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tome 2, Chapitre 12 « Interlude - Tempus Mundus » tome 2, Chapitre 12

Au préposé du guichet de la gare de Paris Saint-Lazare, un homme, à la physionomie bonhomme, au port altier et au regard perçant, la barbe soigneusement entretenue et taillée, demande deux allers pour Gambais.

Comme l’employé derrière le guichet lui demande s’il souhaite acheter ses billets de retour, celui-ci semble comme pris au dépourvu. Pourtant, rien ne semble trahir son désarroi, si ce n’est son silence qui se prolonge. Dans le hall de la gare, devenue subitement silencieuse, on n’entend plus que le son ralenti des rouages de l’horloge, qui, inlassablement, égrène les éclats du temps. Autour de lui, plus rien ne bouge. En fait non, tous se meuvent, mais si lentement que l'on pourrait les croire pris dans une mélasse de temps. Les voyageurs sont suspendus dans leur élan, un pied en l’air. Un parent a la bouche grande ouverte, ses mains ont lâché des valises, prêtes à s’écraser par terre, sa progéniture courant dans la gare. Près des quais, un cheminot saute à terre pour placer un frein en métal. Lui aussi est surpris, cueillit en plein milieu de son saut, son mouchoir à la main, noir et plein de graisse. Le conducteur, penché en avant, lui crie quelque chose, dont ne parvient que le vague écho. Un peu plus loin, c’est un contrôleur, le sifflet presque à porter de lèvres, un panneau à la main, qui annonce l’entrée en gare d’un vapeur. De bout au milieu du tumulte suspendu, monsieur Verdoux savoure l’instant. Ce moment si particulier, celui où il disparaît des consciences.

– Venez, monsieur Verdoux. J’ai quelque chose pour vous.

Oh oui ! Comme il se souvient de ce jour. Il était arrivé, une fois n’est pas coutume, avec quelques minutes de retard. Mais son médecin ne semblait pas en avoir pris ombrage. Non ! Il le fixait seulement de ce regard empli de bienveillance, teinté d’un singulier mélange de sympathie et d’ironie. En fait, ce dernier le contemplait semblable à un fruit mûr, prêt à être cueilli, l’un de ceux qui exprimera le meilleur jus. Entré dans son cabinet, il l’avait ensuite amené dans un petit réduit, dissimulé par une bibliothèque en fausse perspective.

– Voyez-vous, monsieur Verdoux, le monde ne vous voit pas tel que vous êtes. Il vous voit de sa vision étriquée, encadré par des règles qui n’appartiennent qu’à lui-même ; des règles entre lesquelles vous vous glissez, sans même vous en rendre compte. Ce faisant, vous déformez, malgré vous, la perception que le monde a de vous.

Il buvait littéralement ses paroles, dont le flot incessant calmait le flux continu de ses pensées vides et futiles, qui traversait son esprit instable.

– Vous avez fait de la prison, monsieur Verdoux, n’est-ce pas? Cependant, croyez-le bien, à aucun instant, vous n’avez enfreint les règles, vos règles. Ce n’est là qu’une fâcheuse conséquence de cette déformation, dont vous rendez compte. Mais un médecin est là pour soigner, pour soulager. N’est-ce pas, monsieur Verdoux ?

Il hochait la tête, en signe d’acquiescement, à chacune de ses paroles. Il lui semblait que ce dernier choisissait toujours les mots les plus justes, faisant mouche à chaque coup.

– Puisque votre présence déforme le monde, nous allons le déformer jusqu’à le retourner. De cette manière, vous ne renverrez aux autres que leur propre personne. Vous ne serez plus qu’une ombre dans ce monde, de même que vos actions.

Il avait ensuite pesé un silence si lourd, qu’il avait pu entendre les battements de son propre cœur, non les siens. À moins que moins que ce ne fussent les coups longs et sourds, qu’il sentait pulser au rythme de cet orbe de ténèbres, qu’il apercevait, posée sur un petit guéridon. En effet, dès qu’il était entré dans la pièce, il n’avait eu d’yeux que pour elle, malgré la fascination exercée par son médecin. Et cela ne lui avait pas échappé, car un sourire carnassier s’était dessiné sur ses lèvres. Il ne lui avait pas encore parlé du rituel, encore moins de la douleur qui s’ensuivrait. Cependant, c'étaient là des choses assez triviales, des fioritures inutiles dont il se débarrasserait avec joie, s’il n’était contraint par sa nature profonde. L’humanité et son inconscient collectif sont ainsi faits et il se pliera, de mauvaise grâce, à ses règles.

Monsieur Verdoux contemple encore un peu la gare ainsi figée dans cet ambre du temps. Il goûte toujours avec autant de délices le spectacle des fumées noires dessinant des formes, qui feraient le régal des surréalistes. Et alors qu’il sent son emprise se relâcher, il croit l’apercevoir, marchant négligemment entre deux trains arrêtés. Il se précipite, mais son regard ne rencontre que le vide. Mais le temps se délite et il doit faire vite. En face de lui, l’employé a les yeux qui papillonnent, étonné de voir cet homme aux yeux si singuliers, qui lui murmure :

– Un retour, s’il vous plaît.


Texte publié par Diogene, 19 septembre 2016 à 22h08
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