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tome 1, Chapitre 29 « Le héros de l'œil des mers - Partie 4 » tome 1, Chapitre 29

J’étais assis sur le pont, adossé au bastingage, les yeux levé vers la nuit voilée de nuages. Derrière l’un d’eux, se découvrant au fil du vent, la lune me lançait son sourire. Mon sourire. Je soupirai ; Combien de fois encore pourrais-je le voir reluire dans la nuit ? La quête à venir s’annonçait mortelle. Pour la première fois, je me surpris à regretter de ne pas être partisan de l’Âme Blanche. Si ce que l’on disait dans les temples était réel, me retrouverais-je, après une mort cruelle entre les tentacules du Fer Blanc, plongé dans les ténèbres éternelles, à la botte de l’Âme Noire, souffrant pour l’éternité ?

La fatigue ne m’aidait pas à raisonner. Mais j’avais beau essayer de dormir, mon insomnie était plus dure que d’ordinaire, mes pensées tournoyant dans ma tête. Je frissonnai. La nuit était froide. Je ramassai mon manteau, que j’avais ôté tantôt, réchauffé par l’alcool. Billy m’avait offert, à l’insu du capitaine, une bouteille lorsque nous avions quitté l’auberge, et une ferme accolade au cas où je ne reviendrai pas le saluer avant mon départ, bien que je lui aie dit que cela n’arriverai pas.

A l’Est, vers la mer, je vis la lumière de l’aube pointer. Je me levai. Il était tôt encore, mais puisque je ne pouvais pas dormir, autant me mettre en chemin pour aller trouver cette Gabrielle. Lorsque j’arriverai, le jour serait totalement levé, et je rentrerai peut-être avant le milieu de l’après-midi.

Mes pensées dérivèrent vers le jeune Maraîche. J’aurais besoin de son aide pour trouver son maître, car si je savais de quel village il nous avait parlé la veille, connaissant bien les alentours de chez moi, je me doutais bien qu’on n’y crierait pas sous tous les toits où réside exactement une parraine du crime organisé. Je descendis donc à quai, et me dirigeai vers L’Orée de la mer. La porte du bistrot était fermée à une telle heure, mais je connaissais une entrée par des ruelles derrière le bâtiment, jamais verrouillée. Je m’infiltrai donc dans les rues, serpentai quelques courtes secondes et entrai. La porte donnait sur le cellier, puis la cuisine et enfin le salon attenant à la taverne, et d’où partait l’escalier des chambres. Je gravis ce dernier, à droite il y avait la chambre employée par Billy, je continuai donc, ouvrant une à une les portes des diverse chambres de l’auberge. Aucune n’était occupée, en cette saison rien d’étonnant, il y avait peu de voyageur. Ce qui m’étonnait, c’était de ne point y trouver Maraîche. J’arrivai au bout du couloir, à mon ancienne chambre méconnaissable, mais elle aussi était vide. Le fronçai les sourcils. Maraîche serait parti ?

Je rentrai dans la chambre de Billy. Il était endormi, je le secouai par l’épaule.

— Billy ? soufflai-je.

Il grogna, me chassa d’un geste évasif de la main, j’insistai.

— Billy, c’est moi, Manfred.

Il grommela des paroles inintelligibles. Toujours aussi dur à tirer du lit.

— Où est Maraîche ? demandai-je.

— La chambre en face… grogna-t-il. Laisse-moi dormir, Manfred…

Je soupirai avec un sourire amusé. Je sortis en refermant la porte, avec pour intention de vérifier à nouveau la pièce d’en face… la porte en était ouverte. Je me figeai sur place. Je l’avais refermée. J’en étais certain. Une main sur mon sabre, je jetai un coup d’œil prudent à l’intérieur. Vide. Je tendis l’oreille. Je crus entendre un choc sourd venant d’en bas, puis plus rien. A pas prudent, je descendis l’escalier. Je connaissais chacune de ses marche ; je m’étais amusé, enfant, à les descendre sans émettre un seul craquement, et je n’avais rien oublié de cette maison.

J’arrivai en bas sans un bruit. J’entendis des pas, des pas pressés. Des intrus. Au moins deux, aux sons qui se confondaient. Cela venait de la taverne. Je dégainai mon arme silencieusement, m’approchai de la porte ouverte. L’obscurité de l’autre côté était totale, la faible lumière de la nuit pénétrant difficilement par les petites fenêtres. Je ne pouvais rien voir, mais ne pouvais être vu non plus. Je me déplaçai le long du mur, derrière le comptoir. Je savais où se trouvait une lampe à huile. Arme dans la main droite, genoux fléchis prêts à bondir, j’allumai subitement la lampe de la main gauche. La flamme jaillit, un petit cri de stupeur s’échappa de la bouche d’un homme, se tenant au milieu de la pièce derrière des rangées de table, vêtu de noir, le visage dissimulé derrière un foulard, armé, accompagné d’un autre homme de même apparence. Et entre eux, un couteau sous la gorge, le visage ecchymosé, Maraîche.

Profitant de la surprise de mes adversaires, je bondis sur le comptoir, puis sur une table et en un éclair je leur tombai littéralement dessus. Ils n’eurent pas le réflexe de trancher la gorge de leur otage, et je pus éloigner celui qui le menaçait avant qu’il ne l’entreprenne.

Maraîche semblait au bord de l’inconscience, le crus qu’il allait s’effondrer sur le sol, mais il se reprit au dernier instant, et je poursuivis le combat en assaillant le second homme en noir. Il n’avait qu’une dague, mais la maniait à la perfection, et je faillis me faire embrocher dès mon premier assaut. Je tâchai dès lors de rester à quelques pas de lui, qu’il soit à portée de sabre sans que je prenne le risque d’un combat rapproché, mais il n’alla pas pour me faciliter la tâche. Je tentai de garder un œil sur le second assaillant, m’attendant à ce qu’il me saute dessus à tout moment. S’il était aussi fort que son comparse, j’étais dans de beaux draps.

Mais heureusement pour moi, Maraîche s’en occupait. L’autre avait beau le dépasser d’une tête et demie, le jeune homme se débrouillait remarquablement bien et avait, sinon la certitude de gagner, un certain avantage sur son adversaire.

Cette constatation faite, je n’eus plus à me préoccuper de mes arrières et me concentrai corps et âme sur le combat. La personne en face de moi était expérimentée, aussi privilégiai-je les coups d’estoc meurtriers aux coups de tailles qui aurait effrayé un adversaire moins sûr de lui. Il semblait faire de même : les attaques qu’il tentait avaient pour but de tuer. Ces personnes devaient être des tueurs engagés à la poursuite de Maraîche, ils l’auraient surpris dans son sommeil. Je jurai intérieurement. La porte ouverte dans le couloir… Cela signifiait que, quand j’étais passé pour la première fois, ils étaient à l’intérieur, tous les trois, et qu’ils étaient sortis après moi sans que je remarquasse quoi que ce soit !

« Réveille-toi, bons sang ! »

Poussés par la rage, mes coups redoublèrent d’ardeur, mon adversaire reculait inlassablement. Il serait bientôt dos au mur, lorsqu’un cri retentit.

« Maraîche. »

Je fis un bon en arrière, me retournai et courus vers le second combat, qui n’en était plus un : le jeune homme était à terre, l’autre était sur lui, sa lame fusant vers sa gorge. Je le pris par surprise et lui enfonçai mon sabre au travers de la poitrine, il suffoqua et mourus dans l’instant, son arme entraînée par la chute de son bras déchirant le biceps de Maraîche, qui poussa un cri avant de se débarrasser du corps. Il était sauf, je ne me préoccupai plus de lui et tournai les talons, juste à temps : le second homme était sur moi, trop près pour que je me défende au sabre, que j’abandonnai dans le cadavre où il était planté. J’esquivai la première charge du tueur à gage tout en tirant ma propre dague. J’allai devoir tenter le combat rapproché.

La lame adverse fusa vers mon bas-ventre, prête à me déchirer les entrailles ; je pivotai, le coup partit dans le vide, l’homme n’en fut pas déstabilisé et avant d’avoir fini son mouvement, sans rien perdre de sa vitesse, il changea la trajectoire de son arme, vers ma hanche. Je parai, le repoussai, attaquai à mon tour en visant la gorge. Il évita sans apparente difficulté et attaqua de nouveau.

Il avait l’avantage, mais je pouvais tenir en restant sur la défensive ; seulement j’ignorais qui de nous deux, dans ce cas-là, se fatiguerait le premier. La question fut réglée : il fut stoppé dans son élan en s’effondrant en avant. Il s’écrasa face contre terre et je vis, planté dans son dos, un couteau de jet. Je levai les yeux vers Maraîche, en sueur, qui regardait le cadavre en tenant son bras droit meurtri. Il monta d’un cran dans mon estime : malgré la douleur, il avait pris sur lui et était même parvenu à toucher mon adversaire droit au cœur.

Il me regarda et souris.

— Merci, souffla-t-il. Je t’en dois une.

— En effet.

Je rengainai ma dague et allai chercher mon sabre dans le corps du premier homme. Tout en faisant ainsi, j’expliquai :

— Et puisque tu as une dette envers moi, voici comment t’en acquitter : conduis-moi à…

Un choc sourd m’interrompit. Je me retournai. Maraîche, pâle comme la mort, était tombé évanoui.


Texte publié par RougeGorge, 26 mai 2025 à 18h31
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