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tome 1, Chapitre 20 « Swan - 4 - Dernière chance » tome 1, Chapitre 20

La phase nocturne touchait à sa fin, mais en l'absence des lumières qui recréaient un jour artificiel – et surtout de l'énergie qui alimentait les systèmes, Swan se doutait que les activités habituelles de la ville ne pourraient reprendre de sitôt. Le petit groupe n'avait eu aucune difficulté majeure à atteindre les environs du Cœur, mais il était vite apparu que celui-ci était lourdement gardé. Profitant de l'obscurité quasi totale, Angelia avait volé vers le sommet de l'édifice pour fixer un câble métallique ; il leur permettrait une traversée quasiment sûre jusqu'au site depuis une passerelle en surplomb.

Malvin avait réussi en moins de dix minutes à assembler une sorte de siège suspendu à des poulies, que Vesper pourrait emprunter avec une relative dignité, tandis que les autres s'accrochaient à une poignée pour se laisser glisser le long du filin. Une fois tout le monde en haut du bâtiment métallique, Anha avait employé le système de modification de la pesanteur pour atteindre la fenêtre du bureau et « dégager le passage » puis revenir un peu cabossée, mais victorieuse. Le mécanicien avait utilisé la nacelle pour descendre Vesper, avant de le rejoindre avec Angelia. Swan était resté seul sur cet espace inconfortable, avec la rude tâche de faire le guet si une menace extérieure devait survenir.

Le jeune homme réalisa qu'il commençait à s'habituer à ces ténèbres perpétuelles. Ses sens semblaient s'être affinés, lui permettant de percevoir la moindre agitation, le moindre mouvement dans la zone. Il n'aimait pas travailler armé, mais c'était, hélas, souvent nécessaire. Il garda la main sur son revolver personnel – un Luger qui ne l'avait jamais trahi –, tout en espérant qu'il n'aurait pas à l'utiliser. Les habitants de la ville étaient fondamentalement des innocents, plus encore que des soldats servant leur patrie.

En contrebas, il pouvait discerner les troupes de Régulateurs massées le long des voies de passage ; il ne put que se féliciter de la méfiance maladive de Céos, qui le poussait à n'employer dans ses bataillons que des individus sous conditionnement. Il faisait probablement trop sombre pour regarder l'écran de sa montre. Il ne pouvait que s'en réjouir : chaque seconde, son cœur battait un peu plus fort dans sa poitrine ; Swan attendait, avec un étrange détachement, qu'il choisisse un moment pour lui transpercer les côtes.

L'éternité s'installait de plus en plus fermement, quand il vit Angelia flotter devant lui avec un sourire triomphant :

« Ça y est, chuchota-t-elle d'un ton urgent, nous avons l'information. Vesper a dû s'y reprendre à trois fois... Ça l'a un peu secoué, mais c'est bon ! Il est incroyable ! »

Swan lui répondit par un sourire sarcastique :

« Je n'en doute pas une seconde. Fais remonter tout le monde et filons au plus vite. »

Il détourna les yeux et affermit sa prise sur la crosse du Luger neuf millimètres Parabellum, le sentant peser dans sa main de façon rassurante. Il ne pouvait employer le système électrique de Malvin s'il ne se trouvait pas au contact des ennemis. Par contre, l'arme à feu lui permettrait de couvrir ses complices si le moindre problème survenait.

Le mécanicien passa le premier, puis il hissa Vesper avec l'aide de Swan. Le jeune homme était pâle et légèrement tremblant, mais il serrait la mâchoire avec une détermination que le blond ne pouvait qu'approuver. Il remonta la nacelle dont ni Anha ni Angelia n'avaient besoin pour les rejoindre. Sa sœur alla détacher le filin pour le fixer en contrebas, ce qui leur permettrait de se laisser glisser comme à l'aller, sans avoir à tirer laborieusement leurs compagnons. Malvin envoya son protégé à l'abri, avant de le suivre.

Le bruit ténu de la poulie sur le câblage métallique attira l'attention de deux régulateurs juste en surplomb. Comme dans un cauchemar, Swan vit la lumière de leur casque se lever vers le fuyard. Ils saisirent leurs armes, s'apprêtant à faire feu, mais Swan braqua le Luger dans leur direction et tira deux coups au-dessus de leur tête, les obligeant à tourner le regard vers la menace immédiate qu'il représentait. Ils se baissèrent, cherchant le couvert relatif de la rambarde, pendant qu'Anha aidait Malvin à prendre pied sur le passage et lui renvoyait la poignée.

L'un des deux Régulateurs repéra la femme métallique et tenta de l'abattre, mais la balle ne fit qu'érafler un mollet de cuivre, sans en endommager la mécanique. Swan tira deux autres coups qui ricochèrent sur la barrière, à quelques centimètres de leurs adversaires. Il entendit plusieurs détonations et comprit que Malvin avait pris la relève. Il devait y aller à son tour : les renforts devaient déjà être en route et il perdrait alors la possibilité de rejoindre le reste de l'équipe. Le mécanicien continua de le couvrir ; c'était le moment où jamais.

Le jeune homme réalisa qu'il ne récupérerait pas la poignée à temps. Il ôta son robuste blouson de cuir, le passa par-dessus le câble et s'y accrocha à pleines mains, espérant que le matériau épais tiendrait le coup. S'efforçant de garder les yeux ouverts, Swan se lança dans le vide, le cuir lisse glissant sans difficulté sur le métal. Il entendait les balles fuser autour de lui, sans pouvoir discerner celle des ennemis de celles des amis. Il serra les dents : dans une seconde, il serait à l'abri...

Quand le jeune homme sentit quelque chose le frapper au côté, il exila cette information et tout ce qui s'y rapportait – la douleur fulgurante, le profond vertige qui s'empara de lui – au fin fond de son esprit. Il s'appliqua à se cramponner aux revers de la veste... Après quelques secondes interminables, ses pieds heurtèrent une surface dure et il put enfin lâcher prise. Il se laissa tomber comme une poupée de chiffon au sol, respirant profondément en espérant calmer son malaise.

« Est-ce que ça va ? lui demanda Angelia, inquiète.

— J'ai le souffle coupé. Laisse-moi trente secondes, ça devrait être bon. »

Après tout, ce n'était pas strictement faux. Lentement, il parvint à se redresser, un genou à terre. Il explora avec précaution son côté blessé et grimaça quand il rencontra le tissu de sa chemise, trempé de sang. Cette fois, c'était bien le sien... et il coulait trop abondamment à son gré. La balle était passée entre deux côtes ; il ne repéra aucun orifice de sortie, ce qui signifiait qu'un morceau de plomb se promenait à l'intérieur de son corps. A priori, aucun organe vital ne semblait touché... et puis, il était résistant, plus que le commun des mortels.

« Malvin, est-ce que vous pouvez me passer votre trousse de secours ? demanda-t-il d'une voix qui se voulait vigoureuse.

— Vous avez été touché ? s'enquit le mécanicien avec préoccupation.

— Ce devrait aller, j'ai connu pire.

— Tu ne veux pas que je m'en occupe ? proposa sa sœur.

— Je devrais pouvoir me débrouiller. »

Le jeune homme s'essuya soigneusement sur une partie non souillée de sa chemise et saisit la trousse, comptant sur la pénombre pour dissimuler le tremblement de ses mains. Il en sortit un tampon d'ouate qu'il appliqua sur la plaie, puis s'efforça d'enrouler le bandage autour de son torse, mais les mouvements tiraient sur sa blessure et ses bras semblaient lui refuser tout usage. Angelia poussa un soupir excédé et s'approcha de lui, prenant la relève pour fixer efficacement la bande de tissu. Son regard pâle rencontra le sien, presque luminescent dans l'obscurité. D'après ce qu'il pouvait y lire ; elle avait compris que son état était probablement plus grave qu'il ne voulait l'avouer.

Swan adressa à sa sœur un petit sourire de remerciement. Elle l'aida à se redresser et le soutint le temps qu'il retrouve son équilibre. Il esquissa quelques pas, heureux de constater que l'adrénaline prenait le dessus. Il renfila son blouson et le ferma soigneusement pour dissimuler les traces de sang.

« Ça devrait être bon. Vous connaissez l'emplacement ?

— Tout en bas, en dessous de la forge », souffla Vesper.

Ils échangèrent un regard navré.

« Ce n'est pas sans avantage, remarqua le blond. Ce n'est sans doute pas le secteur le mieux gardé. Cela m'étonnerait qu'on nous y attende.

— Je connais bien ce secteur, déclara Malvin, j'y vais souvent pour récupérer des matériaux. Par contre, il ne faut pas se faire trop d'illusion... Je pense que l'endroit est protégé. Nous allons devoir passer par les conduits de maintenance.

— Nous vous suivons. »

Avec un petit sourire de remerciement, Swan tendit la trousse de secours au mécanicien, qui ne semblait pas plus dupe qu'Angelia sur son état. Mais le jeune homme était conscient que, contrairement à elle, Malvin était plus ennuyé par le fait qu'il ne pourrait seconder efficacement Vesper pour leur mission finale. Ce qui était logique, après tout.

Le mécanicien prit la tête du convoi et le mena vers une trappe à peine visible, qu'il déverrouilla aisément pour les faire descendre vers un conduit où régnait une noirceur d'encre. Avec un bras en écharpe, Vesper avait du mal à négocier les échelons ; Anha lui prêtait son aide, en se tenant derrière lui pour l'empêcher de basculer en arrière quand il lâchait un barreau pour le suivant.

Heureusement pour lui, une fois cet obstacle franchi, ils rencontrèrent uniquement des escaliers raides et étroits ou en colimaçon. Swan avait l'impression que la montre dans sa poche le brûlait autant que sa blessure, mais y penser ne stopperait pas le temps. Après une éternité à cheminer dans les entrailles de Skellet, ils finirent par émerger dans un vaste hangar encombré de piles de matériaux : barres de fer, blocs de fonte, containers de charbon, tas de planches brutes... Il se demanda comment Céos avait pu faire livrer discrètement tout cela à Skellet, avant de se souvenir que les accès vers le monde extérieur avaient été aménagés en sous-sol.

Le jeune homme sentait le regard d'Angelia peser sur lui en permanence. Il se tourna vers elle :

« Tu ferais mieux de te préoccuper des dangers éventuels. Tu auras beau me fixer des yeux, ça ne changera pas grand-chose.

— Je me demande juste comment tu y arrives...

— Comment j'arrive à quoi ?

— À continuer de fonctionner. Tu ne t'es pas regardé...

— Non. Les miroirs ne sont pas monnaie courante à Skellet, tu te rappelles ? »

Elle renifla avec agacement :

« Vraiment, tu es impossible. Tu as l'air d'un déterré...

— Ce n'est pas une nouveauté, répliqua-t-il ironiquement. De plus, rappelle-toi qu'il me reste cinquante minutes à tenir. Après, je pourrai m'effondrer comme j'aurais dû le faire depuis le début.

Elle ne lui répondit pas, se contentant de détourner les yeux, le visage fermé.

« Taisez-vous ! les admonesta Malvin. Nous arrivons. »

Il bifurqua vers un passage qui partait sur le côté de l'entrepôt ; il en déverrouilla l'accès sans trop de difficulté. Le petit groupe pénétra dans un bout de couloir sombre, qui laissa bientôt place à une volée de marches qui s'enfonçaient dans les profondeurs de Skellet. Au bout du quatrième palier, ils débouchèrent dans un local plus spacieux.

Au-delà, une porte lourdement blindée bloquait leur progression. Swan la contempla de haut en bas, découragé. Même Malvin ne pourrait pas la forcer avec tout son outillage. En regardant de plus près, il aperçut une sorte de verrou à code. Vesper s'approcha et toucha le volant, fermant les paupières un instant ; une expression lointaine apparut sur son visage. Le blond l'observa avec fascination. D'expérience, il savait qu'utiliser aussi intensément un don récemment éveillé n'avait rien d'aisé. Il était impressionné par la maîtrise que manifestait leur compagnon, étant donné son peu d'expérience.

Le jeune homme rouvrit les yeux, s'affaissant un peu sur lui-même :

« Six... Quatre... Deux... Huit... Sept... Un... Trois... Trois... »

Aussitôt, Anha et Malvin se précipitèrent, la femme métallique pour soutenir Vesper, le mécanicien pour déverrouiller la porte. Soulagé, Swan passa une main sur son front : il la ramena trempée de sueur. Il se demanda avec un étrange détachement combien de temps il tiendrait encore. Quarante minutes ? Maintenant qu'ils étaient sur les lieux, cela semblait énorme.

Il se tourna vers le reste du groupe :

« Je crois qu'il est temps que vous vous rendiez au niveau des portes. Angelia... »

La fillette opina, visiblement à contrecœur :

« C'est bon, je vais y aller, mais... »

Elle s'approcha de lui et planta ses yeux clairs droit dans les siens :

« Débrouille-toi pour revenir ! »

Elle marqua une pause avant de poursuivre :

«... et pour ramener Vesper avec toi.

— Merci pour ta sollicitude », répondait-il avec un sourire un peu pincé.

Elle secoua la tête, agacée :

« Tu es impossible. Parfois, j'ai l'impression que tu aimerais que le monde entier tourne autour de toi. »

Il baissa les yeux, préférant se taire : Angelia n'avait jamais saisi ce qu'il avait pu ressentir, quand il s'était retrouvé arraché à sa mère adoptive, pour être envoyé de longues années dans un lieu froid et désolée, parmi des êtres insensibles, soumis à des règles impitoyables. On l'avait dépouillé de son nom, de son identité, de tout ce qui le rattachait à sa vie. Il avait vécu un cauchemar constant, attendant avec une patience résignée le jour où il s'éveillerait. Pour cette raison, il pouvait comprendre Vesper, et tous les gens de cette cité, mieux que personne d'autre.

Depuis ce temps, Swan avait peur de perdre les siens, tout autant que de les voir se détourner de lui. Il avait trop de fierté pour exprimer ouvertement ses craintes ; mais il savait qu'elles étaient apparentes dans ses réactions et ses réflexions. Ses parents le réalisaient intuitivement, mais ce n'était pas le cas de tout le monde – et certainement pas d'Angelia, en particulier. Il s'était résigné, mais il avait peine à accepter ses jugements souvent sévères et son refus de le comprendre. Parfois il aurait juste aimé qu'elle lui témoigne un peu plus d'attention, comme quand il était parti affronter Céos...

Il s'apprêtait à lui répondre d'un sourire, ou d'une réplique spirituelle, quand il perçut l'inquiétude dans son regard. Peut-être avait-elle simplement peur de laisser paraître ses sentiments.

« Parce que ce n'est pas le cas ? Le monde a intérêt à ce que je réussisse... »

Elle posa brièvement la main sur sa joue, avant de se détourner et fuir dans le couloir, ou les deux autres l'attendaient déjà. Malvin leur adressa un geste de la main :

« Faites au mieux, les jeunes ! »

Anha se contenta de les regarder longuement de ses yeux cristallins, avant de se retourner. Ce fut avec un pincement au cœur que Swan vit partir ses compagnons. Il se tourna vers Vesper ; ils formaient une drôle d'équipe, aussi amochés l'un que l'autre. Posant une main sur son épaule valide, Swan le poussa, doucement, mais fermement, vers l'intérieur de la pièce.

Il eut la sensation d'entrer dans une caverne : immense, avec une odeur de terre et d'humidité, noire comme l'enfer. Un courant froid et glacial se lova autour de lui ; il ne put réprimer un long frisson. Il pouvait presque entendre une rumeur très légère, comme des chuchotements ténus, qui résonnaient d'un bout à l'autre de la salle, mais sans doute n'était-ce qu'une impression.

« Est-ce que ça va ? demanda Vesper, sans doute pour se rassurer lui-même.

— Aussi bien que possible compte tenu de la situation. Vous avez bien les charges de Malvin ?

— Bien sûr, mais je vais avoir besoin... de mains supplémentaires pour les installer.

— Vous pouvez compter sur moi. »

Swan tira de la sacoche à sa ceinture une lampe-torche ; il l'alluma et promena le faisceau autour de lui : tout autour d'eux s'élevaient des rangées et des rangées d'étagères, scellées dans le métal, équipées de supports d'acier où les cristaux étaient emprisonnés. Céos ne pouvait courir le risque que certains se brisent. Des échelles coulissantes permettaient d'accéder aux différents niveaux. Swan esquissa une grimace : il serait dur de placer efficacement les trois charges pour qu'elles fassent le plus de dégâts possible. Cela paraissait même... insurmontable.

Il laissa retomber son bras, découragé.

« Vous en pensez quoi ? demanda Vesper, qui semblait aussi dubitatif que lui.

— Pas grand-chose... Nous devons faire au mieux... Il serait dommage d'abandonner si près du but. »

Ils se regardèrent, hésitants.

« C'est toute la salle qu'il faudrait faire effondrer, murmura Vesper en passant une main sur sa nuque. Mais nos charges ne sont pas assez puissantes pour ébranler les murs.

— Nous pouvons prendre un marteau et tout casser, proposa Swan ironiquement.

— Ce n'est pas une mauvaise idée... »

Ils éclatèrent de rire ; Swan pêcha sa montre dans sa poche :

« Nous n'avons plus qu'une demi-heure. Il faut y aller... Il y a douze rangées. Je vous propose de placer une charge toutes les trois travées, à mi-hauteur. Il y a des échelles. Je pense que vous pourrez au moins me tenir la lumière ?

— Oui, bien sûr.

— Bon, expliquez-moi comment ça marche... Qu'on en finisse en plus vite. »


Texte publié par Beatrix, 8 octobre 2017 à 00h02
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