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J'avais passé les dernières vingt-quatre heures à tenter d'éviter les questions de mes collègues. Je passais de wagon en wagon, reprenant mon rôle malgré l'interdiction de Mei-Lin, et prenait le temps de discuter avec les passagers inquiets. Au moment de repartir, nous nous étions mis d'accord pour dire à tout le monde que le train avait subi une petite avarie mécanique qui serait vérifiée à Jishikawa. Ce qui me surprenait, c'était que personne n'avait remarqué la présence d'Échos autour du train. Comme s'ils avaient choisi précisément qui pouvait les voir. Ingrid avait assuré que ce n'était pas possible, mais peut-être se trompait-elle.

Cette pensée ne quitta pas mon esprit quand je demandai à Tao de me servir une tasse de thé noir aux agrumes. Nous approchions de la ville avalone et je ne pouvais cacher mon anxiété. Je n'avais pas réussi à fermer l'œil — pour changer — et n'avait pas osé déranger Lena dans sa cabine. Elle avait besoin de repos, plus que moi. Ingrid m'avait rapporté leur échange, ou une partie tout du moins, et m'avait révélé que le collier allait la protéger. Elle m'avait rassuré en disant qu'elle devrait trouver rapidement le sommeil. J'avais guetté mon terminal au cas où un message me parviendrait, mais rien depuis que je l'avais quitté la veille. En plus de la peur qui s'insinuait comme un poison dans mes veines, je me languissais de sa présence, de son contact. Mes sentiments pour elle ne s'apaisaient pas et j'appréhendais notre arrivée à Lirennia. Encore plus depuis que j'avais émis cette théorie selon laquelle elle était, peut-être, la princesse impériale disparue.

Je soupirai et avalai une nouvelle gorgée de thé brûlant. Que ferais-je quand elle sera loin de moi ?

Dans mon dos, je captai les voix de Mateo et Asha qui revenaient de leur ronde. Ils ne me virent pas tout de suite, commandèrent un petit café et devinrent silencieux quand ils m'aperçurent, tout seul, le regard perdu dans le paysage. Asha s'installa à côté de moi et m'offrit un coup de coude amical. Le sourire qui s'affichait sur son visage me détendit et je croisai le regard de Mateo, doux et protecteur. Je savais qu'ils s'inquiétaient pour moi, mais j'étais incapable d'ôter leurs craintes. À la place, j'essayais juste de demeurer moi-même.

— Je me disais qu'on pourrait peut-être manger au Palais des Hêtres, ce soir, proposa Mateo.

— Les rénovations sont terminées, s'exclama Asha en se tournant vers moi. Ça te dit ?

J'hésitais et ils le virent aussitôt, sans pour autant insister. Le Palais des Hêtres était un restaurant que nous apprécions beaucoup et qui rouvrait tout juste après une année de travaux. Y aller me ferait sans doute le plus grand bien — regoûter leur fameuse quiche aux épinards et au fromage me faisait déjà saliver — néanmoins, je savais que je devais accompagner Lena. Asha parue lire mes pensées, car elle poursuivit :

— Une fois qu'Analena sera sortie, vous nous rejoignez.

— Ça peut se faire, acceptai-je.

Asha était ravie. Mateo m'observa avec plus de réserve, une réserve qui signifiait qu'il aimerait que nous ayons une petite discussion. Évidemment, comme toujours, je me défilerai. Ce n'était pas ce dont j'avais besoin : j'aspirai à un petit peu de tranquillité.

Sur le quai de la gare de Jishikawa, je découvris avec surprise que quelques habitants nous attendaient avec impatience. Nous leur avions envoyé un message prévenant notre souci et notre retard dès que le train s'était remis en route et l'accueil que nous recevions me fit chaud au cœur.

Je rejoignis Lena dans la voiture du personnel et la vit en conversation avec Ingrid. Je ralentis le rythme de mes pas et patientai jusqu'à la fin de leur échange pour m'approcher. Ingrid m'offrit un sourire, un vrai, que j'accueillis avec plaisir. Elle disparut dans les profondeurs du Voyageur des Horizons tandis que nous en descendions, Lena et moi. Aucune trace de vent, ici, mais le froid mordant me saisi. Je me tournai vers Lena tandis qu'elle enfonçait son menton dans son col.

— J'ai une idée d'où est la personne recommandée par Sylvana. Et après, si ça te dit, Asha et Mateo nous proposent de manger dans un super restaurant dans lequel nous avions l'habitude d'aller.

— C'est gentil, mais je t'avoue que ça dépendra de mon niveau de fatigue. Je ne te promets rien.

J'acquiesçai, conscient qu'elle aussi avait besoin d'encaisser les derniers jours. Je la conduisis hors de la gare. Faite de poutres en bois vernies et de colonnes sculptées, c'était sans doute l'une des plus belles étapes du trajet. D'ordinaire, je n'y descendais que pour le Palais des Hêtres, mais avait déjà eu l'occasion de découvrir les rues de cette cité au cœur de la forêt.

Lena écarquilla les yeux en découvrant les lieux. Les rues étaient faites de pontons surélevés, afin de ne pas abîmer les racines et la terre, entre de hauts et beaux arbres protecteurs. Souvent plongée dans une pénombre agréable, la ville était éclairée de lampadaires qui fonctionnaient grâce à l'énergie hydrique. Nous entendions le bruit de l'eau de la rivière en contrebas qui alimentait une immense roue en bois, permettant aux habitants de profiter de l'électricité sans dépendre de la présence du soleil.

J'entraînai Lena avec moi tandis qu'elle découvrait les quelques commerces construits entre les troncs, respectueux de la vie forestière, et bifurquai dans une rue adjacente, bien moins passante que la principale. Ici, des petits chalets étaient installés, similaires à ceux vus dans le village de Sylvana. Le bruit de nos pas sur le bois des allées résonnaient en harmonie avec le chant des oiseaux et le bruissement du vent dans les feuillages.

— C'est si apaisant d'être ici, murmura Lena, en réponse à mes propres pensées.

Je me contentai d'acquiescer, tout en poursuivant ma recherche du numéro indiqué par Sylvana. Il était au bout de la rue et présentait un chalet un peu plus grand, couvert de lierre grimpant. La plaque du magnétiseur était cachée par de hauts rosiers blancs, roses et rouges, magnifiques malgré la saison hivernale. Son nom, gravé dans le bois, était identique à celui donné par Sylvana. Arieh. Je commençais à croire que cet homme possédait une magie particulière quand il ouvrit la porte, me faisant sursauter.

— Je vous attendais ! s'écria-t-il gaiement. Entrez, entrez.

Je fronçai les sourcils et jetai un œil à Lena, à mes côtés. L'ami de Sylvana dû apercevoir notre échange silencieux, car il poursuivit, un sourire aux lèvres :

— Vous êtes bien Analena et Nikolaï ? Sylvana m'a prévenue de votre arrivée. Et j'ai capté votre aura dès que vous avez posé le pied dans les rues de Jishikawa. Vous entrez ?

Je laissai Lena s'avancer en premier et entrai à mon tour en fermant la porte derrière moi. Il nous invita à nous asseoir dans un grand canapé d'angle brun et nous servit, à chacun, une tasse fumante. Je respirais la douce odeur de menthe et de verveine qui s'en dégageait et me surprit à vouloir dormir aussitôt la première gorgée avalée.

— Ceci devrait vous aider à vous relaxer.

— Comment se déroulera la... séance ?

La question de Lena fit sourire Arieh.

— Je vais devoir demander à votre ami de rester ici. J'ai besoin d'être totalement connecté à votre énergie et celle d'une tierce personne peut compromettre la rupture de vos liens avec les Échos. Et il me semble que vous avez des questions à votre sujet à me transmettre. J'essayerai d'y répondre.

Je ne dis rien, accueillant les directives de la même manière que Lena. Elle m'offrit un regard confiant et je l'encourageai. Elle quitta la pièce avec Arieh une fois sa tasse terminée et je restai là, mon thé entre les mains, plus apaisé qu'en arrivant. Je terminai ma tasse, les paupières lourdes et, sans vraiment m'en apercevoir, je m'endormis dans le grand canapé.