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tome 1, Chapitre 11 « Stupeurs et Évanouissements » tome 1, Chapitre 11

Je suis demeuré longuement dans cette pièce, désormais vide et pleine de Ténèbres, stupéfait et anéanti par ce que j’y avais découvert. Cet homme exprimait tant de remords et de souffrance, comme si pour lui tout n’était qu’apparence, marionnette dans le monde des hommes. Éternel recommencement d’une douleur qui jamais ne prendra fin. Dans ses yeux se reflétait l’abîme qui avait remplacé son âme consumée par un ego hypertrophié. Un ego se nourrissant de sa propre suffisance, qui ne répondrait autour de lui que souffrance et désolation. Dans son visage, rien ne se reflétait, pas la moindre trace d’émotion ou de sublimation, de sensations ou de passions. Rien ! Juste un automate humain, qui ne se sert de ces masques que comme des apparats. Pareil être ne peut qu’inspirer la crainte et l’effroi. Il n’est rien, il ne renvoie rien, il se contente d’être, incarnation d’une situation et de changer d’apparence quand changent les circonstances. Possédé par sa Persona, possédé par son ego, qui est-il, qui était-il ? Quel être de malheur était-il ? N’existe-il que par le regard des autres, non pour lui-même.

Je ressens de la pitié pour cet être torturé. Mais pour ceux qui l’auront côtoyé et qui n’auront su percer sa carapace d’Ombre, noir comme le ressac de son âme, quel être vil fut-il très certainement. Je n’ai nulle peine à l’imaginer entourer de sa cour, être vaniteux et orgueilleux, cherchant à combler le vide en lui par la souffrance infligée à autrui. Que voilà une douleur malsaine, car c’est à lui qu’elle s’adresse, c’est lui qui se blesse, en déchiquetant un peu plus ce qu’il lui reste d’âme. Je le vois renverser les charges et les forces pour mieux les retourner et se les accaparer, sans rien en donner. Un vampire psychique, qui affaiblirait ses victimes en s’abreuvant à leurs propres fondements.

Tout à mes réflexions, j’en viens à douter de plus en plus de l’appartenance de cette Persona. Je ne puis croire qu’elle appartienne à ma cliente madame Obligay, plutôt à cet homme. Cet homme, dont j’ai fugitivement vu le visage, avant qu’il ne s’évanouisse dans les limbes. Soudain, une percée de lune s’en vient baigner le lieu où l’homme a disparu, faisant briller sur le sol, ce qui ressemble à une clé. Je me penche pour la ramasser. Elle n’est pas bien grosse, de la taille d’une noix. Elle est couverte d’une suie noire et grasse, qui s’effrite au contact de mes doigts. Au centre, quelque chose s’est mis à briller d’un éclat vif. À peine effleure-t-il ma rétine, que je suis aspiré. Désespérément, je lutte contre le courant dément, avant de sombrer dans le néant.

– Bon. Maintenant, vous allez m’expliquer ce que vous faites ici.

Mon estomac a gargouillé un long moment, avant que je ne réponde à sa place :

– Heu… J’ai faim !

– Je ne vous demande pas si vous avez faim ou non. Je vous demande simplement ce que vous faites ici ? réplique-t-il d’un ton un brin excédé.

Pour toute réponse, il n’obtient qu’un autre long et profond gargouillement. Pour ma part, je suis bien trop hébété et occupé à rassembler mes souvenirs, pour formuler une réponse sensée. Voyant que je suis inoffensif et que je ne me montre aucune velléité à me rebeller, le gardien finit par se calmer.

– Bon, n’en dites pas plus, j’ai compris. Allons, suivez-moi. J’entends bien que vous êtes affamés. Je vous emmène à l’office, il y a de quoi vous restaurer. Et puis vous m’expliquerez, comment vous vous y êtes pris pour vous retrouver ici.

J’acquiesce et comme pour marquer sa gratitude, mon estomac ajoute l’un de ses sons lugubres, dont il a le secret. J’entends mon cerbère poussé un long soupir, avant de partir d’un pas nonchalant vers l’office. Petite pièce frustre et sans fenêtre, ils s’y égaillent çà et là quelques meubles autour d’une minuscule gazinière, avec dans un coin une table et trois chaises. Je m’assois sur l’une d’entre elles, tandis que mon hôte s’affaire auprès d’un vieux robinet quelque peu récalcitrant. Quand enfin il réussit à en tourner la poignée, un geyser d’eau glacée en jaillit et l’éclabousse copieusement. Précipitamment, il le referme et s’exclame :

– Vous seriez bien aimable de m’attraper la serviette qui se cache en haut du meuble. Je pense que vous avez largement la taille requise pour l’exercice.

Je m’exécute de bonne grâce et ma main part à l’assaut d’un mont des plus faciles. Après quelques secondes à tâtonner infructueusement, je peux enfin mettre la main sur l’objet de sa convoitise et le lui tends. Après qu’il s’est convenablement séché, il me demande :

– Bon, maintenant que je suis plus au sec, que désirez-vous ? Nous avons du thé russe à la bergamote ou du café de Haute-Volta.

– Je n’aurai rien contre un thé, s’il vous plaît.

Deux minutes plus tard, mon estomac soupire d’aise, empli des arômes de la bergamote et rassasié de plusieurs tartines de beurre et de miel.

– Bon. Je ne voudrais pas paraître désagréable, mais si vous me racontiez tout depuis le début. Sachez que nous n’avons rien à vous reprocher. Aucun vol, aucune effraction, ni dégradation d’aucune sorte n’ont été relevées.

Intérieurement, je pousse un long soupir de soulagement et lui explique, comment, par un extraordinaire concours de circonstances, j’ai été amené à passer une nuit entière dans le musée. Naturellement, je prends soin d’omettre toutes les rencontres étranges que j’ai faites, comme la survenue de ce cornu ventru. Je ne dis mot non plus, sur la présence de ce mystérieux fantôme, qui semble rôder toutes les nuits dans les couloirs du Louvre. Je lui avoue juste sur la fin m’être trouvé une niche dans un coin, pas trop inconfortable, pour y dormir. Je sens dans son regard, qu’il ne me croit qu’à moitié. Mais n’ayant rien à me reprocher, il ne demande qu’à croire en la véracité de mon récit.

– Hum, je suis un peu ennuyé, car je ne peux pas vous laisser repartir ainsi, d’autant que madame le conservateur tient absolument à vous rencontrer.

Je tique quelque peu en entendant accolé, madame et le conservateur. Est-il si difficile d’employer le mot « conservatrice » ? Cela lui écorche-t-il à ce point la bouche ?

– J’espère que vous n’y voyez pas d’inconvénient, ajoute-t-il, comme il aperçoit ma grimace.

– Pas du tout. Au contraire, je comprends tout à fait qu’elle veuille me rencontrer.

Je vous avoue, je suis tout de même un peu inquiet au vu de la tournure des événements, mais je crois n’avoir guère le choix. Qu’auriez-vous fait à ma place ? Je vous le demande. Mon estomac non plus ne trouve pas à redire, repu qu’il est par les croissants et le thé.

– Bien, si vous voulez bien me suivre.

De bonne grâce, je le suis dans un dédale de couloirs et de corridors somptueusement décorés. Nous côtoyons toiles de maîtres, de fines tapisseries, des fresques démesurées à la gloire des rois passés et autres chefs-d’œuvre des temps passés. Enfin, nous arrivons devant une vieille porte en chêne, qui s’ouvre dans un long soupir de bois fatigué.

– Je vous en prie. Madame De Montbrisson vous attend. Je retourne à mon service.

Je le remercie, avant d’entrer dans un bureau, aussi modeste que peut le laisser deviner sa porte d’entrée : un bureau fatigué sur lequel repose une vieille lampe en bronze, quelques dossiers éparpillés, un livre ouvert où sommeillait une petite toile. Une grande baie vitrée invite le soleil à baigner la pièce de sa douce lumière, offrant par là même une vue sur les arrières intimes du Louvre. Deux fauteuils au charme désuet, avec leur bois patiné et leur cuir craquelé, font face au cerbère de ces lieux. Derrière elle, une bibliothèque, à côté de laquelle la mienne fait pâle figure. Mais au moins n’a-t-elle rien à lui envier en matière de classement. En la matière le mot capharnaüm serait bien en peine d’en donner le moindre aperçu, tant les piles de livres semblent défiées toutes les lois connues.

– Mais asseyez-vous donc, voyons ! jaillit une voix féminine de derrière le bureau.

Je reconnais aussitôt l’une des protagonistes de l’assemblée, que j’ai espionnée la veille.

– Bonjour ! Je suis madame De Montbrisson, conservateur du Musée du Louvre. Et vous ?

Je ne suis pas des plus à l’aise, car je reconnais le fauteuil qui se dresse devant moi. Bien que d’un modèle plus récent que le mien, il n’en reste pas moins que cela ne va pas me faciliter la tâche. Si je n’y prends pas garde, je crains de ne devoir lever le voile sur des questions, auxquelles je ne souhaite surtout pas répondre. Je m’installe donc dans le siège, en proie au plus grand trouble.

– Pourquoi une mine si contrite ? Quelque chose vous gênerait-il ?

Mais je ne l’entends plus, mes oreilles bourdonnent de plus en plus fort, tandis qu’à mes pieds s’ouvre béante la gueule noire et meurtrière d’une abomination. Je ne pouvais lui mentir, pas plus que je ne pouvais lui offrir la vérité. Je ne tiens nullement à finir ma vie dans un asile ou pire encore. Le souffle me manque, des lucioles papillonnent devant mes yeux et mon cœur va imploser. Soudain un éclair frappe la bague qu’elle porte à son majeur. Discrètement, je l’examine. C’est un bijou assez sobre de couleur grise, peut-être de l’argent, mais plus encore ce sont les motifs qui m’intriguent. Se rappelle alors à moi une bien étrange rencontre à la Sorbonne. Sans savoir exactement pourquoi j’en conçois alors un profond soulagement, bien que toujours inquiet à propos de mon sort.

– Oh non ! Simplement la nuit passée ne fut pas des plus reposantes, ni des plus confortables.

Elle esquisse un sourire, que je prends plus comme une invitation à poursuivre mon récit, plutôt qu’une marque de sympathie.

– C’est vrai, le Louvre n’est pas réputé pour son confort intérieur, en d’autres temps en revanche…

Pourquoi ai-je la désagréable sensation de n’être qu’un insecte, qu’un entomologiste piquerait sur une épingle ?

– Enfin, je ne vous demanderai pas pourquoi et comment vous vous êtes retrouvé enfermé en ces lieux. Mais dites-moi plutôt pourquoi vous êtes venus ?

Derrière ces quelques mots, je sens une question infiniment plus incisive et profonde. Une question qui aurait dû m’amener à une réponse de la même qualité, au lieu de celle-ci, je réponds benoîtement :

– Par curiosité. Comme tout le monde, j’ai lu beaucoup de choses sur ces singuliers masques, qui se sont substituées à nombre de visages. Je souhaitais simplement les contempler.

– Cependant, permettez-moi d’insister, car je ne crois pas que cela soit vos principales motivations.

Ce n’est pas Cerbère qui se trouve face à moi mais le roi des Enfers lui-même, Hadès, à moins que ce ne soit son juge Minos. Que… que m’arrive-t-il ? Je n’entends plus rien et de nouveau surgit ce voile noir et je sens la main glacée des Ténèbres m’enserrer.

–… tendez-vous ? Ra…, …yez, dé… é.

Des voix ? Non ! Une voix, une voix qui m’arrive par bribes, tandis que je recouvre lentement la vue. Un visage, assez agréable au demeurant, se tient penché au-dessus de moi. J’aperçois de petites fossettes aux coins des yeux, qui me donnent envie de sourire. Hélas, c’est une chose dont je suis bien incapable de faire pour le moment.

– Que… que… où suis-je ?

– Dans mon bureau. Navré, je n’ai trouvé que cette couverture pour vous allonger. Et… euh toutes mes excuses pour l’incident de tout à l’heure.

– Mais… mais de quoi parlez-vous ?

– De votre évanouissement. Je n’aurai pas dû tant insister et surtout vous brusquer ainsi. Excusez-moi encore une fois.

– Ah… euh… oui, bredouillé-je, sans trop comprendre de quoi elle me parlait.

Tandis qu’elle m’aide à me relever, je note la disparition de sa bague. Pourquoi ? Que représente-t-elle déjà ?

– Et de quoi parlions-nous ? Je n’en avais plus le moindre souvenir.

– Bon, je vois que vous avez repris vos esprits. Que diriez-vous de reprendre là, où nous avons rompu le fil ? Qu’en dites-vous ?

– Bien sûr, réponds-je d’un ton que j’aurai voulu plus enjouer.

– Suivez-moi ! Le musée n’a pas encore ouvert ses portes et nous y serons plus à l’aise pour converser, plutôt que dans ce bureau exigu.

Je la suis, sereinement cette fois, passant par une porte située au fond de son bureau, que je n’ai pas remarqué à mon arrivée.

– Je vous emmène dans les salles non encore ouvertes au public, nous serons à l’abri des oreilles indiscrètes.

Nous passons par les sous-sols du Louvre, me faisant découvrir par la même occasion, les anciennes fondations du vieux château.

– Peu de personnes ont la chance de pénétrer en ces lieux. Nous n’avons pas encore terminé les travaux d’aménagement et de consolidation. Mais je vous invite à vous y perdre quelques instants. Vous verrez, en ces lieux nous sommes comme aspirés par les couloirs du temps.

Sa voix s’atténue très vite, tandis que pareil au nénuphar, qui convole avec le courant du fleuve, je me glisse dans les temps anciens. Je ne suis plus en 1924. Non, non je vogue doucement vers l’an mil et ses environs, lors de leur érection. J’entends les clameurs des hommes en armes, sans doute un quelconque entraînement. Je ne suis pas très familier de la chose militaire. Un peu plus loin des camelots vantent leurs qualités aux badauds et aux étrangers de passage. Le palais a laissé place à un formidable château fort, à même de repousser le plus redoutable des envahisseurs. Au milieu, une foule dont je perçois confusément la présence. Une présence faite de nuances et d’un langage d’antan. Peu à peu, je reviens à mon époque, encore troublé par l’expérience que je viens de vivre. Je reconnais qu’il m’est facile de me glisser dans les rêves, voire dans certains des souvenirs d’autrui, mais de là à me couler dans les souvenirs d’un lieu… cela dit, voilà qui pourrait se révéler nécessaire pour la suite de mon enquête, à la poursuite de ce qui m’apparaît de plus en plus comme une chimère.

– Venez, nous sommes presque arrivés ! me parvient soudain une voix, alors que dans mon esprit surgit, d’entre les brumes, une porte double aux battants inquiétants.

Devant ma mine d’épouvante, mon accompagnatrice s’empresse de me rassurer :

– Ne craignez rien, ce ne sont que des sculptures de Méduse et de l’Hydre de Lerne. Elles sont simplement là pour rappeler que ce lieu est privé.

– Si vous le dites, réponds-je dubitatif.

Mais elle ne semble pas relever ma remarque et m’invite dans une vaste salle, éclairée par un savant jeu de miroirs et de lampes à filaments. Au milieu trône une immense table ovale, autour de laquelle sont disposées une quinzaine de chaises. Au fond, une grande toile blanche, semblable à celle des salles de projection du cinématographe. Sur la droite, un meuble qui me rappelle celui des Doigts sans Soif. Et avant que je puisse embrasser la totalité de la pièce, madame De Montbrisson a disparu. Un peu inquiet, je me retourne, quand une voix jaillit de derrière les moulures :

– Mettez-vous donc à l’aise, pendant que je nous sers.

– Oh ! Pardon ! Me suis-je exclamé.

Je ne suis point familier avec cette personne et ses manières directes ne manquent pas de me heurter quelque peu.

– Asseyez-vous donc. Que souhaitez-vous boire, il se peut que notre conversation ne s’étire un peu ?

Devinant, qu’elle ne pourra me servir que des alcools, je décline très poliment son offre généreuse. Cette étrange cicatrice que je porte à mon flanc droit, juste sous les côtes, est là pour me rappeler ma fragilité. Mais curieusement, comme beaucoup d’éléments de mon passé, j’ignore tout de son histoire. S’étant servi un verre d’armagnac, elle s’assoit en face de moi.

– Encore pardon de vous avoir brusqué tout à l’heure… et excusez-moi de vous avoir fouillé pendant votre évanouissement.

– Que… que…

– Non, non. Rassurez-vous, je comprends tout à fait pourquoi vous ne pouviez me révéler vos véritables motivations à passer une nuit en ces lieux… Secret professionnel, n’est-ce pas ?

J’acquiesce tout mesurant combien, en cet instant, je marche sur des œufs.

– Chasseur d’Ombres à l’Agence de l’Âme.

– Oui, je ne vais pas vous le cacher.

– Avant de commencer, je souhaite vous expliquer pourquoi je vous ai fait venir en ces lieux. Ce que nous allons échanger a un caractère strictement confidentiel et officieux, et cette pièce possède une réputation de discrétion qui n’est plus à démontrer. Aussi je compte sur la vôtre, officiellement vous n’aurez eu droit qu’à une lecture du règlement intérieur.

– Ah ! Euh… très bien.

– Voyez-vous votre enquête vous à mener ici, j’en conclus donc qu’elle est liée à la survenue de cet invraisemblable phénomène masqué. Aussi je vous propose de nous aider à la résolution de cette énigme. Bien sûr, vous êtes tout à fait libre de refuser, mais j’ai dans l’idée que vous n’allez rien en faire. En échange, nous mettrons à votre disposition tous les résultats de nos propres expérimentations. Entre nous, certains sont très inquiets, car de semblables événements sont, par le passé, survenus. Cela même si les conséquences et les circonstances ont été très différentes…

Dans ma tête, les petits engrenages ont repris leur sarabande infernale, aussi ajouté-je :

– Cependant, vous ne pouvez m’en dire plus, car cela est couvert du secret mi…

Je n’achève pas ma phrase, car son visage est devenu de cire, comme figé par l’effroi. Livide, elle se saisit de son verre et l’avale d’un trait, rendant par là même un semblant de vie à ses traits.

– Je… je crois que vous comprenez, mieux que je ne le pensais, notre inquiétude et vous devez certainement la partager…

Oui bien sûr, et plus encore, car je devine quels sont les événements qu’elle évoque et même si je n’ai même plus l’impression d’appartenir à ce monde, même si je marche dans les rêves de ce monde, alors il est quelque chose que je puis faire, car nul ne sait ce qui peut se cacher derrière.

– J’accepte, Madame, à une seule condition.

– Laquelle ?

– Fermez les yeux sur mes méthodes. Elles sont, pour dire la chose élégamment, peu orthodoxes.

Il me semble apercevoir un fugitif souvenir.

– Bien entendu, Voyageur des Ombres, n’est-ce pas ? Bon, prenez ceci-avant de partir.

Et elle me tend un volumineux dossier sorti du néant.

– Merci.

– Maintenant si vous voulez bien vous donner la peine de me suivre. Je vais vous ramener à la sortie, où l’on ne manquera pas de vous faire un rappel du règlement.

– Bien sûr, réponds-je un brin amusé.

Nous nous engageons de nouveau engagés dans le labyrinthe souterrain. De retour au rez-de-chaussée, nous en profitons pour flâner quelques instants dans les futures ailes du Louvre, qui accueilleront les sections orientales et moyen-orientales. Je ne sais pas à quoi ressemblera le tableau achevé, mais il y a déjà de quoi donné le vertige. Dehors, elle me sermonne quelques minutes, avant de nous séparer, m’assurant que je pouvais venir n’importe quel jour pour y quérir de l’aide ou apporter des réponses. Je la remercie encore une fois, avant de m’engouffrer dans la bouche de métropolitain le plus proche, direction porte de Vanves. Seulement, malgré un copieux petit déjeuner, et les émotions sont connues pour creuse l’appétit, mon estomac n’a pas tardé à se réveiller, rappelant à qui veut l’entendre, combien j’ai faim. Aussi ne trouvé-je pas déraisonnable, à mon retour, de faire un détour par le Rêve d’Ombre.

Dans la ville, les rayons ardents du soleil ont eu raison de la brume, dont il ne reste que çà et là seulement quelques lambeaux cotonneux, mais non de l’absence de piétons, qui sont encore fort rares par ces temps de frimas. C’est dans ces moments que j’apprécie le plus la ville, plongée dans un calme presque surnaturel, loin du tumulte de l’été, quand les rues deviennent ruches et les places des fourmilières à ciel ouvert. Savourant la tranquillité, je me suis dirigé d’un pas nonchalant vers les contrées exotiques de Pondichéry.

– Anoop, Abhabti ! me suis-je exclamé en franchissant le seuil du restaurant.

– Oh ! Mais quelle est donc cette mine d’épouvante, s’écrie Abhati.

– Depuis quand ne t’es-tu pas sustenté ? renchérit Anoop.

– Allons ! Pose donc ta veste et confie-nous ce carton à dessin que tu portes. Nous allons te régaler.

– Non, non, non. Je ne souffrirai aucune protestation, minaude Abhati.

Je me suis assis, non pas à ma place habituelle, mais à une table d’où je peux surveiller avec aisance la maison, qui nous fait face. Je ne ressens plus le malaise qui m’avait atteint la première fois. Elle est devenue… inoffensive ? Pour autant, je ne m’y aventurerai pas, du moins tant que je n’aurai pas levé le voile de mystère qui entoure cet étrange personnage, que j’ai rencontré hier soir au Louvre. De sa façade, mangée par la vigne et le lierre, je distingue encore les fenêtres, les volets, eux, ont depuis longtemps été engloutis par la végétation. Au-dessus de l’encadrement de la porte d’entrée, je devine les enchevêtrements complexes d’une glycine et d’une clématite. Quelle magnificence se doit être au printemps, quand leurs fleurs respectives se marient. À voir ainsi ce pavillon, il me fait presque penser au château de la Belle au Bois Dormant, dissimulé par sa forêt de ronces féroces. Devant, une grille agonise sous les coups de boutoir des puissantes vrilles de plusieurs glycines, qui ont, depuis longtemps, eu raison du métal. Ne reste alors que ce squelette végétal avec en son sein un cœur minéral. Cette pensée me met face à l’éphémère vie de nos ouvrages actuels, à l’heure où nous célébrons les noces de la noire Princesse Houille et le luisant Prince de fer Vivre vite, vieillir vite…

Perdu dans mes pensées, je n’ai pas vu Anoop dressé la table, ni apporté le déjeuner. Ainsi, je découvre à ma plus grande et agréable surprise une crêpe plus large que la table, exhalant des arômes totalement inconnus. S’y mêlent du cumin, du girofle, de la coriandre, du gingembre et bien d’autres encore. Happé par le tourbillon d’épices, je ne m’en tourne pas moins vers Anoop, qui m’adresse un immense sourire :

– Mon cher ami, j’ai deviné à ta mine déconfite que ta nuit avait certainement riche en émotion, aussi permets-moi de t’offrir se dosa, qui recèle chacune des épices de mon pays. Reconnais-les toutes et je te confierai l’une de nos recettes les plus précieuses.

Il s’est alors penché à mon oreille pour y glisser quelques mots, qui élargirent sans attendre mon appétit déjà immense.

– Mais que complétez-vous encore vous deux ? A minaudé Abhati depuis ses fourneaux.

Anoop s’est aussitôt précipité vers elle pour lui expliquer les raisons de notre conciliabule.

– D’accord, je relève le gant. Mais rassurez-vous, je vous donnerai la liste complète des épices que j’utilise dans ma cuisine. Bon et maintenant, régalez-vous !

Je ne me fais pas prier et je commence à déchirer la crêpe, que je plonge dans un curry d’aubergines, aux saveurs incomparables. Si ma journée n’avait pas été aussi épuisante, je serais très certainement en ce moment même sur le dos d’un éléphant, au milieu de la jungle bengalaise. Savourant délicatement chacune des bouchées, je m’évade, laissant à mon corps le soin de me nourrir, tandis que mon esprit sombre dans un profond sommeil. Plus rien ne compte, l’espace d’un instant, je ne suis plus là, tout en étant là, suspendu entre deux temps, entre deux lieux. Où suis-je ? Comment le saurai-je et pourrai-je le savoir ? Aucune importance, c’est une question qui ne m’importe pas. Combien de temps s’est-il écoulé, bien assez pour que mon âme s’apaise. Le repas terminé, je suis vite parti, non sans remercier chaleureusement Anoop, promettant à Abhati de revenir relever son défi.

Une fois chez moi, je reprends tout de suite le dossier de ma cliente, afin d’y coucher toutes les réflexions, qui se bousculent en ce moment même dans ma tête, cloches ramifiés qui s’envolent en tous sens. Contemplant mes feuilles, je me dis que les constellations sont plus lisibles que mes notes, même par un jour de pleine lune. Oserai-je vous en présenter une copie, que vous prendriez immédiatement la fuite, sans demander votre reste. Quelques mots, de ci, delà, jetés en pâture à des flèches avides, qui, d’arabesques en contorsion, se perdent d’une page à l’autre. Quand ce ne sont pas des doubles qui surgissent çà et là, braillards et bavards, pour me rappeler un lien oublié. J’ai l’impression que la plus complexe des toiles d’Arachnée serait d’une simplicité enfantine à côté de ma prise de notes. Il serait bien entendu facile de ne plus y toucher, tout en me disant que mon esprit y pourvoira et y mettra de l’ordre en temps voulu. Hélas, tout devient si facilement confus. Aussi ai-je sorti une immense feuille de papier blanche, sur laquelle je calligraphie en son centre le nom de Vacuomo. De là, s’échappent ramifications en tous genres, déploiements, louvoiements, flèches, directions, vecteurs, liens, tous construit rigoureusement. Je souligne d’encre rouge les liens et les idées les plus importantes, quand soudain me vient une idée. Soigneusement je replie la carte de mes idées et je la range dans mon coffre-fort. Cependant, il ne sera de douceur que je ne veuille m’offrir avant cette session d’études, que j’ai dans l’idée de m’octroyer. Réalisant que mon bureau est toujours plongé dans la pénombre, j’éteins la lampe de mon bureau, avant d’ouvrir en la fenêtre dans le plus grand fracas. Délicatement j’écarte les volets et la blancheur nacrée pénètre enfin la pièce, accompagnée d’une brise où chantent déjà quelques notes de printemps. Au-dehors, j’aperçois quelques perce-neige qui se frayent un chemin au travers de la couche de blancheur. Abandonnant alors mon bureau aux bons soins de la saison d’hiver, je monte me préparer les Sept Trésors de l’Empereur.

Dix minutes plus tard je savoure mon thé devant l’agonie d’une saison qui s’achève. Alors que les hellébores façonnent déjà leurs boutons, les rayons découvrent des mousses et des lichens aux couleurs flamboyantes, prélude à la renaissance du printemps.

Une larme s’échappe, puis une autre qui s’écrase sur le rebord de ma fenêtre. Je revois cet homme, qui chaque nuit revit, puis meurt, porteur de sa propre malédiction. Quel crime a-t-il commis ? De quoi est-il coupable pour, à ce point-là, se punir, sans que jamais sa pénitence prenne fin. Quelle infamie marque son âme ? Qui est-il ?

Dans le ciel, un corbeau croasse :

– T… oa, t… oa, t… oa.

Je regarde l’oiseau par la fenêtre. Son ramage est encore plus noir que l’ébène, ombre obscure qui se détache dans le ciel. Mais il se tait. Vexé, je me détourne pour finir mon thé. Il est temps pour moi de musarder à la bibliothèque, faire quelques menus recherches. Oh ! Rien de bien méchant, un simple mot capturé au détour d’une conversation volée.

Comme le froid a perdu, cet après-midi de son mordant, je me contente, pour sortir, d’une simple veste. Inutile que mon périple tourne au supplice, parce que je serai trop vêtu. D’ailleurs, des rivières, charriant feuilles et autres verdures, commencent déjà à se former. Preuve s’il en est du réchauffement de l’atmosphère. Hélas, dès l’entrée le drame se noue et se joue. Comment atteindre mes habits de mi-saison, quand ils sont enfouis sous les épaisses couches de laine de l’hiver ? Ah, mais voici l’occasion rêvée de mettre enfin un peu d’ordre dans mes vêtements. Aussi prenant mon courage entre deux solides poignées de main, j’empoigne solidement la couche épaisse des vestes. Seulement, je suis si généreux, que j’emporte avec la patère, qui échoit sur moi. Hélas pour moi, si la chute de la patère s’est faite dans un confort tout relatif, il n’en va pas de même pour ma réception sur un parquet dur et froid. Enseveli ainsi sous des couches de laine, je me fais l’impression d’être l’une de ses tortues que monsieur Darwin a décrite lors de son voyage aux îles Galapagos. Bon et puis autant l’avouer ma situation est loin d’être inconfortable. Il y fait chaud et les murs sont moelleux, il ne manque que l’aération. Mais une idée me trotte dans la tête et elle ne s’endormira pas de sitôt, seulement lorsque je me serai rendu à la bibliothèque. Cherchant à tâtons la sortie, j’aperçois enfin un point lumineux par lequel je m’extraie, non sans mal. Dehors, je ne peux que contempler le désastre, résultat de ma maladresse. Mes manteaux sont étalés par terre, dans le plus complet désordre, telles de magnifiques serpillières, que chaperonnerait un lourd ouvrage en fonte.

L’attrapant par son extrémité, je le soulève doucement, avançant prudemment au milieu des habits chiffonnés, jusqu’à pouvoir le plaquer contre le mur, d’où il ne bougera plus. J’avise alors en imperméable gris, que je revêts tout de suite, tandis que je ramasse consciencieusement le reste, pour les déposer sur l’un des fauteuils de mon bureau. Voilà, je n’aurai plus d’excuse pour ne pas intervenir.

Sur le perron, je hume les accents printaniers, remarquant à mes pieds que neige et verglas ont disparu. Au moins, ne risqué-je pas une nouvelle et fondamentale chute, je ne la goûterai guère une seconde fois. Dans la rue, les gens sont de sortie, de même que toutes sortes de véhicules, tractés ou non. Les personnes sont comme la vie, en hiver elles se flétrissent, retournent aux origines, ralentissent et dorment ; au printemps c’est une renaissance, une explosion de jouissance, quand grandissent les germes enfouis dans la terre hivernale. Pour d’autres encore, c’est une moisson. Comme si après avoir été enfantés, ils avaient été à nouveau engendrés, donnant naissance à un nouvel être. Mais cela ne se peut pour moi, car même si j’ai tous les attributs d’un individu, ils sont que surface et artifice, non ce que je suis. Cependant, une chose est certaine, quelque chose, ou quelqu’un, me refuse le chemin, même si j’ignore encore qui elle est, je sais où elle est. Mais cessons là mes pensées, car je suis arrivé sur la Grand Place et ses étrons architecturaux.

Pardon, je suis d’une affreuse mauvaise foi, car la bibliothèque est une ancienne église gothique réaménagée pour la circonstance. Seule la plaque clouée sur la porte en chêne annonce qu’il s’agit d’un établissement culturel impérial. À l’intérieur, les architectes ont eu à cœur de préserver les lieux et leur histoire, n’apportant que le minimum de transformation. L’aménagement le plus spectaculaire consiste en l’ajout de plusieurs plates-formes dans les hauteurs, permettant de gagner sur les volumes des surfaces consacrées à la médiation intellectuelle. Les vitraux abîmés, par les outrages du temps ou des malandrins, ont, eux aussi, été restaurés, toujours avec ce souci de la préservation, donnant aux lieux une atmosphère atemporelle. Dans un silence feutré, les lecteurs feuillettent avec délicatesse les ouvrages, des passeurs caressent de leurs souliers le sol marbré et des censeurs veillent à l’application stricte d’une discipline de fer. Repérant l’un de ces cerbères, je lui adresse alors mon expression la plus neutre :

– Bonjour madame. Je désirerais examiner des ouvrages sur les techniques photographiques.

– À quel genre de phototype vous intéressez-vous ?

– Expérimental artistique.

Elle me regarde quelques secondes d’un air quelque peu suspicieux. Puis, décrétant que je suis inoffensif, elle m’indique le lieu. Je traverse la salle silencieuse, étouffant d’une démarche chaloupée le bruit de mes pas, qui résonne sous la voûte. Autour de moi, les lecteurs sont scrupuleusement assidus, ne levant jamais le nez de leurs ouvrages respectifs. De temps en temps, quelqu’un se mouche avec la plus grande discrétion, il va de soi ; ou se lève, toujours dans le silence le plus sonore. Parfois, il reprend sa place et c’est alors un ouvrage qu’il porte dans ses bras. Mais le plus souvent, il ne réapparaît jamais, et sa place est alors vacante. À ma droite, à ma gauche, derrière moi, devant moi, au-dessus de moi, sans doute même dans les sous-sols, des livres, des livres à perte de vue, étiquetés, ordonnés, rangés, classés. J’ai presque de la peine à les voir ainsi corsetés, tant je ressens leur envie de s’épanouir, d’être libre. J’entends Père Ubu hurler de Part ma Chandelle Verte et autre Cornegidouille, chaque fois que son regard tombe sur un ouvrage de géographie. Un peu plus loin, ce sont Tristan et Iseult qui tentent de nouer des pages entre eux, quand ce n’est pas Harpagon qui se dispute avec Alceste, avec Dom Juan pour arbitre.

Bientôt, ce ne sont plus des murmures ou des protestations, mais des explosions, des jaillissements lumineux et joyeux, mais surtout bruyants. Comment les gens font-ils pour ne point être troublés dans leur concentration ? Aucun doute, je suis dans le domaine de la toute puissante chimie, quand soudain me parviennent les éclats d’une violente dispute. Il m’est d’autant plus malaisé de la comprendre, que les protagonistes s’expriment en latin et en vieux gaélique pour l’un et en Germain, mâtiné d’anglais pour l’autre. Au milieu, il semble reconnaître du vieux françois, sans doute, le juge de paix. Intrigué, je me détourne de ma route pour le département de physique, d’où provient la dispute. Au fronton de la salle, un panneau annonce : Principe de la Relativité : De Galilée à Einstein. À l’intérieur, j’entends la voix du professeur Henri Poincaré, tentant d’expliquer au signor Galileo Galilei et à Lord Newton, les travaux du professeur Albert Einstein, dont la vision ont radicalement transformé les univers fixistes de ces deux derniers, même si ce dernier envisage seulement un univers immuable. Amusé par cette joute oratoire, où la rhétorique se mêle à la théorie, je perds de vue ce qui m’a amené ici.

– Souhaitez-vous visiter l’exposition ? s'exclame une voix derrière moi.

– Oh ! merci. Euh, je cherche simplement le département de la photographie.

– C’est au fond de ce couloir. Vous y trouverez un escalier. Montez jusqu’à la deuxième plate-forme, ce sera quelques mètres sur votre gauche.

Je le remercie, puis m’en retourne vers ma future destination. Clac, clac, clac, clac, clac… mes pas résonnent dans l’étroit corridor. Au bout, un escalier en colimaçon se dresse dans toue sa splendeur. Au premier niveau, j’aperçois l’orgue avec ses claviers en ivoire et ses pédales en bois d’acajou. Il me semble presque l’entendre jouer, pour accompagner tous ces livres qui s’ennuient. Un degré plus haut, je fais face aux tuyaux, avec leurs immenses gueules noires, d’où s’échappent les notes dantesques. À cet étage, je suis seul. Quelques tables autour desquelles s’ébattent de rares chaises, soigneusement rangées, attendant leur futur lecteur, dans la politesse feutrée du velours. Avisant les rayonnages, je promène mon regard à la recherche d’un ouvrage qui me parlera. Mes doigts courent sur les tranches, tandis que mes yeux attrapent au fur et à mesure les titres, en vain. Finalement de dépit, je ferme les yeux et retire ma main des rayonnages, alors qu’un lecteur éternue bruyamment, s’attirant les foudres des censeurs. Mes doigts courent effleurant à peine la tranche des livres, jusqu’à me saisir d’un ouvrage pris au hasard : Nouvelles techniques d’analyse des œuvres anciennes. Conservation et restauration.

Je feuillette à vive allure le livre, jusqu’à tomber nez à nez avec une photographie, dont au moins l’une des personnes m’est familière. En dessous, une légende indique les noms des personnes photographiées : Gabriel Delanne, Frédéric Joliot-Curie, Issam Pierzi. Présentation du prototype du delanotype, lors de l’exposition universelle de 1918, à Paris.

Bien sûr, le nom de Joliot-Curie ne m’est nullement inconnu, pas plus que son visage, même s’il est beaucoup plus jeune, pour l’avoir aperçu un après-midi au musée du Louvre. Cependant, les deux autres me sont totalement inconnus, en dépit de leurs traits familiers. Je prends aussitôt en note les noms, tout en gravant finement dans ma mémoire leur visage. Tournant la page, je trouve un article détaillé traitant du fonctionnement de cette extraordinaire invention. Les principes fondamentaux du delanotype se rapprochent de ceux du daguerréotype. La principale différence tient en la sensibilité du premier aux ondes éthériques. Ces dernières peuvent se coupler quantiquement avec les ondes électromagnétiques, pour devenir des ondes électro-éthériques. La mesure de la composante électromagnétique étant possible, il est alors facile d’en déduire les caractéristiques de la composante éthérique. Lorsque les fréquences vibratoires des deux ondes sont des multiples, il se produit alors des phénomènes de résonance quantique, qui permettent une exploration plus fine des phénomènes mal connus de l’électromagnétisme. Selon certains savants, ces mesures seraient à même d’explorer les hypothèses les plus folles des théories du professeur Albert Einstein.

Du fait de sa sensibilité aux ondes électro-éthériques, le delanotype est très utilisé pour l’exploration non invasive, sans certains des inconvénients liés à l’utilisation des rayons X, malgré un usage limité du fait de la quantité d’énergie à fournir. En effet seuls des réacteurs éthériques sont capables de délivrer la puissance nécessaire, aussi n’en existe-t-il que quelques exemplaires. En outre, il semble qu’il puisse être utilisé pour l’exploration de l’appareil psychique et de certaines de ses manifestations. Cependant, ces domaines restent hautement spéculatifs et sujets à caution.

S’ensuivent des considérations techniques et d’ingénieries sur le fonctionnement général de l’appareil, auxquelles je ne comprends goutte. Je retiens tout de même qu’un puissant champ magnétique est nécessaire pour polariser les ondes ou les séparer. Je ne sais pas trop. Tournant la page, je tombe sur un schéma en coupe, ainsi que plusieurs photographies. Aussitôt, je reconnais l’engin entraperçu dans l’une des salles du Louvre, avec ses allures d’honnête appareil photographique, d’où émergeait d’énormes câbles, pris dans des gaines de tissus. Reposant le livre sur son étagère, entre deux ouvrages consacrés à Daguerre et Niépce, qui a pour effet de mettre un terme à la dispute, qui avait éclaté quelque temps plutôt, quant à la paternité du procédé photographique. Décidément ces querelles de clocher n’en finiront jamais. Je suis alors descendu au rez-de-chaussée à la recherche d’un documentaliste. Une jeune femme fluette s’est approchée :

– Bonjour monsieur. Peut-être puis-je vous aider ?

– Oui, je cherche des ouvrages de Gabriel Delanne.

– Bien sûr ! Suivez-moi.

Elle me fait passer par un entrelacs de bancs et de colonnades, jusqu’à une petite chapelle, reconvertit pour l’heure en cabinet de spiritisme.

– Pourquoi un tel décorum ?

– Monsieur Delanne était un grand spirite. Les ouvrages sont rangés par ordre alphabétique. Bonne lecture monsieur.

Et elle a disparu dans l’austère dédale.

Je n’ai mis que quelques minutes à trouver les ouvrages, qui appartiennent plus à la psychanalyse et à ses fondements, plutôt qu’au spiritisme. Sans doute, est-ce là un stratagème pour éviter l’anathème. À force de fouiner, je finis par trouver une piste intéressante : Gabriel Delanne est professeur à la Sorbonne. Je referme l’ouvrage, quand soudain quelque chose me frappe. Pourquoi a-t-elle employé le passé et non le présent, en parlant de ce dernier ? Je sors alors à vive allure de la pièce à sa recherche. Je traverse de nouveau la salle des colonnades et je me retrouve dans la salle de lecture, où mon regard erre en vain.

– Cherchez-vous quelque chose monsieur, ou quelqu’un ?

– Je… je cherche l’une de vos collègues.

Je m’apprête à lui en donner une description, lorsque je me rends compte que son souvenir m’échappe, il s’évapore lentement, se fondant dans le brouillard qui envahit mon esprit. Malgré tout, j’en esquisse quelques traits.

– Je regrette monsieur. Nous n’avons jamais eu de telle employée. De plus, nous ne possédons aucun ouvrage de monsieur Delanne ou consacré au spiritisme. Vous faites erreur.

Je le remercie brièvement, sachant pertinemment qu’il serait inutile d’insister. D’ailleurs, un simple coup d’œil, par-dessus l’épaule de mon interlocuteur, achève de me convaincre. Le dédale aux colonnes a tout simplement disparu. Il me reste encore les Archives Impériales à visiter et la Sorbonne, où peut-être le professeur Cousinet pourra m’éclairer sur les travaux de son collègue.

********************************

Il semblerait que les juges Beaulieu et Girardin souhaitent jeter le plus de lumière possible sur les ramifications de l’explosion de la Sorbonne. Rappelons qu’un mandat d’arrêt a été émis à l’encontre de la personne, toujours porté disparu, de monsieur Issam Pierzi. Or, au même moment disparaissait également son majordome Avicennius, à l’encontre duquel les juges viennent d’émettre un mandat d’arrêt pour complicité, soustraction d’un suspect à la justice et dissimulation de preuves. Son portrait devrait être très largement diffusé dans la presse. Aussi les citoyens sont-ils très vivement invités à collaborer avec les forces de police et les représentants de la loi.

Extrait du Petit 13ᵉ

28 septembre 1923


Texte publié par Diogene, 8 mai 2015 à 17h31
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