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Le sang qui ruisselle de sa tempe l’aveugle alors qu’il s’effondre sur le sol.

Son cœur bat à tout rompre dans ses oreilles, ses doigts effleurant les irrégularités du sol, aplani par le poids des années. Il se sent partir, et seul l’étrange choc thermique entre la chaleur de son sang qui coule, coule, coule en un fin filet le long de ses paupières closes et le froideur de la terre battue le maintient conscient.

Il sent à travers les vibrations de l’air, à travers le silence que seule la stupeur peut créer, la scène qui se déroule dans ce qui était il y a encore quelques heures un espace empli de rires et de l’odeur du fameux ragoût de mouton familial.

Son prénom lui parvient aux oreilles en un cri étranglé: il tente de répondre mais seul un gémissement, inaudible au milieu du vacarme ambiant, lui échappe des lèvres.

Le bruissement de la robe de sa mère et un cliquetis métallique lui met la puce à l’oreille de suite: la serrure du coffre fait de la résistance, et il sent la panique emplir l’air dans ses halètements effrénés alors qu’elle se bat pour trouver de quoi se défendre.

Son corps tressaute lorsque l’homme se met en marche, la lourdeur de ses lourdes bottes faisant trembler le sol avec force et meurtrissant davantage sa boîte crânienne. Il sent la menace au dessus de son corps immobile, le frottement de ce qu’il imagine être des jambières en cuir indiquant que l’intrus est en train de l’enjamber pour atteindre son but. Son esprit hurle du ricanement graveleux qui transcende son cerveau embrouillé. Il tente de forcer sa main à atteindre la petite dague qui repose à sa ceinture mais elle persiste à gésir, misérable, sur le sol, et il sent les larmes de désespoir se mêler à son sang séché.

N’y-a-t-il personne pour les sauver ? Est-il vraiment aussi insignifiant qu’une brindille sur le chemin ?

Il sent la pointe d’une botte s’enfoncer à plusieurs reprises dans son dos, et un grognement satisfait couvrir les gémissements apeurés, devenus une mélodie lancinante qu’il voulait tellement cesser d’entendre.

Sa tête dodeline au rythme des secousses créées par son agresseur, tel un pantin désarticulé.

Une odeur âcre de souffre lui titille soudain les narines: le vent nocturne soulève sûrement la lourde tenture jaune, seule protection de leur foyer maintenant que la porte fracassée gît au sol, tout comme lui.

Avec lui vient aussi les hurlements des femmes et des enfants, le fracas des épées et les cris d’agonie des hommes du village, autrefois guerriers redoutés ayant choisi la houe et le bâton de berger aux clameurs des champs de bataille.

Il se sent s'éteindre, le froid engourdissant son corps déjà sonné par les coups qu’il a reçu. Après tout, tout ce qu’il a connu va disparaître dans le sang et les flammes, alors à quoi bon lutter ? Il abreuvera cette terre autrefois fertile de ces pauvres petits os, son âme d’enfant noyée dans la honte et le désespoir.

Le bruit d’une lame se fracassant contre du métal résonne, suivi de plusieurs bruits de chutes. Les gémissements se transforment en grognements étouffés par l’effort, lacés de vaines supplications.

Au milieu du chaos, il finit par discerner un son qu’il se hait d’avoir oublié : les sanglots de sa petite sœur, cachée sous un tas de couvertures près du foyer. Le premier réflexe qu’ils ont eu en l’absence de l’homme de la famille, parti en expédition il y a de ça déjà trois semaines: cacher la plus fragile.

Il rouvre les yeux, le souffle revenant à la normale. Son esprit reprend des couleurs, et bientôt la seule qui domine est la même que celle qui macule le sol près de l’endroit où il est tombé.

La lutte qui secouait leur hutte il y a encore quelques secondes semble toucher à sa fin, à en croire le cri de victoire et les jurons poussés par l’homme à l’armure. Il n’entend plus qu’une litanie étouffée émanant de sa mère, dont les mouvements de robe se sont faits moins erratiques.

Un sinistre bruit de ceinture qui se défait achève de le tirer de son état de choc.

Il se relève à pas de loup, surveillant sa respiration, ses yeux azur prenant la teinte de la mer un jour de tempête. Sourcils plissés, lèvres relevant en une moue hargneuse, le sang ne coule plus de ses veines.

Juste un feu ardent, animant ses membres et allumant son esprit, incinérant les dernières traces de doutes et de faiblesse.

Il n’est que haine lorsqu’il s’élance, dague au clair, un cri de rage déchirant la nuit alors qu’il saute sur le dos de celui responsable des cicatrices que sa famille portera pour le reste de sa vie. Un rire d’outre-tombe s’arrache de sa gorge alors qu’il plonge son arme dans la gorge de sa cible, trop occupée à se débattre avec son sexe tout en déchirant les vêtements de sa mère pour réaliser ce qu’il se passe.

L’ennemi se redresse, se débat malgré tout et cherche à le débouter.

Sa dague ressort, replonge, alors qu’il rit et hurle sa rage, sourd aux appels de sa mère qui assiste, impuissante, à la transformation de son fils en un monstre déchaîné.

Il ne sent plus sa dague dans sa main. Quand l’a-t-il fait tomber ? Mais qu’à cela ne tienne : il a encore ses mains, ses dents, ses jambes. Son corps entier est une arme destinée à assouvir sa haine.

Les minutes s’égrainent, et bientôt l’ennemi n’est plus qu’un amas de chair informe.

Que fait-il ici déjà ?

Un regard aux alentours : une maison vide, le chaos d’un pillage. Il se retourne et se dirige vers la sortie, humant l’air saturé de colère et de rancœur.

Recroquevillées dans le coin le plus sombre, la mère console sa désormais seule enfant, en pleurant en silence.

Hati vient de lui prendre son fils.


Texte publié par Mimisao, 4 août 2023 à 18h26
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