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tome 1, Chapitre 27 « Le héros de l'œil des mers - Partie 2 » tome 1, Chapitre 27

Nous marchâmes de longues minutes, sans doute plus d’une heure, sans échanger un mot. Perdu dans mes pensées, davantage encore m’assaillait alors que je redécouvrais les rues, et ce trajet, en tout point semblable à celui que j’avais effectué lors de ma fugue, me fit revenir des années en arrière. Finalement, nous atteignîmes le collège où j’étais resté une unique journée, et une rue plus loin, la maison où j’avais si longtemps vécu. La façade avait été repeinte, elle me semblait briller de mille feux dans la lumière du matin.

— C’est là ? demanda Guillotin, un petit air méprisant sur le visage.

J’hochai la tête.

— C’est là.

Sans prendre la peine de frapper, j’ouvris la porte, avant de me figer sur place. Quelques pas devant moi, sur une porte jaune, il y avait un petit écriteau disant "Joséphine Potelle". Stéphane n’avait même pas pris la peine de l’enlever à la mort de la vieille, bien que toute la maison lui appartînt désormais.

Je dirigeai donc mon regard vers le petit escalier à gauche, et le gravis. Je frappai à la porte se trouvant en haut.

— Entrez, dit une voix.

Il n’était pas encore parti travailler et était déjà levé. Bonne fortune. J’ouvris la porte, m’attendant à un immense bazar comme à l’habitude de mon professeur.

— C’est qui ? grogna Stéphane sans se retourner.

De dos, il était torse nu, une chemise sur le bras, en train de boucler sa ceinture. Je restai cloué sur place. Je n’étais pas gêner de le trouver ainsi, non, pas le moins du monde. Mais ce qui me sidéra était que tout était rangé. Pas une chaussette parterre, par un objet qui ne soit pas à sa place. Même les fleurs au bord de la fenêtre étaient bien arrosées.

Estimant que je mettais trop de temps à répondre, le capitaine lança, sarcastique :

— L’Empereur et le roi Oscar.

Stéphane se retourna, faisant mine d’enfiler sa chemise, mais il laissa choir le vêtement au sol.

— Man… fred ?

— Salut, Steph, répondis-je, presque gêné.

Il ne réagit pas, se contentant de me fixer d’un air vide. Il semblait hésiter entre me prendre dans ses bras et me claquer la porte au nez.

—Tu es sorti des cachots de l’Empereur, finalement ? demanda-t-il après un trop long silence.

Je sentis Guillotin me jeter un regard suspicieux.

— Oui, heu… je… Je suis corsaire et voici mon capitaine, Guillotin.

Stéphane lança un regard à l’intéresser, sembla balancer quelques instants, puis revint vers moi.

— Ça fait combien de temps ?

— Ben, heu… sept ans.

Il hocha lentement la tête. Bon sang, quand allait-il cessé de me fixer comme ça ? Je méritais pas d’être accueilli à grands cris de joie, certes, mais s’il me détestait, qu’il me cognât pour de bon !

— Et tu n’as jamais songé à revenir ? dit-il sèchement.

Sa question me perturba. Aurait-il voulu que je revienne ? Mais Guillotin me tira de la situation et me bousculant pour passer devant et faire face à Bellétendre.

— Il était occupé, gronda-t-il.

Le regard de Stéphane se posa sur lui. Il n’appréciait apparemment pas les manières du capitaine.

— Et que me vaut l’honneur de votre visite ?

— L’Edenté prétend que tu me vaux au combat.

— Je ne suis pas sûr de comprendre…

— Tu en auras tout le loisir plus tard. Enfile cette chemise, et en garde.

Bellétendre haussa les sourcils.

— Vous n’êtes venu que pour un simple défi ?

— Fais ce qu’il te demande, conseillai-je.

Il me lança un regard, le partagea avec Guillotin… puis enfila sa chemise.

Quelques minutes plus tard, nous étions tous trois dans la petite cour de la maison, Guillotin et Stéphane face à face, moi en retrait.

— Tous les coups sont permis dit le capitaine. Duel jusqu’à l’abandon ou la mort théorique de l’un d’entre nous.

— Je n’en attendais pas moins de vous, capitaine. Manfred, donne le coup d’envoi.

Je dégainai mon sabre, m’avançai entre les deux hommes. Je les regardai alternativement puis, plantant mon arme dans la terre battue, je dis :

— Allez-y !

Stéphane bondit. Je sursautai. Je ne m’attendais pas à ce qu’il ait encore de tels réflexes, ni à ce qu’il attaque le premier. Guillotin ne se laissa pas surprendre pour autant et para sans difficultés les assauts de mon maître d’arme, ripostant en force. Je faillis plus d’une fois perdre le fil du combat, tant ils étaient forts tous deux, rapides tous deux. Ils échangeaient des coups avec une dextérité qui m’impressionna. Le duel dura longtemps sans perdre en intensité, avant qu’enfin coule le premier sang : celui de Guillotin. Il fallut autant de temps pour que tout s’arrête. Subitement. La scène s’était figée. La lame tinta en un vacarme infernal lorsqu’elle tomba sur le sol. Bellétendre, les deux mains en l’air, fixait la lame pointée sous sa gorge. Guillotin avait gagné le combat.

— Bien joué, capitaine, dit-il avec un sourire.

Il amorça la descente de ses bras, mais la pointe de Guillotin se posa contre sa gorge.

— Pas un geste, mon Bellétendre, railla-t-il.

— Capitaine, intervins-je en faisant un pas en avant, que…

— Silence, l’Edenté, grogna-t-il.

Il fit un pas en avant, Stéphane dut en faire un en arrière pour que l’arme ne le transperce pas.

— Tu es doué, continua-t-il à l’adresse de mon maître d’arme. Plus encore que ton élève. Tu ne lui as pas transmis toute ta science, mais moi je suis plus fort encore. Ta vie est entre mes mains.

Il continuait d’avancer, Stéphane de reculer.

— Je n’en ai que trop conscience, capitaine, répondit le maître d’arme avec froideur et amertume, les bras toujours levés. Qu’attendez-vous de moi ?

En prononçant ces paroles, il me jeta un regard lourd de suspicion.

— Tu vas embarquer à bord du Fer Blanc aujourd’hui même, Bellétendre. Nous allons chasser la Fièvre des Océans.

Stéphane se retrouva acculé au mur d’enceinte de la cour. Sa haine et sa colère se changèrent en frayeur stupéfaite.

— La Fièvre… Êtes-vous fou ?

— Tu connais la légende ? Tant mieux, je n’aurais pas à t’expliquer alors. J’ai tenté le périple une fois, épaulé de dix hommes au talent remarquable, aux fers impitoyables. Ils sont morts, tous, et je les vengerai. Tu te tiendras à mes côtés ce jour-là, car j’estime que tu as le talent nécessaire. Sois flatté et va préparer ton bagage, petit. Dans deux jours, le cauchemar commence.

Nous regagnâmes le navire vers midi. Nous n’avions pas échangé un mot, Stéphane était sombre avec son sac sur l’épaule, une épée et un poignard à la ceinture, qu’il avait tiré de son incroyable collection avant de partir. En marchant, je sentais son regard lourd de reproches sur ma nuque. Je le livrais à l’Âme Noire. Une fois montés à bord, Guillotin me dit :

— Fais-lui faire le tour du bâtiment.

Il jeta un regard à Stéphane, dont le visage était dur, empli d’une haine contenue.

— Et qu’il comprenne bien qui commande ici.

— Je ne risque pas de l’oublier, commenta impudemment Bellétendre.

Guillotin lui jeta un regard noir, puis se tourna à nouveau vers moi. Je compris à la manière dont il me fixa que j’avais grand intérêt à calmer le jeu. Le capitaine s’en alla, et nous restâmes un moment sur le pont, à fixer son dos tandis qu’il s’éloignait vers sa cabine.

— Viens, dis-je finalement à Stéphane avec un soupire. Je vais te montrer les cabines.

Il me suivit sans faire d’histoire. Je lui présentai les deux ponts inférieurs et la cale, avant de revenir aux cabines. J’ouvris la mienne.

— Je dors là avec Descartes, on a une troisième place inoccupée.

— Pourquoi ? railla-t-il d’un ton de reproche. Votre colocataire est mort ?

Je ne pris pas la peine de lui répondre et lui désignai la couche vide. Il y jeta son sac.

— Explique-moi ce que je fous dans ce merdier, dit-il, ou je t’écorche vif.

J’avalai ma salive. Voilà. Le moment redouté.

— Ecoute, je sais que tu es fâché, mais…

— Il a pas de mais ! cracha-t-il en tirant sa dague. Tu te rends compte qu’à cause de toi, je vais devoir laisser ma peau dans une quête impossible ?!

Je savais qu’il était plus fort que moi. Je l’avais vu combattre Guillotin.

— Attends, dis-je en levant les mains dans un geste rassurant. On est dans le même bateau, je…

Il me prit au collet et me poussa contre le mur de la cabine. Il était furieux.

— Tu disparais pendant presque dix ans, soi-disant emprisonné dans les geôles de l’Empire, alors que tout ce putain de temps tu étais libre ! Tu étais vivant ! Et quand tu reviens c’est accompagné d’un fou furieux et pour m’emmener me faire butter !

Je dégainai discrètement ma propre dague. Aveuglé par la rage, il ne vit pas le coup venir, et je frappai son poignet avec la garde de mon arme. Il dut me lâcher, je m’esquivai et d’un coup de pied bien placé je le fis tomber en avant. Son front heurta le mur. Je le mis en joue de la pointe de mon sabre.

— Je suis désolé, dis-je. A moi non plus, Guillotin ne m’a pas laissé le choix. Mais j’ai décidé de survivre, de mettre toutes les chances de mon côté. Tu es un des meilleurs combattants que j’ai jamais rencontré, et c’est d’hommes de ta trempe dont on a besoin pour vaincre la Fièvre. Je n’allais pas sacrifier ma vie pour la tienne, tu es une arme dont j’ai besoin. Je te conseille de faire comme moi : accepte et fais tout pour notre victoire.

— Enfoiré, cracha Stéphane en se frottant le front.

— Libre à toi d’essayer de me tuer, mais ça n’améliorera pas ta situation. Au contraire, je suis fort, pas autant que toi peut-être, mais je suis de ceux capables de faire tomber la Fièvre. Enseigne-moi plutôt ce que j’ignore encore de ton savoir, optimise tes chances de survies en trouvant un autre homme digne d’affronter cette pieuvre.

— Un homme, ou une femme, cracha-t-il.

— Tu m’en veux encore ?

— Oui je t’en veux.

On se fixa encore longuement, puis il soupira.

— Puisque je n’ai pas le choix…

Il fit mine de se lever, je rengainai ma lame et lui tendit la main. Il la prit et se mit sur ses jambes.

— Je ne t’ai pas pardonné, dit-il. Mais je veux sauver ma peau. Alors t’a intérêt à vite progresser. Paraît que ça porte malheur d’entraîner une femme, comme d’en avoir une sur un navire.

— Je ne te savais pas superstitieux.

— Je vais le devenir juste pour toi, de Lorée.

— Fais comme tu veux, je te le rendrai bien, dis-je sèchement. Bon, moi je vais boire un coup tant qu’on est encore à terre. Tu devrais en faire autant.

Sur ce, je le dépassai et sortis de la cabine. Je montai sur le pont supérieur, puis descendis à quai. Je balayai le port des yeux. Dans quelle taverne avait bien pu s’arrêter Descartes ? Mon regard fut irrésistiblement attiré par l’orée de la mer. C’était là qu’habitait mon ami Billy.

Cette taverne avait été tenue par mes parents, puis mon père, trop vieux, avait laissé tomber l’affaire. Le bâtiment était tombé en ruine, et lorsque mes deux parents moururent, ils confièrent la propriété à Billy, qui y avait longtemps travaillé. Chargé de distribuer la majeure partie de l’héritage, j’en donnai une partie à Billy qui s’en servit pour faire rénover le bâtiment et rouvrir la taverne sous le nom l’orée de la mer, "l’orée" se référant à mon nom de famille, de Lorée, et son symbole, une rose comme mon prénom de naissance. Il était amoureux de moi depuis très longtemps, il avait abandonné cette idée lorsqu’il m’avait vu revenir, devenu un homme, mais je savais qu’il avait toujours des sentiments pour moi. Cela faisait quatre ans que nous ne nous étions pas vu, depuis notre dernière escale à Mont-des-Epicéas. Je devais lui manquer.

Je me sentis envahi de culpabilité d’avoir hésité à lui rendre visite. Ç’aurait été cruel de ma part de lui refuser ce plaisir. Je me dirigeai donc à grand pas vers la taverne. J’allais en franchir la porte lorsqu’une main se posa sur mon épaule. Je sursautai. C’était Guillotin.

— Que… ?! Vous m’avez effrayé, capitaine !

— Et tu as bien raison d’être effrayé ! Pas d’alcool pour toi, t’as oublié ?

— Mais capitaine…

— Il n’y a pas d’exception. Va plutôt surveiller ton Bellétendre, il m’inspire pas confiance.

— Capitaine, pour une fois que nous faisons escale à Mont-des-Epicéas, permettez-moi au moins de visiter un ami.

Il allait rétorquer, mais je pris les devants :

— Il fait la meilleure bière du continent. Je vous paye une bouteille.

Il haussa un sourcil.

— D’accord, grogna-t-il finalement. Mais pas une goutte pour toi.

Je me retins de rire et nous entrâmes à l’intérieur. Je vis immédiatement Descartes, à la première table devant moi. Il se leva, tout sourire, avant de remarque Guillotin. Il retint ses effusions de joie :

— Salut, Ed. t’a pu venir à ce que je vois. Capitaine, salua-t-il d’un mouvement du chef. Vous venez boire un coup de la meilleure bière au monde ?

— Oui, l’Edenté m’a convaincu. Prenons une table près de la fenêtre, je veux pouvoir surveiller le galion. Les autres sont là, aussi ?

— Oui, il y a Bêche et Jambon-beurre.

Il désigna une table parmi tant d’autres. Les deux corsaires nous firent un signe de la main. Sur la table, une partie de cartes était entamée, laissée à l’abandon en attendant que Descartes revienne.

— Je finis de les exploser, dit ce dernier comme pour répondre à ma pensée, et on arrive.

Le capitaine hocha la tête, son humeur visiblement améliorée par l’ambiance du bar. Il s’assit à la table proche d’une fenêtre, je l’imitai et appelai le garçon de service. Je lui demandai une bouteille, il s’en alla.

— Si vous le permettez, capitaine, dis-je en me levant, je vais aller saluer mon ami.

— Il est là ?

Il jeta un long regard circulaire à la pièce. Billy n’était pas en vue.

— Oh, puisqu’il n’est pas derrière le comptoir, c’est qu’il se trouve dans l’arrière-boutique, à faire ses comptes ou quelque chose…

— Je vois. Vas-y, je t’accompagne. Je tiens à rencontrer ce garçon.

— Comme il vous plaira.

Il se leva à son tour, et slaloma à ma suite entre les chaises et les tables. Je le vis souffler au passage un baiser à une prostituée occupée à séduire un homme trop soul pour défendre sa bourse, et elle lui rendit un grand sourire malicieux et un clin d’œil. Je tâchai d’ignorer le manège et avançai de plus belle jusqu’au comptoir. En voulant passer à l’arrière, le serveur s’interposa.

— Excusez-moi, monsieur, c’est privé.

— Je sais, je suis un ami du propriétaire.

— Mais, heu…

Je le repoussai d’un geste négligeant et passai outre le gêneur. Dans le salon, la décoration avait été entièrement refaite, mais cela n’empêcha pas des dizaines de souvenirs de revenir à la surface de ma mémoire : c’était dans cette maison que j’avais passé une grande partie de mon enfance, allant au manoir des de Lorée uniquement lorsque mon père fermait l’établissement, soit grand maximum deux mois pendant l’hiver.

Sur ma gauche, l’escalier de bois menait à l’étage. Je le gravis, Billy n’étant pas dans le salon. J’arrivai dans un couloir, remis lui aussi à neuf, et frappai à la porte d’une chambre.

— Qui est là ? dit la voix de Billy, me faisant frémir de joie.

J’ouvris la porte. Il était debout, au milieu de la pièce, un air suspicieux sur le visage, qui se transforme rapidement en intense joie.

— Manfred ! s’écria-t-il en sautant à mon cou.

Je ris, lui rendant son étreinte. Guillotin se racla la gorge, je lâchai mon ami.

— Billy, voici Guillotin, le capitaine.

Billy tendit la main.

— C’est un honneur de rencontrer le capitaine du Fer Blanc. J’ai entendu de grands éloges à votre sujet.

Guillotin serra la main tendue.

— Je l’aime bien ce petiot, commenta-t-il.

Billy se retourna :

— C’est bon, Maraîche, tu peux sortir de là. Ce sont des amis !

Je vis avec surprise un jeune homme sortir de sous le lit de Billy.


Texte publié par RougeGorge, 26 mai 2025 à 18h27
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