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tome 1, Chapitre 2 « Le voyage » tome 1, Chapitre 2

« Il est dangereux de trop approfondir la vérité, surtout quand elle est bâtie sur des préjugés. »

— Albert Camus

La nuit fut pleine de hurlements bestiaux, de coups de tonnerre.

Les roulements puissants qui précédaient toujours l’orage ne l’effrayaient pas. L’avaient-ils seulement fait un jour ? Rhô ne pouvait répondre à cette question et il s’en accommodait.

D’après ses estimations, les phases diurnes et nocturnes étaient équilibrées à quelques minutes près. Si le fonctionnement de la tour demeurait un mystère, il avait posé l’hypothèse qu’elle avait été construite il y a des siècles. La technologie qui l’animait tirait l’énergie nécessaire à son fonctionnement de quelque source pérenne dans les sous-sols.

La barrière énergétique qui l’avait préservé des prédateurs restés au-dehors à roder toute la nuit allait bientôt se lever et il ne voulait pas perdre de temps sur la journée qui lui était accordée pour explorer les alentours et trouver l’endroit d’où venait ce danger.

Rhô n’avait rien mangé. La faim faisant se tordre son estomac. Il se souvint avoir aperçu un buisson portant des baies sur le chemin de la cabane pendant sa brève excursion de la veille. Pendant la nuit, il avait profité du feu et de l’eau pour nettoyer proprement le petit conteneur trouvé la veille et vérifier qu’il pouvait tenir accroché à la ceinture de sa combinaison. Comme c’était le cas, il constituait un excellent moyen de transporter ce dont il avait besoin : la torche ainsi que quelques-unes de ces baies.

Bien sûr, il avait conscience de devoir rationner pour espérer passer une autre journée. Sa principale préoccupation était de trouver de la nourriture. Il se savait guidé par un instinct primaire, axé sur la simple survie de son corps.

Si les monstres nocturnes n’étaient pas trop voraces ou trop nombreux peut-être même pourrait-il espérer trouver quelque chose de plus consistant que quelques fruits récupérés sur un buisson malingre.

La tour crépita tandis qu’un courant d’air s’engouffrait dans le hall de la nef de pierres. Il n’y avait aucune surprise chez lui, aucune appréhension dans les événements qui se déroulaient sous ses yeux.

Le temps était venu.

Le soleil devait briller, une étoile morne dont les rayons peinaient à traverser la couche nuageuse. À la lisière de la chaine de montagnes qui lui faisait face, l’orage nocturne grondait encore, menaçant.

Rhô convint qu’il n’avait aucun intérêt à se terrer dans la tour malgré sa protection. Si trouver un refuge en dehors de ses murs relevait d’un hasard qu’il n’était pas encore prêt à éprouver, il allait être rapidement à court de nourriture et de solutions.

Le problème était multiple et les solutions réduites aux abords de son sanctuaire.

Armé du conteneur et de quelques baies, il vérifia à plusieurs reprises la bonne marche de la torche plasma et entreprit de parcourir la dizaine de mètres du couloir menant à l’extérieur.

Le temps était identique à celui de la veille et si la température était plus fraiche, il y avait dans l’air un parfum étrange et agréable : un subtil mélange de rosée et de menthe bleue des montagnes.

Ses pieds nus s’enfoncèrent dans le sol meuble au sortir du corridor : un amoncèlement d’humus avait permis à une épaisse couche d’herbe verte de s’élever sur une dalle apparemment inhospitalière. L’eau ravinait entre les pavés de pierre qui émergeaient par endroit, et bien que le contact froid l’eût surpris, Rhô ressentait une véritable onde de bien-être ainsi en connexion directe avec le sol.

L’expédition était risquée, mais il se savait condamné à rester terré dans son abri comme une proie prise au piège de son propre terrier par le prédateur. Il s’y refusait.

Avec une assurance nouvelle, Rhô retourna près de la cabane en prenant soin de ramasser les quelques baies restées sur l’arbrisseau près de la construction puis il porta son regard en contrebas, vers la vallée.

Le bruissement du vent dans la végétation était apaisant et le bruit des rafales se brisant sur la lourde silhouette de la tour rythmait sa respiration de quelques bouffées agréables.

L’absence de sa mémoire n’était pas un handicap, bien au contraire, il était d’autant plus conscient de ce qu’il avait à faire pour survivre à cette épreuve. Les réponses, si jamais elles existaient, se présenteraient d’elle-même une fois sa survie assurée.

Descendre la pente douce menant à la vallée lui permit de remarquer qu’un chemin avait existé jadis. Quelques marches en pierres taillées affleuraient parfois de la végétation. À d’autres endroits, les morceaux épars d’un escalier ou un d’un chemin en dalles se mêlaient aux bosquets d’herbes en tous genres.

Il n’y avait aucune fleur dans la vallée, un peu de mousse par endroit et quelques morceaux de bois entamés par des champignons, mais le tout était assez monochrome.

Après une heure de marche, Rhô se retourna pour observer attentivement le chemin parcouru dans la plaine. Son allure était correcte en prenant en compte qu’il ne portait pas de chaussures aux pieds. Son rythme était adapté à sa condition, mais il espérait malgré tout pouvoir atteindre la forêt qu’il entrevoyait au loin dans un délai raisonnable.

Quelque chose attira son attention, une trace dans la boue d’une mare d’eau stagnante et sans cesse renouvelée par la pluie battante.

Les longues empreintes imprimées dans la terre détrempée laissaient deviner des pattes allongées et une puissance importante des membres arrière. Peut-être la bête qu’il avait entendue s’approcher à la tombée du jour avait-elle fui le retour de la lumière à l’aube ?

D’après l’orientation des traces, elles se déplaçaient à quatre pattes et trois pointes griffues s’étaient enfoncées dans la boue, surmontant les trois doigts opposables.

Il n’avait aucune idée de l’aspect que pouvait avoir la créature, ni même de leur nombre. Rhô imagina qu’elles devaient avoir un comportement de meute, comme des rengoards, une espèce de félin originaire d’un monde lointain.

Il se surprit à cette pensée. Sans passé, il demeurait malgré tout habité par des connaissances dont il n’avait aucune conscience. Celles-ci émergeaient au bon moment de son inconscient pour lui permettre de comprendre et appréhender son environnement.

La présence de ces traces rendait la menace plus prégnante et l’éveillé ne put s’empêcher de se retourner à nouveau vers la Tour. Avec la distance elle avait perdu en superbe.

Il inspira profondément, ouvrit le conteneur par le rabat qui le surmontait et avala une baie. Le sucre et les nutriments contenus dans le fruit lui donnaient à la fois de l’énergie et un sentiment de satiété immédiats, comme si elle avait été spécifiquement conçue pour répondre à un besoin.

Il reprit sa marche en terminant de mâcher la baie et avança en direction des montagnes et de l’orée de la forêt. Il n’y avait pas de raison de faire demi-tour et il devait impérativement en apprendre davantage sur ce qui le menaçait.

Apprendre à connaître son ennemi pour comprendre comment s’en défendre.

Après une bonne heure de marche, il arriva à la lisière de la forêt. Cette démarcation lui parut étrange, comme si les arbres eux-mêmes n’avaient pas eu l’autorisation de s’étendre au-delà d’une zone parfaitement définie. Pourtant les troncs s’élevaient vers le ciel en de longues lignes brunes terminées par un épais feuillage sombre.

Le bruissement du vent était bien plus présent que dans la vallée, et bien moins plaisant aussi. Pourtant les traces des créatures s’enfonçaient là, parmi les végétaux séculaires. Virevoltant entre les troncs et les quelques ronces agglutinées en amas indistincts, Rhô avança prudemment sur la piste des bêtes nocturnes. La moitié de la journée serait révolue tandis qu’il se trouvait dans la forêt, aussi préféra-t-il ne pas perdre de temps en chemin.

Par endroit les traces d’un ancien chemin pavé affleuraient entre les racines. Cet endroit devait avoir été bien différent à l’époque de sa construction. Pas seulement dans la tour, mais aussi dans le reste de la vallée. Qu’était-il advenu de ces habitants ? Où étaient les ingénieurs et les gardes ? Les habitants ? Bien qu’il sût ne pas devoir se disperser, les questions s’agglutinaient dans son esprit comme l’eau dans un évier bouché.

Après avoir contourné une petite colline couverte d’arbres de nature variée, le chemin débouchait sur une clairière. L’endroit était parsemé de rochers lissés par la pluie et de quelques jeunes arbres sortis de terre par le miracle de quelque reproduction naturelle.

Les traces des prédateurs étaient plus nombreuses cette fois et semblaient converger vers un sentier escarpé grimpant dans le flanc de la montagne. L’immensité et l’irrégularité de la paroi rocheuse laissaient supposer que des centaines de millions d’années d’éboulement et d’affleurement rocheux avaient été nécessaires pour lui donner cet aspect. Mais les bêtes qui s’enfonçaient plus haut dans la montée, étaient, elles on ne peut plus récentes.

Il approcha avec précaution. Ses pieds s’enfonçaient légèrement dans la boue et ses pas moins discrets que d’ordinaire lui donnaient la sensation qu’il allait être rapidement repéré. Le manque d’option le convainc de poursuivre sa route, mais il fit néanmoins preuve d’une grande attention aux signes de mouvements autour de lui.

Rhô avait de l’instinct et des réflexes aiguisés, tels ceux d’un chasseur. Pourtant, il n’avait aucune envie de mettre sa vie en jeu pour cela. Il n’était guidé que par le besoin de connaissance et de survie. Il ne poursuivait nul autre but.

Après avoir franchi une montée en lacets, il parvint à l’orée d’un plateau rocheux où la végétation était plus rare. Quelques arbrisseaux de résineux à feuilles bleues perçaient la terre lisse et piétinée de l’endroit, mais l’ouverture étroite dans la falaise retint son attention.

Il s’agissait d’une grotte dont l’entrée devait être large de deux ou trois mètres et la faille était au moins cinq fois plus haute.

Quelques rochers avaient roulé depuis la pente jusqu’au sol et semblaient constituer un rempart efficace contre les intrus. Si prédateurs il pouvait y avoir.

C’était une idée assez étrange d’ailleurs.

Jusque-là il n’avait ni vu ni entendu aucun autre animal. Il y avait eu quelques restes à demi-ensevelis par la végétation bien sûr, mais aucune autre bête vivante.

Le jeune homme se ressaisit pour essayer de dénombrer les individus, mais la taille et le piétinement permanent du plateau ne lui laissait pour ainsi dire aucune chance de parvenir à compter le nombre de créatures terrées dans la grotte en pleine journée.

Quelque chose attira son attention cependant. Parmi les pierres agglutinées, l’une d’elles avait une forme étrange, brisée, mais taillée.

Se rapprocher pouvait le mettre en danger si les créatures venaient à flairer sa piste, mais il était certain que la pluie qui n’avait jamais cessé finirait par faire disparaitre ses traces.

Il approcha prudemment, prenant soin de ne marcher sur aucune branche ou aucune roche friable qui trahirait sans détour sa présence.

Il n’y avait aucune difficulté particulière dans cette entreprise, simplement le bénéfice d’une vertu qu’il se connaissait : la patience.

Rhô posa une main avertie sur la surface polie après avoir sondé l’abime au-delà de la faille. L’antre était noir, effrayant. Aucun son n’en provenait, mais il s’en dégageait une odeur pestilentielle de charogne.

Après avoir attendu et vérifié que les vents ne tournaient pas en raison de l’humidité et de la chaleur qui se dégageait de la tanière, il reporta son attention sur la tablette minérale. Il s’agissait d’un morceau d’un ensemble plus grand dont deux des côtés avaient été parfaitement taillés.

Brisée dans sa diagonale, la pierre polie présentait un relief irrégulier, mais caractéristique. Les glyphes gravés dans la roche lui étaient totalement étrangers, mais il ne pouvait s’agir que d’une forme de langage.

Pour la première fois depuis son réveil, il se heurtait à son incapacité à comprendre quelque chose. La langue lui était inconnue, mais c’était bien là, la première trace du passage d’autres êtres vivants depuis la Tour. Les routes pavées étaient très anciennes et bien qu’il ne pût comprendre ce qu’évoquaient les inscriptions gravées, la plaque semblait plus récente que la Tour elle-même.

La taille et la position du vestige d’une civilisation antérieure ne lui permettraient pas de l’emporter, aussi décida-t-il d’étudier sa forme et ses inscriptions pendant le temps qu’il lui restait avant de devoir faire demi-tour. La mi-journée approchait, mais sa notion du temps était davantage érodée depuis qu’il s’était retrouvé en contrebas de la falaise.

En approchant de la montagne si élevée, tout lui paraissait plus sombre encore. Malgré l’orage permanent, les subtiles variations de luminosité ne lui échappaient pas.

Les inscriptions prirent soudainement un sens assez vague à ses yeux. L’agencement de formes triangulaires et de lignes droites était minutieusement organisé. Le langage était complexe, mais doté d’une logique proche de ce qu’il connaissait.

Les groupes de glyphes formaient des sons, des idées ou des groupes d’idées, plus qu’un ensemble de lettres ou de chiffres. Son esprit vagabondait, cherchant un sens aux symboles que ses yeux parcouraient sans relâche. Malgré ses difficultés, quelque chose émergea au milieu de ses pensées : un avertissement. Se pouvait-il que les runes gravées dans la pierre fussent jadis une partie d’un ensemble plus grand servant à avertir de la présence des prédateurs ? L’idée était à la fois plausible et saugrenue, basée sur des déductions issues d’hypothèses dont aucune n’avait été scientifiquement vérifiée.

Il inspira brutalement à un mouvement d’air inhabituel. Quelque chose avait bougé au-delà de la faille et une odeur animale s’était brutalement répandue tout autour de lui.

Il leva les yeux au ciel pour mieux constater l’ampleur du désastre.

Rhô n’avait aucune idée du temps pendant lequel son cerveau avait mis le reste de ses sens en sommeil, mais il savait une chose : le temps lui était compté. La nuit tombait déjà sur la plaine et les créatures seraient bientôt libres.

La traque allait débuter.


Texte publié par Théâs, 9 mai 2024 à 09h29
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