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volume 1, Chapitre 4 « La disparition de Maître Valaddir (Tome 1) » volume 1, Chapitre 4

Chapitre 4

La salle était un grand rectangle vide de meubles et de décorations. Un sol gris et des murs ocre. Et partout des traces d’usure : éraflures, chocs, lézardes… l’entraînement à la Magie, fût-ce une Magie de défense, ne se faisait pas sans peine ni dégâts.

De larges et hautes fenêtres laissaient entrer la lumière vive du soleil et rendaient les conditions d’entraînement plus agréables. Cette salle, Fledge l’avait fréquentée de très nombreuses fois depuis son arrivée à l’Académie, il y avait appris à lancer ses premiers sorts, avait découvert le goût amer d’une formule qu’on ne maîtrise pas et qui échappe à tout contrôle, avait vu des Magiciens plus expérimentés que lui l’impressionner par la qualité et la puissance de leurs sorts, en avait impressionné d’autres, plus jeunes, quand ils l’avaient vu lancer des sorts alors qu’il était arrivé dans ses dernières années d’apprentissage.

Mais cette fois, c’était différent. Cette fois, les enjeux étaient autrement plus graves que réussir la Démonstration devant un jury, cette fois, il était face au Grand-Maître spécialiste de Magie Blanche. Il avait comme une sorte de mauvais présage quant à la suite de ce qui allait se passer.

« Bien. Je ne vais pas vous faire l’affront de vous demander de me réciter les principaux sorts de Magie Blanche, déclama Polydos. Nous allons dans un premier temps nous contenter de vérifier votre puissance. Invoquez un sort de protection. »

Fledge fit un signe de tête approbateur et se concentra. Il prononça à voix haute la formule permettant de créer un bouclier d’énergie devant soi.

« Egidis Creatis » !

Aussitôt un cercle d’un diamètre d’environ quatre pieds apparut devant lui, à la verticale. Sa forme était parfaite, sa couleur d’un blanc bleuté était uniforme. À vrai dire, ce sort était des plus classiques, un de ceux que l’on apprend en première année, et Fledge avait même honte de montrer un sort aussi basique devant un Grand-Maître. Celui-ci le lui fit remarquer.

« Monsieur Griffiths, je pense que les sorts pour débutants ne sont pas utiles ici. Montrez-moi quelque chose de plus convaincant. »

Fledge relâcha sa concentration et le bouclier magique se dissipa en un clin d’œil. Il prononça une nouvelle formule.

« Carapacis Creatis » !

Un dôme d’énergie de la même couleur blanche aux reflets bleus apparut et forma un cocon protecteur tout autour de lui. Même Polydos reconnut que c’était une belle maîtrise de la part du jeune Initié.

« Bien, monsieur Griffiths, très belle prestation. Voyons son efficacité, maintenant. »

Fledge entendit un chuintement. Il n’eut même pas le temps de bouger ou de comprendre ce qui passait qu’un autre bruit, étouffé, se fit entendre, puis finalement un troisième bruit, métallique celui-là, sembla émerger du sol. Une fois le choc passé, Fledge porta son regard sur Polydos : il avait le bras droit tendu vers l’avant. Le jeune Initié vit alors sur le sol un couteau à viande, semblable à ceux que l’on trouve au réfectoire. Il comprit alors : pour tester la qualité de son sort défensif, Polydos n’avait pas hésité à l’attaquer avec une arme blanche, le tout avec une vitesse fulgurante et sans prévenir. La lame avait fendu l’air puis, en frappant de plein fouet dans le dôme d’énergie magique, avait rebondi dans un bruit sourd et le couteau avait fini sa course sur le sol de grès. Fledge relâcha sa concentration et le dôme d’énergie qui l’entourait disparut. Une peur froide monta tout le long de son corps, jusqu’à ses tempes dans lesquelles tambourinaient les battements de son cœur affolé. Il eut toutes les peines du monde à articuler sa prochaine parole.

« Mais qu’est-ce qui vous prend ?! J’aurais pu mourir ! » prononça-t-il dans un bafouillis informe tant les tremblements de ses lèvres, de ses membres, de tout son corps étaient difficilement contrôlables. Fledge finit par tomber sur les genoux, essoufflé à la fois par l’effort qu’avait demandé ce sort, ainsi que par ce que venait de lui faire subir Polydos.

Celui-ci ne fut nullement déstabilisé de voir le jeune Initié dans cet état. Il dardait sur lui ses prunelles d’un noir intense et vides d’émotion. Il répondit d’un ton froid à Fledge.

« Relevez-vous, monsieur Griffiths. Vous ne risquiez absolument rien : votre sort était parfait, et aucune lame, fût-elle en acier de première qualité, n’aurait pu traverser. Fledge se releva péniblement et s’adressa au Grand-Maître.

— Si vous étiez si sûr, pourquoi avoir fait cela ?!

— Je n’éprouvais pas votre sort, mais vous : je voulais voir comment vous réagiriez face à une attaque. J’avoue que je m’attendais à vous voir fuir.

— Vous voulez dire que vous doutez de moi à ce point ?

— Jeune Initié, qu’avez-vous vu dans votre courte vie ? Le village de vos parents et les murs de l’Académie, pour ainsi dire. Vous ne connaissez rien du continent, et vous ne savez pas sur qui vous allez tomber durant la mission qui vous attend. Vous croyez réellement que vous ne rencontrerez que des gens amicaux ou qui ne s’en tiendront qu’à des mots ? Vous pensez aussi que vous serez averti avant de subir une attaque ? Si tel est le cas, nous retrouverons votre cadavre au fond d’une taverne poisseuse, avec un poignard planté dans le dos… Vous tirerez de tout cela une leçon de méfiance. Maintenant que vous vous êtes reposé, continuons je vous prie. »

Fledge était encore sous le coup de ce qu’il venait de subir : s’il y avait eu la moindre faille dans son sort, s’il avait manqué de concentration une fraction de seconde, le couteau passait au travers du dôme magique et l’atteignait en pleine poitrine. Pourtant, Polydos avait raison : il risquait de se faire assassiner par le premier coupe-jarret venu s’il n’était pas assez prudent. Cette idée raffermit sa volonté. Polydos le vit sans doute, car il lui demanda d’autres sorts.

Cette fois il voulut voir comment Fledge se défendait face à des attaques, sans avoir à se protéger derrière un mur magique. Pour cela, il vint ramasser le couteau qu’il avait lancé et, cette fois, prévint Fledge qu’il allait recommencer. Seulement, il interdit à celui-ci de se protéger : il devait neutraliser l’attaque autrement. Fledge lui fit un signe de tête pour lui signifier qu’il avait compris, puis se prépara. Polydos tenait le couteau par la lame entre le pouce et l’index, puis après un instant de concentration, il le lança, mais avec moins de puissance que précédemment. De fait, l’arme se déplaça moins rapidement, et Fledge utilisa alors le sort « Terraferrum Transmutis » : aussitôt le couteau fut dissous en une myriade de petites particules de matière qui tombèrent au sol dans un bruit léger. Polydos approuva en faisant un petit signe de tête. Fledge distingua même un léger sourire sur ses lèvres. Si le Grand-Maître en arrivait à se dérider, le jeune homme pouvait estimer qu’il montrait toute satisfaction. Cela lui donna encore plus envie de continuer.

Polydos lui demanda ensuite d’utiliser un sort de Magie Blanche contre lui, celui de son choix. Le jeune Initié fut décontenancé par cette supplique du Grand-Maître, mais ce dernier conservait un air sérieux indiquant qu’il ne plaisantait pas ou ne divaguait pas. Fledge réfléchit alors à ce qu’il pouvait utiliser. Après quelques secondes de réflexion, il décida d’endormir son adversaire en utilisant le sort « Lethargis Profundis ».

À peine avait-il prononcé la formule qu’il vit les yeux de Polydos se fermer lentement. Mais le Grand-Maître se reprit et utilisa sa concentration pour contrer le sort et rester éveillé. Fledge força alors pour réussir son sort, mais son adversaire résistait à ses assauts sans trop de problèmes. Soudain, ce fut au tour de Fledge de sentir ses paupières s’alourdir, sa concentration diminuer : Polydos n’était pas en train de simplement résister à son sort, il était en train de le retourner contre lui. Il tenta alors de se ressaisir et de lutter du mieux qu’il put, mais les précédents sorts qu’il avait utilisés avaient drainé beaucoup d’endurance. Ne pouvant plus tenir, il se laissa submerger par l’onde magique du Grand-Maître et tomba dans un sommeil profond.

Il fut réveillé par le contenu d’un verre d’eau en plein visage. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il vit Polydos devant lui, qui lui offrait sa main droite pour se relever. Fledge s’agrippa à celle-ci et fut surpris de la force du Grand-Maître qui le remit debout sans problème.

« Pardonnez-moi cette ruse de potache, s’excusa Polydos, mais je voulais tester votre résistance.

— Et ce fut… décevant, déplora Fledge, dépité de s’être laissé berner comme un élève de première année.

— Pas du tout, monsieur Griffiths. N’y voyez aucune prétention de ma part, mais vous ne pouviez gagner : j’ai plus d’années de maîtrise de ce sort que vous n’avez d’années de vie. Cela étant, vous avez fait preuve d’une bonne endurance et vous m’avez suffisamment tenu tête pour que je sois satisfait. Mais tâchez de prendre garde lorsque vous utiliserez la Magie : face à un épéiste confirmé, au surnombre ou tout simplement à la ruse, vos capacités, aussi développées soient-elles, ne vous seront peut-être d’aucune aide.

— Oui, Grand-Maître », dit Fledge sur un ton d’humilité.

À bien y regarder, Polydos de Paramatria était un personnage surprenant : bien qu’étant proche de ses cinquante ans, il semblait légèrement plus jeune que son âge en dépit de ses cheveux grisonnants coupés courts, et de la barbe qu’il arborait, de même couleur. Fledge l’avait toujours vu comme un bloc de glace sans émotion, il le voyait à présent comme un mentor très sévère mais juste, et il se plaisait à imaginer comment aurait été sa formation de Magicien si ça avait été Polydos qui l’avait pris sous son aile à la place de Maître Valaddir. Nul doute qu’il en aurait bavé, peut-être même aurait-il craqué plusieurs fois, mais au bout du compte cela n’aurait-il pas été pour son bien ?

Alors que Fledge se perdait en conjectures, Polydos jugea que l’entraînement était terminé : selon lui, le jeune homme avait fait ses preuves en Magie Blanche et il n’était pas nécessaire de poursuivre davantage. Il l’invita alors à se rendre au bâtiment de Magie Verte, où le Grand-Maître Vélarianna l’attendait dans son bureau. Après un salut d’une grande déférence, Fledge prit congé de Polydos.

*

Il traversa le long couloir du rez-de-chaussée du bâtiment de Magie Blanche à grandes enjambées. Des pensées concernant Maître Valaddir, sa mission, les dangers qu’elle pouvait receler, les avertissements de Polydos se bousculaient, se collisionnaient dans sa tête. Alors qu’il était dans ses réflexions et se dirigeait machinalement vers le réfectoire et les dortoirs pour rattraper l’aile dédiée à la Magie Verte, il entendit qu’on l’appelait.

« Fledge ! Hé ! »

C’était Markus, accompagné par Yelinna et Steiner. À leur vue, Fledge ne sut ce qu’il devait faire : voir des visages amicaux lui faisait du bien car cela le sortait de tout ce qu’il avait déjà vu, entendu et subi depuis ce matin, mais faire attendre un Grand-Maître pour discuter n’était pas acceptable. De plus, il ne devait rien dire et il lui fallait donc élaborer un mensonge en urgence. Pesant le pour et le contre, Fledge ralentit le pas, ce qui fut suffisant pour que les autres viennent à sa rencontre.

« Où est-ce que tu étais passé ? Nous sommes au courant pour la rumeur sur Maître Valaddir ! prononça Markus avec de l’inquiétude qui débordait de la bouche.

— Ça va, Fledge ? Tu n’as pas l’air bien ? C’est en lien avec ce qui s’est passé cette nuit ? demanda Yelinna en lui posant la main sur le front. Celui-ci se dégagea poliment puis tenta une réponse qu’il souhaitait suffisamment floue et convaincante.

— Oui, évidemment, commença-t-il. J’ai été convoqué ce matin par le Conseil, pour m’informer de ce qui s’était passé cette nuit, et pour me signifier le report de mon voyage avec Maître Valaddir jusqu’à une durée indéterminée… Il commençait son mensonge par une vérité, afin d’y donner un peu plus de crédibilité.

— Ouais, tu m’étonnes que ce soit reporté…, marmonna Steiner entre ses dents.

— Je suis vraiment désolé de tout ce qui t’arrive : tu ne méritais pas ça, répliqua Markus avec une moue de déception, frappant son poing dans sa main. C’est vrai ce qu’on dit, alors ?

— Je ne sais pas. J’espère que non, bien sûr. J’ai beaucoup de mal à croire que Maître

Valaddir ait pu faire ce genre de choses. Là non plus, il ne mentait pas vraiment.

— Qu’est-ce que tu vas faire, dans ce cas ? demanda Yellina.

— Je crois que je vais en profiter pour rentrer me reposer à La Terre-Blanche, mentit-il. Le Conseil m’a autorisé à quitter l’Académie autant de temps que nécessaire, jusqu’à ce que cette affaire soit tirée au clair. Ce n’était qu’un demi-mensonge bien sûr, mais Fledge ne pouvait en dire davantage, et puis comme il semblait que tout le monde le croyait…

— Donc, tu repars bientôt ? s’enquit Yelinna.

— Ce soir, ou peut-être demain, ça dépend du temps qu’il me faudra…

— Du temps pour quoi ? demanda Markus.

— Pour préparer mes affaires de voyage, répondit Fledge avec un petit sourire gêné.

— Ah ça, c’est vrai que niveau ordre et organisation, tu ne t’es jamais arrangé, dit Markus en gratifiant Fledge d’une bourrade dans le dos. Tous rirent à cette boutade, ce qui détendit un peu l’atmosphère. Steiner, qui avait peu parlé jusque-là, adressa à Fledge une phrase qui faillit bien le déstabiliser.

— Et donc, si je comprends bien, on accuse Maître Valaddir d’avoir commis un vol et d’avoir agressé plusieurs personnes pour s’enfuir…

— C’est à peu près ça, fit Fledge d’un air gêné, qu’il tenta de masquer au maximum en conservant un visage empreint de neutralité.

— Et on te laisse simplement rentrer chez toi ? Je trouve ça plutôt léger de la part du Conseil…

— C’est-à-dire que… Ils m’ont interrogé ce matin, et ont bien vu que je ne savais rien de ce qui s’était passé. Et compte-tenu le lien avec Maître Valaddir, ils ont estimé que prendre de la distance était ce qu’il y avait de mieux à faire. De toute façon, c’est le Conseil qui décide, et je ne me vois pas leur tenir tête, simple Initié que je suis. J’espère simplement que tout ce dont Maître Valaddir est accusé est faux et qu’on en aura bientôt la preuve.

— Hm, d’accord, fit simplement Steiner sur un ton indiquant que cette réponse ne le satisfaisait pas du tout, mais qu’il s’en contenterait, faute de mieux.

— Tu sais que si tu as besoin d’aide, nous sommes là, Fledge…

— Mais oui, tu peux compter sur nous ! ajouta Markus d’un ton enjoué.

— Tu peux compter sur nous tous, compléta Yellina sur un air plus soucieux.

— Écoutez, je vous remercie. Vraiment. Mais, sans vouloir me défiler… je n’ai rien mangé depuis ce matin, et je voudrais passer au réfectoire avant de remonter dans ma chambre pour finir de ranger mes affaires et me reposer un peu avant le départ. Je vous écrirai une fois rentré chez mes parents. C’est promis.

— Bien sûr, pas de problème. De toute façon, si nous restons ici à discuter, on va se faire rappeler à l’ordre. Déjà que tout le monde est sur les nerfs…, reconnut Markus. Prends bien soin de toi surtout, ajouta-t-il avec un grand sourire.

— Ne nous oublie pas trop quand même, lui lança Yelinna.

Steiner conclut en serrant vigoureusement la main de Fledge.

— Bon, encore désolé, mais il faut vraiment que j’y aille, maintenant », prononça Fledge en amorçant un départ.

En s’éloignant, il répondit à ses camarades Magiciens par un franc signe de la main qu’ils lui rendirent tous. Peu après, Fledge tourna à l’angle du couloir et se retrouva dans le bâtiment du réfectoire et des dortoirs.

Il venait de mentir de façon éhontée à ses amis et avait été plus qu’expéditif avec eux. Il n’avait guère d’autre choix de toute façon, mais il se le promit, il leur raconterait tout une fois sa mission terminée. S’il en revenait… Il lui vint alors en tête l’idée qu’il ne les reverrait peut-être pas, et que les derniers instants avec eux ne furent que mensonges et faux-semblants. Ses amis ! Que penseraient-ils de lui quand ils apprendraient la nouvelle ?

D’abord, Markus Darion, le plus fidèle compagnon sur lequel il put compter à son arrivée dans l’Académie. De taille similaire à celle de Fledge, Markus contrastait avec son meilleur ami. Il était mince, presque maigre, avec le teint blafard, si bien qu’il devait régulièrement rassurer les gens qui s’inquiétaient de son état de santé. Ses grands yeux marron, sa chevelure courte, d’un blond terne, similaire aux blés en fin d’été, son air souriant et sa physionomie enjouée lui donnaient immédiatement un capital sympathie indéniable. Markus pouvait se vanter, grâce à son caractère, de se placer au-dessus des tensions entre groupes d’étudiants et de l’esprit de compétition qui pouvait régner parfois. Il était toutefois faux de ne voir en lui qu’un amuseur doublé d’un cancre : Markus était capable du plus grand sérieux quand la situation l’exigeait. Mais il savait parfaitement doser entre moments graves et plus légers : ainsi, il conservait toujours un calembour ou une remarque humoristique à libérer, ce qui faisait son succès auprès des autres élèves.

Markus venait d’une petite ville appelée Kraviken, située à la frontière entre Syborriah et Centrelieu. Fledge et lui arrivèrent le même jour et étudièrent de concert la Magie Blanche. Plutôt que rivaux, ces deux-là devinrent inséparables, se prêtant mutuellement main-forte pour s’entraîner, pour maîtriser les sorts et les formules magiques, pour ne pas craquer face aux difficultés. C’est encore ensemble qu’ils réussirent la Démonstration, choisissant de la passer en binôme, comme le règlement l’autorisait. C’est ensuite qu’ils prirent un chemin différent. Markus avait comme volonté de rendre ses lettres de noblesse à la Magie. Pour cela, il souhaitait ardemment se rapprocher du monde diplomatique et des ambassades, où il pourrait diffuser une image moins trouble et sectaire de son monde. Lorsqu’il avait expliqué cela, les instances de l’Académie, loin de l’en dissuader, l’avaient tout de même prévenu qu’en l’état, son statut d’Initié ne suffirait pas et qu’il devait donc achever sa formation auprès d’un Maître. On veilla alors à le confier entre les mains d’un Magicien plus apte à lui enseigner les relations diplomatiques, les règles des ambassades et les protocoles consulaires plutôt que l’étude approfondie de la Magie.

Il est vrai que depuis quelques mois, Fledge et lui se voyaient moins qu’avant, parce que chacun d’eux était très sollicité par leurs Maîtres respectifs. Néanmoins, ils s’arrangeaient pour arriver à trouver du temps à passer ensemble, et le jeune Magicien dut se faire violence pour mentir à ce presque frère depuis plus de dix ans.

Yelinna était une amie de Fledge venant d’une ville appelée Joltar, à environ une centaine de kilomètres au nord de Paramatria. Bien que plus petite que ses amis, Yellina ne s’en laissait pas conter pour autant : sa principale caractéristique était de ne pas avoir sa langue dans sa poche. Douée d’une répartie piquante sans jamais être assassine, elle savait parfaitement choisir le moment où décocher ses flèches. Elle était crainte pour ça : quiconque lui cherchait querelle s’exposait aux foudres linguistiques de la jeune Magicienne. Outre ce trait de caractère bien trempé, elle avait des yeux d’un noir éclatant, un nez en trompette, des lèvres légèrement charnues, que venait encadrer une longue et soyeuse chevelure de jais qui faisaient encore plus ressortir son teint de peau hâlé. Sa silhouette mince soulignait avec élégance ses formes féminines prononcées sans être exagérées. Yellina fit chavirer bien des cœurs par son physique, et déçut bien des espoirs par son verbe. Elle ne semblait en effet pas intéressée par une quelconque vie amoureuse, préférant se plonger dans ses études, et ne s’entourant que d’un groupe restreint de proches. Fledge, lui, l’appréciait pour sa jovialité, son esprit vif et son dévouement aux autres.

Voulant être utile et aimant rendre service, c’est tout naturellement que Yelinna apprit la Magie Verte et y réussit brillamment. Elle était Initiée, tout comme Fledge, voulant notamment développer ses connaissances dans les sortilèges de soins. Rapidement, et bien qu’étant dans un autre bâtiment, elle s’était liée avec les deux compères, et tous les trois passèrent les dix années qui suivirent ensemble, à chaque fois qu’ils n’étaient ni en cours ni en entraînement.

Steiner, enfin, était l’élément du groupe qui dénotait : il était aussi taciturne que Markus était enjoué, aussi silencieux que Yellina était volubile, aussi rebelle que Fledge était discipliné. Physiquement, il était plus grand que les autres, dépassant allègrement d’une tête les garçons. Face à lui, on se sentait comme mal à l’aise. Était-ce à cause de son regard dur, intense, qui avait la faculté d’hypnotiser la plupart des gens qui le fixaient ? Était-ce sa voix grinçante, qui donnait l’impression que l’on faisait crisser entre eux des débris de verre ? Était-ce encore ce crâne anguleux, aux pommettes saillantes, aux joues creuses, aux mâchoires carrées qui semblaient rouler sous sa peau ? Était-ce aussi la faute de cette large cicatrice qui partait du front et se poursuivait sur le cuir chevelu, cicatrice qu’au lieu de cacher il rendait visible en se coupant les cheveux très ras ? Était-ce enfin à cause de rumeurs disant que ce Magicien portait plus d’intérêt qu’il n’en était permis à la trouble Sorcellerie ? Steiner suscitait bon nombre d’interrogations, mais, en définitive, fournissait peu de réponses.

Plus en retrait que ses trois camarades, prenant peu la parole, préférant écouter plutôt que parler, il ne semblait pas s’accorder sur le ton général du groupe. Pourtant, Steiner était un ami fidèle, sur qui il était possible de compter en cas de problème. Bien que peu démonstratif la plupart du temps, il se laissait volontiers aller à des effusions de joie quand les circonstances le permettaient. Steiner venait de Paramatria même : c’était un enfant des rues, abandonné dès la naissance. Il avait grandi en orphelinat et fut soumis à la loi du plus fort dès sa plus tendre enfance. Il en tira force de caractère et persévérance. S’étant rendu compte de son affinité avec la Magie bien avant d’avoir l’âge requis pour entrer à l’Académie, il patienta jusqu’à ses dix ans, partageant son temps entre les brimades de l’orphelinat, des petits boulots mal payés et des larcins en compagnie d’autres gosses comme lui. Finalement, à l’âge requis, il disparut sans laisser de trace : on le pensa alors mort au fond d’une ruelle poisseuse. Au lieu de ça, il entra à l’Académie, où il apprit la Magie Blanche. Taciturne, il ne s’était lié avec personne, ne cherchant pas spécialement à créer de lien avec ses camarades. La solitude avait ses avantages, et puis après ce qu’il avait vécu, faire confiance était une terrible épreuve.

Il avait finalement rencontré Fledge, Markus et Yellina au cours de la terrible huitième année, réputée la plus difficile de la formation de Magicien. Alors que les garçons avaient eu des difficultés quant à la mémorisation de certaines formules, et encore plus quand il fallut les appliquer, et que Yelinna, si elle s’en sortait mieux de son côté, ne pouvait pas fournir une grande aide en Magie Blanche, Steiner avait débarqué d’on ne sait où et s’était proposé de mutualiser les compétences pour surmonter les difficultés. Il semblait sérieux et appliqué : il fit des miracles. Sa méthode d’apprentissage et d’entraînement très poussée traduisait un bourreau de travail, qui se doublait d’un perfectionniste : selon lui, un sort devait être su et maîtrisé, il n’y avait pas d’autre possibilité. Il insuffla un rythme de travail intensif mais salvateur à tout le groupe, y compris à Yellina qui appliqua ses conseils et en tira bénéfice. Depuis ce jour, Steiner rejoignit le trio qui devint un quatuor.

« Que diront-ils quand ils sauront la vérité ? Quelle sera leur réaction ? »

Fledge préféra chasser ces pensées de sa tête et se concentra de nouveau sur ce qui était important pour le moment. Il hâta le pas pour se rendre dans le bureau de Vélarianna d’Antenaris.


Texte publié par Maxime Rep, 25 avril 2024 à 12h08
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