les exprimer ni de quelles manières ils seraient reçus, il décida de prendre son courage à deux mains. Avec les récents événements, il pouvait bien se jeter à l’eau, non ?

Il s’approcha une fois de plus de Sunti, mais avec une certaine lenteur afin de lui laisser le temps de réagir. Forest ne le lâcha pas du regard, cherchant le moindre geste de rejet, mais il n’y eut aucun signe pour l’arrêter. À force de se pencher vers lui, leurs lèvres finirent par se rencontrer. Le baiser était un peu plus prononcé que les précédents et Forest en profita pour mieux apprécier le moment.

Il finit par se reculer, conscient qu’il ne pouvait pas rester comme ça trop longtemps. Sauf que quand il s’éloigna, Sunti passa sa main derrière sa nuque pour le retenir et vint de lui-même l’embrasser.

Cette fois, ce fut beaucoup plus intense et Forest perdit pied. Il s’allongea sur son ami, voulant être le plus proche possible, cherchant un maximum de contact. Lorsque Sunti écarta légèrement les lèvres, Forest suivit le mouvement. Pris dans leur euphorie, ils laissèrent leurs mains vagabonder sur le corps de l’autre. Ils auraient pu aller beaucoup plus loin si la voix de son père ne s’était pas élevée du bas de l’escalier.

Surpris, ils s’écartèrent précipitamment et en voulant se redresser, Forest se prit les pieds dans ses draps et s’étala comme un crêpe en bas de son lit.

« Ça va là-haut ? demanda son père.

— Oui, répondit vivement Forest de peur de le voir débarquer. Il aurait été bien incapable d’affronter son regard. Qu’est-ce que tu veux ?

— Je vais chercher ta sœur, est-ce que Sunti veut que je le dépose ? »

Forest se releva légèrement pour savoir ce qu’en pensait son ami. En le voyant plié en deux, les épaules secouées de tremblement, il comprit que ce dernier se foutait royalement de sa gueule. Vexé, il attrapa la première chose qui lui tomba sous la main et le jeta en direction du traître. Heureusement pour lui, il ne s’agissait que d’un coussin et non pas d’un manuel scolaire.

« On a pas fini de réviser, déclara finalement Forest. Est-ce qu’il peut dormir à la maison ce soir ? »

Le fou rire de Sunti se stoppa en entendant la demande. Il jeta un coup d’œil au pied du lit et son regard exprima quelque chose qui serra le ventre de Forest.

« Je n’y vois pas d’inconvénient. Assurez-vous juste que de son côté c’est également possible. »

Sur ce sujet, ils n’avaient pas à trop s’inquiéter. Sunti avait suffisamment montré son sérieux à l’orphelinat pour que celui-ci le laisse faire ce qu’il voulait à condition qu’il prévienne avant. Et c’est ce qu’ils firent. Sans surprise, le responsable qu’il eut au téléphone lui souhaita de bonnes révisions, ainsi que quelques recommandations comme bien manger et se laver les dents avant de dormir.

Une fois de retour dans la chambre de Forest, Sunti s’allongea contre lui, sa tête sur son épaule. Il avait rêvé de ce moment depuis tellement longtemps. Un sourire de bien-être absolu naquit sur ses lèvres lorsqu’il sentit le bras de Forest venir encercler ses épaules.

Ils restèrent comme ça sans chercher à parler, savourant juste l’instant présent. Mais il fallait bien qu’ils discutent de ce qui venait d’avoir lieu entre eux, n’est-ce pas ? Ils devaient savoir si tout cela était sérieux ou non ? Au moment où Sunti allait poser la question, Forest le devança et dit :

« Tu me plais. »

Choqué et heureux en même temps, il répondit : « Je n’ai pas de parents.

— Et alors ? Qu’est-ce que ça change ? Je t’ai aimé en sachant ce genre de chose, me le répéter n’y fera rien.

— Tu m’aimes ? »

Forest comprit en entendant la question qu’il s’était un peu trop dévoilée. Mais maintenant qu’il avait lancé les dés, autant aller jusqu’au bout. Il s’écarta légèrement de Sunti pour mieux lui faire face. Puis il posa sa main sur sa joue afin que le contact physique donne plus de poids à sa déclaration.

« Oui, je t’aime. »

Il observa avec émerveillement les émotions se peindre sur le visage de son ami. Jusqu’ici, il n’avait jamais saisi ce qui poussait les autres à aimer à ce point les déclarations. Aujourd’hui, il entrapercevait tout juste la raison.

Il essuya avec son pouce la larme qui venait de couler sur la joue de Sunti.

« Pourquoi tu pleures ?

— Pour rien, tu vas trouver ça stupide.

— Non ! Bien sûr que non. Explique-moi, s’il te plaît. »

Il sembla peser le pour et le contre puis finit par dire :

« C’est juste que j’ai toujours voulu que quelqu’un me dise ça. Et depuis cette journée d’orientation, je rêve particulièrement que ce soit toi.

— Attends... est-ce que ça veut dire que je te plais depuis le collège ? s’exclama Forest avec stupéfaction.

— On peut dire ça. »

Sunti se sentit gêné d’être démasqué. Il tenta de s’écarter, mais Forest l’attrapa par les épaules et les fit rouler tous les deux, de sorte que Sunti se retrouve allongé sur lui.

« Est-ce que ça veut dire qu’on est ensemble ? »

Surpris, Sunti répondit : « Je suppose... »

Pourquoi chercher plus loin ? Ils étaient tous les deux attirés l’un par l’autre et tous les deux voulaient plus, alors autant suivre leurs envies et vivre comme si demain leur appartenait.


Texte publié par Sandro599, 2 octobre 2024 à 23h12
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