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tome 1, Chapitre 17 « Dans le noir » tome 1, Chapitre 17

Le Voyageur des Horizons quitta Indrapour aux alentours de 17h. Cinq heures plus tard, les passagers sortaient des wagons restaurant, bar et standards pour regagner leur cabine. Ce que j'appelais la Grande Ascension commençait : il restait exactement 1 jour, 15 heures et 26 minutes avant le prochain arrêt. Et j'espérais que rien ne viendrait troubler le calme de ce trajet.

Mon service commença par des sourires aux personnes qui se préparaient à entrer dans le monde des rêves. Je croisai le père, rencontré à Céruleïs, et aperçu un numéro d'À l'Aube de la Science dans les mains de son fils. Je leur souhaitais bonne nuit et regagnai les premiers wagons. Sur le passage, l'odeur du citron me chatouilla les narines et je ne dérangeai pas les commis de cuisine pendant leur nettoyage de fin de service. Je ne risquai pas d'apercevoir Lena, déjà enfermée dans sa cabine. Elle et Sofia se partageaient le service du matin, leur permettant de finir plus tôt le soir. Si je n'enviais pas leur rythme, j'étais plutôt jaloux de leur capacité à dormir sur leurs deux oreilles toutes les nuits. Comme la plupart des passagers. Moi qui m'étais promis de profiter d'Indrapour pour consulter un médecin, je n'en avais finalement pas eu le courage. J'étais plutôt doué pour mettre mes problèmes sous le tapis.

Alors que j'arrivais dans le premier wagon de la classe Noble, il était totalement vide. Quelques secondes plus tard, les lumières baissèrent d'intensité, n'éclairant que le strict minimum d'une douce lueur bleutée. Dehors, l'on pouvait apercevoir les reliefs du paysage et les arbres qui commençaient à s'amonceler. Le train allait bientôt diminuer sa vitesse en entrant en Avalon et cette pensée m'arracha un frisson. Je n'avais pas hâte de savoir si l'intuition d'Ingrid était bonne.

Je gagnai l'étage, rangeai les quelques livres qui traînaient encore sur les banquettes, réorganisai les tablettes et éteignit les casques restés allumés. Une fois tout rangé, je pris quelques secondes pour m'asseoir devant la fenêtre et laisser mes yeux visualiser la forêt qui se matérialisait peu à peu. Je ressentis la douce pression des freins, entendis le vrombissement du moteur qui décélère et captait la différence du résonnement dans l'habitacle. À faible allure, les wagons diffusaient toujours cette douce mélodie plus grave qui aurait pu me faire dormir dans d'autres circonstances.

D'ordinaire, traverser Avalon était une étape que j'appréciais beaucoup. La lenteur du Voyageur des Horizons, la luminosité filtrée par les hauts arbres, les branches qui frôlaient les vitres et les animaux que l'on pouvait croiser au loin, parfois, quand ils n'étaient pas effrayés ; tout avait été pensé pour qu'ils ne subissent jamais la violence du train. À l'approche de la locomotive, les rails émettaient un son que seuls les animaux étaient capables d'entendre et qui les éloignait instinctivement.

Après quelques minutes perdu dans les reliefs nocturnes du pays le plus boisé du monde, je me levai et entreprit de descendre d'un étage pour poursuivre mon inspection. Le wagon suivant, aussi de la classe Noble, était pas mieux rangé et je soupirai en voyant ce que les passagers avaient laissé traîner. Des magazines, des livres, des sachets de bonbons. Je récupérais même un sac de souvenir d'une boutique d'Indrapour, et me dirigeai vers la cabine du conducteur pour l'y déposer en attendant la fin de mon service où il trouvera sa place dans le placard des objets trouvés. On n'avait pas à se plaindre, à chaque trajet, il y en avait peu ; mais je ne cessai d'être surpris des choses que les passagers pouvaient oublier.

— Tout se passe bien ?

Ma voix résonna dans la petite cabine et Alejandro me fit juste un geste du pouce, la bouche pleine d'un sandwich à la tomate. Je souris et entrepris de faire demi-tour quand un sifflement m'interrompit. Dans mon dos, je captai les mouvements d'Alejandro qui se penchait sur le tableau de bord. Le train perdit encore de la vitesse et, soudain, les lumières se mirent à vaciller.

— Quelque chose ne va pas ?

— Aucune idée, je comprends pas...

Et puis, le noir. Dans son élan, le train mit quelques secondes à s'arrêter, puis le silence envahit l'espace. Je sortis mon terminal de communication et activai l'écran pour nous éclairer. Cela permis à Alejandro de mettre la main sur une lampe torche qui nous éblouit quand elle s'alluma.

— Problème mécanique ? tentai-je.

Il haussa les épaules tout en essayant de remettre le train en route. Mais je savais que c'était peine perdue. Au fond de moi, je savais ce qu'il se passait. Je sortis de la cabine, éclairé faiblement par mon écran, et manquai de percuter une personne dans l'allée du wagon.

— Jorga ! m'écriai-je. Une idée de ce qu'il se passe ?

— Tout est en ordre, côté méca. Ce serait la partie électronique ?

— Rien à signaler ici ! cria Alejandra de l'autre côté de la porte. Bordel, qu'est-ce qui se passe ?

Au fond de la voiture, la porte s'ouvrit et une lampe torche illumina suffisamment la silhouette pour que je la reconnaisse. Ingrid avait le teint pâle et son front brillait de sueur. Alors, je sus que mes suppositions étaient les bonnes.

— Merde.

— Ils sont là.

Jorga nous regardait, tour à tour, agacée de ne pas être dans la confidence. Mais si j'en croyais le regard que me lançait ma collègue, nous n'avions pas le temps de lui expliquer.

— Reste avec Alejandro et essayez de trouver un moyen de remettre le moteur en route, dis-je alors.

— Oh, t'inquiète, on fait notre boulot, vous faites le vôtre !

Je lui souris et entraînai Ingrid avec moi à l'écart. Je n'eus pas le temps de poser des questions qu'elle m'expliqua, l'urgence dans sa voix :

— Je les ai sentis nous suivre dès que nous avions passé la frontière. Ils attendaient le bon moment.

— Que tous les passagers soient endormis ?

Elle acquiesça. Je passai une main dans mes cheveux, pensif.

— Lena est dans sa cabine ?

— Je ne l'ai pas vu en sortir, mais on peut aller vérifier.

Je lui emboîtai aussitôt le pas. Nous traversions les voitures unes à unes, sans croiser personne. Le cœur battant, je fus incapable de réfréner l'appréhension et manqua de bousculer plusieurs fois Ingrid devant moi quand elle ralentissait devant les portes. Une fois dans notre wagon-lit, je me figeai devant la chambre de Lena. Ingrid frappa. Aucune réponse. Elle réitéra son geste. Je m'apprêtai à sortir le pass pour entrer de force, mais la porte s'ouvrit sur la jeune femme à peine réveillée.

— Mmmmh, grogna-t-elle en plissant les yeux, éblouit par la lampe.

— On voulait s'assurer que tu étais encore là, lui expliquai-je.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Les Échos ont arrêté le train.

Cette simple phrase d'Ingrid éveilla le regard de Lena. Elle leva un doigt, fit demi-tour et revint quelques minutes plus tard vêtue d'un sweat à capuche gris et d'un legging noir.

— Où sont-ils ?

— Que comptes-tu faire exactement ?

Elle haussa les épaules et regarda Ingrid, dans l'attente d'une réponse.

— J'ignore ce qu'ils veulent, admit l'avalone.

— Allons leur demander.

Les paupières d'Ingrid papillonnèrent de stupéfaction.

— Parler avec les Échos ? Mais c'est impossible !

— Tu as déjà essayé ?

— Des tas d'avalones ont déjà essayé ! Les Échos ne sont pas vraiment là. Ce ne sont que des morceaux d'âmes désincarnées, elles ne peuvent pas parler.

— Tu as dis qu'elles étaient liées à moi, d'une façon ou d'une autre, non ?

— Je crois, oui.

— Alors, donnons-leur ce qu'elles veulent.

— Lena, tu...

— Le train doit reprendre sa route, non ? Venez avec moi si vous voulez, mais je dois découvrir quel est le lien entre mon arrivée dans Le Voyageur des Horizons et le réveil des Échos.

J'échangeai un regard avec Ingrid. Elle ne semblait pas avoir de réponse à donner. Désemparée, elle observait Lena avec appréhension, comme si elle craignait que ses rêves se réalisent. Je me tournai vers elle et posai une main sur son épaule, la poussant à me regarder dans les yeux.

— Ça va aller. Dis-nous ce que les Échos peuvent faire.

Elle hocha la tête et prit une inspiration. Je m'écartai d'elle, rassuré qu'elle ait repris ses esprits.

— Les Échos peuvent posséder des personnes. Ce n'est pas sans risques : il reste souvent des séquelles sur le cerveau. Hallucinations, anxiété, troubles du sommeil... Ça peut ne pas pardonner si l'Écho reste trop longtemps dans le corps d'une personne. Mais même comme ça, ils ne peuvent pas s'exprimer clairement. Ils ne savent plus parler, pour la plupart. En théorie, si l'âme s'est détachée récemment de son corps, et qu'elle parvint à en posséder un autre, elle pourrait parler, mais personne n'en a jamais eu de preuves.

J'allais relancer la conversation, mais je captai du mouvement dans mon dos qui m'interrompit. Je me retournai vers la fenêtre et me figeai. Mon cœur paru se stopper immédiatement, me coupant le souffle, et je peinai à trouver mes mots. Ingrid, le regard dans la même direction que moi, me devança.

— C'est un Écho, murmura-t-elle.

La silhouette humanoïde paraissait scintiller d’une légère lueur bleutée vaporeuse et n’arborait aucun visage. Je frissonnai.

— Nous ne devrions pas rester là où ils peuvent nous voir. Bouclons toutes les portes.

J'acquiesçai et tirai aussitôt le rideau. Ingrid partit d'un côté et je me rendis dans la direction opposée pour commencer à fermer toutes les ouvertures vers l'extérieur de chaque wagon, en commençant par les tous premiers, ceux derrière la locomotive. Lena me suivit de près, mais alors que j'allais tourner la clé dans la première serrure, renforçant la fermeture, elle posa ses doigts sur les miens.

— J'y vais.

— Pas question !

— Si c'est moi que les Échos veulent, alors je dois essayer de savoir pourquoi. Je dois tenter quelque chose !

— Et risquer ta vie ? T'as entendu ce qu'Ingrid a dit ! Si tu es possédée, tu pourrais ne pas revenir.

— Ce ne sont que des suppositions !

— C'est trop dangereux, tu n'y vas pas.

— Je ne crois pas t'avoir demandé la permission.

Je contractai la mâchoire et soupirai. Elle avait raison, je n'avais aucun droit de l'interdire de sortir du train. En revanche, je pouvais l'accompagner. Je déverrouillai la porte et l'invitai à descendre, sans la quitter des yeux.

— Si tu y vas, j'y vais aussi. Non négociable.

Elle se contenta d’acquiescer et je crus déceler du soulagement dans son regard. Je fis un pas en arrière, juste assez pour tendre ma clé à Alejandro et lui donner les instructions quant à la fermeture définitive des portes. Je savais qu'Ingrid saurait mobiliser tout le personnel pour rassurer les passagers quant ils s'éveilleraient.

— Allons-y.

Je sautai à pieds joints hors de la voiture et atterrit dans un équilibre précaire dans l'herbe. Je me tournai vers Lena et tendis mes bras pour la rattraper, mais elle s'élança et paru tout de suite plus agile que moi. Je souris et jetai un regard à la forêt.

— Prête ?

Elle me lança un regard enthousiaste, rabattit les pans de son manteau sur sa poitrine et, dans un sourire, prononça simplement :

— Plus que jamais.


Texte publié par Elodye H. Fredwell, 17 avril 2025 à 12h22
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