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tome 1, Chapitre 10 « Ash - 4 - Le Piège » tome 1, Chapitre 10

Les deux jeunes gens se tenaient debout dans la lueur rougeoyante de l'énergie soutirée aux âmes. Ash se sentait de plus en plus mal à l'aise ; la salle tournait autour de lui ; sa vision se brouillait. Il n'aurait pas le temps – ni la force – de faire le nécessaire. Le jeune homme fouilla dans sa besace à la recherche de la charge explosive ; Malvin l'avait équipée d'un minuteur pour qu'il puisse se mettre à l'abri avant la déflagration. Il leva les yeux, scrutant la tourelle pour chercher une éventuelle faiblesse. Il la repéra assez vite : juste sous la paroi de verre, où s'ouvraient visiblement des trappes de visite et de contrôle pour le mécanisme.

Mais c'était haut... Trop haut. Après une brève hésitation, il ralluma son modificateur de pesanteur et bondit sur la colonne qu'il gravit en quelques pas, puis se « pencha » pour déposer la charge. Si le temps lui avait paru long, il semblait à présent filer à toute allure. Il avait l'impression qu'il ne parviendrait jamais à régler le minuteur comme le lui avait montré Malvin. Il prit une profonde inspiration et s'obligea à terminer l'opération posément, avant de redescendre de la tourelle, d'attraper Anha par le bras et de la précipiter avec lui vers l'endroit le plus à couvert, la plaquant contre la paroi du Cœur.

Même à cette distance, il subit le souffle de la déflagration, qui l'étourdit légèrement et provoqua un bourdonnement désagréable dans ses oreilles. Quelques fragments de verre et de métal les atteignirent, rebondissant sur leur armure sans leur causer de dégâts. Ash soupira de soulagement, goûtant le silence à peine troublé par la chute de quelques débris.

Il fit signe à Anha de le suivre en direction de la porte. Les deux intrus se trouvaient à mi-chemin, quand une montreuse déferlante d'énergie les enveloppa brutalement, les balayant comme une vague de résonance. Ils furent précipités au sol, la respiration coupée – du moins pour le jeune homme. Un monstrueux fracas de verre brisé, dont l'écho sembla se répercuter à l'infini, emplit tout l'espace. Il n'osa pas lever la tête, mais il comprit que les cristaux étaient en train d'exploser, les uns après les autres.

En dépit de ses entrailles nouées et de ses membres transformés en gelée, Ash parvint enfin à se redresser : il réalisa avec un vague soulagement que tous les cristaux n'avaient pas été détruits. Seuls les plus chargés étaient entrés en résonance avec l'énergie dégagée, ce qui signifiait que les esprits libérés ne soutireraient pas trop d'essence aux vivants.

Mais c'était un piètre réconfort : les défunts reprenaient les uns après les autres leur apparence éthérée et flottaient lentement vers le haut de la salle : dix, vingt trente... une centaine... Plus peut-être...

Ash sentit son cœur sombrer : les Capteurs repéreraient forcément cette masse subite de proies en déroute. Certaines d'entre elles traversaient déjà les parois pour s'égayer dans Skellet. Il secoua la tête :

« Non ! murmura-t-il faiblement, vous ne devez pas, vous allez... »

Mais aucune ne l'entendait. Elles poursuivaient leur progression vers une hypothétique échappatoire, sourdes à ses injonctions. Il voulut se retourner vers Anha, mais il vit avec stupeur, puis désespoir que le corps de métal s'était effondré contre la paroi. Les mains tremblantes, il ouvrit l'habitacle sur sa poitrine : le cristal avait éclaté en fragments couleur de sang.

« À... Anha... ? balbutia-t-il.

— Ash... »

Il se retourna, pour trouver, à son grand soulagement, la jeune femme à côté de lui, sous sa forme d'esprit.

« Est-ce que tu...

— Je vais bien, répondit-elle, enfin, dans la mesure du possible. »

Elle lui sourit gentiment.

Le jeune homme secoua la tête, encore étourdi : il n'avait pas su la protéger. À présent, les Capteurs allaient surgir pour s'emparer de tous les fuyards ; un sort similaire la menaçait. Sauf si Malvin avait vu juste et que leur action avait délivré les habitants de Skellet de leur passivité : la Haute Administration aurait fort à faire pour maîtriser la situation et en oublierait peut-être les esprits libérés.

« Nous devons partir d'ici, le pressa Anha, avant qu'on nous trouve. »

Il secoua la tête obstinément :

« Non. Nous devons être sûrs que le système a bien été désactivé. »

Seuls quelques faibles éclairs passaient encore çà et là dans les hautes murailles. Ils étaient plongés dans une obscurité quasi totale. Heureusement, le projecteur de son casque fonctionnait toujours. Il s'avança vers la tourelle, constatant qu'il n'y avait plus d'activité visible. Le verre avait volé en éclat et les trappes de visites avaient été arrachées par la déflagration. D'où il se trouvait, il distinguait un amas de câbles noircis. Même si ce n'était pas la jonction principale, le système qui transformait l'énergie des esprits en courant électrique avait été bel et bien anéanti. Il fallait espérer que ce n'était pas réparable à court terme. Avec la masse de cristaux détruits, les autorités de Skellet ne parviendraient pas à mettre en route l'éclairage des phases nocturnes. Elles devraient se contenter d'un vague dispositif de secours, grâce à quelques groupes électrogènes dont Anha lui avait confirmé l'existence.

Le plus important, pour le moment, était de retrouver Malvin au point de rendez-vous. Il espérait avoir le temps de fuir, avant que toutes les troupes de Régulateurs et de Capteurs n'arrivent au niveau du cœur. Son regard tomba sur le corps métallique affaissé en bas des marches.

« Nous ne pouvons rien y faire pour le moment », déclara l'esprit avec résignation.

À contrecœur, Ash se détourna et, invoquant le peu de force qui lui restait, commença à gravir l'escalier, en direction de la plate-forme surplombant la salle. Quand il arriva au niveau de la porte, il ressortit les clefs pour la déverrouiller : mais malgré tous ses efforts, il ne parvint même pas à les faire bouger dans la serrure. Il secoua la tête ; ce n'était pas possible ! Ôtant ses gants, il tenta de jouer plus finement sur le mécanisme, en vain : tout semblait irrémédiablement bloqué. Il poursuivit néanmoins la tâche avec acharnement, meurtrissant ses doigts sur le métal.

Soudain, le jeune homme se sentit submergé par une étrange sensation : c'était un geste ordinaire, son travail de tous les jours. Il l'exécuta avec attention et se retourna vers le globe d'énergie qui pulsait dans toute sa gloire. Même s'il n'en éprouvait aucune crainte, il savait que si le système s'arrêtait, un dispositif spécialement étudié bloquerait la porte, ne laissant aucune issue vers l'extérieur. Mais il ne s'inquiétait pas. Il restait une sortie qui se trouvait...

Il revient à la réalité aussi subitement qu'il l'avait quittée.

« Ash, que se passe-t-il ? s'inquiéta Anha. Est-ce que tout va bien ? »

Il secoua la tête, encore plongé dans la confusion où l'avait précipité cette étrange vision. Et cependant...

Et cependant, quelque chose au fond de lui n'en était pas plus surpris.

Comme si une voix lui soufflait : « Enfin ? Il n'est pas trop tôt... »

Des yeux gris-vert rieurs, de boucles de cuivre, un parfum discret...

Ash plongea son visage dans ses mains, frissonnant légèrement... Se pouvait-il que ses souvenirs reviennent enfin ? Était-ce parce qu'il avait saboté le dispositif, ou parce que la vague d'énergie avait dissipé une partie de son conditionnement ? Il s'efforça de se reprendre ; l'heure n'était pas aux conjectures ; il devait se concentrer sur la situation présente.

« Nous sommes piégés, Anha. Nous nous sommes laissés enfermer comme dans une nasse... Mais je crois que tout n'est pas perdu ! »

Le jeune homme serra les mâchoires avec détermination et assura sa prise sur le métal, tentant d'invoquer de nouveau la vision qu'il venait expérimenter. Mais il eut beau fermer les yeux et se concentrer, rien n'y fit. Avec un cri de frustration, il arracha les clefs des serrures, remit ses gants et regarda autour de lui :

« Il y a une autre porte, quelque part. Nous devons la trouver, c'est notre seul espoir de pouvoir sortir d'ici.

— Partageons-nous la salle, proposa Anha. Ce sera plus efficace. »

Ils redescendirent l'escalier et logèrent les murs, explorant méthodiquement tout l'espace, en vain.

« Elle a sans doute été volontairement dissimulée, murmura Ash, découragé. Il faut être d'autant plus attentifs... »

Ce n'était qu'une question de minutes avant que les troupes de Skellet ne surviennent et mettent la main sur eux. Le jeune homme sentait son cœur frapper de façon désordonnée dans sa poitrine. Au bout d'un moment, il recula légèrement, scrutant les parois alvéolées, certaines abritant encore des cristaux intacts, d'autres remplis de débris qui se déversaient de temps à autre sur le sol dans un tintement sonore.

« Peut-être qu'elle est en hauteur et qu'il y a une échelle escamotable ? »

Anha demeura un instant silencieuse à côté de lui, avant de déclarer :

« Je crois que j'ai une idée. Je vais parcourir l'épaisseur des parois et je finirai bien par tomber sur une issue. »

Il écarquilla les yeux de surprise, avant de sourire pour la première fois depuis longtemps :

« C'est une excellente idée ! Pourquoi n'y ai-je pas pensé ?

— Parce que tu n'es pas un esprit. »

Sur cette répartie, elle lévita jusqu'au mur, choisissant un point où tous les cristaux étaient détruits, et s'enfonça dans la paroi. Il demeura seul dans la pièce, impuissant, fixant l'endroit où la jeune femme avait disparu, condamné à attendre qu'elle retourne vers lui. Mais le temps passait... et toujours rien.

Il leva les yeux vers la porte, réalisant que le système qui les piégeait à l'intérieur le protégeait aussi, paradoxalement, d'une intrusion depuis l'entrée principale du Cœur. Si une issue secondaire existait bien, elle devait être beaucoup plus étroite et discrète. En désespoir de cause, il retourna auprès du corps métallique d'Anha. S'il avait pensé à emporter un cristal vide, sans doute aurait-il pu réparer le dispositif en dépit de son absence totale de talent mécanique.

S'il parvenait à trouver des conteneurs vierges, peut-être pourrait-il permettre à Anha de reprendre le contrôle de l'automate. Il devait bien y en avoir un stock quelque part...

« Ash ? »

Il sursauta en entendant la voix de la jeune femme. Elle venait de surgir juste devant lui, le visage blême.

« Anha ? Tout va bien ? »

Elle hocha la tête :

« Je crois avoir trouvé. C'était juste... »

L'esprit hésita avant de poursuivre :

« C'était difficile de côtoyer tous ces autres esprits... prisonniers... »

Elle frémit légèrement, mais se reprit vite :

« Elle se situe par ici, juste derrière les rangées d'alvéoles. De toute évidence, on a essayé de la masquer, pour plus efficacement piéger des intrus. Elle était indiscernable de l'extérieur : seuls les initiés doivent savoir qu'elle est là... Il doit y avoir un système pour l'ouvrir... »

Ash savait que la jeune femme tentait de le consoler de son manque de capacité d'observation et de présence d'esprit, même s'il n'était pas dupe.

« Sans ta vision, poursuivit-elle, nous n'aurions même pas su qu'elle existait.

— Je ne suis donc pas totalement inutile... » répliqua-t-il avec une ombre de sourire.

Elle secoua tristement la tête :

« Tu seras toujours pareil, à douter de toi... » remarqua-t-elle avec amertume.

Il laissa ses paroles l'atteindre, en dépit de la situation ; il entendait comme en écho une voix masculine, pas si différente de la sienne, déclarer avec une once de sévérité :

« Le doute est une forme de prétention, Vesper. Il relève du refus de se penser faillible, en évitant les situations où on pourrait faire une erreur. Accepter de se tromper n'est pas seulement une preuve d'humilité... »

La voix s'effilocha comme une nuée dans la brise ou un rêve au réveil, le laissant perdu et avide de plus. Mais il ne pouvait rien y faire, il devait juste accueillir l'éveil de ses capacités insoupçonnées comme de sa mémoire endormie. Un mot restait cependant en écho. Vesper. « Soir » dans la langue étrange des Métamorphoses. Quel genre de parents donnait à un enfant un tel prénom ?

Il connaissait à présent la signification du V sur son libre. Il ignorait encore la raison du E et du R, et sil « Ash » n'était que le début de quelque chose de plus long. Mais c'était devenu son nom dans ce monde ; si un jour il retrouvait son ancienne vie, accepterait-il d'être appelé autrement ?

Balayant ces pensées parasites, il suivit Anha vers l'issue providentielle, bien décidé à trouver le moyen d'emprunter la porte. La jeune femme disparut de nouveau à travers la paroi, avant de réapparaître.

« Il y a sans doute moyen d'écarter les casiers avant d'accéder à la porte. »

Ash saisit les étagères métalliques et tira légèrement ; au bout de la troisième tentative, un panneau s'écarta, assez large pour permettre le passage d'un adulte. Soupirant de soulagement, il vit apparaître sous le faisceau de sa lampe un battant de fer, pas plus épais que celui dont il avait fondu la serrure.

Un bruit sourd les fit se retourner : quelqu'un essayait d'ouvrir la porte principale. Heureusement pour eux, les troupes de la ville ne tenaient pas compte de cette issue secondaire, qu'elles ne connaissaient vraisemblablement pas... Ou peut-être considéraient-elles simplement que d'éventuels intrus n'auraient pas idée de son existence. Respirant à fond malgré l'entrave du casque, il tira une nouvelle fois le chalumeau de sa besace ; pendant qu'Anha le guidait vocalement sur le meilleur angle d'attaque, se mit en devoir de fondre la serrure.

Le vacarme s'intensifiait au niveau de l'entrée : quelqu'un assenait des chocs sourds sur le robuste battant de métal. D'une manière ou d'une autre, il finirait par céder. Ash devait forcer la porte avant que les Régulateurs et les Capteurs n'investissent la pièce.

Finalement, au grand soulagement du jeune homme, le chalumeau fit son office et le battant s'ouvrit en grand. Il prit soin de remettre les alvéoles en place avant de se ruer dans l'étroit passage, Anha sur ses talons. Ils se trouvèrent bientôt face à une bifurcation inhabituelle : un escalier en colimaçon leur proposait de s'enfoncer dans les profondeurs du Cœur, ou de se diriger vers son sommet.

Après avoir interrogé sa compagne du regard, il décida de monter ; dans les deux cas, ils risquaient de se retrouver piégés dans un cul-de-sac, mais leurs capacités particulières leur offraient de meilleures chances de survie dans la partie haute. Ils s'engagèrent dans les marches qui branlèrent légèrement sous le poids du jeune homme.

Ils débouchèrent finalement sur une salle tapissée de portes métalliques : quand Ash les écarta, il découvrit rangée après rangée de cristaux vierges, d'un rouge rubis profond, mais privé de la luminosité prêtée par les esprits captifs. Il échangea un coup d'œil avec Anha, puis en saisit un avant de se précipita vers l'escalier.

« Ash, non ! s'écria l'esprit, tendant des bras éthérés comme pour tenter de le retenir.

— De toute façon, il n'y a aucune issue ici ! » rétorqua le jeune homme sans ralentir.

Quand il déboula dans la salle du Cœur, la porte principale grinçait de façon inquiétante ; il ne faisait aucun doute qu'elle était prête à céder. Une dernière foulée le précipita à genoux à côté du corps métallique construit par Malvin. Il ouvrit l'habitacle, inséra le cristal et vérifia rapidement le système. Les dispositifs ne répondirent pas à ses premières tentatives ; il s'acharna, avec l'énergie du désespoir, à les activer.

L'une des charnières s'arracha du mur ; c'était une question de seconde avant que les troupes de Skellet investissent la pièce.

Il ôta ses gants ; malgré les tremblements qui agitaient ses mains, il parvint enfin à assurer correctement la mise en place. Anha se hâta de retourner dans l'automate. Ash renfila ses gants et l'aida à se relever. La poussant devant lui, il reprit le chemin de l'issue dérobée.

La jeune femme venait à peine d'y pénétrer quand la porte, totalement démantibulée, s'écrasa en contrebas. Un essaim de silhouettes indistinctes fit irruption dans la pièce, dans le feu de leurs projecteurs personnels qui se croisaient et s'entrecroisaient à travers les alvéoles et les mécanismes ravagés.


Texte publié par Beatrix, 7 avril 2016 à 00h11
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