Paris change. Quand j'étais petite, j'adorais l'automne : ces feuilles volantes de toutes les couleurs, le vent frais qui revenait, les manteaux qu'on portait au pressing avant de les ressortir pour la nouvelle saison... Maintenant, pour moi, l'automne, c'est voir Paris se remplir de nouveau de vie après l'avoir vue désertée sous la chaleur étouffante d'août. C'est entendre de nouveau les cris des gamins de mon immeuble quand ils se préparent pour l'école ou qu'ils en reviennent. C'est affronter de nouveau le métro bondé, mais pour aller où ?

Pendant l'été, je me perds dans Paris pendant des heures ; à l'automne, le froid me fait rester chez moi. Ça ne change pas grand-chose, à part que la vue infinie des quais de Seine, de son eau verdâtre et de ses touristes est remplacée par la vue de la fenêtre de mes voisins. S'y étale toute leur vie, depuis leurs disputes conjugales jusqu'à leurs petites culottes. Rideaux tirés, je me demande si quelqu'un m'observe de la même façon qu'eux je les observe, comme si je lisais directement dans leur âme.

J'entends les portes claquer, mes voisins reviennent du boulot. Cela fait à peine une semaine qu'ils sont rentrés d'Antibes, et pourtant ils râlent déjà contre leur travail, leurs enfants, les factures, l'ampoule du quatrième qui est grillée depuis quatre mois. Moi, l'ampoule du quatrième, je m'en fous. Qu'elle reste éteinte, cela me fera moins de visages tristes à contempler tous les jours.

Le trafic sur la 4 était encore perturbé hier ; je l'ai su parce que j'ai croisé Edmond en descendant mes poubelles et qu'il maudissait tout le métro de Paris. Il m'a dit que j'avais de la chance de ne pas avoir à prendre la 4 pour rentrer le soir.

Mais il n'y a pas pensé. Si je n'ai pas besoin de rentrer le soir, c'est parce que je n'ai nulle part où partir le matin.