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tome 1, Chapitre 31 « La vérité » tome 1, Chapitre 31

Mateo et Ingrid s'insurgeaient dans la cuisine. J'avais cessé de les écouter.

Toute mon attention était tournée vers Lena.

Son visage était figé face à la fenêtre de laquelle elle regardait la rue en contrebas. Les passants se saluaient joyeusement, un sac de course à la main ou un gros pain familial sous le bras. La vie suivait son cours quand, ici, tout semblait s'être arrêté. Je n'osai prononcer le moindre mot, les trouvant fades et dénués d'une quelconque aide, et me contentai simplement d'être là, aux côtés de celle qui avait été balayée par la vérité et les menaces.

À peine Ingrid avait-elle quitté le palais, main serrée dans celle de Lena, elle m'avait appelé. À travers le combiné, j'avais entendu la détresse dans sa voix mêlée d'une pointe de détermination. Elle m'ordonnait de trouver une solution, me suppliait presque. Car la famille impériale, et plus précisément l'empereur, n'avait daigné être favorable à leur demande. Lena demeurait muette depuis, se perdant sans doute dans mille et unes pensées désagréables. La seule solution que j'eus trouvée, au tréfonds de mon esprit, était une que j'avais voulu éviter. Je n'étais pas rassuré par cette possibilité et je m'étais éclipsé après l'avoir proposé à Mateo et Ingrid, les laissant débattre autour du si oui ou non, nous prenions ce risque.

Je ne pensais qu'à Lena.

J'étais incapable de savoir ce qui serait le mieux pour elle, ce à quoi elle songeait, là, assise dans le canapé, tournée vers la fenêtre, ce à quoi elle aspirait désormais. Dans sa situation, je serais tout aussi paralysé d'incertitude, pesant les pour et les contre jusqu'à la folie. Je me souvenais les mots d'Arieh : les Échos étaient des âmes tourmentées et il n'avait pu garantir la sécurité de Lena. Je craignais son immobilisme comme preuve que les Échos étaient venus de venger d'elle. Néanmoins, elle finit par détourner son attention de l'extérieur pour la poser sur moi.

— Qu'est-ce que je fais maintenant ?

Je retins mes épaules de se lever et attrapai l'une de ses mains en douceur.

— Tu feras ce qui te semble le plus juste.

— Je n'ai que deux choix : fuir ou résister.

Je secouai la tête tout en caressant ses doigts entre les miens. Cela calma ses tremblements.

— Tu as aussi le choix de poursuivre ta vie comme si de rien était. Rentrer chez toi, saisir de nouvelles opportunités, vivre.

— Les Échos ne me laisseront pas faire, tu sais ce qu'Arieh a dit.

— Je le sais, mais cette situation n'est pas de ton fait. Je crois qu'il te mettait en garde dans le cas où tu refusais de poursuivre la mission. Tu as fait ce que tu as pu.

— Non, pas encore, je ne crois pas. Tu as parlé d'une idée.

Je déglutis et dirigeai mon regard vers la cuisine de laquelle les voix d'Ingrid et Mateo s'élevaient toujours avec humeur.

— Ils sont en train de débattre pour savoir si cette idée est bonne ou non.

— Ne serait-ce pas plutôt à moi de décider ?

— Si, bien sûr. Je vais les chercher.

J'effectuai une légère pression sur ses doigts avant de m'en dégager et me levai vers la cuisine. Mes collègues et amis étaient là, face à face devant le plan de travail. Ce n'était pas la première fois que je venais ici, dans l'appartement de Mateo, mais j'étais toujours surpris de la luminosité des pièces, si bien que je plissai les yeux en entrant.

— On t'éblouit, Niko ? ria Mateo.

— Ouais, on va dire ça. Lena aimerait vous parler.

Ils se turent aussitôt. Ingrid me dépassa et se rendit aussitôt dans le salon. Mateo, lui, resta une seconde de plus à mes côtés et son regard me demandait comment elle allait. Je haussai simplement les épaules ; je ne pouvais qu'imaginer que son moral n'était pas des plus enjoués sans pour autant pouvoir assurer son état d'esprit.

De retour auprès de mes amies, je les vis l'une à côté de l'autre, chuchotant. Je me refusai de les interrompre — ce ne fut pas le cas de Mateo.

— Bon, alors princesse, qu'est-ce qu'on fait ?

Lena leva vers lui un regard amusé sur lequel je n'aurais pas parié. Je la vis prendre une grande inspiration tandis que ses yeux se teintaient d'une incroyable assurance, assurance qu'elle n'avait pas quand moi-même je me tenais à ses côtés.

— L'idée de Nikolaï me semble être notre meilleure alternative.

Je fronçai les sourcils, surpris. Elle le remarqua et enchaîna :

— Je ne peux pas rester les bras croisés alors que les avalones ont besoin de réponses. Tant que justice ne sera pas rendue, ma mission ne sera pas terminée.

— Mais tu as conscience que ta vie changera du tout au tout après ça ? Même si on le fait anonymement, l'empereur saura que c'est toi.

— Avalon la protégera.

La réplique d'Ingrid me fit frissonner. Je ne l'avais jamais vu aussi déterminé qu'à ce moment précis.

— L'empereur n'a pas voulu nous écouter et nous donner raison. Alors, le peuple le fera.

— Tu es sûre de toi ?

Je ne posai pas la question à Ingrid, mais à Lena. Elle plongea ses yeux dans les miens et acquiesça.

— Oui. C'est la bonne chose à faire.

Je hochai la tête en réponse et sortis mon terminal de ma poche. Je cherchai un instant un nom dans mes contacts et appuyai, non sans appréhension, pour démarrer l'appel. Je tournais sur moi-même, le temps des sonneries, et pris une grande inspiration quand mon interlocuteur décrocha.

— Niko ! Bordel, ça fait un bail !

— Oui, je sais, Haron. Désolé. Je te dérange pas ?

— Jamais ! Que puis-je faire pour toi ?

— Faudrait qu'on se voit. T'es dispo là, tout de suite ?

Silence. Je songeai que, peut-être, Haron ne pourrait pas m'aider. Mais je le connaissais, nous étions à l'école en semble et s'il y avait bien quelqu'un qui pouvait résoudre la situation, c'était bien lui.

— Je suis dispo dans une heure. Je te retrouve où ?

— Je t'envoie l'adresse.

— Dis-moi que tu t'es pas mis dans la merde, j'espère.

Je souris.

— Je te raconterai. C'est plus complexe que ça.

— Quand est-ce que ça ne l'est pas ? Bon, à tout à l'heure alors !

Il raccrocha avant que je ne puisse le remercier. Je lui envoyais l'adresse de l'appartement de Mateo dans la foulée et levai les yeux vers mes amis. Ils me regardaient tous avec cette inquiétude non feinte, attendant une confirmation quant à l'arrivée d'Haron.

— Il arrive d'ici une heure, leur dévoilai-je. En attendant, préparons ce que nous allons lui dire. Nous ne devons omettre aucun détail.

Lena fut la première à se lancer. Elle attrapa un papier et un crayon et nota, à la main, tout ce qu'elle savait. Ingrid compléta quand elle n'était pas assez précise. Mateo se tenait à côté de moi et m'entraîna à l'écart dans la cuisine, me proposant une tasse de thé pour me rassurer. Il ne parla pas, bu simplement son café avec moi, et, intérieurement, je l'en remerciai.

Cette heure parut être la plus longue de ma vie.

Quand mon terminal vibra dans ma poche, je me précipitai pour répondre. Haron m'indiquait qu'il était en bas. Je lui indiquai le numéro de l'appartement et nous lui ouvrions l'immeuble depuis notre étage. Dans l'encadrement de la porte, je perçus ses pas dans les escaliers qui résonnaient en écho avec les battements de mon cœur. Quand son visage apparut dans le couloir, je ne pus cacher mon soulagement et l'accueillit d'un sourire.

— Bah dis donc, t'as l'air content de me voir, rit-il tandis que je l'invitai à l'intérieur.

— T'as pas idée. On a besoin de toi.

Quand il parvint dans le salon et qu'il vit les regards posés sur lui, j'eus la sensation qu'il comprenait que la situation était critique. Il m'interrogea silencieusement, aussi curieux qu'inquiet.

— Je te fais un café ? T'en auras besoin.

— Ouep, ok.

Tandis que je disparaissais près de la machine à café, je l'entendis se présenter. Haron, en plus d'être un ancien camarade en qui j'avais placé toute ma confiance dans ma jeunesse, était un reporter hors pair et journaliste reconnu à Lirennia. Ses dossiers, parfois dénonciateurs, souvent révoltés, lui avait valu d'être embauché dans le plus grand journal anti-empire de la capitale — bien qu'il n'y ait pas vraiment de rivalités claires entre les deux, simplement, il y avait bien des personnes qui n'étaient plus satisfaites du système impérial et qui n'aspiraient qu'à suivre la voie d'autres nations, comme Terraüris, dans laquelle la république démocratique avait prouvé sa valeur.

— Alors, dites-moi tout, comment je peux vous êtes utile ?

Sa tasse de café en main, il s'installa face à Lena et Ingrid, prêtes à dévoiler les tenants et les aboutissements de l'histoire. Il alluma son magnétophone de poche tandis qu'elles démarraient leur récit. Je restai muet, les écoutant avec attention, analysant les expressions de mon ami et essayant de deviner ce à quoi il pouvait bien penser. Il ne laissait, cependant, rien paraître, ayant appris au cours de ses reportages à demeurer neutre en toute circonstance. Il n'y avait que lorsque ses doigts balayaient le clavier que ses convictions surgissaient.

— Vous savez tout, murmura Lena.

— Je vois. Ce n'est, en effet, pas une situation facile. Vous comptez donc sur moi pour révéler ces informations au grand public ?

— C'est ce que nous espérions, oui.

Je déglutis tandis qu'Haron gardait le silence. Il réfléchissait. Je me demandais si je ne m'étais pas trompé.

— Je vais avoir besoin de preuves. Des documents, éventuellement.

— J'ai quelque chose.

Ingrid sortit de sa poche son terminal, tapota quelques secondes sur l'écran et le tendit au journaliste. Il le prit ; je baissai les yeux sur l'appareil pour y voir apparaître le bouton rouge d'un lecteur.

— J'ai pris la liberté d'enregistrer l'empereur lors de notre entrevue.

— C'est un début. Légalement, en revanche, je ne peux pas l'utiliser dans l'article. Mais ça me donne une bonne raison de vous croire.

Il mit la piste en route et, aussitôt, la voix de l'empereur me fit frisonner. Mon regard se posa alors sur Lena qui se recroquevilla en écoutant l'échange désagréable. Mon sang bouillait à mesure que Quinlan Brekkenbridge parlait et avouait la vérité. Mais sa dernière phrase fut celle qui me fit sortir de mes gonds. J'allais intervenir quand Mateo m'asséna un coup de coude dans les côtes.

— Tais-toi, murmura-t-il.

Je m'apprêtai à me défendre, mais n'en eut pas l'occasion.

— L'empereur qui vous menace, personnellement, c'est dangereux, en effet, admit Haron. Je ne peux pas vous promettre la parution d'un dossier dans l'immédiat, il me faut d'abord requérir l'autorisation de la rédaction pour enquêter sur la princesse — sur vous — et sur les crimes commis en Avalon. Cela peut prendre du temps.

— Combien de temps ? demanda Lena, devenue pâle, la voix tremblante.

— Minimum un à deux mois, j'imagine, pas avant. Je vous préviendrai de l'avancée de la constitution du dossier et de sa rédaction. Je vous conseille de rester discret, en attendant, et, surtout...

Il affichait un air grave tout en observant Lena.

— Ne soyez pas à Ignisoria quand le dossier paraîtra. Cela vaudra mieux pour vous. Avez-vous un endroit où aller ?

— Chez mes parents, à Terraüris.

— Terraüris est parfait, affirma Haron. L'empereur ne viendra pas vous chercher là-bas. Quant à vous...

Ingrid attendit ses recommandations.

— Je ne crois pas que ce soit sûr pour vous de rester dans Le Voyageur des Horizons. Rentrez en Avalon. Ce que vous avez déclenché ici aura des répercussions sur le long terme. Les avalones auront besoin de vous.

J'aperçus Ingrid hocher la tête sans aucune once de peur dans le regard. Haron coupa son microphone, rangea son terminal et se leva.

— Je ferais tout ce que je peux pour révéler cette histoire. Mais soyez conscients, tous, que les conséquences pourront changer la face du pays.

— Tant que justice est faite, murmura Lena, c'est tout ce qui compte.

— La justice, oui, c'est important, admit Haron en souriant. Je vous admire, peu de personnes auraient le courage de détruire leur propre famille et leur pays de naissance pour apporter de la justice à un peuple qu'elles ne connaissent pas.

— Vous pensez que je ne devrais pas aller au bout ?

— Au contraire, je crois qu'il est essentiel que la vérité soit faite. C'est sur celle-ci que se base notre système. La vérité, la transparence, l'authenticité, la loyauté. L'empereur a failli à son devoir. Il a trahi notre confiance. Vous savez ce qu'on dit.

Il marqua un temps de silence et se tourna vers moi, un sourire au coin de les lèvres.

— Trois choses ne peuvent pas être cachées très longtemps. Le soleil, la lune et la vérité.

Je me souvenais de cette citation. Une citation de l'ancien monde qui avait conduit Haron a devenir journaliste, à révéler tout ce que personne ne voulait entendre, à monter ce que le monde entier refusait de voir. Il en avait fait son mantra, son cheval de bataille, à ses risques et périls.

Alors qu'il serrait sa main dans la mienne et que ses yeux dorés se plongeaient dans les miens, je sus.

Je sus qu'il ferait tout pour que la vérité éclate.


Texte publié par Elodye H. Fredwell, 14 décembre 2025 à 16h46
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