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tome 1, Chapitre 3 « Un temps d'arrêt à Bellaros » tome 1, Chapitre 3

J'étais devant un paysage idyllique, entouré de montagne, sur la rive d'un lac à la surface bleue lisse. Les yeux fermés, je laissai l'air faire flotter les mèches de mes cheveux. Des frissons parcoururent ma peau et je remplis mes poumons de cette pureté avant de tout relâcher dans un soupir bruyant.

Depuis combien de temps n'avais-je pas pris de temps de déconnexion totale ?

J'ouvrai les yeux sur cette étendue d'eau magnifique quand un mouvement à ma droite me fit tourner la tête. Une jeune femme aux longs cheveux roux attachés en queue de cheval me regardai en riant. Je lui rendit son sourire, heureux.

Soudain, un son familier résonna à mes oreilles. Le temps d'une seconde, je me demandai d'où il provenait. La suivante, je retrouvai la raideur de mon lit. Je râlai en comprenant que cet instant n'avait été qu'un rêve et qu'il ne se produirait sans doute pas de sitôt. Je me tournai sur le matelas, mes paupières closes, et tendis les doigts vers la table de chevet. Mon terminal de communication était introuvable, mais sa musique, elle, gagnait en volume à chaque minute. J'entrouvris un œil, mis la main dessus et l'éteignit dans un geste brusque.

Sur le dos, je me forçai à garder les yeux ouverts, mais la tentation de retomber dans le sommeil fut incommensurable. Sans compter que l’image de la passagère croisée au cours de ma patrouille la nuit dernière ne me quittai pas. Je frottai mes yeux, me redressai et tirai légèrement le rideau. Dehors, je ne pouvais apercevoir que le toit gris de la gare qui ne me donnait aucun indice sur la météo. Je me débarrassai de la couette, m'habillai en civil et fit un pas pour rejoindre le lavabo. Mes cheveux étaient gras et une marque d'oreiller barrait ma joue. Je me brossai les dents, attrapai mes affaires d’hygiène et déverrouillai la porte de ma cabine discrètement.

Un regard à droite, un regard à gauche. La voie était libre.

Je m'engageai dans le couloir et atteignis l'autre extrémité du wagon-lit avant d'entrer vivement dans la salle de bain. Deux cabines de douches se faisaient face à côté de deux toilettes exiguës. Je m'enfermai, espérant ainsi réveiller mon esprit embrumé et profiter pleinement d’un bon thé aux agrumes bien chaud. La tentative était ambitieuse, comme souvent et, comme souvent, je ne parvenais seulement qu’à me sentir un peu moins engourdi. Mais pas moins fatigué.

Une fois prêt, je rejoignis le wagon-bar dans lequel je savais que Tao ou Ana m'aideraient à sortir du sommeil. La luminosité blanche de l’extérieur agressa mes yeux alors que je traversai les voitures les unes après les autres. Dans la blanchisserie, les premières machines avaient été mises en route et ronronnaient paisiblement. La bagagerie, elle, était silencieuse et les valises bien attachées aux rails fixés au mur. Il me fallait encore passer par tous les wagons-lits avant d'accéder à ma dose de thé quotidienne. Dans les couloirs, tout était calme, les passagers sans doute descendus pour visiter la cité de Bellaros. Je baissai les yeux sur ma montre entre deux voitures : le départ de la capitale de Terraüris ne sonnerait pas avant quatre bonnes heures, permettant aux touristes de profiter de la ville, de ses musées et de ses monuments en pleine journée. Même si l'hiver était plus rude ici que dans le sud, il n'y avait pas encore une seule trace de neige. Ce ne serait sans doute pas le cas aux abords du pays d’Avalon.

Quand j'entrai dans le wagon-restaurant, les tables étaient déjà dressées en prévision du repas du soir. Certains voyageurs profiteraient de la douceur d'un restaurant avec vue sur le petit lac de La Couronne, quand d'autres viendront se régaler ici, alors que le train reprendra sa course à travers le monde. Je n'aurais pas dit non à une petite escapade au bord du lac, moi aussi, si j'en avais le temps.

Avant d'entrer dans la voiture suivante, je m'arrêtai, l'oreille tendue. Je savais que la plupart de mes collègues était réuni dans ce lieu, surtout à l'heure du goûter. Ce jour-là ne dérogeait pas à la règle. Un sourire un peu forcé sur les lèvres, je passai à travers la porte, me délectant aussitôt des odeurs de café qui s'élevaient.

— Ah ! Niko !

L'allégresse de Matéo attaqua mes tympans et je retins une grimace. Dans un si petit espace, une exclamation de joie pouvait vite tourner à la torture auditive — surtout pour quelqu'un qui, comme moi, venait juste de se lever. Il s'excusa et m'invita à m'asseoir face à lui. Je saluai Tao et Ana derrière le comptoir, toujours prêts à servir les passagers ou les membres du personnel, et m'installai côté couloir, sur la même banquette que la responsable des contrôleurs, Mei-Lin. J'évitai son regard, n'étant pas d'humeur à recevoir une de ses remarques sur la qualité de mon sommeil, et entendit le bourdonnement de la bouilloire. Ana me fit un clin d'œil et je m'invitai dans la conversation visiblement passionnée de mes coéquipiers.

— J'insiste : je pense qu'on devrait demander une prime pour client chiant à la compagnie, râlait Mateo.

— Si seulement on pouvait en avoir pour collègue chiant, déjà.

La remarque me fit rire et je ne fus pas le seul : Asha avait toujours pris un malin plaisir à titiller l'esprit rebelle de Mateo. Mon thé arriva et, le temps que la conversation reprenne, je me plongeai dans la contemplation de sa couleur ambre et de l'amertume de son parfum.

— En vrai, Mateo n'a pas totalement tort, déclara Amir, installé derrière moi. Il y a vraiment des passagers qui mériteraient de payer plus cher rien que pour leur comportement déplorable.

— Vous n'allez pas faire tout un plat d'une bousculade, se lassa Mei-Lin en observant son équipe. Elle s'est excusée, non ?

— Elle, oui, intervint Ingrid, discrète. Mais son mari n'a pas hésité à insulter Mateo alors qu'il n'avait rien fait.

La responsable soupira et se pinça l'arête du nez.

— Ce n'est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière. Nous ne sommes qu'au deuxième jour, je vous rappelle, alors prenez sur vous.

— Les passagers n'ont pas tous les droits non plus. Il est important de savoir les remettre à leur place de temps en temps. Il en va aussi de la qualité du service du Voyageur des Horizons, tu n'es pas d'accord ?

Ma remarque fit mouche. Mei-Lin darda un regard contrarié sur moi, avant de s'adoucir. Elle se contenta de rappeler au reste de l'équipe, en me paraphrasant, que s'il y avait le moindre souci, il ne fallait pas hésiter à aller la voir. De mon côté, je savais qu'elle ne serait pas la personne à qui j'irai me plaindre si cela m'arrivait : Mei-Lin était une bonne responsable, mais avait besoin d'avoir plus qu'un témoignage pour nous croire sur parole. Elle savait faire la part des choses et pouvait nous défendre quand la situation l'exigeait. Néanmoins, elle estimait que nous étions assez grands et formés pour nous défendre nous-même face à des passagers quelque peu irrespectueux.

Je pris une première gorgée de thé, devenu plus tempéré, quand Ingrid emmena Asha et Amir avec elle pour vérifier la propreté de la classe Noble. Mateo quitta le wagon en bâillant et je devinai qu'il allait se détendre dans le salon du personnel, en bout de train. Du coin de l'œil, je vis Tao partir à sa suite, sans doute pour donner un coup de main à la plonge — une de nos dernières recrues nous avait fait faux bond la veille, jour du départ.

— Comment vas-tu, Nikolaï ?

La question que je redoutai contracta ma mâchoire. Je ne tentai même pas de cacher ma frustration, Mei-Lin était, de toute façon, trop perspicace. Je serrai mes doigts autour de la tasse et, sans prendre la peine de la regarder, répondit simplement :

— Je vais bien. Et je suis toujours heureux d'être ici, ne t'en fais pas.

Elle n'insista pas. Je terminai ma boisson d'une traite et me levai pour la déposer à Ana.

— Si tu as besoin de congés, tu sais que...

— Je n'ai pas besoin de congés. Je te rappelle que je n'ai été assigné à aucun trajet intérieur à Lirennia pour combler l'attente du départ du Voyageur. J'ai eu tout le temps qu'il me fallait pour me reposer.

— Tu n'es même pas retourné voir ta famille ?

Je levai les yeux au ciel avant de secouer la tête. Elle comprit le message. Je lui offris un dernier faux sourire avant de tourner les talons et de m'enfuir dans les wagons suivants. Revoir ma famille n'était pas dans mes plans, à court ou moyen terme. Je n'avais pas la force de leur avouer l'ennui qui enserrait mon cœur.

Perdu dans mes pensées, j'arrivai dans le premier wagon à pas vifs et percutai de plein fouet une personne sur le passage. Je fis un pas en arrière, une grimace de douleur déformant mon visage, en me tenant les côtes. En face de moi, la jeune femme de la nuit dernière me regardait d'un mauvais œil, une main sur son coude.

— Je suis désolé, je...

— Vous pourriez marcher plus lentement !

Il se rendit compte qu'elle avait sans doute aussi mal que lui quand il se redressa.

— Êtes-vous blessée ? m'enquis-je en cachant ma propre peine.

— Non, juste le choc. Mon coude a cogné dans vos côtes, je crois. Est-ce que vous, ça va ?

Je souris, mais ma respiration raviva la douleur dans mon flanc. Impossible de la cacher. Je m'assieds sur le premier fauteuil à proximité pour ne pas perdre l’équilibre. Par acquis de conscience, je soulevai ma chemise. Comme je m’y attendais, il n’y avait qu’une marque rouge qui s'étendait, mais devrait bientôt disparaître sans créer d’hématome.

— Je ne vous ai pas vu arriver, dit alors la jeune femme en s'asseyant en face de moi, alertée par mon état.

— Ce n'est rien, ne vous en faites pas. J'aurai dû faire plus attention où j'allais. J'étais dans mes pensées et je ne pensais pas croiser quelqu'un à bord.

— C'est vrai que le train est plutôt calme. Tout le monde est parti visiter Bellaros.

— Pas vous ?

J'aperçus une certaine gêne poindre au fond de son regard, mais le sourire qu'elle afficha en suite la chassa aussitôt.

— Je connais bien la capitale. J'avais besoin de me reposer après mon insomnie.

J'acquiesçai. L’image de la jeune femme au bord du lac à mes côtés me revint et je lâchai, sans trop savoir pourquoi :

— Je m'appelle Nikolaï.

— Analena, répondit-elle. Mais tout le monde m'appelle Lena.

— Et tout le monde m'appelle Niko.

Elle rit, je me contentai d'un sourire timide. Je poussai un soupir et me relevai. La douleur lancinante me fit trébucher et je m'appuyai au fauteuil pour ne pas tomber.

— Vous devriez rester assis, me conseilla Lena, l'air inquiet.

— Je vais aller me reposer dans ma cabine. Ne vous inquiétez pas.

Elle n'insista pas et je l'en remerciai silencieusement. Dans une ébauche de sourire, je me tirai vers l'arrière du train, la tête haute et d'un pas plus lent pour ne pas attirer l'attention. Dans ma poitrine, mon cœur battait fort et vite. Ça passerait, me convainquis-je. Une fois de nouveau enfermé dans mon compartiment, je laissai mon corps se reposer sur le lit et soufflai pour m'apaiser. Déjà, la conséquence du coup de coude dans mes côtes se tari et j'eus bon espoir qu'elle aurait disparut d'ici mon service.

Je me mis à songer que je reverrai sans doute celle qui m'avait mis K.O. à peine réveillé. Un rire nerveux naquit dans ma gorge. Si elle allait bien à Lirennia comme elle l'avait annoncé la veille, je la recroiserai. Il n’y avait aucun doute.


Texte publié par Elodye H. Fredwell, 6 mai 2024 à 15h46
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