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tome 1, Chapitre 18 « La silhouette luminescente » tome 1, Chapitre 18

Tout était sombre autour de nous et je devais avouer que je n'étais pas rassurée. Les ombres des arbres dans la lueur de la lampe torche me provoquaient des frissons et le craquement des branches sous nos pieds tordaient mon estomac.

Ma curiosité me tuera, un jour.

Je n'osai jeter des coups d'œil à Nikolaï, m'en voulant de l'avoir emmené dans cette aventure risquée. Il n’avait rien à voir avec tout ceci. Si l'intuition d'Ingrid ne se trompait pas, c’était moi qui avait un lien avec ces créatures qui causaient l’arrêt du Voyageur des Horizons ; il me fallait en découvrir plus. Il me fallait savoir en quoi je pouvais être responsable de la situation.

Mais si Nikolaï venait à être blessée par ma faute… Non, je ne devais pas y penser.

La silhouette luminescente ne réapparut pas devant nous tandis que nous avancions prudemment jusqu'au cœur de la forêt. Je suivais, trébuchant sur les racines et les pierres, un Nikolaï tendu et à l'affut. Même s'il semblait aussi à l'aise que moi à l'extérieur de la sécurité du train, j'étais reconnaissante qu'il m'ait suivi. Seule dans les bois, je n'aurais pas été aussi loin. Mon courage n'était pas à la hauteur de mes paroles.

— Là, regarde !

Sa voix fut presque emportée par le bruissement des feuillages et je suivis du regard le doigt qu'il pointait au nord. Je vis alors la silhouette qui m'avait attiré hors du train et mon cœur s'emballa. Nous ne devions pas la perdre de vue. Nikolaï pressa le pas et j'en fis de même, les yeux rivés sur cette forme humanoïde lumineuse que je pouvais détailler. Teintée de blanc et de bleu, elle me fit penser à une fiole de parfum en cristal, fragile et précieuse. Était-ce vraiment ce à quoi ressemblait notre âme ?

Elle slaloma entre les arbres dans sa robe éthérée, lévitant au-dessus du sol telle une marionnette et sans, à aucun moment, s'arrêter pour nous observer. J'ignorai si l'âme était consciente ou si même elle savait que nous la suivions. Elle poursuivait son chemin inlassablement, délicatement, tandis que je refrénais des frissons face à la brise qui s'insinuait entre ma veste et mon écharpe.

Je perdis rapidement la notion du temps, incapable de savoir combien de temps nous marchions dans cette forêt en suivant ce fantôme. Aucun de nous ne parlait ; nous en étions incapables, concentrés sur les mouvements de l'Écho devant nous. Et, soudain, au détour d'un arbre, la silhouette disparut. Évaporée. Je me figeai, tournai sur moi-même et échangeai un regard avec Nikolaï. Lui non plus n'avait pas pu voir où elle était partie. Je poussai un profond soupir et m'aperçut à quel point j'étais stressée. Mes épaules me faisaient mal et mes poumons semblaient enfin respirer normalement. Je ne m'étais pas rendu compte de la tension dans mon corps pendant notre ascension et accueillit la pause imprévue avec joie.

— Nous sommes perdus, déplora alors Nikolaï.

Sa lampe torche éclairant mes jambes à défaut d'éclairer mon visage, il paraissait dépité par cette constatation. Je ne l'étais pas autant, sans pouvoir me l'expliquer. La forêt n'était pas menaçante et l'énergie qui s'en dégageait se connectait à moi. Je n'évoquais pas ces sensations avec mon partenaire, ne les comprenant pas moi-même. Néanmoins, quelque chose se produisait dans ce lieu. Quelque chose de... magique ?

— Que fait-on ? s'enquit-il alors.

— Nous n'avons rien découvert, encore. Continuons.

Il n'était pas ravi de ma décision, mais acquiesça. Je le remplaçais en tête de notre expédition, lampe torche à la main, quand la silhouette réapparut. Cette fois, elle nous faisait face — enfin, je le pensais, son visage étant inexistant — et tendit une main vers nous comme si elle souhaitait qu'on la rejoigne. Je ne me fis pas prier et marchai dans sa direction. De nouveau, elle nous mena à travers bois, personnage de cristal vaporeux et lumineux, jusqu'à s'arrêter net, sans disparaître. En levant la lampe torche devant moi, j'aperçus que notre destination n'était autre qu'une petite clairière. Aucune lumière ne se dégageait du ciel, bouché par des nuages sombres, et je sentis Nikolaï se tendre d'autant plus à mes côtés. Quand je tournai la tête vers lui, je décelai, au milieu de sa détermination habituelle, une pointe de peur ; sa mâchoire contractée, ses poings serrés, la ride qui barrait son front. Je pris une grande inspiration et de ma main libre j'attrapai la sienne. J'évitai son regard surpris et serrai juste plus fort mes doigts entre les siens. Il ne se dégagea pas et mon cœur palpita. Cette proximité le rassurait autant que moi.

— Il y a quelqu'un ?

Je sursautai et pointai ma lampe en direction de la voix féminine qui venait de briser la quiétude de la forêt. La silhouette éthérée était toujours là, à quelques mètres de nous, et patientait. Quand une forme humaine sortit de l'ombre des bois, accompagnée d'une autre âme, nous nous pétrifions. Notre écho s'avança, tendant la main vers son homologue. Les deux entités luminescentes se rejoignirent et prirent place au cœur de la clairière, les membres liés. Je baissai ma lampe pour apercevoir le visage de la personne fraîchement arrivée et dévisageai ses traits féminins, ses longs cheveux cendrés et sa tenue faite de fourrure.

— Une avalone, murmurai-je à Nikolaï.

La pression qu'il exerça sur mes doigts me fit penser qu'il était parvenu à la même conclusion. Peut-être aurions-nous dû emmener Ingrid avec nous, finalement.

— Que faites-vous dans la Forêt des Héritages ?

Je pris une grande inspiration et le nom de cet endroit résonna alors dans mon esprit. Pourquoi ? Je l'ignorai. Avais-je déjà entendu ce nom quelque part ? Je n'eus pas le temps de me concentrer plus longtemps que Nikolaï lui répondit.

— Nous avons été guidés par un Écho. Vous aussi, n'est-ce pas ?

La femme se contenta d'acquiescer et fit quelques pas vers nous, sans doute pour épargner une conversation trop bruyante.

— Je suis Sylvana, cheffe du clan des Érables de l'Aube.

— Je suis Nikolaï, et voici Analena. Nous venons du Voyageur des Horizons.

Sylvana fronça aussitôt les sourcils. Je m'empressai de lui expliquer :

— Le train a été arrêté sans raison. Nous avons vu un Écho et nous l'avons suivi.

— Comment connaissez-vous les Échos ?

— Nous avons une avalone à bord, compléta Nikolaï. Ingrid Petrovich. C'est elle qui nous a parlé de ces... âmes.

— Petrovich. Oui, je connais sa famille. Le clan des Chênes du Crépuscule. C'est elle qui a prévenu l'ensemble des clans d'Avalon de la présence d'une Éveilleuse dans le train.

— Une Éveilleuse ?

— Nous n'en avons pas vu depuis des décennies, expliqua Sylvana. Ce sont des personnes qui sont liées aux Échos et qui peuvent les réveiller.

Je déglutis et sentis les doigts de Nikolaï se resserrer.

— Je crois que c'est moi.

La cheffe m'observa avec méfiance et me jaugea de la tête aux pieds. Puis, son regard s'adoucit et je crus y lire une certaine désolation. Comme si elle voyait quelque chose en moi qui la rendait triste.

— Je vois que vous avez un lourd passé. Analena, c'est bien ça ?

J'acquiesçai, muette. Que voulait-elle dire ?

Elle n'eut cependant pas le temps de m'en dire plus que les Échos, toujours à quelques mètres de nous, firent des gestes pour attirer notre attention. Ils firent volte-face et, toujours les mains liées, reprirent leur lente marche — presque funèbre.

— Je crois que nous devrions les suivre, murmura Sylvana. Ils veulent définitivement nous montrer quelque chose.

Je n'étais pas ravie de cette information, et Nikolaï non plus. Malgré tout, nous suivions Sylvana ; c'était bien pour cela que nous avions quitté le train après tout. La clairière disparut rapidement dans l'obscurité tandis que nous nous enfoncions dans la Forêt des Héritages, dense et apaisante.

Enfin, apaisante jusqu'à un certain point. Plus nous avancions, plus je sentais mon cœur se serrer. Plus nous avancions, plus mon sang bouillonnait dans mes veines, agité comme une fourmilière dans laquelle on tape. Plus nous avancions, plus je ralentissais la cadence. La peur contracta ma gorge, ma bouche s'assécha et mes membres commencèrent à trembler. Mes oreilles bourdonnaient et bientôt, je ne captai ni les bruits de mes pas, ni ceux des personnes à mes côtés.

— Lena ?

Je levai les yeux vers Nikolaï qui s'empressa d'appeler Sylvana. Elle se tourna vers nous quand mon partenaire plongeait ses yeux dans les miens. Il sécha les larmes qui roulaient sur mes joues sans que je puisse les contrôler. Il tenta d'apaiser ma respiration dont la maîtrise m'échappait.

— Que se passe-t-il ?

— Je crois qu'elle fait une crise d’angoisse.

Ses paroles étaient à la fois proches et lointaines. Il posa ses mains sur mes épaules et, sans brusquerie, m'invita à m'asseoir par terre. Le dos contre un grand tronc, je commençai à prendre conscience de mes sensations, comme si j'avais été déconnectée de mon propre corps quelques secondes. Je pris une grande inspiration, accusa la douleur dans ma poitrine, et fermai les yeux.

— Respire lentement, entendis-je. Tout va bien. Tu es en sécurité.

D'instinct, je secouai la tête. Non, je n'étais pas en sécurité. J'étais incapable de savoir pourquoi j'éprouvais ce sentiment, mais quelque chose de mauvais se dégageait de cette partie de la forêt. Quand j'ouvris les yeux, Nikolaï était accroupi à un petit mètre de moi, patient. Je déglutis, mal à l'aise, et passai une main sur mon visage pour en chasser les larmes. Je me sentais épuisée et luttai pour ne pas fermer les yeux. Plus loin, Sylvana m'observait, suspicieuse. Les deux Échos attendaient également.

— L'énergie de la Forêt des Héritages est différente par ici, révéla Sylvana. Une énergie qui vous touche particulièrement, Analena.

Nikolaï m'aida à me remettre debout et je pris quelques secondes pour retrouver mon équilibre.

— Est-ce que ça va aller ?

Je ne pouvais lui dire non ; c'était moi qui avais insisté pour venir. Et il se passait définitivement quelque chose ici qui me concernait. Je me contentai d'acquiescer. Mes doigts enroulés entre ceux de Nikolaï, je mis un pied devant l'autre et croisai le regard inquisiteur de Sylvana. J'étais persuadée qu'elle voyait en moi ce que j'étais incapable de voir. Cela ne me rassurait pas le moins du monde.

Les Échos nous emmenèrent encore pendant quelques minutes là où même la lueur des torches peinait à vaincre l'obscurité. Nous avancions prudemment entre les racines, les troncs et les branches sans lâcher des yeux les silhouettes bleutées devant nous. Puis, comme la première fois, elle s'évanouirent dans la pénombre, nous laissant sans guide, sans repère.

— Ce serait bien qu'ils arrêtent de faire ça, râla Nikolaï.

— Ils nous ont mené à destination, les défendit Sylvana. Maintenant, c'est à nous de découvrir ce qu'ils voulaient nous montrer.

Nikolaï balaya le sol du faiseau de sa lampe, sans me lâcher. J'essayai de déceler une anomalie, un indice, n'importe quoi qui pourrait nous en apprendre plus sur les desseins des Échos. L'énergie était particulièrement lourde ici et ma concentration en patissait. Un frisson me parcourut quand je me tournai vers l'est et Sylvana, ayant capté mon trouble, chercha dans cette direction. Je l'observai faire, incapable de bouger, la gorge serrée, prête à pleurer de nouveau tant la pression sur l'ensemble de mon corps était puissante.

Presque violente.

— Ah. Je crois que j'ai trouvé.

Son ton marquait la tristesse qu'elle éprouvait. Nikolaï fit un pas vers elle, mais je restai figée.

— Qu'y a-t-il ?

— Je ne...

Je fus incapable de terminer ma phrase et il comprit. Il me confia sa lampe et s'avança vers la cheffe de clan. Le « bordel » qu'il lâcha confirma mes soupçons. Sans comprendre comment, je savais exactement ce sur quoi ils venaient de tomber. Sans savoir comment, je ressentais la colère, la haine, la rage. Je fermai les yeux et posai mes mains sur mes oreilles pour atténuer le bourdonnement incessant.

Mais c'était impossible. L'énergie qui vibrait en ces lieux était liée à moi. Elle résonnait dans mon corps, dans mes veines, dans mes os. En fermant les yeux, j'eus une vision qui me glaça le sang. Je tombai à genoux, au coeur de la Forêt des Héritages, hantée par tous ces souvenirs qui n'étaient pas les miens. Les émotions me traversèrent de part en part, m'abrutissant de violence. Je ne pouvais contrôler mes tremblements, ni mes sanglots.

Derrière mes paupières, un film d'horreur se jouait. Et je n'avais aucun moyen de l'arrêter.

Aucun moyen si ce n'était de comprendre.


Texte publié par Elodye H. Fredwell, 26 avril 2025 à 12h47
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