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Cette nuit-là, le repaire shanghaïen de la Triade 14K fut réduit au silence dans un bain de sang. Aucun survivant. Les auteurs du massacre s’étaient volatilisés avant l’arrivée de la police, incapable de comprendre ce qu’elle découvrait. Pendant ce temps, plusieurs véhicules blindés se dirigeaient en toute discrétion vers le repaire de la Triade Huo.

Dans l’un d’eux, Feng et Shu-Fang émergeaient lentement de leur état de transe meurtrière. Le retour à la réalité aurait pu être brutal. Mais pour eux, non. Ils avaient été formés pour ça : agir, éliminer, repartir. Ne rien ressentir.

À leur arrivée, les blessés furent dirigés vers l’infirmerie, tandis que ceux ayant pris part à l’attaque rejoignaient la pièce Rouge du Hall du feu ardent. Tous s’inclinèrent devant Shi Yue-Yan avant de s’asseoir autour de la table.

— Avez-vous éliminé le Tak khunn ? demanda-t-il.

Feng sortit de sa poche un morceau de tissu contenant un bout de peau tatoué du symbole 14K. Elle le posa devant l’assemblée.

— Nous confirmons sa mort, déclara Shu-Fang.

— A-t-il dit quelque chose avant de mourir ? demanda Shi Shen.

— Non, répondit Feng d’un ton ferme.

Elle croisa le regard de Shu-Fang et lui fit signe de ne rien ajouter. Ce combat-là, c’était le sien.

— Des survivants ? reprit l’Ancien.

— Aucun, confirma Arkadi. J’ai nettoyé les lieux avant l’arrivée des flics.

— Et de notre côté ?

— Cinq soldats morts, plusieurs blessés. Vitali s’en sortira. L’effet de surprise a joué pour nous, expliqua Shi Shen.

— Nous devons rester discrets, avertit Yue-Yan. Ce genre d’attaque attire toujours des représailles.

Feng sentit le regard de Shu-Fang peser sur elle, mais l’ignora. Elle se leva.

— La mafia Phénix remercie la Triade Huo pour son soutien.

Elle s’inclina brièvement et se retira avec les siens.

— Des nouvelles de Vitali ? demanda-t-elle une fois dehors.

— Quelques blessures, rien de grave, répondit Valia.

— Attendez-le et rentrez.

Ils acquiescèrent. Tous, sauf Sacha.

— Tu sais quelque chose, dit-il en croisant son regard brillant.

— Plus tard, coupa-t-elle.

Elle démarra sa voiture et fonça à travers les rues de Shanghai, brûlant les feux, manquant de percuter un conducteur. Son cœur battait plus fort que la vitesse du moteur. Une seule destination : le QG de Dragon.

Elle se gara dans le sous-sol, grimpa les étages, traversa le hall plongé dans l’obscurité et se précipita jusqu’à la chambre de sa fille, un couteau à la main.

— Maman ! sanglota Yeva, assise sur son lit.

Feng la serra aussitôt contre elle, ses yeux fouillant la pièce à la recherche d’un danger.

— Il… il est entré, balbutia Yeva entre deux sanglots.

— C’est fini. Je suis là.

— Il… Il…

— Même quand le danger est réel, la peur reste un choix.

— Même quand le danger est réel, la peur reste un choix, répéta Yeva, les yeux clos, inspirant profondément, comme Shu-Fang lui avait appris.

Le calme revint peu à peu. Les larmes séchèrent. La terreur s’éloigna.

— Un homme est entré. Je… je ne l’ai pas entendu. Il a mis sa main sur ma bouche… Il m’a menacée avec un couteau… Il m’a dit de te donner ça.

Yeva tendit un papier froissé. Feng le prit, la gorge serrée.

« L’heure est venue de faire de la proie un prédateur. »

— Maman ? appela Yeva d’une voix tremblante.

— Tout va bien, ma chérie. Tu es en sécurité maintenant. Dors.

— Merci maman. Je t’aime.

— Moi aussi je t’aime.

Elle l’embrassa sur le front, la borda, éteignit la lumière. Puis, dans sa propre chambre, elle relut le message encore et encore. Elle reconnut l’écriture sans hésitation. Celle de son père. Le parrain de la mafia russe.

Ce n’était pas une menace. C’était une déclaration de guerre.

Ses pupilles se dilatèrent. L’instinct tueur reprit le dessus.

— Je viens te chercher, murmura-t-elle. Par la lame nous vivons, par la lame nous mourons.

D’un geste rapide, elle réserva son billet pour Moscou. Pas d’aller-retour. Elle ne savait pas quand, ou même si, elle reviendrait.

Elle n’avait pas le droit d’abandonner Yeva. Mais elle devait éradiquer le mal à la racine. Elle savait déjà à qui confier sa fille… si jamais elle ne revenait pas.

Elle envoya un message à Shu-Fang : « Viens à la première heure demain. »

Puis, elle se coucha, les muscles tendus, le cœur lourd.

Le matin venu, Feng se leva comme si de rien n’était. Routine. Contrôle. Elle réveilla Yeva, descendit avec elle. Les joueurs étaient déjà rassemblés dans la cuisine. Elle les observa en silence. Quand avait-elle pris le temps de leur parler, vraiment ? Trop de temps perdu. Elle n’en avait plus à leur consacrer.

Après le petit-déjeuner, Yeva repartit jouer. Feng, elle, retourna dans sa chambre.

Elle ouvrit un sac noir, y glissa l’essentiel : argent dissimulé derrière la grille d’aération, grenades, fumigènes, couteau. Elle le fit tourner entre ses doigts, observa sa lame, puis le glissa dans son dos. Sac refermé, manchette réajustée, elle se retourna… et croisa Ming sur le seuil.

Il la fixait, les yeux pleins de colère et d’incompréhension.

— Tu vas où ? demanda-t-il.

— En Russie.

— Avec de l’argent et des armes ?

— Ce que je fais ne te regarde pas.

Il rit nerveusement, s’approcha d’elle, le regard blessé.

— Je te faisais confiance… Je pensais que tu serais un pilier pour l’équipe. Pour moi. Casse-toi de Dragon. Et prends ta gosse avec toi. Vous êtes pareils, toi et Shu-Fang. Des monstres.

Il espérait une réaction. Une excuse. Une explication.

Feng éclata de rire, glaciale.

— Tu auras été un vrai emmerdeur jusqu’au bout. Toujours là à m’observer. Tu as failli me démasquer plus d’une fois, mais tu étais trop aveuglé par ce que tu ressentais.

— Qui es-tu ? demanda-t-il, blême.

— Désolée. Trop dangereux pour toi… et pour moi. J’ai déjà démissionné, de toute façon.

— Pourquoi ?

— Parce qu’on n’a plus rien à se donner.

— Est-ce que… tout était faux ?

— Non. J’ai été sincère. J’ai tout fait pour vous. Mais je ne peux pas renier ce que je suis. Il y a des parts de moi que vous ne connaissez pas… que vous ne devez pas connaître.

— Donc tu savais depuis le début que tu partirais ? Tu nous as utilisés ?

— Attention à ce que tu dis, Ming.

— Sinon quoi ? Tu me tues ?

— C’est une option, sourit-elle.

Il recula, terrifié, puis s’en alla.

Feng soupira et descendit dans le hall. Shu-Fang venait d’arriver. Yeva courut vers lui et sauta dans ses bras. Il la fit tournoyer, le visage illuminé. Feng sourit à son tour. Une image d’amour, de chaleur… et au fond, une autre, bien différente : celle de son père, et de toutes les manières dont elle allait le faire souffrir.

— Nous sommes tous là, annonça Xie Tao.

— Je pars pour la Russie, dit-elle sans détour.

— Pourquoi ? demanda Zhang Heng.

— Une affaire familiale.

— Tu reviendras quand ? s’inquiéta Tsao Wu.

— Je ne sais pas. Mais j’ai trouvé quelqu’un pour me remplacer.

— Mais… tu vas revenir, n’est-ce pas ? demanda Lenny.

Feng sourit. Ne répondit pas. Même si elle survivait, elle ne reviendrait pas. Zhang Heng le savait.

— Feng, intervint Shu-Fang. Laisse-nous t’aider.

— Non. Je dois le faire seule.

— Alors pourquoi m’avoir appelé ?

— Pour Yeva.

Elle le regarda droit dans les yeux.

— Je te la confie. Protège-la. Jusqu’à mon retour.

Un silence. Puis il acquiesça. Elle sentit un poids se détacher de ses épaules.

Elle se tourna vers l’équipe Dragon, les remercia pour tout, leur souhaita le meilleur.

Puis elle prit Yeva dans ses bras une dernière fois.

— Je t’aime, ma chérie. Je reviendrai vite.

— Sois prudente, Xenia, dit Yeva, adoptant l’identité de Ruby.

Un dernier sourire. Et Feng quitta le QG sans se retourner.

Dans un taxi, direction l’aéroport de Shanghai-Pudong.

Destination : Moscou.

Retour : incertain.