Le trajet touchait bientôt à sa fin. D'ici quelques heures, j'atteindrai mon but : arriver à Lirennia pour retrouver ma famille. Mais depuis mon départ de Terraüris, il y avait à peine quinze jours, beaucoup de choses avaient changé.
Mei-Lin m'avait permis de terminer mon service plus tôt et je pensais à ces trop courts moments avec l'équipage du Voyageur des Horizons. Mon contrat, si l'on peut dire, se terminait en même temps que le voyage. J'ignorai qui je reverrai une fois le pied à Lirennia et cela m'attristait. Je m'étais faite à la vie à bord. Peut-être que, finalement, mon avenir était là ?
Je secouai la tête et rangeai mon dernier tee-shirt dans mon sac. Mon objectif était clair : rencontrer l'empereur et l'impératrice pour qu'ils admettent leur culpabilité dans la mort de villageois avalones. Cela ne sera sans doute pas une partie de plaisir, je ne m'attendais pas à ce qu'ils acceptent aussitôt, ni même à ce qu'ils assument leurs crimes. Mais je devais essayer.
C'était la mission confiée par les Échos.
Je tournai la tête vers l'extérieur : nous avions quitté Valirem il y avait à peine une heure, découvrant peu à peu les paysages du sud d'Ignisoria, mais je ne parvenais pas à me réjouir. Chaque kilomètre avalé scellait un peu plus mon destin. Et, alors qu'on approchait irrémédiablement de la capitale, je ne pouvais empêcher une angoisse sourde de peser sur mes épaules.
Soudain, interrompant mes pensées, les vibrations de mon terminal de communication résonnèrent contre le bois de la table de chevet. Assise sur le lit, je n'eus qu'à tendre le bras pour attraper l'appareil. Aucun numéro ne s'affichait, la ligne étant visiblement privée, et je répondis, d'une voix fébrile.
— Madame Volyr ?
— C'est bien moi.
— Ici le secrétaire du Palais Impérial de Lirennia. Nous avons reçu votre mail.
Mon cœur manqua un battement.
— Madame Volyr ?
— Oui, pardon, je ne m'attendais pas à ce que vous me rappeliez.
— Votre message nous a interpellé, expliqua-t-il. Je me dois de vérifier qui demande à voir la famille impériale avant de vous proposer une entrevue.
— Bien sûr. Que voulez-vous savoir ?
Les jambes en tailleur, je peinais à cacher mes craintes. Mais le secrétaire était avenant, bienveillant et posait des questions auxquelles je n'eus aucun mal à répondre. Je lui racontai mon quotidien à Terraüris, lui parlait de la famille d'accueil qui m'avait recueilli, de mes apprentissages et de mon objectif depuis de nombreuses années. J'évoquai le ticket, ce fameux ticket de train qui m'avait suivi toute ma vie, et qui était le seul indice que j'eus sur mes origines.
— Et puis, finis-je, j'ai pris mon courage à deux mains pour venir jusqu'à Lirennia à bord du Voyageur des Horizons. Nous devrions arriver vers 8h40 demain matin.
Je déglutis, mal à l'aise à l'idée d'omettre le fait que j'avais fraudé pour monter à bord. Il reprit :
— Comment avez-vous découvert qui vous étiez ?
— Un peu par hasard, je dois l'avouer. C'est à Gavilgrad que j'ai eu connaissance de l'histoire de la princesse Vanya. Et, à Avalon, je...
J'hésitai. Devrais-je parler des Échos ? Je choisis d'omettre ce détail, me concentrant sur ce qui serait le mieux perçu par cet ignisorien. Pour lui, les Échos et tous les dons des avalones n'étaient sans doute que des légendes, comme c'était le cas dans le reste du monde.
— À Avalon, j'ai pu discuter avec quelques personnes qui m'ont fait prendre conscience des similitudes de mon histoire avec celle de la princesse. J'ai fait mes recherches, elles ont confirmé mes craintes.
Je déglutis. Mon récit n'était pas tout à fait le bon, mais j'imaginai que face à l'empereur et l'impératrice, je pourrais remettre les éléments dans le bon ordre. Le principal, à ce moment précis, était de convaincre le secrétaire.
— Bien, votre récit me paraît cohérent. Nous n'avons jamais retrouvé la trace de la princesse ainsi que celle des personnes coupables de son enlèvement. Vous dites que vous aviez un billet de train sur vous, en partance de Lirennia, datant de l'inauguration du train ?
— C'est exact.
— Pourriez-vous m'en envoyer une photo ? Les tickets du Voyageur des Horizons datant de cette époque et destiné à la famille impériale étaient spéciaux. Je voudrais m'assurer que celui que vous possédez soit bien l'un d'eux.
— Bien sûr, je vous l'envoie par mail.
— S'il s'avère que vous êtes bien en possession d'un de ces billets, j'organiserai une entrevue avec l'impératrice. L'empereur est, pour l'instant, indisponible. Il sera toutefois prévenu de votre arrivée.
— Je vous remercie.
Nous nous saluons poliment et à peine eut-il raccroché que je sortis le ticket de train de la poche de mon manteau et le photographiait en évitant de l'assombrir de mon ombre. La photo n'était pas exceptionnelle, j'en prenais une deuxième et une troisième, sous des angles différents, afin que les éléments brillants puissent être visibles. Je l'ajoutai dans le mail adressé au secrétaire et appuyai sur envoyer. Le cœur battant, je reposai le terminal sur mon lit et poussai un soupir.
L'attente serait longue avant une réponse, même avant une possible entrevue. Je remis mes affaires de toilettes dans leur trousse et restai un moment figée devant le petit miroir. J'avais vu des portraits de la princesse, de l'impératrice, de l'empereur et de leurs deux autres enfants. Nikolaï m'avait assuré que j'avais des traits en commun, mais outre mes yeux teintés du même vert brillant et intense, je ne saurais dire ce qui me rapprochait physiquement de chacun d'eux.
Ou peut-être que je refusai de voir les ressemblances tant que ce n'était pas réel.
Car, pour l'instant, j'avais l'impression d'être plongée dans un rêve ou l'une de ces histoires dont je me nourrissais étant plus jeune. Je doutais, chaque jour un peu plus, de mon appartenance à cette famille importante et, surtout, de mon lien avec leurs crimes. Pourquoi m'avait-on enlevé ? Qu'étaient devenus mes kidnappeurs ?
Je secouai la tête brusquement, chassant mes pensées, et me recoiffai rapidement. Je quittai ensuite ma cabine et traversai les wagons jusqu'au bar. J'avais bien besoin d'un petit remontant avant le repas du soir, n'importe quoi sucré et non alcoolisé ferait l'affaire. Quand j'entrai, je fus surprise de voir Nikolaï et Ingrid en grande conversation, à leur table habituelle. J'hésitai à les rejoindre ; je n'avais toujours pas discuté avec Ingrid de la possibilité qu'elle m'accompagne devant l'empereur et l'impératrice. Mais bien avant que je me défile, Nikolaï me fit un signe de main et son sourire me convainc de m'asseoir à leurs côtés. Tao me demanda ce qui me ferait plaisir et j'optai pour un soda aux agrumes qu'il m'apporta en l'espace de deux minutes. L'amertume mêlée au sucre me fit du bien.
Une fois que Nikolaï m'ait posé quelques questions banales pour savoir si j'étais prête, je lui annonçai mon premier contact avec le palais impérial.
— Tu as quoi ?
— J'ai envoyé un mail en partant de Kyriapolis, sans vraiment attendre de réponse. Je voulais juste tâter un peu le terrain.
— Et ils t'ont rappelé ? s'enquit Ingrid, vraisemblablement surprise.
Je leur racontai mon court entretien avec le secrétaire jusqu'à l'envoi des photos du billet. Je jetai un œil à mon terminal, craignant avoir manqué une réponse, mais rien — pour l'instant.
— Il m'a assuré qu'il ferait le nécessaire, si le billet était bien celui offert aux membres de la famille impériale par la compagnie En Avant Terre lors de l'inauguration, mais que je ne pourrais pas rencontrer l'empereur tout de suite. Il m'a juste dit qu'il était indisponible et que je rencontrerai l'impératrice avant.
C'est plutôt une aubaine, déclara Ingrid. Elle est réputée pour être calme et diplomate, au contraire de son mari, plus impétueux. Tu auras plus de chances de la convaincre elle que lui.
— La question reste comment je vais les convaincre.
— C'est pour cela que je viendrai avec toi.
Je fronçai les sourcils en tournant la tête vers Ingrid, assise à côté de moi.
— Vraiment ?
— Nikolaï m'a convaincu et ce que tu viens de dire aussi. Je dois faire valoir les droits des avalones après le massacre du clan des Racines Carmines.
Je la vis pousser un soupir, sans pouvoir l'interpréter.
— Ta présence va faire vaciller bien des murs. Tu n'as aucune idée de ce que tes paroles vont déclencher.
— Je crois que je commence à imaginer.
— C'est important, intervint Nikolaï. Il est temps que la famille impériale assume les conséquences de leurs actes.
— Et s'ils refusent de m'écouter ? Si l'entrevue avec l'impératrice ne se passe pas bien ?
— Nous trouverons un autre moyen. J'ai quelques contacts à Lirennia qui pourront nous aider, mais j'attends de voir ce que donneront les discussions avant d'engager quoi que ce soit. Ce serait bien mieux si c'était la famille impériale elle-même qui avoue tout.
J'acquiesçai, d'accord avec cette perspective. Mais je doutais que ça soit si facile. Je bus une gorgée de ma boisson gazeuse tout en songeant aux mots que je choisirai pour convaincre l'impératrice.
Ma mère. J'en eus des frissons rien que d'y penser.
— Que vais-je bien pouvoir leur dire ? murmurai-je, cherchant le courage dans les mots de mes amis.
— Sois la plus concise possible, me répondit Nikolaï. Pas de suppositions ni d'hésitations.
— Juste les faits, ajouta Ingrid. Je sais que les dons avalones ne sont pas très bien vus partout ailleurs, mais tu auras des preuves qu'ils ne pourront pas réfuter. La lettre d'Arieh, par exemple.
— Je ne l'ai pas lu. Tu crois vraiment qu'elle pourra faire pencher la balance ?
— Bien sûr. Arieh est connu, tu sais. On dit qu'il avait contacté l'empereur et l'impératrice après ton enlèvement pour leur dire qu'il les aiderait s'ils venaient le voir. Mais ils n'ont jamais voulu.
— Pourquoi ?
— Je pense que l'empereur se sentait encore coupable de ses crimes envers Avalon, mais je ne peux pas le garantir.
Cela ne me surprenait pas. J'espérais sincèrement que la missive confiée par Arieh suffirait à ouvrir la discussion.
Je terminai la boisson et restai un moment là, silencieuse. Ingrid quitta la table, m'obligeant à me lever pour la laisser passer, et j'empruntai sa place côté fenêtre. Dehors, tout s'assombrissait à mesure que la nuit approchait et bientôt, les villages alentours furent invisibles. Ici, il y avait peu de végétation et je regrettai la douceur de la forêt d'Avalon en voyant ces plaines sans arbres et sans haie. Ignisoria était le pays le plus développé de tous et, au loin, je pouvais apercevoir de la fumée blanche s'échapper d'usines. Si les innovations étaient très contrôlées depuis l'entrée dans la nouvelle ère, la production n'avait pas cessé ici. Je me demandais combien de temps encore l'être humain demeurerait raisonnable.
— Tu as l'air tracassée.
La voix de Nikolaï me sortit de mes pensées et je lui souris pour lui indiquer que ça allait. Mais ça n'allait pas. Pas le moins du monde. Je serrai les mains autour de mon verre pour que mes doigts ne tremblent pas. Je sentais une boule d'angoisse dans ma poitrine qui me coupait le souffle à chaque inspiration. Mes pieds dansaient au rythme d'une musique inaudible, battant une cadence rapide venue des tréfonds de mon être. Je ne voulais pas l'inquiéter outre mesure ; il se faisait déjà sans doute bien assez de souci.
— Tu peux compter sur moi, tu le sais ?
Je hochai la tête. Oui, je le savais. Il avait été là à chaque minute de cette aventure, m'octroyant une place parmi les siens, au sein de ce train magnifique. Il m'avait accompagné à la rencontre des Échos, il m'avait soutenu quand la vérité avait éclaté, il m'avait épargné la solitude quand j'étais sortie de chez Arieh. Je n'étais pas seulement reconnaissante pour tout ce qu'il faisait pour moi. J'avais aussi la certitude que ce n'était que le début.
Le début de nous.

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