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tome 1, Chapitre 24 « La grande bibliothèque de Kyriapolis » tome 1, Chapitre 24

À peine revenus au sein du Voyageur des Horizons, Lena et moi avions regagné nos postes respectifs. Nous avions vingt-deux heures de trajet pour atteindre la belle Kyriapolis, au cœur du pays de Valirem, et ainsi, en découvrir plus sur la famille impériale. Sur le chemin du retour, entre la maison d'Arieh et la gare, j'avais donné toutes les informations que je détenais sur les Brekkenbridge, nullement surpris que Lena fut l'une d'entre eux. Et pas peu fier d'avoir émis cette hypothèse presque instinctivement. Lena me l'avait fait payer d'un coup de coude dans les côtes dont j'en gardais une légère douleur lancinante en enfilant mon costume de contrôleur.

Mon tour de garde commençait à peine le repas des voyageurs terminé. Je saluai plusieurs personnes avec un sourire, mais je sentais qu'il y avait toujours une certaine animosité dans l'air. Certains passagers n'avaient pas encore digéré le retard de quasiment vingt-quatre heures que le trajet avait subi. Je faisais tout pour que cette humeur ne me touche pas, mais c'était peine perdue. Mon rôle était de rendre les passagers heureux, ou tout du moins, apaisés pendant leur croisière ferroviaire. Quelque part, je me sentais responsable de ce qu'il s'était passé.

Et pourtant, pour rien au monde, je ne voudrais effacer ces derniers jours.

Tandis que je rangeais le premier wagon Noble et le débarrassait des quelques papiers et autres déchets abandonnés sous les sièges, je songeais à Lena. En vérité, je pensais toujours à elle. Ses longs cheveux aux reflets roux, ses yeux verts pétillants, ses lèvres rosées... Je n'arrivais pas à m'enlever de la tête tous ces moments que nous passions ensemble et que j'espérais encore passer à ses côtés.

Mais malgré les envies de mon cœur, ma raison me demandait d'être prudent. Car, à la minute où nous mettrions les pieds à Lirennia, Lena quitterait à jamais les tôles protectrices du Voyageur des Horizons. Son objectif était clair : discuter avec la famille impériale d'Ignisoria pour leur faire avouer la vérité sur ce qu'il s'est passé à Avalon. J'ignorai comment elle allait bien pouvoir s'y prendre, mais elle semblait confiante. Arieh avait raison : les Échos la guidaient vers ce qui est juste.

Je finissais de replier les rideaux et de remettre les sièges droits quand Ingrid me rejoignit. Elle non plus, ne dormait plus beaucoup depuis qu'elle avait vu les Échos dans la forêt. Elle ne dit pas un mot, se contentant de s'asseoir sur la banquette, côté vitre, et de regarder l'extérieur avec nostalgie. Les bois de son enfance s'éloignaient peu à peu dans l'obscurité et je lui demandais pourquoi elle ne voulait pas y retourner.

— Je pourrais, m'expliqua-t-elle. Mais moi aussi, j'ai une mission.

— C'est-à-dire ?

— Je veux permettre aux avalones de voyager. Leur prouver que c'est possible, même à bord de ce train. Je voudrais qu'ils puissent pardonner.

— On dirait que ta mission et celle de Lena sont liées.

Ingrid sourit et ce fut à ce moment que je vis tout le soulagement au fond de son regard. Je m'assis à côté d'elle, l'invitant par mon silence à poursuivre ses confidences. Mais elle ne dit rien de plus à ce sujet.

— Tu penses qu'Analena sera capable de faire avouer la famille impériale ?

Je haussai les épaules.

— Je l'espère. Il n'y a qu'elle pour le faire.

Puis, une idée me vint. Si je ne pouvais pas l'accompagner, car elle refusait que je l'aide, peut-être qu'Ingrid pourrait, elle ?

— Tu pourrais y aller aussi.

— Où ?

— Au palais impérial. Tu es avalone, tu connais l'histoire, tu as été témoin des agissements des Échos. Tu serais un soutien de taille pour Lena.

— Et pas toi ? Tu en as plus vu que moi.

— Mais je ne suis pas avalone. Ma voix ne comptera pas dans ces négociations. Alors que toi, si tu y vas...

Je vis bien qu'elle n'était pas convaincue. Je poursuivis alors, avec un dernier argument :

— Ça compléterait la mission que tu t'es donnée. En confirmant les propos de Lena auprès de la famille impériale, tu permettras, toi aussi, aux avalones d'être libérés de leurs souffrances, en quelque sorte. Et donc, petit à petit, d'être plus confiants à l'idée de voyager.

— C'est un peu tiré par les cheveux.

Je ris en haussant les épaules.

— Je dis juste que tu as sans doute un rôle à jouer là-dedans.

Elle parut réfléchir sans pour autant me donner de réponse satisfaisante. Je me tournai alors vers l'extérieur, la nuit encore sombre, tandis que nous nous éloignons de plus en plus des forêts d'Avalon. Cela me manquerait, comme toujours. Kyriapolis était belle et somptueuse, mais ce n'était rien à côté du calme du pays nordique.

7h du matin s'approchèrent, le soleil refusant de pointer le bout de son nez. Encore plongé dans une nuit sombre, le train, lui, s'éveillait peu à peu. Dans la salle de restaurant, les tables étaient prises d'assaut par les passagers pressés de découvrir l'architecture blanche de la capitale de Valirem. Je me faufilai, jetai un œil en cuisine et vit Lena en pleine préparation d'un plateau. Je ne la dérangeai pas et continuai mon chemin jusqu'au bar. Là aussi, quelques tables étaient déjà occupées et je commandais mon petit-déjeuner habituel pour le prendre dans le wagon du personnel. Le thé fumant et le croissant demeuraient dans un petit sac en papier et je ralentis le pas dans les wagons-lits pour ne pas bousculer les passagers qui quittaient les salles d'eau ou leurs cabines.

Quand je passai la dernière porte, je poussai un soupir d'aise. Seule Asha était allongée dans le canapé, écouteurs dans les oreilles, profitant des premières heures de la journée pour se prélasser avant le début de son service. Sur la table basse, son café noir diffusait son odeur amère, caractérisant un réveil difficile pour ma collègue. Je m'assis dans un fauteuil, retirai mon gobelet de son portant et en sortit le sachet avant que la boisson ne devienne trop puissante. Puis, le dos posé contre le dossier confortable, je me laissai aller aux effluves d'agrumes et à la chaleur entre mes paumes.

Je terminais mon croissant quand la voix de Mateo résonna dans les hauts-parleur du train, annonçant l'arrivée en gare de Kyriapolis. Il ne me restait qu'une gorgée de mon thé et, en face de moi, Asha poussa un profond soupir et se redressa. Elle m'offrit un geste de la main et un sourire, puis but son café d'une traite. Les écouteurs toujours dans ses oreilles, elle quitta le wagon et je me retrouvai seul. Cela ne me plaisait pas spécialement. Je devrais cependant bientôt m'y habituer si je quittais le train comme je l'avais imaginé.

Je poussai un soupir, jeter le sac et son contenu dans la poubelle et rejoignis l'étage. D'ici, je pouvais facilement voir les toits de Kyriapolis malgré l'obscurité. Elle était éclatante, comme à son habitude. Ville vivante de nuit comme de jour, ses murs blancs étaient éclairés de multiples lumières, la transformant en phare dans la nuit. Je devrais me réjouir, mais je n'y parvenais pas. Plus le train s'enfonçait dans Valirem, plus le temps était compté. Mon temps avec Lena. Mais aussi le temps à bord de ce train.

Pourrais-je vraiment partir ? Je commençais à sérieusement en douter.

Mateo annonça l'arrivée en gare et je descendis afin de traverser les wagons. Comme convenu par message la veille au soir, nous devions nous retrouver à la porte du premier wagon-lit des passagers avec Lena. Je m'arrêtai dans ma chambre, troquai mon costume de la compagnie pour un de mes habituels tee-shirt blanc et pantalon bleu marine, attrapai ma veste pendu derrière la porte et en ressorti précipitamment.

Lena m'attendait déjà devant la porte. Je la saluais d'un sourire et l'invita à sortir quand le train fut à l'arrêt. Derrière nous, quelques passagers suivirent le mouvement et une petite foule se retrouva sur le quai de la grande Kyriapolis. J'échangeai quelques signes de main avec des collègues que je reconnus et m'engageai dans le hall. Rien que cet endroit était époustouflant. La gare était tout aussi blanche que le reste de la cité, illuminée d'appliques aux lueurs tamisées se réverbérant sur les murs clairs. Et puis, il y avait ce dôme. Immense, majestueux. La nuit était encore sombre à cette heure de la matinée, mais quand il faisait bien jour, avec un soleil de plomb, le spectacle était magnifique. J'expliquai à Lena que, là, nous ne pouvions apercevoir tous les détails du verre, mais que dès que les rayons solaires toucheraient la paroi, il se transformerait en un vitrail aux nuances colorées parfaites. Elle sembla pressée de le découvrir.

Les rues étaient déjà animées quand nous nous engagions dans Kyriapolis. Je proposai à Lena de lui prendre un petit-déjeuner et elle demanda un simple café. Je lui commandai un gobelet dans une petite boutique et elle y ajouta un grand cookie aux pépites de chocolat noir, croquant à l'extérieur, fondant à l'intérieur. Sur le chemin pour la bibliothèque, elle partagea cette gourmandise avec moi et je ne pus que me réjouir de sa saveur sucrée.

À côté des temples, des bâtiments administratifs, des commerces et des habitations, la bibliothèque était imposante. Surplombant la ville, on pouvait y accéder en grimpant les cent marches ou via un ascenseur. Les colonnes de l'entrée encadraient une immense porte en bois clair sculpté de l'histoire de la ville. Car, et Lena l'ignorait, Kyriapolis avait été le théâtre d'événements notables. La religion n'avait jamais eu beaucoup de place sur Terre après la Tempête Planétaire, mais les habitants de Valirem s'étaient efforcé de croire en une ou plusieurs entités supérieures, se rapportant à de vieux textes anciens. C'était ainsi qu'ils avaient bâti des monuments à l'effigie d'anciennes divinités. Et tout s'était très bien passé : les différents courants religieux se côtoyaient avec bienveillance. Les problèmes ne vinrent pas des croyances en elle-même.

— L'appât du gain a vite repris le dessus sur les hommes, expliquai-je à Lena quand nous grimpions les marches de la bibliothèque. Une secte est née, les Ailes d'Or, et bien avant que les autorités de Valirem s'en rendent compte, elle comptait déjà beaucoup d'adeptes.

— Comment les ont-ils attirés ?

— L'appât du gain, justement. Le gourou demandait une participation financière toujours plus grande pour que les gens qui entraient dans sa secte deviennent, eux aussi, riches. Et pendant un temps, ça fonctionne, puisque c'est du donnant-donnant. D'après ce que j'ai compris, si tu participais à la vie de la secte, tu gagnais de l'argent. Sauf qu'au bout d'un moment, quand les adeptes étaient enfoncés trop loin, ils partaient du principe que c'était leur croyance qui les rémunérerait. Les adeptes n'étaient plus rémunérés, mais continuaient de payer pour rester dans la secte. Et il y a eu une grande vague de suicide à cause du manque d'argent.

— C'est terrible.

— Ça l'est, ils ont touché la corde sensible des gens. Maintenant, tout est surveillé pour éviter ce type d'entreprise. Mais ça n'a pas été la seule qui a été découverte à ce moment ; en réalité, il y avait une dizaine de sectes dans tout le pays. Elles ont, normalement, toutes été démantelées.

Mon histoire s'arrêtait ici, au moment où nous avions grimpé toutes les marches. Je repris mon souffle au sommet. Lena se moqua de moi, mais je vis bien qu'elle aussi était essoufflée par la montée. Nous n'étions pas des sportifs, ce n'était plus à prouver.

Nous entrions dans la bibliothèque. Elle paraissait encore plus gigantesque à l'intérieur. Le carrelage du hall était couvert d'un immense tapis qui menait jusqu'à une statut de marbre blanc. Je ne reconnus pas la femme représentée, mais Lena lut sur la plaque en or que c'était une personnification de l'imagination. Une silhouette bien en chair, couverte d’étoffes, avec des piles de livres à ses pieds. Son visage était levé vers le dôme, vers le ciel, et en suivant son regard figé, j'aperçus que le soleil tentait de percer les nuages. Ici aussi, quand il faisait bien jour, les couleurs somptueuses du vitrail se révélaient.

Le bureau d'accueil se trouvait de l'autre côté de la statut, tout au fond. De chaque côté du chemin principal s'étendait des étagères à n'en plus finir. Mais ce n'était rien comparé aux étagères que nous pouvions observer. Derrière les rambardes de bois sombres et de fer forgé doré, les rayonnages étaient presque oppressants. J'espérais que nous trouverions rapidement ce que nous cherchions dans cette immensité de savoir. Lena demanda des renseignements et la bibliothécaire nous guida vers le grande escalier, rejoignant ainsi le deuxième étage. Elle nous fit traverser des couloirs d'étagères immenses et je me sentis rapidement perdu dans ce labyrinthe.

— Voilà, c'est ici.

Je la remerciai d'un sourire et poussai un soupir en tournant autour de moi. Je n'allais jamais retrouver la sortie. Je me sentis piégé et, une main sur le coeur, je m'assis sur le premier fauteuil que je vis.

— Tout va bien ?

Je hochai la tête, les yeux fermés, me concentrant sur l'air qui entrai et sortai de mes poumons. Ce n'était pas le moment de faire une crise d'angoisse. Ce n'était jamais le moment. Je me forçai à calmer les battements de mon coeur et, alors que je perdais peu à peu le contrôle, une main se posa sur la mienne. Je levai les yeux vers Lena, accroupie devant moi. Mon souffle se coupa un instant et je m'imaginai goûter ses lèvres délicates, plonger ma main dans ses cheveux doux et...

— Nikolaï ?

Je reviens à la réalité brusquement. Mon coeur s'était calmé, ma respiration avait repris un rythme régulier. Je me frottai les yeux, au bord des larmes, et hochai la tête plusieurs fois, pour me convaincre que tout allait bien.

— Tu veux qu'on sorte ?

— Non, non, m'empressai de dire. Ne me parle pas de sortir, s'il te plaît. Je...

Je n'osai pas lui avouer, n'osai pas prononcer ce que je ressentais. Mais ses yeux insistaient. Je poussai un soupir, chassant les dernières tensions dans ma poitrine, et murmura :

— Ça va aller. J'ai juste... Je me suis juste senti perdu au milieu de... de tout ça.

— Tu es agoraphobe, n'est-ce pas ?

Je hochai la tête. Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas entendu ce mot, mais je devais bien avouer que cette étiquette me collait à la peau.

— Je l'ai remarqué lors du tournoi de ski nautique, à Fagaros, quand nous étions sur le point de partir. La foule te fait aussi cet effet ?

— À Fagaros, j'ai été trop sollicité. Sensoriellement parlant. Mais oui, il y avait aussi la peur de ne pas pouvoir partir qui a joué.

— Si tu as besoin, je suis là, d'accord ?

J'acquiesçai et me redressai, un sourire faussé sur le visage. Je l'encourageai alors à commencer les recherches, le temps de reprendre totalement mon souffle, et elle se dirigea vers la première étagère. Je me plaçai à ses côtés, réceptionnant les livres qui lui semblait intéressant, et les emmenai sur une table, plus loin. En voyant la dizaine de livres, je baissai les regard sur ma montre. Nous en aurions pour un moment.

— Prêt ? me demanda Lena.

Assise en face de moi, je ne voyais que ses yeux par-dessus la pile de livres. Le sourire qu'elle devait afficher me rassura et j'acquiesçai, empruntant alors le premier ouvrage. Mon rôle était de repérer les plus intéressants pour qu'elle soit prête le jour où elle se trouvera dans le palais impérial. Mais plus mes yeux parcouraient le sommaire, plus je me demandais si l'on était vraiment prêt le jour J.

Si nous étions capable d'être vraiment prêt à affronter la vérité.


Texte publié par Elodye H. Fredwell, 14 juin 2025 à 11h12
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