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tome 1, Chapitre 11 « Rendez-vous » tome 1, Chapitre 11

Je retire mon bracelet et le dépose dans l’urne prévue à cet effet. La pièce est partiellement illuminée grâce aux différents petits trous creusés dans le plafond. Même par cette heure matinale, je sens la chaleur du soleil qui sera encore une fois trop étouffante à mon goût.

J’apprécie les températures élevées que lorsqu’elles me sont transmises par l’eau, sinon, avoir la peau transpirante n’est pas ma tasse de teetä. Le souvenir de ma proposition à Lyvon effleure ma mémoire et je réalise l’impertinence dont je suis capable en sa présence. Cet homme me fait perdre mes moyens.

La silhouette devant moi redresse sa tête avec un gémissement, un visage affable, rongé par diverses substances absorbées le rend nauséabond. Son ton est grisâtre, ses yeux globuleux injectés de sang me répugnent. Un mince sourire étire ses fines lèvres et creuse davantage ses joues abîmées.

À la différence des Traqueurs ou Inquisiteurs, je n’ai pas besoin de me dissimuler sous des masques ou sort. Mon visage sera le dernier que cet homme verra avant de sombrer dans un état végétatif et de pousser son ultime soupir.

— T’es mignonne, toi… J’te fais peur, avoue.

Un rictus déforme mes lèvres avant que je ne plonge dans son regard écœurant :

— Crois-moi, de nous deux, c’est moi le pire des monstres.

Puis je dépose ma main sur son épaule et accomplis la tâche qui m’a été confiée.

La première chose que je ressens, c’est l’abandon, celui dont il a été victime depuis son plus jeune âge avant qu’un flot de colère ne le chasse et que dans ses yeux s’illumine une flamme de rage et que sa mâchoire ne se resserre fermement.

— Qu’est-ce que tu me fais ? vocifère-t-il.

— Reste tranquille, râlé-je en tentant de me reconnecter à lui.

Il est fort, c’est un vrai bouclier qui protège le reste de ses émotions. Toutefois, je ne suis pas au bout de mes limites et je creuse, encore et encore pour trouver la faille qui me mènera droit à son âme et y puiser toutes ses émotions et le laisser amorphe.

Le bougre s’efforce à bouger sur la chaise, essaye de tirer sur ses liens pour se détacher, mais ils sont parfaitement serrés. Un haut-le-cœur me prend et m’oblige à lâcher l’individu.

— Ah ! Alors comme ça t’es sensible à la vue du sang hein ?!

— La ferme !

Cette fois, je dépose mes mains sur son crâne et m’enferme dans une bulle grâce à la fureur qui émane de son être. Il se concentre sur le liquide écarlate et m’offre ainsi une toute petite fenêtre pour trouver ce que je souhaite.

À cet instant, il est fini. Tout filtre à travers nous. La rage s’efface pour laisser apparaître une pointe de justice que je ne saisis pas. La sérénité d’avoir agi avec justesse, de croire en son geste m’oblige à redresser le buste, à créer un désir de vengeance en moi. Mon corps grandi de quelques centimètres, mes épaules s’élargissent et ma vue se trouble.

Je cherche une solution rapidement afin de ne pas laisser ce sentiment devenir maître de mon corps. Mais tout ce que l’inconnu ressent ne me suffit pas, il est persuadé que son acte était nécessaire et qu’il sera pardonné au Kuolleiden et accueillit comme un héros.

Une larme s’échappe de ses yeux alors qu’un sourire cruel apparaît sur ses lèvres. Il ne reste rien, si ce n’est moi et ce désir de vengeance qui me ronge les entrailles.

Difficilement, j’attrape le bracelet et le referme autour de mon poignet afin qu’il diminue cette sensation et me permette de retrouver des idées claires. Je me laisse glisser contre l’une des parois en métal et inspire profondément en fermant les yeux. Je cherche une image de bonheur pour laisser le sentiment grandir en moi. La première venant étant celle de Lyvon, de son regard pénétrant, de ses lèvres charnues, de sa voix grave et de son parfum épicé.

Je m’abandonne à cette vision de lui, permets aux émotions que je ressens en sa présence de m’envahir pour faire disparaître l’envie de châtiment qui ne cesse de virevolter en moi. Un dernier soupir de la part de l’individu dans la pièce et des frissons parcourent mon être malgré la chaleur arrivant de l’extérieur, mon corps reprend peu à peu sa forme normale m’autorisant ainsi à quitter cette salle de l’horreur.

Dans le couloir, je réfléchis à ce que je vais pouvoir dire à Victor sur la situation. J’ignore s’il y a un lien entre les Tappajats et surtout les victimes. Jusqu’à présent, les sentiments contradictoires que j’ai dû affronter ne m’aident en rien et surtout ne font que semer la zizanie en moi.

J’entre dans le Suljettu après avoir traversé le désert et affronté la chaleur de ce début de matinée, avant d’être attirée dans un coin obscur et de sentir un corps brûlant contre le mien avant son parfum épicé.

— Je savais que c’était toi, murmure-t-il.

— Lyvon… Me suis-tu ?

— Non, je travaille.

Je ne parviens pas à voir son visage, mais je suis capable d’éprouver tout ce qu’il ressent à cet instant et cela suffit à me donner davantage chaud.

— En m’espionnant ?

— Je suis sorti prendre l’air et je t’ai aperçue, j’ai été surpris d’ailleurs…

Son nez longe ma joue pour se faufiler jusqu’à ma gorge. Depuis le repas chez mes parents et surtout notre balade jusqu’au välittää, notre relation a évolué. Je découvre à quel point Lyvon peut être tactile et surtout que j’apprécie énormément cela.

J’aime le fourmillement qui me parcourt lorsque ses lèvres effleurent ma peau, l’accélération de mon rythme cardiaque quand son parfum m’enveloppe et que son souffle me caresse. Toutes ses sensations nouvelles éveillent mes sens. Et je sais qu’il en est de même pour lui. Je le ressens.

Cependant, l’instant a beau être agréable, il est hors de question que nous nous laissions emporter dans le coin sombre de ce couloir.

— Tu es cruelle, tu le sais ? murmure-t-il.

— Pourquoi ?

— Il te semble si simple de reprendre le contrôle de tes émotions… Comment tu fais ?

Je ne peux lui dire la vérité pour l’instant. Nous sommes de plus en plus proches, pas encore aussi intimes que dans nos rêves, mais le moment de me confier n’est pas encore arrivé. Et puis, si ce que ma mère m’a dit est vrai, il cache lui aussi une partie de son potentiel et tant que ni l’un ni l’autre nous ne franchirons cette limite, il me sera impossible de lui avouer.

— Disons que je suis plus raisonnable que toi, dis-je enfin.

— Oui, c’est surtout ce que tu tentes de me faire croire…

Son souffle est à présent sur mon visage. Je dépose mes mains sur ses joues rugueuses à cause de sa barbe et l’embrasse chastement.

— Je ne te laisserai pas me courtiser dans un coin comme celui-ci, je mérite mieux…

Il ricane :

— Oui, tu mérites bien mieux. Un bureau pourrait-il te convenir la prochaine fois ?

C’est à mon tour de rire.

— J’espère que c’est une blague ? Tu sais, je suis très vénale comme femme, je veux le chocolat, les fleurs, le restaurant grand luxe avec les musiciens…

— Oui, c’est tellement toi…

J’ose une tape sur son torse alors qu’il continue de se moquer.

— Tu aimes tant cela que tu m’as laissé t’embrasser dans un tas de neige en plein milieu de nulle part…

— C’est la faute du verglas ! Si je n’avais pas glissé, tu ne serais jamais tombé sur moi et la suite n’aurait pas eu lieu.

— Heureusement qu’il y avait cette plaque alors…

À son tour, il dépose ses lèvres sur les miennes, son nez frôlant le mien.

— Je veux t’inviter quelque part, chuchote-t-il, quand serais-tu libre ?

Maintenant. L’envie de disparaître immédiatement avec lui explose dans ma tête. Je sais qu’il saurait calmer mes dernières craintes, toutefois, le devoir se rappelle à moi et je me dois d’être réellement raisonnable.

— Lautai, dis-je dans un souffle.

**

Comme promis, Lyvon m’a fait parvenir une lettre pour me dire où le rejoindre. Une boule grandit dans mon ventre alors que je quitte le välittää de Huono et que le soleil brûle ma peau. Il m’a demandé de sortir du Suljettu et de regagner la ville, sans me donner plus d’indications. J’avoue que je suis partagée entre l’excitation et la peur.

Dans nos échanges oniriques de la veille, il a tout fait pour maintenir le secret en jouant de ses charmes pour détourner mon attention. Maintenant que le moment se présente, mes mains sont moites et mon estomac se crispe.

J’entre dans la ville avec ses maisons en forme d’oignon et repère immédiatement Lyvon. Vêtu d’une tenue décontractée, il tient une gaselli et semble poser pour une toile. Je m’arrête une seconde afin de graver cette image de lui et suis ravie d’avoir enfilé une robe pas trop longue, mais dans laquelle je serais tout à l’aise pour le voyage.

Son regard azur atterrit sur moi et un sourire en coin étire ses lèvres. Il s’approche avec l’animal et s’arrête à moins d’un mètre. De sa main libre, il caresse mes cheveux avant d’embrasser timidement ma joue très près du coin de ma bouche.

— Tu es très belle.

— Toi aussi. Où allons-nous ?

— C’est une surprise…

— Tu vas me bander les yeux ?

Il rit :

— Non, pas à ce point.

Il grimpe sur le dos de la gaselli avant de m’inviter à prendre place derrière lui. Mes mains se posent instinctivement sur son torse et je le sens retenir son souffle un instant. Un sourire malicieux orne mes lèvres, je sens que ce voyage ne va pas être de tout repos.

— Prête ?

— Avance avant que je m’enfuie.

L’animal se met à marcher avant de prendre son allure galopante en direction du sud de la région. Le vent fait virevolter mes cheveux, le sable tourbillonne autour de nous, sans toutefois, nous déranger. Je dépose ma tête contre le dos de Lyvon et le sens se contracter sous ce geste alors je me déplace.

— Ne bouge pas, râle-t-il. J’aime te sentir contre moi…

— On ne dirait pas.

— C’est parce que la sensation est différente de celle de nos rêves… Et que tu n’imagines pas à quel point cela fait longtemps que je n’ai pas eu une présence féminine à mes côtés…

— Depuis quand ?

— Longtemps.

Je comprends qu’il ne veut pas aborder ce sujet et le repousse dans un coin de ma tête. J’inspire discrètement son parfum et ferme les yeux en laissant un sourire illuminer mon visage. À cet instant, je crois même irradier encore plus que le soleil de la région.

— Tu es à l’aise ? s’inquiète-t-il.

— Parfaitement. Où allons-nous alors ?

— Nous sommes presque arrivés…

Je me redresse et admire depuis les dunes le lac scintillant en contrebas. Les rayons de l’astre diurne se reflètent sur sa surface, la forêt orangée de ce côté de la rive, lui offre un côté plus chaleureux que celui de la côte est.

La gaselli descend prudemment et Lyvon la guide à travers le bois jusqu’à une petite maisonnée perdue. Elle ressemble vaguement à la mienne, le bois ici est plus coloré et je devine qu’elle a été fabriquée avec des arbres de la région. Je descends de l’animal et attends que Lyvon l’attache et lui donne de quoi la nourrir avant de demander :

— Où sommes-nous ?

— Chez moi. Bienvenue dans la forêt Hiljaisuus.

J’écarquille les yeux alors qu’il attrape ma main et me guide jusqu’à la demeure. Je connais des tonnes d’histoires sur la forêt silencieuse, la plus répandue étant celle des kirottu, les amants maudits.

— Ce n’est pas très grand, j’espère que cela te plaira tout de même.

Les mots restent coincés dans ma bouche tant je suis surprise par la similarité de nos résidences. Tous les deux éprouvons le besoin de vivre à l’écart du monde, dans une forêt, qui plus est.

L’endroit est plus que chaleureux, les couleurs chatoyantes des tapis et du mobilier lui donnent un air accueillant. Chance que la maisonnée est sous les arbres, car elle subsiste fraîche malgré la chaleur étouffante de Lukita.

— Tu ne dis plus rien, s’inquiète Lyvon.

— Si… si…

— Tu préfères vivre en ville ?

Je ris et secoue la tête de manière négative :

— Très peu pour moi… Ma sœur vit à la Capitale et moi… J’ai une maisonnée au cœur de la forêt d’Aïti…

— Celle de la Mère ? s’étonne-t-il.

Lyvon semble connaître la légende qui entoure ma forêt comme moi, je connais celle de la sienne. Il est très étrange de découvrir qu’en plus de certains points nous sommes attirés par les mêmes sujets d’intérêts.

— Oui, c’est là que vivait ma grand-mère.

— J’imagine qu’elle doit être très belle…

J’acquiesce, lâche la main de Lyvon et m’avance vers un meuble long où sont disposées des photographies de famille. L’une d’elles attire mon attention et je l’attrape pour l’observer de plus près. Lyvon est dans les bras d’un homme et rit aux éclats. Ses traits fins encore enfantins, ses yeux pétillants suffisent à attendrir mon cœur.

— C’était mon grand-père.

Son souffle caresse ma nuque, ses mains parcourent mes bras et hérissent mes poils sous leur passage. Je laisse tomber ma tête en arrière contre son torse et demande :

— C’était lui, l’Absorbeur ?

— Oui. Il est décédé quelques semaines après cette photo.

— Je suis désolée.

Je me tourne et l’enlace en lui exprimant toute ma sincérité. Il dépose ses lèvres sur le haut de mon crâne et inspire profondément. J’en profite pour faire de même contre son buste et me délecter de son odeur de cardamome et de caramel. Pour moi, ce parfum représente la sécurité et l’envie.

— Évite de penser à cela, murmure-t-il, sinon je vais devoir revoir le programme et t’enfermer à l’intérieur, pour le reste de la journée.

Je rougis et m’écarte en frappant son torse au passage :

— T’étais pas censé ressentir ça !

— Même si tu maîtrises tes émotions presque comme une initiée, un filet s’échappe toujours, se moque-t-il.

— Peu importe ! Sache que tu n’es pas très fort non plus pour cacher les tiennes !

— Mais je ne cherche pas à le faire… Contrairement à toi, je n’ai pas honte de ressentir ça pour toi…

Je pince les lèvres, légèrement piquée au vif et détourne le regard avant de dire :

— Ce n’est pas de la honte… Simplement de la méfiance.

— Et pourquoi ? Ça semble si naturel entre nous…

— Justement, c’est un peu trop… rapide.

Je glisse une main sur mon visage, une moue navrée sur les lèvres.

— Je comprends, dit-il. Mais tu sais que c’est le cas pour tous les Siel kumppa ?

Je ricane et secoue la tête :

— Tu crois que nous sommes des âmes sœurs ?

— Qui sait ? L’avenir nous le dira.

Un fin sourire s’empare de mes lèvres, le soulagement se faufile lentement dans mon être de le voir prendre la situation avec détachement.

— Pour revenir sur une note plus légère… As-tu déjà vu le lac de Toivoa ?


Texte publié par Tynah, 23 avril 2024 à 18h42
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