Je vis avec surprise un jeune homme sortir de sous le lit de Billy. De par son âge, je l’aurais même appelé un garçon, s’il n’y avait ses traits tirés, sa peau pâle, son air grave des gens qui ont vu pire que ce que l’on imagine ; cet aspect de lui était profonde, si marquée et marquante, que c’eut été une insulte à son vécu manifeste que de l’appeler autrement qu’homme. Je remarquai, mal caché sous les pans de sa longue chemise, une dague à sa ceinture, et un couteau semblait également caché dans sa botte droite. Et il était sale, couvert de terre et de poussière, sa lèvres boursoufflée, du sang coagulé dans ses cheveux emmêlés.
— Qui est-ce ? demandai-je, sur mes gardes.
— Manfred, je te présente Maraîche, dit Billy avec un enthousiasme contrastant avec la froideur du dit Maraîche. Maraîche, voici Manfred, ou l’Edenté, corsaire à bord du célèbre Fer Blanc, galion du non moins célèbre Guillotin, que voici !
Maraîche hocha la tête en guise de salut.
— Qui est-ce ? demanda Guillotin. Un mendiant ?
Je lui jetai un drôle de regard. Il n’avait pas pu manquer de remarquer les mêmes choses que moi, et donc d’en déduire que cet homme n’était pas quelqu’un à prendre à la légère.
A l’air que me renvoya le capitaine, je compris qu’il provoquait exprès "l’invité" de Billy pour étudier sa réaction et en savoir plus sur lui.
— C’est un tueur à gage, dit Billy. Je l’aide à fuir son dernier employeur, qui le pourchasse car il échoué lors de son dernier travail.
— Oh, dit Guillotin, prenant des airs innocents qui faillirent me faire sourire. Et qui est cet employeur ? Quel était le travail en question ?
— Vous n’avez pas besoin de le savoir, dit Maraîche d’un ton froid.
— En effet, mais dans notre monde, détenir des informations, c’est détenir du pouvoir.
Il regarda ses ongles, l’air désinvolte.
— Je pourrais très bien être tenté d’aller dénoncer un certain assassin et son complice aux forces de l’ordre.
— Capitaine ! m’offusquai-je tandis que Maraîche faisait un pas en avant, la main tendue vers sa dague.
— Alors, mon garçon ? demanda Guillotin de l’air de celui qui a le contrôle. Tu vas me dire ce que je demande ou ta môman devra finir te sortir de taule ?
Je grimaçai. Je ne connaissais pas ce Maraîche, mais il était évident qu’il n’était pas homme à se laisser taquiner. En effet, n’y tenant plus, il tira son arme et bondit droit vers Guillotin. Billy n’eut pas la rapidité pour l’arrêter, j’eus un début de réflexe, mais je me retins. Guillotin n’était pas si bête. L’effusion de colère de Maraîche était ce qu’il attendait de lui. Je restai cloué sur place à regarder la scène.
Guillotin laissa Maraîche s’élancer, le percuter, le pousser hors de la chambre dans le couloir. J’eus à peine le temps de le voir bloquer le coup que le jeune homme faisait fuser vers sa gorge avant qu’ils ne disparaissent de ma vue. Je me précipitai dehors à leur suite : Guillotin percuta le mur du couloir, avant de repousser son assaillant et de pivoter pour se donner un plus grand champ d’action. Il n’attaqua pas cependant, attendant que Maraîche fasse le premier pas, ce qui ne tarda pas à arriver. Il s’élança, feinta vers la gorge avant de s’en prendre au ventre, droit vers les intestins : un coup mortel s’il avait atteint son but. Mais Guillotin ne laissa pas la chose se passer et parvins, d’un mouvement de jambe, à renverser son adversaire sur le plancher. Le jeune combattant eut le bon réflexe de se retourner vivement sur le dos, ne perdant Guillotin de vue qu’un quart de seconde. Un temps largement suffisant pour le tuer, mais le capitaine resta debout, un air provocateur sur le visage, attendant qu’il se relève. Maraîche ne se gêna pas, il s’élança, mais avant d’atteindre Guillotin, il lança sa dague sur lui. En un éclair, glissant de je ne sais où, il en avait une seconde dans la main. Guillotin fut surpris du geste, il esquiva de justesse le projectile, Maraîche arriva alors sur lui, pointe droit vers le cœur.
Billy fit un pas en avant, je le retins d’un geste sec, captivé par le combat. Billy croyais que c’en était finit du capitaine, mais non, c’était mal le connaître : il bloqua le poing armé de Maraîche, le déséquilibra et le plaqua contre le mur, le bras tordu dans le dos. Le perdant laissa s’échapper un petit cri, tenta de se débattre, en vain. Alors il lâcha son arme qui s’écrasa avec un tintement sur le plancher. Il avait perdu.
Cette fois, Billy ignora mes recommandations silencieuses et s’avança.
— Capitaine Guillotin, dit-il, je crois que cela suffit.
— Je n’en suis pas si sûr, répliqua l’intéressé.
Il avait un sourire carnassier, prenant un plaisir manifeste à tourmenter le vaincu.
— Si, dit ce dernier. Je crois que cela suffit.
— C’est à moi dans décider, gronda Guillotin avec une pression sur le bras du jeune homme, le faisant taire. Dit-moi, bonhomme. Qui est ton maître ?
— Je n’en ai pas !
— Menteur.
Il tordit un peu plus le bras, Maraîche gémit mais s’obstina dans son silence.
— Qui t’a appris à te battre ?
— Personne !
— Je sais que c’est faux, ne t’imagine pas que je vais te croire. Tu as d’excellente base de combat, mais celles-ci sont encore maladroites. Tu as la théorie des techniques d’un expert, mais il n’a pas fini de t’enseigner son art. Qui est-il ? Où le trouver ?
— Pourquoi ?
— Tu n’es pas vraiment en mesure de demander pourquoi. L’Edenté, ajouta-t-il face au silence obstiné du jeune imprudent, ramasse l’arme qu’il a laissé tomber.
Je fis un pas vers eux.
— Manfred ! m’arrêta Billy avec un air effaré.
Je lui lançai un sourire rassurant. Maraîche tremblait déjà, il parlerait facilement. Je me penchai et pris l’arme. Je jetai un regard à Guillotin, lui demanda silencieusement l’autorisation d’agir.
Il hocha la tête.
Je ramenai mon bras en arrière, prenant mon élan. Billy retenait son souffle, Maraîche tremblait de plus belle. Je pris une longue inspiration. J’abattis la lame avec force. Billy poussa un cri. Personne d’autre.
J’avais planté la dague dans le mur, à quelques millimètres de l’oreille de l’acculé. Je m’y penchai et murmurai, de sorte que lui seul m’entende :
— Guillotin est le capitaine du Fer Blanc, le navire le plus effroyable des forces impériales. Le corsaire au monde le plus terrible. Il t’écrasera comme une noisette sous sa botte, toi, misérable criminel. Un ordre de lui et ce sont des souffrances interminables qui t’attendent. Parle, ou vois ton sang couler sur ta propre lame.
Il me regarda du coin de son œil affolé. Je poursuivis :
— Au fer, dans la cale. Chaque jour, l’ombre de Guillotin s’y glissera. Dix fois, il te coupera un doigt. Dix fois, il te coupera un orteil. Vingt fois il y prendra un plaisir lent, entendant tes cris et tes supplications avec délectation, et là tu auras beau parler il sera trop tard. Le manège continuera, l’Âme Noire t’enlacera de douleur et t’entraînera dans son abysse.
Je continuai de lui murmurer des paroles horribles, jusqu’à ce qu’il crie, en sueur :
— Assez !
Je me tus, mais ne m’éloignai pas. L’œil agar, il fixa mon visage froid.
— Elle s’appelle Gabrielle. Elle habite dans un village, le plus proche à l’Ouest de la ville.
Je décrochai le poignard et m’éloignai d’un air vide.
— "Elle" ? répéta Guillotin.
Une femme. Voilà qui allait probablement le dissuader de la visiter. S’il s’intéressait au maître de ce garçon, ce ne pouvait que pour le faire embarquer pour combattre la Fièvre. Mais si c’était une femme, alors…
— Gabrielle, dis-tu ? Gabrielle comment ?
— Potelle.
A ce nom, je me figeai. Tu l’ignores, Feu-de-Sang, mais feu Joséphine Potelle était la voisine du dessous de Stéphane de Bellétendre. Tu te souviens, l’écriteau ? Je la visitais régulièrement, elle m’apprenait l’art du combat d’Yzân, dans lequel, malgré son âge, elle excellait, et m’initiai aux manières du grand mondes. Aussi, tu comprends ma surprise en entendant prononcer son nom. S’agissait-il de quelque parente, ou Potelle était-il un nom courant à Yzân, dont cette Gabrielle serait donc originaire ?
Guillotin ne remarqua rien de mon trouble. Comment l’aurait-il ? Il était trop occupé à questionner le bougre.
— D’où la connais-tu ? Depuis quand t’entraîne-t-elle ?
— Elle m’a recueilli il y a deux ans.
— Deux ans seulement…
— Oui, elle est très douée. Et dangereuse.
— Mène-nous à elle.
— Quoi ?! Pas question !
— Je ne crois pas que tu aies le choix.
— Vous pouvez me menacer tant que vous voudrez, je ne me risquerais pas à conduire des ennemis chez dame Gabrielle !
— Tu as trop peur pour ta vieille protectrice ?
— Par la Noire, non ! C’est pour moi que j’ai peur ! Vous ne pourriez me faire pire que ce qu’elle me réserve si elle découvre que je l’ai trahie !
— Comment ? Est-elle si terrible que ça ?
J’écoutais la conversation avec attention. Qui était cette Gabrielle ?
— Plus que vous ne l’imaginez ! Il n’y a pas que moi, chez elle, non ! c’est une organisation entière ! Tous les gamins des rues, elle les entraîne et en fait des tueurs à gages, des contrebandiers. Elle sert d’intermédiaire aux clients, nous envoie parfois à des kilomètres se charger d’un travail.
— Ah… Tant pis, ce genre de matriarche du crime, trop peu pour moi.
Il lâcha enfin Maraîche pour se tourner vers Billy :
— Désolé pour cette scène.
— Pas de soucis, dit Billy avec un rire nerveux. Maraîche, j’ignorais que tu avais de si gros problèmes. C’est cette Gabrielle qui te poursuit ?
— Pas vraiment… Mais c’est elle qui m’a attiré des ennuis avec le client. C’est comme ça qu’elle fonctionne : si on échoue, on doit assumer, et si on s’en tire vivant, elle nous fait bosser à nouveau, avec une retenue de gage d’un mois pour la perte de temps…
J’avais déjà eu vent de telles organisations criminelles, profitant de jeunes personnes démunies. Mais menés par un seul individu ? Une femme qui plus est ? C’est la première fois qu’une telle chose parvenait à mes oreilles. J’espérais de tout cœur que cette Gabrielle n’ait aucune relation avec Joséphine, quoique son évident talent pour le combat ne fasse que rendre la chose plus probable.
— Je vois… Je vous offre un verre ? dit Billy pour clore la conversation, qui le gênait manifestement.
— Non merci, déclina Guillotin. C’est l’Edenté qui paye.
Il me jeta un regard avant d’ajouter :
— Allons, ils doivent avoir fini leur partie.
Il se dirigea vers les escaliers, je lançai un regard et un sourire à Billy avant de le suivre.
— Tu veux boire un coup ? l’entendis-je demander à Maraîche. J’eus le temps d’entendre celui répondre d’un ton amer :
— J’aimerais surtout qu’il me rendre mon poignard…
Nous arrivâmes en bas, et passâmes la porte menant à la taverne. Dans la table près de la fenêtre, Descartes et les autres avaient entamé une nouvelle partie, dont les enjeux étaient manifestement conséquents : une pile de pièce s’élevait au centre de la table. La bière que j’avais commandée était arrivée, et le bock reposait, vide, sur le coin de la table. Guillotin s’empourpra en arrivant à leur côté.
— Qui a bu ma bière ?
Descartes leva la main :
— Coupable, dit-il en riant, un peu enivré.
Il ramassa les jeux et dispersa la mise, suscitant les protestations de Jambon-beurre et de Bêche.
— On recommence avec Guillotin, dit-il en riant à moitié de leur indignation.
— Tu fais ça juste parce que t’allais perdre ! s’exclama Jambon-Beurre.
— Ouais ! T’abuse Descartes !
— Oh, ça va, ça va… De toute façon vous trichez, si vous croyez que je vois pas les cartes que vous mettez dans vos manches !
— C’est l’alcool qui te fait délirer, tu vois des cartes là où il n’y en a pas !
— C’est pas vrai je suis à peine ivre !
Guillotin les interrompit en empoignant violemment Descartes par le col :
— Que cette bière te torde les tripes si tu ne me la rembourse pas !
— Holà, je veux pas d’emmerde, moi ! Je vous en offre une, de bière ! Garçon ! Garçon !
Guillotin repoussa Descartes sur sa chaise, le corsaire retomba violemment sur son séant. Le garçon de service arriva, Descartes demanda cinq bières.
— C’est ma tournée, dit-il.
Guillotin sembla oublier qu’il m’avait interdit la consommation d’alcool et s’assit autour de la table sans protester. Pendant que Descartes distribuait à nouveau, je me penchai à l’oreille de Guillotin.
— Capitaine, murmurai-je, cette Gabrielle Potelle…
— Elle t’intrigue, n’est-ce pas ? me répondit-il sur le même ton. Potelle… C’était le nom sur l’écriteau chez ton Bellétendre, non ? Qui est-ce ?
— Je… Joséphine était la voisine de Stéphane, elle m’a entraîné aux arts de combat d’Yzân.
— Elle était douée ?
— Très. Elle est morte, hélas, mais à quatre-vingts ans encore elle me battait. Elle n’a pas eu le temps de m’enseigner toute sa science.
Guillotin ramassa son jeu, je l’imitai.
— Potelle n’est pas un nom commun, même en Yzân. La coïncidence serait surprenante si ces deux femmes de même nom, habitant à quelques kilomètres l’une de l’autre, n’ont aucun lien familial. Deux d’argent.
Le capitaine posa sa mise. Assis juste à sa gauche, avec à peine un coup d’œil à mes cartes, j’augmentai d’une pièce.
— Cette Gabrielle, dis-je alors que qui se couchai qui tenait bon, si elle est aussi forte que Joséphine les hommes de son organisation doivent être assez fort pour vaincre la plupart des corsaires du Fer Blanc. Voyez ce Maraîche, deux ans à ses côtés il se bat comme un loup. Ne pourraient-ils pas…
— Non, Ed. Non, ils ne peuvent pas nous aider à vaincre la Fièvre. Face à une telle créature, ce ne sont pas des gens comme eux qu’il nous faut.
— Alors des gens comment ? Je crois qu’ils seraient temps que vous m’expliquiez plus de choses sur cette histoire, ou nous n’avancerons jamais.
— Cela me regarde.
— Moi tout autant, ma vie est tout de même en jeu !
— Je ne suis pas un dément, je prendrai soin de ma vie. N’oublie pas qui a le pouvoir de te mettre une épée sous la gorge.
— Mais…
— Si tu y tiens tant tu iras visiter cette Gabrielle demain. J’ai quelque commerce à faire. Mais pour ce qui concerne la Fièvre, je décide.
— Soit.
Cette permission était mieux que rien.
— Je te suis, dis Guillotin à Bêche.
La mise était maintenant d’une trentaine de pièce d’argent. Je me couchai, Descartes de même, Jambon-Beurre suivit. Les jeux s’abattirent.
— J’ai gagné, dit Guillotin.
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