«

»

*Thomas*

Thomas était crevé. Le jeune homme avait couru toute la journée. D’abord pour répondre aux missions que lui avait confiées Clifford, son boss, qui consistaient dans un premier temps à négocier l’achat d’un nouvel immeuble auprès du maire afin d’agrandir son emprise dans la ville et dans un second temps séduire la femme du chef de police afin d’obtenir les informations que leurs taupes au sein des forces de l’ordre ne pouvaient obtenir. La peste avait été plus difficile à convaincre que prévu, elle avait bien compris son petit jeu et avait proposé de finir la conversation au lit. Thomas se fichait bien de la façon dont il obtenait ce qu’il voulait. Si elle souhaitait parler après une partie de jambes en l’air, soit. Ils avaient tous les deux eu ce qu’ils voulaient.

Pour couronner le tout son après-midi s’était terminée en violente altercation, il avait pris un coup de poing dans le visage et sa lèvre lui faisait encore mal. Un de ses hommes avait cherché des ennuis à un petit gang de quartier. Bien qu’il ait aidé son gars à se débarrasser des voyous de bas étage, il lui avait tout de même donné une leçon bien méritée. Il ne cherchera plus d’emmerdes de sitôt avec une clavicule et quelques côtes cassées.

Avec tout ça, Thomas avait oublié l’exposition de sa soeur, il s’en était rappelé in extremis en fin de journée. Il avait bien remarqué sa mine triste lorsqu’il était arrivé. Il avait conscience d’être un mauvais frère. Il était souvent absent et cela la peinait. Il ne pouvait se résoudre à lui parler de son véritable travail alors il lui avait fait croire qu’il était cadre dans une entreprise de téléphonie. Cette excuse était ridicule mais jusqu’ici Zélie n’avait jamais posé de questions délicates.

Assis au fond de la salle du bar, avec Yule, son fidèle bras droit, il leva la main pour appeler un serveur. Il commanda deux autres bières, avant de reprendre la conversation :

- Elle m’a dit que la police était sur nos traces pour le meurtre de Delart. Ils n’ont pas encore trouvé de preuve concrète mais son mari est sûr que nous sommes à l’origine de la disparition du vieux politicien.

- Et il n’a pas tort. Même si nous ne l’avons pas réellement tué, Marcus l’avait bien amoché. Ce n’était qu’une question de temps. Dommage que le tueur se soit échappé.

- La tueuse. Rectifia Thomas, l’air sombre. C’était une femme.

Une semaine s’était passée depuis cette fameuse nuit. Thomas s’était fait tabasser par Marcus, sous ordre de Clifford, car il les avait laissées s’échapper. Le jeune homme avait encore des bleus sur le corps, son collègue n’y était pas allé de main morte. Thomas savait que Marcus rêvait de pouvoir le passer à tabac dès qu’il en avait l’occasion. Les deux hommes avaient du mal à se supporter.

Les bières arrivèrent. Thomas et Yule trinquèrent à nouveau avant de porter les pintes à leurs bouches.

Dans le brouhaha animé du bar, une voix féminine aigüe retentit :

- Laisse nous connard. T’as pas d’autres choses à foutre ??

Thomas posa sa bière, essuya sa bouche de son pouce et jeta un regard dans la direction du vacarme. Yule se retourna également pour observer le spectacle. Non loin, deux femmes, assises autour d’un tonneau en bois qui leur servait de table, étaient entourées par un groupe de quatre mecs montés comme des armoires à glace. La blonde, la plus potelée des deux et probablement celle qui venait de hurler, les fusillait du regard mais cela ne semblait pas perturber les gars autour qui s’amusaient plutôt de la situation. L’un d’eux posa sa grosse main sur la table et murmura quelque chose à l’oreille de la seconde femme brune, qui faisait dos à Thomas et Yule. Cette dernière se décala légèrement, rentrant la tête dans les épaules, se renfermant sur elle-même, n’osant rien dire. Thomas remarqua ses épaules trembler. La blonde continua de vociférer des insultes mais Yule et Thomas se concentrèrent à nouveau sur leur conversation.

- On en sait un peu plus sur leurs identités ou non ? Tu as bien dit que tu avais vu deux femmes ce soir-là non ? Continua Yule en remettant une mèche de cheveux derrière son oreille.

- On a retourné la ville pour chercher le pick up mais nous ne l’avons trouvé nulle part. Il y a quelques jours, Lucia et Marcus ont été envoyés dans les villes voisines pour se renseigner, je ne sais pas s’ils ont du nouveau.

- Comment c’est possible de disparaitre aussi vite et aussi bien ? C’est vrai qu’on a pas mal d’ennemis mais le fait qu’il n’y ait eu aucune revendication m’étonne.

Thomas n’eut pas le temps d’acquiescer qu’un fracas retenti derrière Yule. Des verres avaient été renversés et s’étaient éclatés au sol. L’une des armoires à glace était trempée, il tenait fermement le bras de la blonde en robe verte qui semblait être impuissante face à la force du titan. Hors de lui, il lui hurla au visage :

- Espèce de petite salope, je vais te faire regretter ce que tu viens de faire !

A ces mots, il la força à se lever et voulut l’emmener vers la sortie. Elle s’accrocha à sa copine en face, tétanisée, en hurlant au secours. Malgré sa peur évidente la brune accrocha la main de son amie mais un autre gars la poussa en arrière, elle trébucha et se rattrapa à une table derrière elle. Bien que quelques mètres plus loin, elle faisait maintenant face à la table de Thomas. En voyant son visage Thomas fut pris d’un doute.

- Je suis sure de l’avoir vu quelque part celle-là. Marmonna-t-il.

- La femme du chef de police ? Mh non elle ne serait pas aussi jeune… Une conquête d’un soir ? Essaya de deviner Yule avec amusement.

Non ce n’était pas ça… Tout en observant le spectacle des deux jeunes femmes en train de se faire violenter par le groupe de gorilles, Thomas essaya de se remémorer ses derniers souvenirs. C’est lorsque son regard croisa celui de la jeune femme, en quête d’aide environnante, que cela lui revint.

- Putain c’est la prof de ma soeur !

Il souffla et fit la grimace. Zélie semblait particulièrement apprécier cette jeune femme. Il se souvint qu’elle n’avait pas arrêté de la complimenter, sur sa gentillesse, sa pédagogie, sa bienveillance. « La perfection incarnée » avait même rajouté sa soeur. En voyant le spectacle de ce soir, Thomas pouffa du nez, « la perfection mon cul, on dirait un lapin dans les phares d’une voiture. ». Il se leva et donna une tape sur l’épaule de son homme afin de lui signifier qu’ils allaient intervenir. Yule prit un élastique à son poignet et se fit un chignon en se levant. Puisque sa petite soeur appréciait tant cette femme, Thomas se sentait obligé de l’aider comme pour garder le peu de bonne conscience qu’il lui restait.

Les deux hommes s’approchèrent du groupe problématique, nonchalamment. Thomas voulait éviter une seconde bagarre dans sa journée mais il doutait que cela ne se termine en douceur. Il posa une main sur l’épaule d’un des buffles, le plus costaud du groupe qui semblait mener les autres et celui-là même qui venait de se prendre un verre d’alcool dans la figure.

- Les gars, vous voyez bien que vous les faites chier. Allez voir ailleurs, ça fera du bien à tout le monde.

La brute repoussa sèchement la main de Thomas et vint se placer face à ce dernier, le menton relevé, bombant le torse. Il murmura, menaçant :

- De quoi tu te mêles toi ?

Nullement impressionné, Thomas leva les sourcils et se retint de rouler des yeux.

- Vous m’empêchez de boire ma bière tranquillement avec le boucan que vous faites. Vous gênez tout le monde.

- Pas de soucis, je comptais justement emmener ces demoiselles dehors pour continuer la discussion.

A ces mots, il tira la blonde, qu’il tenait toujours par le poignet, vers lui. Elle grimaça, probablement de peur et de dégout supposa Thomas. Avant que le jeune homme n’ait le temps de faire quoi que ce soit, Yule s’était avancé pour retenir la jeune femme par son second bras libre. Thomas observa la scène de loin et se retint de rire, le spectacle ressemblait à ces moments ridicules dans les films où le beau gosse sauve la demoiselle en détresse. La tension était palpable, il lui semblait même entendre le battement de coeur de la jeune femme en robe verte, tiraillée entre les deux hommes.

Une voix chuchota derrière lui, presque inaudible comme si elle n’était pas destinée à être entendue :

- Fait les sortir.

Ce qui étonna Thomas ne fut pas d’entendre la jeune professeure lui donner un ordre alors que quelques secondes auparavant elle paraissait pétrifiée de terreur mais plutôt le ton avec lequel elle l’avait fait. Sec, ferme presque… autoritaire ? Etait-ce une déformation professionnelle ? Trop habituée à gérer des mômes agités ? Il se retourna légèrement pour observer son visage. En opposition totale avec le ton qu’elle venait d’employer, sa figure était tendue, elle ne quittait pas le sol des yeux, ses poings et ses mâchoires étaient serrées. Elle ne tremblait plus en revanche, peut-être que la présence des deux hommes la rassurait. Thomas se concentra à nouveau sur le groupe de gorilles. Yule lui lança un regard en coin, interrogateur, il attendait les ordres de son chef. Ce dernier fit un discret hochement de tête, Yule le perçut immédiatement et, sans attendre plus longtemps, lâcha le bras de la jeune femme et fini frapper son adversaire à la jugulaire. Un coup vif, précis comme il savait le faire. Le titan lâcha à son tour sa prise et prit sa gorge dans ses mains en suffoquant. Ce premier coup eut pour effet de déclencher les trois autres gorilles qui se ruèrent sur Yule et Thomas. Ces derniers n’eurent aucun mal à éviter les coups et contre-attaquer rapidement. Afin d’éviter toutes effusions de sang, les deux hommes visaient précisément des points sensibles du corps humain comme les tempes, le nez, la gorge ou bien encore la nuque. En seulement quelques minutes, les quatre hommes repartaient clopin-clopant, lançant des insultes à tout va. Cette bataille avait été plus simple à régler que celle de plus tôt dans la journée. « Tant mieux » pensa Thomas.

- Merci infiniment. Lança la bonde à Yule en lui prenant les mains.

Elle avait les yeux pétillants, mélange de peur et d’admiration, ses joues étaient légèrement rosées, elle continua :

- Je m’appelle Cassiopée. Laissez-moi vous payer un verre pour vous remercier.

- Ça ira, merci. Déclina poliment Yule, en dégageant ses mains de celle de la jeune femme.

- J’insiste ! Monsieur quatre pintes pour nous s’il vous plait !

Yule lança un regard gêné à Thomas qui haussa les épaules. Si cela pouvait faire plaisir à la demoiselle en détresse ricana-t-il intérieurement. Il prit la parole à la place de son homme de main, le ton charmeur :

- Nous acceptons mais nous ne pouvons pas rester toute la soirée, nous avons des choses à faire ce soir Cassiopée.

Les deux hommes prirent place autour de la table des jeunes femmes. Thomas se tourna vers la professeure qui était restée en retrait depuis l’altercation. Il la surprit en train de le dévisager mais elle détourna les yeux aussitôt pour contempler ses pieds. Lui avait-il tapé dans l’oeil ? C’était plus souvent Yule qui faisait cet effet, avec sa carrure de mannequin et ses longs cheveux châtains parfaitement coiffés. Il lui fit signe de s’assoir et lui lança :

- Comme nous nous revoyons madame la professeure.

La jeune femme brune hésita un instant puis vint s’assoir à ses côtés, les mains coincées entre ses cuisses, elle paraissait vouloir disparaitre. Lorsqu’elle quittait son rôle de prof elle semblait être très effacée. Elle osait à peine le regarder dans les yeux.

- Vous êtes le frère de Zélie n’est-ce pas ?

Thomas fut amusé de voir qu’elle l’avait tutoyé tout à l’heure, probablement dans la panique, mais que maintenant les bonnes manières étaient de retour.

- Oui tout à fait. Je suis désolé, je me souviens vous avoir serré la main plus tôt mais votre nom m’échappe.

- Luna.

- Enchanté à nouveau Luna. Dit-il en souriant poliment.