Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 23 « Rompre les liens » tome 1, Chapitre 23

Arieh ferma la porte derrière moi et je compris que je n'avais plus aucun moyen de reculer. Les mains cachées dans mes manches, les dents triturant mes lèvres, je restai debout, le cœur battant d'appréhension, tandis qu'il s'asseyait dans un fauteuil. Il m'invita à faire de même, sur celui d'en face, et pris une inspiration afin de calmer mon anxiété.

Je ne me reconnaissais pas. Je n'avais jamais été aussi inquiète et stressée que depuis que les Échos avaient tissé leur toile dans mon esprit. Que depuis que je les avais rencontrés dans la forêt des Héritages. Que depuis que Sylvana m'avait donné le talisman. Et cela n'allait pas en s'arrangeant : si j'étais effectivement la princesse impériale, qu'adviendrait-t-il de moi ? Cette question ne me lâchait pas, tournant inlassablement dans ma tête comme une toupie inarrêtable.

— Vous êtes en sécurité ici. Les Échos ne viendront pas vous importuner.

La voix d'Arieh était douce et je m'autorisai à relâcher mes épaules. Il alluma une bougie dont la douce odeur de cannelle me chatouilla les narines. Il la posa sur un guéridon et leva un regard apaisant vers moi.

— Est-ce que vous pouvez fermer les yeux ?

La gorge toujours serrée d'angoisse et de larmes, je me contentai d'un hochement de tête. Il m'incita à prendre une grande inspiration et à fermer les paupières sur l'expiration. Puis, sa voix m'enveloppa comme un drap de satin et je sentis mes doigts cesser leurs tremblements.

— Ce ne sera pas long, expliqua-t-il. Je vais vous demander de vous concentrer sur votre respiration, sans chercher à la modifier. Observez simplement où elle se place, quelle est son amplitude, et concentrez-vous sur les mouvements de votre corps. Le va-et-vient de l'air dans les poumons, le gonflement du ventre, le relâchement des épaules...

J'avais du mal à comprendre où menait cet exercice, néanmoins je me pliai aux exigences du magnétiseur et tentai, tant bien que mal, de ne pas modifier le rythme de ma respiration. Ce n'était pas une mince affaire, surtout quand mes pensées reprenaient leur place, puissantes, violentes et bruyantes, m'empêchant presque d'entendre le crépitement de la bougie ou les chants d'oiseaux filtrés à travers les fenêtres.

— Laissez-vous guider vers la détente. Votre respiration est votre alliée. Si des pensées vous viennent, laissez-les venir, elles ne sont que de passage. Revenez toujours à la respiration comme si elle était votre phare parmi le brouillard de votre esprit.

Plus il parlait, mieux j'arrivais à ressentir les bienfaits de ce moment de pause. Derrière mes paupières, j'imaginais mes pensées comme une foule vindicative qui, grâce aux paroles d'Arieh, se tenait à distance, observatrice des secondes qui s'écoulaient. J'entendis Arieh se lever et sentis sa présence autour de moi. Je ne me sentais pas sereine quand l'inconnu approcha sa main de mon épaule, mais jamais il n'établit le contact. À la place, j'entendis sa voix calme dans mon dos me dire :

— Je vais maintenant passer mes mains autour de votre corps pour capter votre énergie. Continuez de respirer librement et, si possible, tentez de suivre mentalement le chemin de votre énergie.

C'était abstrait pour moi, mais je ne dis rien. J'étais dans un état un peu second, pas tout à fait éveillée, mais pas endormi non plus. J'avais l'impression que si je devais prononcer le moindre mot, ce sas se briserait et les pensées recommenceraient à fourmiller. Alors, je me concentrai. D'abord sur ma respiration, comme il l'avait déjà évoqué, puis sur mon énergie intérieure. À mesure que je me recentrai sur mon moi intérieur, je voyais comme des lignes courir de mon cœur jusqu'à l'ensemble de mes membres, s'illuminant à mesure qu'Arieh faisait danser ses mains au-dessus de ma peau.

— L'énergie échoale se mêle à la vôtre dans un enchevêtrement complexe. Vous êtes venues à temps.

— C'est-à-dire ?

Ma voix était cassée, basse, comme si je venais de me réveiller d'un long songe. Il ne répondit pas tout de suite, poursuivant son analyse jusqu'au bout de mes pieds avant de se redresser et de m'autoriser à ouvrir, doucement, les yeux. Assit en face de moi, il paraissait me jauger intensément.

— Les Échos vibrent sur une fréquence très différente des humains. Plus haute. C'est pour cette raison que tout le monde ne peut pas communiquer avec eux ou déceler leur influence. Tous les humains vibrent plus ou moins au même niveau, mais certains événements ou certaines rencontres peuvent modifier la vibration de notre énergie. Dans mon cas, je suis tombé de cheval, sur la tête, et suis devenu sensible à l'énergie des êtres. Je peux ressentir l'influence de celles des Échos.

— Et dans mon cas ?

— Je crois que vous savez ce qui a déclenché ce changement chez vous.

Je fis mine de réfléchir, car il avait raison. Tout avait changé le jour où j'étais monté dans ce train. Ingrid me l'avait confirmé quand, elle-même, a commencé à avoir des visions. Je hochai la tête et lui racontai.

— Vous avez une énergie particulière, me révéla-t-il ensuite. Elle semble installée depuis bien longtemps, plus longtemps que le début du trajet du Voyageur des Horizons.

Je fronçai les sourcils. Il se leva de nouveau et me demanda s'il pouvait poser deux doigts sur mon front. J'acceptai et fermai les yeux à son contact. Ses phalanges étaient fraîches et apaisèrent la migraine sourde qui m'épuisait.

— Que savez-vous de votre enfance ?

Je déglutis avant de répondre.

— Je sais juste que mes parents m'ont trouvé à l'orphelinat.

— Mmmmh.

Je n'aimais pas ce son, mais n'osai prononcer le moindre mot. Que voyait-il ? Que pouvait-il me dire ?

Ses doigts se détachèrent de ma peau et il s'éloigna, me poussant à rouvrir les yeux. Dans son fauteuil, il n'arborait aucun sourire et son regard se voila de perplexité.

— Vous savez qui je suis vraiment, osai-je murmurer.

— En effet. Et vous, le savez-vous ?

— Je n'en suis pas sûre...

Il hocha gravement la tête et prit une inspiration.

— Vous savez, Le Voyageur des Horizons a une bien triste histoire.

— Oui, j'ai appris que la construction avait provoqué la destruction d'un village et la mort d'avalones.

— C'est exact. Certains Échos sont liés au train, d'une certaine façon. C'est ainsi qu'ils ont su que vous montiez dedans et que vous alliez vers eux.

Il se redressa dans son fauteuil et lia ses mains entre elles.

— Chaque être à une énergie qui lui est propre, vous savez. Quand vous naissez, vous héritez d’une partie de l'énergie de vos parents, et au fur et à mesure de vos expériences, votre énergie se façonne. Mais comme l'ADN, l'énergie garde toujours cette part qui ne vous appartient pas vraiment, subtil mélange de celles, dans votre cas, de votre mère et de votre père.

Je déglutis et détournai le regard pour le fixer sur la flamme de la bougie. Mon cœur battait la chamade. Il poursuivit :

— Les Échos ont reconnu une énergie qu'ils connaissaient en vous, quand vous êtes montées dans ce train. Et une fois passé la frontière d'Avalon, vous étiez sur leur territoire. L'énergie échoale s'est liée à la vôtre et, comme sa fréquence est différente de la vôtre, elle a commencé à vous empoisonner. C'est pourquoi je disais que vous étiez venue à temps.

— Que se serait-il passé si je n'étais pas venue ?

— Votre esprit se serait brisé.

Je poussai un soupir.

— Mais ce n'était pas le but des Échos, me révéla Arieh en voyant mon trouble. Ils voulaient que vous appreniez la vérité pour que justice soit rendue.

— Et cette vérité est...

Arieh sourit et pendant un instant, je crus que je n'aurais jamais une réponse précise. Je bouillonnai de l'intérieur. Je voulais savoir. Fini les suppositions. Fini les doutes. Qui étais-je, vraiment ?

— Votre énergie correspond à celle de la famille impériale d'Ignisoria. Celle-là même qui a ordonné la destruction du village du clan des Racines Carmines et l'exécution de ses habitants. Vous êtes la princesse Vanya Brekkenbridge, enlevée le jour de l'inauguration du Voyageur des Horizons.

Un poids tomba au fond de mon estomac. La voilà, la réponse que j'attendais. La voilà, la cruelle et violente vérité. Le souffle coupé, je cherchai un point où fixer mon regard, la vision rendue floue par les larmes qui l'obstruaient.

— Je dois rompre le lien entre l'énergie échoale et votre énergie, désormais.

Sa voix me paraissait lointaine, mais j'acquiesçai simplement. En clignant des yeux, des perles salées s'échappèrent et tracèrent des longs sillons frais sur mes joues. Je sentis de nouveau ses doigts se poser sur mon front, fermai les paupières et entendis Arieh murmurer des paroles que ne comprit pas. J'ignorai combien de temps nous demeurions ainsi ; ce simple contact me fit perdre pied et j'eus soudain envie de plonger dans un profond sommeil. Même mes pensées dans ma tête devinrent silencieuses.

— C'est bon, vous pouvez ouvrir les yeux.

Le retour à la réalité fut plus doux que je ne l'imaginais et la lumière tamisée du soleil à travers les arbres me rassura. Le sourire d'Arieh finit de m'apaiser.

— Comment vous sentez-vous ? Corporellement, je veux dire.

— Je crois, commençai-je tout en analysant mes membres, que je suis plus... plus légère ?

Il acquiesça et demeura silencieux, au cas où je voudrais poursuivre. Mais j'étais incapable de mettre plus de mots sur les sensations qui m'habitaient. Il reprit alors :

— Votre énergie a été libérée. Mais vous n'êtes pas sortie d'affaire pour autant. Les Échos vous ont donné une mission et ils souhaitent que vous la meniez à bien. Quand justice sera rendue, revenez me voir et nous pourrons finir la libération. En attendant, une petite part d'énergie échoale reste liée à vous pour vous guider dans vos actions. Vous pourriez faire des rêves étranges dans les prochains jours. Si vous vous en souvenez, notez-les. Ils vous aideront à appréhender les étapes de votre mission.

— Et si je refuse ?

— Je ne peux pas garantir votre sécurité. Les Échos sont des âmes tourmentées, elles sont encore sur Terre parce que leur mort a été tellement brutales qu'elles n'ont pas pu la préparer. Elles ont encore des choses à faire. Et dans le cas des Échos qui vous guettent, elles veulent que la lumière soit faite sur leur sort. Elles pourraient se venger sur vous si vous ne respectez pas leur volonté. Elles estiment que c’est à vous de réparer les erreurs, maintenant.

Il sortit une feuille et une enveloppe d’un tiroir de son bureau. Pendant quelques minutes, le silence fut rythmé par les mots qu’il grattait sur la feuille. Il signa, la plia et referma l’enveloppe avant de me la tendre.

— Donnez cette lettre à l’impératrice. Elle vous écoutera.

Je me contentai de hocher la tête, le coeur lourd. Je pris une dernière inspiration, m’enivrant de l'odeur de cannelle qui flottait toujours dans l'air, et me levai en même temps qu'Arieh. Je le remerciai et il m'ouvrit la porte. De l'autre côté, j'aperçus un Nikolaï endormi, bouche ouverte, et je souris.

Au moins, je n'étais pas seule pour mener à bien la mission des Échos.


Texte publié par Elodye H. Fredwell, 6 juin 2025 à 11h51
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 23 « Rompre les liens » tome 1, Chapitre 23
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
3142 histoires publiées
1387 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Thigat
LeConteur.fr 2013-2025 © Tous droits réservés