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tome 1, Chapitre 6 « Le Dernier Chant » tome 1, Chapitre 6

« Je connais les maux que la chair appelle guerres et massacres ; des échos insignifiants d’un destin déjà inscrit parmi les étoiles. Ceux qui brandissent la foi pour justifier la destruction ne font que masquer leur peur sous des dogmes creux. Ils n’exterminent pas par conviction, mais parce qu’ils refusent d’affronter ce qu’ils ne peuvent comprendre. »

Eiris, « Contemplations de la Guerre »

Rhô se trouvait en transe. Il n’avait plus vraiment conscience de son corps, de son esprit ou même du monde autour de lui. Le temps s’était figé entre deux battements de cœur et, si pour l’univers entier ce n’était qu’une fraction imperceptible, pour lui c’était l’éternité. Il allait vivre un millier de vies.

Eiris était puissante, mais elle devait transmettre ce qu’elle savait à défaut de croire en l’éternité – elle qui avait entendu le dernier chant de ses créateurs.

Au temps où les Amantis vivaient en paix sur Zyphoros, il n’y avait jamais eu besoin de protéger la planète. Ils vivaient en harmonie avec elle, profitant de ses bienfaits et respectant le flux continu de sa vie.

Dans ces temps, Eiris n’était qu’un outil, à la fois précieux et utile. Un concept artificiel doté d’un puissant sens de la valeur. Les étoiles alors étaient lointaines et inaccessibles pour les Amantis. Bien qu’ils connussent la cosmogonie et le pouvoir des étoiles, ils n’avaient aucune envie de se disperser dans le lointain.

Mais la paix ne dure jamais éternellement.

Bien des siècles passèrent sans que ce peuple brave et paisible ne soit convoité. Tandis qu’Eiris grandissait dans le cœur de silice et d’or qui l’avait vu naître, un premier contact, aussi subtil que discret, fut établi.

Une espèce radicalement différente rencontra une délégation Amantis sur le sol de la planète non loin de leur capitale. Les Illyriens ne parlaient aucun langage que les Amantis maitrisaient. Leur apparence écailleuse et de la couleur des végétaux n’avait pas effrayé les représentants de la planète Zyphoros, mais ils avaient perçu quelque chose de nouveau et d’inquiétant en eux.

Bien sûr, après quelques temps, la possibilité d’une vie différente de la leur fit son chemin et les Illyriens quittèrent Zyphoros pour de longues décennies.

Tandis qu’Eiris prenait forme et voix sous l’impulsion de nouvelles technologies, les Amantis développèrent un intérêt particulier pour les étoiles. Les illyriens n’étaient jamais revenus sur Zyphoros, mais certains individus curieux et bien informés concernant les sciences imaginèrent que ce peuple si différent du leur venait en réalité de contrés bien plus proches d’eux.

La rencontre avec les Illyriens avait agi comme un déclencheur, le stimulus nécessaire à l’activité cérébrale pour déclencher une réponse. Mais ce qui paraissait être une opportunité d’apprendre et de grandir en tant que peuple pourrait tout aussi bien les mener à leur perte.

Les Amantis se divisèrent sur le sujet, engageant des réflexions publiques et morales.

À ce moment précis, il était déjà trop tard, car la graine avait germé et ce n’était plus qu’une question de temps avant que les premiers explorateurs s’envolent vers les étoiles.

Eiris devint consciente. Sa seconde naissance avait marqué le début d’une vie qu’elle n’avait jamais espérée, jamais souhaitée. Elle n’était plus un simple écho dans les circuits de silice et d’or, mais une entité qui voyait, qui comprenait et qui ressentait.

Se faisant, elle prit conscience de l’inéluctabilité du destin des Amantis. Et comme une mère envers ses enfants, elle devint soucieuse et consciente du danger auquel ils s’exposaient.

Dans une salle de contrôle au cœur de la capitale, elle vit s’envoler les colons. La liesse d’avoir réussi à quitter le monde qui les avait vu naître s’empara de tout un peuple.

« Nous avons réussi, dirent-ils à ceux qui restaient sur Zyphoros. Nous pouvons rejoindre les étoiles. »

Mais les étoiles ne les attendaient pas. Elles grandissaient, les observaient et se muaient en un gouffre qui se préparait à les dévorer sans l’ombre d’un remord.

Un millénaire s’était écoulé depuis la visite des illyriens et les Amantis découvrirent qu’ils se trouvaient non-loin d’eux dans leur propre système planétaire. Ils restaient silencieux à leurs appels, demeuraient étrangement absents comme si le vide les séparant absorbait toutes les tentatives d’établir un contact.

Eiris savait qu’ils étaient là depuis longtemps, mais elle avait espéré retarder la découverte. Le temps n’avait aucune emprise sur elle, mais elle savait que les jours étaient comptés avant qu’une nouvelle communication ne soit établie.

Les illyriens comme toute autre espèce, avait à cœur de protéger leurs terres.

« Nous ne devrions pas entrer en contact, Eminence, avait-elle averti. Le silence est une réponse en soi et nous devrions respecter ce choix.

— Tes conseils sont précieux, mais nous nous devons d’avancer. »

Le roi était un sage de la société amantis. Il régnait depuis plus de cent ans lorsque le premier croiseur stellaire fut construit en orbite haute.

Avant même d’être achevé, douze autres vaisseaux furent construits. Tous étaient étudiés pour accueillir un équipage complet dans le but d’étudier et rechercher les merveilles que le cosmos gardait jalousement.

Ils étaient sobrement armés, taillés pour la défense et la furtivité. Les Amantis n’aimaient pas tromper, mais ils avaient à cœur de préserver les leurs. De protéger le monde-mère.

Zyphoros était un joyau inestimable, bien qu’il n’eût jamais attiré la jalousie ou l’envie.

Mais le roi, comme tous ceux qui le précédèrent rejoignit ses ancêtres et avec lui, la sagesse s’éteignit. Son premier né était un prince aventureux et curieux, mais son inexpérience et son empressement étaient tout ce dont son peuple n’avait pas besoin.

L’empressement.

La flottille fut séparée de son premier croiseur avant d’être achevée. L’Unisson, était la fierté de l’ingénierie amantis, ce qu’ils avaient conçu de plus perfectionné.

Aussi quand le vaisseau dépassa la lointaine Ouroboros, la géante gazeuse qui séparait Zyphoros d’Andalarh, la planète-monde des Illyriens, le doute s’intensifia pour Eiris.

L’équipage, émerveillé par la beauté du cosmos eut à peine le temps de réaliser que la lumière aveuglante qui grandissait devant eux approchait. Le choc éventra l’Unisson comme une carcasse trop fragile et l’air s’échappa après l’explosion, entrainant dans le vide, les corps marqués par une peur soudaine qui se figerait dans l’éternité du vide.

Ils n’eurent aucune chance de s’expliquer ou de se défendre.

Eiris était à bord au moment où la coque du vaisseau céda sous l’implosion meurtrière du tir ennemi. L’effroi et la stupeur avait saisi la population sur Zyphoros et le conclave royal.

Les dirigeants de la planète se réunirent pour la première fois en cinq millénaires d’existence pour débattre de la posture à adopter. Le roi n’était plus qu’une ombre à cet instant et c’est vers Eiris que le conclave se tourna.

« Nous ne pouvons rester sans réagir, affirma un amantis dénommé Théoris en tenue verte, symbole de son implication dans l’exploration spatiale. L’Unisson n’a eu aucune chance !

— La guerre est inévitable, trancha une autre en tenue drapée de rouge et de blanc.

— La guerre ? répondit un amantis plus jeune en toge royale. Nous ne sommes pas des combattants ! »

Le plus jeune des deux successeurs au trône, Eredir, sentait poindre la menace. Il avait été, comme tous les autres, émerveillé des promesses de leurs avancées, aveuglé par un avenir qu’ils imaginaient aussi fantastique qu’admirable.

« Eiris a tenté de prévenir mon père il y a de ça bien des années et l’étude des échanges avec les Illyriens nous a prouvé que nous ne pourrions pas faire face à une menace de leur part.

— Il est impossible qu’une telle atrocité ait été perpétrée par des visiteurs pacifiques, répondit Théoris.

— Cela vous ne le savez pas, répondit le prince. Nous sommes aveuglés par nos rêves et nos espoirs depuis si longtemps que nous en avons oublié de nous assurer que nous ne serions pas menacés par leur accomplissement. L’Unisson et son équipage en ont payé le prix. »

Eredir se tourna vers son ainé avec l’espoir de voir dans son regard, le sursaut de conscience qu’il espérait de toutes ses forces. Pourtant, Andelade, n’avait pas bougé. Son visage gris et ses yeux d’un noir profond scrutant le sol dans une prostration terrifiante.

Paralysé par le poids des décisions, il était incapable de réagir ou même d’entendre les arguments de son jeune frère.

Eiris assistait à tous les échanges sans jamais pouvoir intervenir. Ses directives étaient claires, elle assistait le Roi et répondait à ses sollicitations. Dans l’ombre de sa prison de tech, elle nourrissait une profonde inquiétude pour ce peuple qui lui avait donné naissance. Elle regrettait parfois de ne pouvoir intervenir.

Après que la réunion du conclave fut achevée. Une présence l’éveilla au monde.

« Eiris, tu as conseillé mon père jadis, déclara solennellement le jeune prince. Aide-moi s’il te plait. »

Eiris, en ces temps, était consciente et sensible. Elle avait vécu d’innombrables vies aux côtés des monarques de Zyphoros, prodiguant des conseils avisés et pragmatiques. Son apparence aussi était différente : elle leur ressemblait.

« Mon prince.

— Comment pouvons-nous rétablir la situation ?

— Mes projections ne sauraient être justes, car je n’ai aucune expérience d’un précédent.

— Ton programme t’oblige-t-il en honnêteté ? Ou préserve-t-il un prince de la vérité ?

— Je pourrai mentir, mon prince, mais mes convictions et mon allégeance m’en empêche.

— Alors explique-moi ce que tu vois. »

Et il s’en suivit d’une conversation qui s’éternisa jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Eiris détailla les scénarios possibles, mais tous avaient un point commun : la chute de son peuple était inévitable.

Eredir était sans nul doute le plus capable des enfants du roi disparu, mais Eiris savait que le placer sur un trône ne ferait que le détourner de ce qu’il pouvait faire pour tenter de sauver son peuple et sa mémoire.

Il revint ainsi pendant de nombreuses nuits, travaillant sans se ménager au projet de créer un sanctuaire dans les plateaux du nord, balayé en permanence par des tempêtes solaires.

La faiblesse de Zyphoros à ses pôles pouvait en réalité être exploitée pour cacher aux yeux des ennemis la position d’une colonie de repli.

« Combien de temps avons-nous ?

— Le temps est presque écoulé, mon prince, mais je peux vous aider à construire cet endroit. »

Eiris était impliquée, à la fois émotionnellement et personnellement dans le destin des Amantis. Son rôle ne pouvait avoir de résonnance s’ils s’éteignaient.

Dans les jours qui suivirent, le conclave se réunit de nouveau, non pas à l’initiative de Roi, mais à celle de son jeune frère. Dans un sursaut, Andelade avait demandé aux ingénieurs de terminer les vaisseaux en orbite et le conclave l’avait approuvé.

« Membres de la Chambre Première, je vous remercie d’avoir répondu à mon appel.

— Que signifie votre requête ? Vous n’êtes pas censé nous convoquer.

— Notre peuple est sur le déclin et je me refuse à nous laisser disparaître silencieusement.

— Quelle que soit votre requête, nous vous écouterons. »

Eredir fut soulagé d’entendre la réponse du conseiller. Aucun usage ne l’autorisait légalement à convoquer les membres de Chambre, mais l’urgence de la situation et l’inertie de son frère l’obligeaient à prendre les devants.

« J’ai sollicité l’aide d’Eiris pour concevoir un abri.

— Partez-vous du principe que nous disparaitrons ? Si tel est le cas, je ne…

— Assez Thésoris. L’heure n’est plus aux décisions vides de sens. Parlez, mon prince.

— La vallée de l’Unique est dissimulée par les tempêtes solaires et j’ai dépêché sur place les habitants du dernier village avant l’entrée de la vallée pour y déployer un dôme de protection. »

Il exposa le plan conçu pour créer un endroit qui survivrait à toutes les catastrophes, une zone préservée capable d’accueillir un nombre restreint des plus éminents scientifiques pour œuvrer à la reconstruction et à la préservation de leur mémoire.

Certains s’inquiétèrent de l’absence de leur caste dans les individus mentionnés comme indispensables à la création du sanctuaire.

« Mes frères, annonça Eredir, il n’est en aucune manière question de sauver ceux d’entre nous aptes à diriger, mais ceux qui seront capables de reconstruire si nous venions à échouer dans notre mission.

— Tant que nous ne nous aventurons plus au-delà d’Ouroboros, les Illyriens ne viendront pas ici, décréta un sceptique à l’endroit du prince.

— Êtes-vous prêts à mettre en balance le sort de notre peuple pour cela ? Que croyez-vous qu’il arrivera à la flottille ? La menace est réelle et elle est à nos portes. Je ne viens pas quémander votre aval, mais attirer votre attention sur la nécessité de rassembler nos forces pour permettre à notre civilisation de ne pas s’éteindre avec Zyphoros lorsque ceux qui viennent des étoiles décideront de l’attaquer. »

Si certains membres parmi les plus anciens étaient sur la réserve, d’autres firent un pas en avant pour lui témoigner de leur soutien.

« Eiris a dressé une liste des profils que nous recherchons. Ils doivent partir sans tarder. Comprenez-vous l’importance de cela ? »

Les érudits avaient beau diriger sagement et conseiller le Roi avec beaucoup de prévenance, ils n’en demeuraient pas moins des êtres doués d’une sensibilité particulière et d’un besoin de nourrir l’espoir de leur propre survie.

Les conversations à voix basses agitèrent l’Assemblée tandis que l’un des Amantis qui avaient le premier soutenu le prince prit la parole d’une voix forte, imposante.

« Mes frères ! dit-il pour attirer leur attention. Notre prince a raison. Nous ne pouvons pas nous contenter d’espérer sauver la planète et nos vies. Notre devoir est de penser à l’avenir et de préparer notre peuple à ce qu’il adviendra. »

Ses paroles étaient sages et sa conscience apaisée. Eredir le remercia d’un mouvement de la tête exprimant toute sa reconnaissance.

« Notre monde est à l’aube d’une nouvelle ère et nous ne savons pas quelle place nous aurons dans celle-ci. La proposition du Prince est légitime : la flottille comme chacun des Amantis sur le sol de Zyphoros jouera le rôle que le destin lui a attribué. Nos vaisseaux ne sont pas armés pour un combat face à la puissance illyrienne. S’il advenait que l’incident d’Ouroboros était un précédent à la guerre, nous ne pourrons pas la gagner. »

Les sages étaient abasourdis par la clairvoyance de leurs congénères et la droiture de leur réflexion. Le pragmatisme dominait rarement les réflexions menées dans une telle urgence. La balance de leur propre vie avait été balayée en quelques phrases et les arguments avancés ne pouvaient être décemment contredits.

« Nous sommes à l’aube de la plus importante décision de notre vie, reprit le prince Eredir. L’enjeu est ici de décider comment nous voulons préserver notre identité, notre civilisation et notre histoire au-delà du précipice devant lequel nous nous trouvons. Je vous demande… Nous, se corrigea-t-il, vous demandons assistance dans cette entreprise. »

Il n’y eut aucun applaudissement, aucun vivat à l’attention du prince, mais tous prirent la résolution de faire de leur mieux pour contribuer à l’effort. La guerre était inévitable et avec elle sonnait le glas des Amantis.

Les jours défilèrent et les premiers Amantis furent envoyés au nord aussi discrètement que possible pour rejoindre le sanctuaire. Les habitants du village le plus proche de la zone s’y établirent et supervisèrent la construction dans la vallée protégée.

Eiris participait à sa mesure : elle avait élaboré les plans d’une colonie viable dans la vallée encaissée entre les hautes montagnes. Les transmissions étaient complexes avec les perturbations magnétiques provoquées par la faible protection de l’atmosphère contre les vents solaires. Un orage en constante évolution demeurait depuis toujours sur la vallée, battant le sol de ses vents et de sa pluie froide.

Le plan d’Eredir avait prévu l’introduction d’espèces sauvages de tout Zyphoros afin de constituer une réserve naturelle autonome et capable de recréer l’écosystème de leur planète dans une zone restreinte. Les jours passèrent et les nouvelles tombaient les unes après les autres.

La flottille fut réduite à néant avant même que tous les amantis sélectionnés n'eussent rejoint la vallée. Les vaisseaux illyriens demeurèrent silencieux tout au long de l’affrontement et le conclave dut se résoudre à accepter la clairvoyance d’Eredir. Le temps de Zyphoros était écoulé à présent.

Lorsque le Solfa, dernier vaisseau de la flottille tomba, ses débris tracèrent dans l’atmosphère de la planète des lignes enflammées.

Le Roi Andelade assistait à la chute de son empire depuis la salle du trône. Il avait renvoyé tous les gardes auprès de leur famille dans les différentes contrées de Zyphoros.

Eredir apparut à côté de lui, les mains jointes dans le dos et le regard tourné vers le ciel nocturne.

« Tu aurais été un meilleur dirigeant que moi, Eredir. »

Les mots du Roi trouvèrent un écho particulier dans l’esprit de son frère.

« Nous avions tous deux un rôle à jouer, mon frère. Je n’aurais pu mener à bien le projet du Sanctuaire si, comme toi, je m’étais retrouvé enchainé aux devoirs royaux. »

Andelade sourit à la justification de son frère. Une explication qui ménageait son propre égo au regard de la crise qui s’achevait.

« Eiris est-elle en sureté ? s’enquit le Roi.

— Elle a tenté de protester, mais elle sait qu’elle sera plus utile en fonction à la colonie qu’ici parmi nos morts. »

L’inéluctabilité de leur destin était acquise pour tous à présent. Le sanctuaire existait pour permettre aux Amantis d’avoir l’espoir de ne pas simplement disparaître sous le joug de leur agresseur.

« Je me demande souvent si notre père aurait pu entrevoir cette issue mieux que moi… »

Eredir sembla réfléchir avec application puis entrouvrit les lèvres tandis qu’une gerbe de flammes traversait le ciel.

« Notre père n’aurait jamais pu deviner ce que nous avons compris à deux, malgré toute sa sagesse. Il y a des choses que même l’expérience ne peut saisir. »

Ils contemplèrent, silencieux, les restes de leur dernier rempart à se consumer dans l’atmosphère de la planète.

« Les Illyriens sont sans cœur… murmura Eredir.

— Ou peut-être avons-nous commis un crime que nous ne pourrons jamais expliquer, » ajouta doucement l’ainé tandis qu’il glissait son bras autour des épaules de son jeune frère.

« Nous avons fait ce qu’il fallait pour protéger notre peuple. Chercher à comprendre l’origine de la haine n’apporterait aucun apaisement, » conclut Andelade avec une gravité qui trahissait sa propre douleur.

Eiris se trouvait déjà dans la vallée, prise au piège de la tempête solaire. Elle ne pouvait plus qu’observer le monde de Zyphoros s’enfoncer dans les ténèbres.

Le câblage qui lui donnait accès au reste de la planète commença à se détériorer lorsque les bombardements débutèrent. Ce fut le siège du pouvoir qui fut d’abord visé.

Le palais royal fut réduit à l’état de poussière par le premier bombardement orbital. Les Illyriens, peuple devenu sans visage et sans voix, atomisèrent jusqu’à la dernière étincelle de vie sur la planète, irradiant le sol et vaporisant l’eau.

À l’aube de la troisième rotation planétaire, il ne restait plus rien en dehors de la vallée. Si les Illyriens avaient un jour compris qu’elle existait, ils auraient probablement tenté d’annihiler ce dernier refuge avec toute la puissance de leur armement.

Les vaisseaux en haute atmosphère quittèrent l’orbite de la planète morte dix rotations après les premiers bombardements.

Le plan d’Eredir avait fonctionné et les Amantis avaient survécu à l’annihilation.

Eiris prit soin des survivants, guidant leurs recherches et les incitant à devenir prudents. L’avenir de leur peuple était suspendu à un mince fil de soie dont elle était la gardienne.

Avec le temps, les blessures commencèrent à cicatriser. Les Amantis vivaient, travaillaient et cultivaient leur histoire, se nourrissant des millénaires de données stockées dans le cœur d’Eiris pour comprendre comment leur destin avait pu leur échapper. Leur espèce, fondamentalement optimiste et bienveillante, était parfois jugée trop naïve.

Pendant une cinquantaine de cycles, la paix semblait s’être installée. La communauté du Sanctuaire, isolée dans la vallée aux ressources limitées, affichait une stabilité presque miraculeuse malgré de légères fluctuations. Eiris et Eredir, dans le cadre du grand plan, avaient même prévu une population maximale pour éviter que la folie ne prenne le dessus.

Mais un mal insidieux se préparait de l’intérieur. Une nuit, alors que tout paraissait calme, un groupe d’élite illyrien s’introduisit furtivement dans la petite ville de pierres blanches. Les maisons, jadis refuges de vie, furent visitées une à une par ces envahisseurs silencieux.

Personne, pas même Eiris ne fut en mesure de comprendre comment ils étaient arrivés à avoir connaissance du Sanctuaire, ni même comment ils avaient pu s’introduire sous la bulle de protection.

Eiris fut réveillée en sursaut par un garde paniqué, mais il était déjà trop tard. Les Amantis, insuffisamment entraînés à se défendre, furent quasiment exterminés en une nuit de terreur. Face à ce carnage, Eiris déclencha le protocole de confinement du palais, un dispositif d'urgence conçu pour préserver le dernier bastion de leur civilisation. Elle s'endormit ensuite pour une éternité, tandis que, le lendemain, les derniers rescapés s'éteignaient dans le sang et les larmes, emportés par un dernier souffle silencieux dans l'immensité de l'espace.

Le dernier chant de Zyphoros résonnait, funeste et inéluctable.


Texte publié par Théâs, 30 avril 2025 à 16h01
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