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tome 1, Chapitre 19 « Les Échos Oubliés » tome 1, Chapitre 19

— Lena !

Je me précipitai vers elle tandis que ses genoux entraient en contact avec la terre. Je fis un pas de plus pour retenir sa tête de partir brutalement en arrière et empêcher l'ensemble de son corps de se fracasser contre les racines. Là, dans mes bras, Lena n'était plus qu'une poupée désarticulée, les yeux fermés et la peau blafarde dans la lueur de la lampe.

— Vous pouvez la porter ?

La voix de Sylvana me parvint, lointaine et froide. J'acquiesçai, passai un bras sous la nuque de Lena et l'autre sous ses genoux, puis me relevai. Je suivis la cheffe de clan à travers les arbres, nous repassions par la clairière et je dus plusieurs fois adapter ma posture pour maintenir au mieux le corps inerte de Lena dans mes bras. Je perdis la notion du temps, perdu dans mes pensées et mes questionnements, dans mes peurs et mes doutes. Ce que j'avais vu au cœur de cette forêt n'était pas près d'arrêter de me hanter.

— Nous sommes presque arrivés.

Sylvana marchait vite et se repérait parfaitement malgré la densité des pins, des érables et des frênes sur notre chemin. Elle se retournait de temps en temps, s'assurant que je la suivais toujours. Plus on approchait du village, plus je serrais Lena contre moi de peur de la lâcher. Encore un petit effort, ne cessai-je de me répéter.

Quand l'arche symbolisant l'entrée sud du village se découpa entre les arbres, je poussai un soupir de soulagement. Mes muscles se gonflèrent d'une nouvelle force et je marchai d'un pas plus vif, plus déterminé, le dos droit, derrière une Sylvana pressée. Elle salua rapidement les quelques personnes que l'on croisa, gardiennes du village, et s'engouffra dans les rues les unes après les autres. Dans l'obscurité, malgré les lampadaires — ou ce qui y ressemblait — je n'eus pas le temps d'observer les lieux avec précision. À la place, je focalisai mon attention sur Lena, sa position, son confort, sa sécurité. Elle n'avait toujours pas quitté son état d'inconscience et plus le temps passait, plus je me demandais si elle y parviendrait.

— Entrez vite.

Sylvana tenait la porte d'une petite habitation basse tout en bois. Je m'y introduis et cherchai aussitôt un endroit où poser Lena. Mes épaules, mes bras et mes poignets hurlaient de douleur ; je n'avais pas l'habitude de porter quoi ou qui que ce soit, et je regrettai mon mode de vie sédentaire des dernières années. La cheffe m'emmena au fond d'un couloir et me désigna un immense lit. En dépit des douleurs qui parcouraient mon corps, je déposai Lena avec le plus de douceur possible et tirai une couverture douce sur son corps inerte.

— Je vais préparer un rituel de régénération. Restez à ses côtés.

Sylvana alluma une petite lampe de chevet qui donna à la pièce une ambiance tamisée bienvenue. Je n'avais aucune idée de ce qu'était le rituel dont elle venait de parler, mais ne m'en préoccupait pas outre mesure. Lena était en sécurité, c'était tout ce qui comptait.

Je me détournai de ma partenaire pour masser mes épaules et étirer mes bras tout en sachant que je ne pourrais échapper aux courbatures. Mon dos me lançait et je décidai de m'asseoir dans un fauteuil à côté du lit. Je commençais déjà à tomber de sommeil quand Sylvana revint dans la pièce, une tasse fumante entre les mains.

— Que comptez-vous faire ? m'enquis-je d'une voix nonchalante.

Elle me fit signe de me taire et je m'excusai d'un signe de main. Je la regardai poser la tasse sur la table de chevet et des effluves étranges me parviennent. Je fus incapable de reconnaître les plantes utilisées dans la décoction, bien qu'une odeur de menthe chatouillait parfois mes narines. Sylvana s'assit à côté de Lena et prit sa main dans la sienne. Tandis qu'elle serrait les doigts de sa patiente avec douceur, elle laissait sa paume libre danser devant son visage endormi, puis descendre peu à peu, dans d'amples mouvements lents, le long de son torse puis de ses jambes. Elle murmurait des paroles que je ne comprenais pas tout en effectuant ces gestes, concentrée. Elle attrapa ensuite la tasse, y plongea un doigt, déposait une goutte sur le front de Lena et releva sa tête pour l'inviter à boire un peu de son breuvage.

Quand elle reposa le récipient, encore bien plein, elle se tourna vers moi et m'expliqua, à voix basse :

— Elle a été confrontée aux Échos et à l'énergie de cette partie de la forêt. Je ne sais ce qui la relie aux Échos et à ce que nous avons vu, mais cela a touché son âme, sans aucun doute.

— Quel était ce rituel ?

— Un rituel de régénération. Nous sentons l'énergie circuler dans le vivant et nous pouvons l'aider à reprendre sa place quand elle est agitée. C'est ce que j'ai fait avec votre amie.

— Et la tisane ? J'ai cru sentir de la menthe.

— En effet, me répondit-elle en souriant, surprise de mes connaissances. C'est une infusion que nous réalisons quand le corps et l'esprit ont besoin de vitalité. La menthe soutient la défense du corps. La feuille de ginkgo agit comme un neuroprotecteur.

J'acquiesçai, rassuré, et poussai un soupir. La fatigue m'assommait et je luttai pour demeurer éveillé jusqu'à ce que Lena ouvre les yeux. Mais Sylvana ne fut pas de cet avis.

— Le canapé est libre. Allez vous reposer, je veille sur elle.

J'hésitai, mais son regard me convainquit. Je me levai, non sans difficultés, et quittai la chambre, le cœur lourd. Dans la salle, faiblement éclairée par une petite tour lumineuse, je me dirigeai vers un grand canapé couverture de couvertures épaisses et m'allongeai. À peine mon crâne posé sur l'accoudoir, je fermai les yeux et sombrai dans un sommeil sans rêve.

⚙︎

Quand j'ouvris les yeux, je ne savais plus ni quel jour il était, ni où j'étais, et encore moins ce que je faisais dans une réplique de chalet de montagne. Ce fut à peine si je me souvenais de mon nom et je compris rapidement que c'était la première fois depuis un moment que je dormais aussi bien. Je mis ce phénomène sur le compte de ma fatigue et de l'angoisse de la veille quand les souvenirs me revinrent un par un.

Alors, je pensais à Lena.

Je me redressais vivement — trop vivement — et ma tête me tourna aussitôt. Je poussai un soupir, passai outre la douleur dans mes bras et dans mon dos, puis m'appuya sur mes paumes pour me lever.

— Restez assis.

Je sursautai et perdis l'équilibre. La seconde d'après, j'étais de retour dans le canapé, le cœur battant et les yeux rivés sur Sylvana. Je n'avais pas remarqué sa présence dans la cuisine, à l'autre bout de la pièce, et mes sens s'éveillèrent alors. L'odeur des œufs se mêlait à celle des fruits sans que je puisse deviner ce qu'elle cuisinait. Je salivais quand elle apporta le plateau. Je reconnus les œufs brouillés qui recouvraient un bol de yaourt épais dans lequel avait été écrasé des fruits rouges.

— Mangez et venez dans la chambre. Votre amie s'est réveillée.

Elle ne me laissa pas le temps de prononcer le moindre mot et je n'osais pas quand son regard froid croisa le mien. J'obéis et mon estomac apprécia le petit déjeuner copieux que l'hôtesse avait préparé. Les saveurs emplissant ma bouche, j'en oubliais presque les raisons de ma présence ici. Jusqu'à ce que ma cuillère racle le fond du bol et que je sente l'urgence prendre en otage chacune de mes cellules. Je bus un grand verre d'eau et quittai le sofa, faisant fi des courbatures qui ralentissaient mes mouvements.

En arrivant dans la chambre, le soulagement dû se lire sur mes traits, car Lena affichait un grand sourire rassurant. Une tasse fumante au creux des mains, elle était assise contre des oreillers épais, ses genoux relevés sous la couverture. Son visage avait retrouvé des couleurs et ses yeux étaient plus verts que jamais. Était-ce l'effet des rayons du soleil qui pénétraient dans la pièce par la fenêtre ouverte ou le résultat du rituel de Sylvana cette nuit, je l'ignorai. Mais cette vision fit bondir mon cœur dans ma poitrine et je ne me risquai pas à avancer de peur qu'elle n'entende son écho.

— Bien dormi ? me demanda-t-elle.

— Très. Je n'avais pas aussi bien dormi depuis longtemps. Et toi ?

Lena acquiesça simplement. Je me tournai vers Sylvana dont les yeux étaient toujours rivés sur ma partenaire, certain qu'elle s'apprêtait à parler.

— Bois encore un peu de la tisane. Tu auras les idées plus claires pour nous expliquer ce que tu as vu.

Lena ne fut pas surprise que la cheffe la tutoyait soudain ; elles avaient sans doute déjà échangés quelques mots en mon absence. Ma partenaire s'exécuta, les mains tremblantes. Je gardai le silence malgré les images qui traversaient mon esprit et mon estomac tordu d'angoisse. Me souvenir de ce que nous avions vu la veille me donna soudain envie de vomir.

— Vous d'abord, murmura Lena une fois sa tasse terminée. Qu'y avait-il dans la forêt ?

— Tu le sais, répondit Sylvana. Au fond de toi, tu sais.

— J'ai besoin que vous me le confirmiez.

Sylvana me lança un regard, mais je fus incapable d'expliquer. Je n'étais moi-même pas certain que je n'avais pas rêvé. Elle se chargea de révéler la vérité.

— Nous avons vu des ossements. Ils devaient être enterrés depuis longtemps, mais la forêt les a remontés à la surface.

Je déglutis : cela avait donc bien été réel. Je passai une main dans mes cheveux et pris une grande inspiration pour chasser la bile qui remontait dans mon œsophage.

— Toi seule sait à qui ils appartenaient.

Lena évita le regard de Sylvana, l'air grave. Elle battit des paupières et je sentis toute la tension dans ses membres tandis qu'elle serrait la tasse vide entre ses doigts.

— Tu as eu des visions, n'est-ce pas ? s'enquit Sylvana.

— Oui. Je crois... Je crois que j'ai vu ce qu'il s'est passé. Mais comment ? Je ne suis pas avalone.

— Tu es une Éveilleuse. Et les Éveilleuses sont liées à l'énergie des Échos. Même si tu ne connais pas les âmes qui n'ont pas trouvé le repos, tu es liée à elles par un événement, une émotion, peut-être même par le sang.

Sylvana attendit quelques secondes que le trouble dans le regard de Lena disparaisse avant de demander :

— Que sais-tu de ta naissance ?

— Rien. Je sais juste que mes parents m'ont trouvé à l'orphelinat et m'ont adopté quand j'avais deux ans.

— Tu ne sais donc pas comment tu es arrivée dans cet orphelinat ?

Lena secoua la tête. Puis, elle passa une main dans une pocha intérieure de son manteau et sortit le billet qu'elle m'avait montré quand j'avais contrôlé son identité.

— Je n'ai que ça. Aucun nom. Juste un trajet de Lirennia à Ætheria le jour de l'inauguration du Voyageur des Horizons.

Sylvana observa le papier avec attention tout en hochant la tête.

— Que t'ont montré les visions ?

Lena déglutit et posa la tasse sur la table de chevet pour libérer ses doigts. Je la vis inspirer longuement et l'encouragea d'un regard, patient. Ce fut alors qu'elle l'avoua, la voix tremblante.

— Je crois que ces gens sont morts à cause de moi.


Texte publié par Elodye H. Fredwell, 3 mai 2025 à 14h08
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