Rester discret.
Une autre expression pour ne pas dire rester enfermé et s'ennuyer à mourir.
Cela faisait huit jours que nous avions discuté avec Haron. Huit jours que nous attendions impatiemment de ses nouvelles et huit jours que nous vivions à quatre dans un appartement prévu pour une seule personne. Mateo avait beau être un hôte en or, confiant son immense lit au dos d'Ingrid et au mien et nous préparant des plats exquis, cela n'arrivait pas à combler le fait que l'on tournait en rond.
Sans compter qu'il n'y avait plus aucune intimité. Moi qui appréciais passer des moments seule, j'en étais incapable. Il y avait toujours quelqu'un, toujours une conversation, toujours un bruit. Et, évidemment, rester en tête-à-tête avec Nikolaï était tout aussi impossible ; les yeux de Mateo et d'Ingrid nous épiaient sans cesse, comme ceux des vautours autour de leur proie. Je lui avais à peine adressé la parole ces derniers jours.
Ma seule consolation était les livres : l'appartement de Mateo en était plein. Beaucoup de livres techniques ou de non-fiction, des carnets de voyages, des livres photographiques, des biographies et des témoignages. Le huitième jour, j'ouvrais un ouvrage concernant Terraüris et me délectais des textes poétiques et des images incroyables qui me rappelaient ma maison. Assise dans le grand canapé d'angle devant la fenêtre, je tournais les pages avec émotion, oubliant presque jusqu'à l'endroit où je me trouvais.
Ma famille me manquait — ma vraie famille. J'avais définitivement tiré un trait sur ma mère biologique, mes frères et ce beau-père qui avait décidé du reste de ma vie. J'aurais aimé pouvoir parler à l'impératrice, la convaincre de m'aider à destituer son mari, peut-être même l'encourager à prendre le pouvoir à sa place. Mais je ne cessai de douter : je ne pouvais assurer dans quelle mesure elle n'était pas liée à mon enlèvement, d'une façon ou d'une autre.
Mes parents adoptifs, mes vrais parents, eux, me soutenaient. Je ne leur avais pas raconté en détail mes rencontres avec l'impératrice de l'empereur d'Ignisoria, souhaitant les protéger au mieux, mais ils savaient qu'elles ne s'étaient pas bien passées. Ils savaient que j'étais prête à rentrer et que je n'attendais que le départ du Voyageur des Horizons pour revenir auprès d'eux.
Revenir auprès d'eux. Rentrer. Je n'attendais que ça.
Quand mes yeux balayèrent les photos des paysages dans lesquels j'avais grandi, je ne pus retenir mes larmes. Le sud était merveilleux, différent, enivrant. J'avais adoré chacun des pays que nous avions traversés à bord du train, mais je n'éprouvais de l'amour que pour la région qui m'avait recueilli. Pour ses champs de lavande, ses hauts platanes et ses cités blanches.
Lirennia n'aurait jamais pu les remplacer.
Le cœur lourd, les souvenirs défilant devant mes yeux à mesure que je me perdais dans les illustrations et les photographies, je ne me rendis pas compte que quelqu'un s'asseyait à côté de moi. Je ne relevais les yeux que lorsque mon prénom me parvint.
— Tout va bien ?
Je déglutis, séchai du revers de la main les larmes qui humidifiaient mes joues et me contentai d'acquiescer, comme un réflexe. Nikolaï m'observait avec suspicion et inquiétude, alors je secouai la tête aussitôt. Non, je n'allais pas bien. Je pris une grande inspiration, reportai mon regard sur le livre et me raclai la gorge pour retrouver un peu de voix.
— Ça me manque.
— Chez toi ?
Je hochai la tête.
— C'est plus qu'une affaire de jours.
— Le Voyageur des Horizons ne repart que dans trois semaines.
— Oui, je sais, ce n'est pas idéal. J'essayais juste de te rassurer.
J'esquissai un sourire et soupirai. J'avais mal au cœur. Un mal de cœur fort, intense, lancinant.
Alors que plus aucun de nous ne parlait, je me rendis compte du silence. Du véritable silence. Aucun bruit de pas. Aucune conversation. Aucune machine à café en route. Nikolaï m'offrit alors un sourire qui confirma mes doutes.
— Ils sont partis. Ingrid est partie se balader dans Lirennia, elle avait besoin d'air. Et Mateo est parti au marché et m'a promis qu'il en avait pour au moins trois bonnes heures. Je le soupçonne d'avoir exagéré également.
— Tu lui as demandé de partir ?
Il haussa les épaules, gêné.
— Disons que je lui ai fait comprendre que tu avais besoin d'être seule. Et puis, clairement, moi aussi, j'étais en saturation.
Mes yeux le dévisagèrent. Mes mots se perdirent dans mes pensées. Mon sang battait dans mes tempes. Mon souffle s'arrêta.
Mais ce moment de flottement entre nous se brisa à la seconde où il détourna le regard, où il se racla la gorge, où il s'éloigna de moi. Je déglutis et relâchai mes épaules, des palpitations encore fortes dans la poitrine.
— Merci, arrivai-je à dire.
— De rien. Si tu as besoin de quoi que ce soit, surtout...
Il ne put finir sa phrase : son terminal vibra dans sa poche et je compris que cet instant reprenait sa place dans le cours du temps. Déçue, je regardai Nikolaï se lever et me tourner le dos pour répondre à l'appel. Mes yeux se posèrent de nouveau sur le livre et j'en tournai une page pour oublier cette désagréable sensation de frustration au creux de mon ventre.
— Ok, donc c'est plutôt positif ?
Je me retenais de regarder Nikolaï qui tournait en rond, son appareil collé à l'oreille. J'écoutais attentivement ses propres paroles, essayant de comprendre de quoi il s'agissait, quand soudain, la réponse me parvint enfin.
— C'est génial, Haron. Merci. Je te revaudrai ça. Ouais, on fera ça, promis, mais je vais attendre avant de revenir à Lirennia. Ça marche, je lui dis. Merci, hein. Salut.
Cette fois, je fus incapable de refréner ma curiosité. Le sourire de Nikolaï me rassura autant qu'il m'effrayait. Le suspense qu'il prenait plaisir à place entre nous me coupait la respiration et me contractait la poitrine. Je fermai le livre brusquement.
— Alors ? finis-je par lui demander.
Il rit et se rassit à côté de moi. Tendrement, il attrapa l'ouvrage posé sur mes genoux, le posa sur la table et attrapa mes mains entre les siennes. Ses yeux noisette se figèrent dans les miens et je me sentis presque défaillir.
— Haron a rassemblé des preuves, les a présentés à la rédaction. Et il a l'autorisation d'écrire le dossier.
— C'est vrai ?
— Oui, rit Nikolaï. Oui, c'est vrai. Il va le faire !
Je me jetai en avant. Mon corps entra en collision avec celui de Nikolaï et je le serrai entre mes bras. Le soulagement et la joie brisèrent mes barrières et des larmes dévalèrent mes joues pour rejoindre son épaule. Je plongeai mon visage dans son cou et sentis, peu à peu, ses mains dans mon dos. La pression de ses doigts me fit frissonner.
Je me détachai de lui, mon étreinte brusque s'étant transformée en une bien plus douce et, le rouge aux joues, je sondais son regard. Il semblait à bout de souffle et moi aussi. Je me penchai vers lui, progressivement, doucement, lentement, mes yeux toujours plongés dans les siens, incapable de me détourner. Il s'approcha aussi, me jaugeant prudemment, comme s'il cherchait à savoir ce que je pensais.
À ce moment, je ne pensais qu'à lui.
Nos lèvres se frôlèrent. Mes mains remontèrent sur ses joues. Je pressai ma bouche sur la sienne. Ses mains sur ma taille m'attiraient à lui.
Autour de moi, plus rien n'existait.
Autour de nous, le monde s'arrêtait.

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