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Le Gardien, à la barre du bâteau, avait un air profondément blasé sur sa figure reptilienne. Le voyage semblait avoir commencé normalement, mais connaissant son ami qui s’est auto-proclamé Capitaine de l’aventure, le sage Dragon ne put s’empêcher de ressentir une certaine méfiance. Car, quand ce farceur de Folletto était aux commandes, on ne pouvait que craindre ce qui risquait d’arriver. Le ciel, bleu, sans nuage, la mer, calme, presque plate, le chant paisible des mouettes. Le Gardien ne pouvait s’empêcher de penser que cela n’était que le calme avant la tempête. Resté à savoir ce que Folletto avait réellement prévu pour la suite.

Justement, quand on pense au fantôme, il montre le bout de son tricorne. Le Gardien haussa un sourcil. N’était-ce pas une coiffe de pirate ? Pourquoi avoir choisi ce couvre-chef en particulier ? Soupirant, blasé, le Gardien se dit qu’il était de toute manière trop tard pour faire quoi que ce soit. Son ami était bien trop enthousiaste au sujet de cette quête pour qu’on puisse l’en détourner, à moins de s’appeler Serenya, mais cela faisait longtemps que le vieux Dragon ne l’avait pas vu, en conséquence de quoi le facétieux fantôme se sentait pousser des ailes.

- Ô Gardien, s’écria avec allégresse le spectre, mon ami écailleux, ça va être grandiose ! Voit tous ces joyeux esclaves qu’on va pouvoir exploiter afin de découvrir le trésor du Grand Gaspard Cerboisé. On va devenir riche ! On va devenir célèbre ! Et tout ça, sans bouger le petit doigt ! Ou, dans ton cas, la petite griffe, ricana le fantôme en se frottant les mains d’un air sadiquement satisfait.

Dubitatif, le Gardien demanda :

- Qu’as-tu encore été imaginer pour torturer nos conteurs ? Et penses-tu vraiment qu’ils se laisseront faire ?

Balayant sa question d’un revers de la main, Folletto continua :

- Aucun risque, ils sont aussi naïf que des lapereaux de trois semaines. D’autant plus que nous avons des petits nouveaux. Il faut donc les accueillir comme il se doit.

Tout en terminant sa phrase, l’ectoplasme avait un sourire particulièrement sadique qui étirait le coin de ses lèvres. Quoi qu’il ait prévu, chers compagnons conteurs, j’en tremble d’avance. Peut-on encore prendre la poudre d’escampette ? Non ? Plus maintenant qu’on a signé le contrat du camp ? Zut, il faudra donc être particulièrement vigilant afin d’esquiver les plans démoniaques de notre fantôme national, j’ai nommé Folletto.

D’ailleurs, celui-ci s’approcha du Gardien, une carte à la main, avec une expression conspiratrice sur sa face transparente. Le Dragon, intrigué, pencha sa carcasse de reptile vers son interlocuteur et l’écouta :

- Pour la première escale, on va s’arrêter à l’Île de la Sirène, pense bien à mettre tes bouchons d’oreilles afin de ne pas être subjugué par leurs voix, mon ami cracheur de feu.

- Et les conteurs ? demanda le Dragon, sentant venir la réponse du fantôme.

- Aucune importance, dans le pire des cas ils rejoindront mon armée spectrale.

Soupirant, le Gardien se demanda s’il n’était pas temps d’essayer de réfréner les élans meurtriers de son ami. La simple pensée de la paperasse à remplir à chaque fois qu’il y avait un conteur qui trouvait la mort lui donnant la migraine. Mais, avisant le sourire extatique de Folletto, le Dragon se dit qu’il risquait surtout d’empirer les choses s’il devait empêcher le fantôme d’agir. Car, sous la frustration, son ami spectral pouvait plonger dans une rage meurtrière qui décimerait bien plus de conteurs.

Donc, stratégiquement, il aurait moins de paperasses à remplir en ne se mettant pas en travers de la route de Folletto. D’autant plus que celui-ci étant rancunier, il risquait de lui faire la tête après. Or, le Gardien n’aimait pas quand Folletto boudait. Ça pouvait être effrayant. La dernière fois, pour se venger, l’ectoplasme avait installé un piège devant l’antre du Dragon qui avait failli perdre une patte. Il ne voulait donc pas risquer de se retrouver mutilé dans l’histoire.