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tome 1, Chapitre 29 tome 1, Chapitre 29

La nuit tombait doucement sur la ville. Feng déposa un baiser sur le front de sa fille déjà assoupie, laissa un instant sa main posée sur ses cheveux, puis quitta silencieusement le QG de Dragon. Aucun adieu. Juste l’ombre d’une promesse, glissée dans un souffle.

Elle rejoignit le repère de la Triade Huo. Au sommet des marches du Hall du feu ardent, Shi Shun l’attendait, droite dans sa dignité, mains jointes, silhouette sereine dans la lumière rougeoyante des lanternes. Elles se saluèrent d’un simple hochement de tête, puis s’installèrent ensemble dans la pièce Rouge, sanctuaire du respect et des décisions discrètes.

— Que puis-je faire pour vous, Liu Feng ?

— J’ai un projet dont je souhaite vous parler.

— Je vous écoute.

Shi Shun n’était pas une femme à sous-estimer. Douce, généreuse, elle avait pourtant grandi dans l’ombre d’un empire criminel. Épouse du Tak khunn de la Triade Huo, elle n’avait jamais pris part aux décisions, mais elle en connaissait chaque conséquence. Autrefois, elle tissait la soie. Aujourd’hui, elle tissait des liens dans des associations caritatives, au service des plus vulnérables.

— Je souhaite créer une fondation. Pour venir en aide aux enfants atteints de maladies rares.

— Pourquoi ce choix ?

— Parce que ma propre fille est touchée, répondit Feng sans en dire davantage.

Shi Shun la fixa longuement, comme pour sonder ses intentions au-delà des mots. Elle connaissait les êtres façonnés par la violence, ceux qui n’agissaient jamais sans un but caché.

— Quel est l’intérêt réel ? Que cache cette fondation ?

Feng sourit, un sourire qui n’atteignait pas ses yeux. Un courant glacé remonta l’échine de Shi Shun. Ce sourire, elle l’avait déjà vu. Chez ceux qui tuent sans trembler.

— Ne vous encombrez pas des détails, répondit Feng, toujours ce sourire en coin.

— Vous sollicitez mon aide. J’ai le droit de connaître la vraie nature de ce projet.

Feng garda le silence un instant, puis hocha la tête. Elle savait que Shi Shun n’était pas une traîtresse. Jamais elle n’avait trahi son mari. Jamais elle n’avait rompu ses serments à la Triade Huo.

— La fondation servira à couvrir les flux d’argent issus de nos deux organisations.

Le visage de Shi Shun se ferma, ses épaules se raidirent.

— C’est donc ça, votre véritable intention…

— Vous connaissez ce monde. Vous savez comment il fonctionne. Et malgré cela, j’ai décidé d’aider des enfants malades. Et vous osez paraître écœurée ?

— Vous le faites pour vous. Pour votre propre intérêt.

— Vous pensez que je suis incapable de ressentir quoi que ce soit ? Que je ne suis faite que de sang, de fer et de silence ? Vous n’avez aucune idée de ce que j’ai traversé. Oui, cette fondation couvrira nos affaires. Mais elle servira aussi à donner une chance à des enfants comme ma fille. Elle leur offrira un avenir.

Shi Shun resta silencieuse. Puis un sourire doux fendit son visage ridé. Elle se leva et tendit la main vers Feng. Surprise, cette dernière hésita une seconde avant de se lever à son tour et de la saisir. Une alliance, silencieuse et sincère, venait de naître.

— Pardonnez ma rudesse. Je voulais simplement être certaine de votre motivation, dit-elle d’une voix apaisée. Je vous aiderai. De tout mon cœur.

— Merci.

Elles se quittèrent au seuil du Hall du feu ardent, s’inclinant l’une devant l’autre comme le veut l’ancien rituel. Shi Shun retourna dans la pièce Rouge.

— Feng ! l’interpella Shu-Fang, posté non loin, regardant les hommes de la Triade Huo s’équiper pour l’attaque.

Il s’approcha d’elle sans savoir quelle attitude adopter. Devait-il la saluer ? L’embrasser ? Ils ne firent rien. Pas même un regard prolongé. L’absence de geste était plus simple… mais elle n’était pas vide de sens.

Feng, elle, s’interrogeait. Qui étaient-ils l’un pour l’autre, au juste ?

— Un problème ? demanda-t-il, inquiet.

— Aucun.

— Alors… tu parlais de quoi avec ma grand-mère ?

— D’affaires.

— Quelles affaires ?

Feng haussa les épaules, tourna les talons, le sourire aux lèvres. Shu-Fang se plaça devant elle.

— Dis-moi.

— Non.

— Feng ! lança-t-il, exaspéré.

Elle éclata de rire. Un rire bref, nerveux. Il détestait ce rire. Il l’adorait.

Il la rattrapa. Mais au lieu de lui bloquer la route, il passa ses bras autour de sa taille, l’attira contre lui, son souffle tiède sur sa peau.

— Dis-le-moi, murmura-t-il à son oreille.

— Non, répondit-elle avec un sourire en coin, les yeux dans les siens.

— Pourquoi ce silence ?

Elle se hissa sur la pointe des pieds, s’approcha de son oreille et souffla :

— Parce que c’est un secret.

Puis elle l’embrassa sur la joue et s’éloigna sans se retourner. Il la suivit, incapable de cacher le sourire qui étirait ses lèvres.

Devant le bâtiment, les groupes se formaient. Shi Shen jeta plusieurs sacs au sol devant Feng et Shu-Fang.

— Votre groupe passera par les hauteurs. Vous trouverez tout ce qu’il faut là-dedans : lames, cordes, grappins. Le groupe d’Arkadi attaquera par le sud, le mien par le nord. Nous agissons tous en simultané au signal de Sacha.

— Aucun survivant. Aucun prisonnier, compléta Feng d’un ton sec.

— Que le feu nous guide et accompagne nos lames ! lança Shu-Fang.

Le cri de guerre déchira le silence. Les soldats montèrent dans les véhicules, déterminés. Feng entraîna Shi Shen à l’écart.

— Si vous avez le moindre doute sur Vitali… mettez-le K.O. S’il trahit, tuez-le.

— Je garderai un œil sur lui, dit-il sans détour et rejoignit les troupes.

Les véhicules s’alignèrent dans un silence pesant, leurs phares éteints, comme des bêtes de guerre tapies dans l’ombre. Feng, calée dans un coin du blindé, vérifia la tension de sa lame. Les lumières extérieures faisaient danser un reflet d'acier sur son visage impassible. Shu-Fang, assis en face d’elle, observait ses gestes avec un mélange de fascination et d’appréhension. Autour d’eux, les soldats de la Triade Huo et de la mafia Phénix échangeaient des regards sombres, certains serrant nerveusement la poignée de leur sabre, d’autres murmurant des prières silencieuses.

— Sacha, les caméras, ordonna Feng d'une voix coupante comme une lame.

— J’y suis presque… C’est bon ! Caméras neutralisées. Vous avez la voie libre.

Aussitôt, les moteurs grondèrent, les véhicules se mirent en mouvement, encerclèrent le bâtiment. Les portières s’ouvrirent en claquant comme des battements d’ailes métalliques. Le groupe de Feng et Shu-Fang se faufila dans une ruelle adjacente, puis grimpa à l’immeuble voisin. Chaque pas était précis, mesuré. En haut, le vent leur mordait le visage. Ils se postèrent derrière un muret, observèrent. Pas un soldat en vue sur les toits.

— Les hauteurs sont dégagées, souffla Shu-Fang à l’oreillette.

— Mettez-vous en place, répliqua Shi Shen.

Ils prirent leur élan. Un, deux, trois… saut. Les semelles raclèrent brièvement le bord du toit avant que les corps ne roulent sur la surface bétonnée. À peine relevés, ils se glissèrent contre les murs, silencieux comme des ombres. Ils entourèrent l’accès au dernier étage, attendant le signal.

— Gōng dă ! rugit Shi Shen.

L’assaut fut instantané, brutal.

Les portes explosèrent sous les coups. Une vague d’hommes en armes se déversa dans les couloirs comme une marée de mort. Les cris, les chocs métalliques, les hurlements des premiers blessés s’élevèrent aussitôt. L’intérieur du bâtiment devint un champ de bataille. En bas, on entendait les tirs, les éclats de voix paniqués. Mais au sommet, là où se trouvait Feng, c’était une autre guerre.

Feng et Shu-Fang s’engagèrent dans un couloir plongé dans la pénombre. Chaque pas qu’ils faisaient résonnait à peine, leurs silhouettes glissaient entre les colonnes de béton comme deux prédateurs. Une patrouille tourna au coin. Pas de sommation.

Feng bondit.

Son sabre fendit l’air, trancha net la gorge du premier. Shu-Fang, en synchronisation parfaite, asséna un coup circulaire au deuxième, lui perforant la trachée. Le sang jaillit comme une gerbe noire dans la lumière bleutée des néons vacillants. Un troisième hurla, leva son arme — trop lent. Feng planta sa lame dans sa poitrine, le clouant au mur comme une vulgaire poupée de chiffon.

Leur groupe progressait derrière eux, abattant les retardataires. L’un d’eux poussa un cri de rage, sauta sur Feng avec une hache. Elle pivota, évita de justesse, et, d’un revers de sabre, lui coupa les deux jambes. Il s’écroula dans un hurlement d’agonie, agrippant ses moignons. Elle l’acheva d’un coup sec, tranchant la base du cou d’un revers précis.

Des bruits de bottes se rapprochaient. Feng leva le poing, le groupe s’arrêta.

— En embuscade. Là, souffla-t-elle en désignant les angles du couloir.

Deux soldats surgirent. Trop tard.

Leurs tripes volèrent avant même qu’ils ne réalisent ce qui leur arrivait. Les corps tombèrent comme des sacs de chair. Leurs camarades, horrifiés, reculèrent. L’un tomba à genoux.

— Pitié…

Il pleurait, sa voix brisée résonnant faiblement entre les murs souillés. Feng s’approcha. Elle s’accroupit, pencha la tête, examina son regard.

— Tu vois quoi dans mes yeux ? demanda-t-elle calmement.

— La mort…

Elle lui caressa la joue. Puis, dans un éclat de vitesse, sa lame remonta et lui ouvrit la gorge de part en part. Le sang gicla, chaud, vital, puis il s’effondra sans un mot de plus.

Ils poursuivirent leur ascension, éliminant systématiquement tout obstacle. Aucun cri, aucune hésitation. Ils étaient une machine à tuer. Feng avançait avec une régularité implacable, son sabre frappant toujours au point exact pour tuer net. Shu-Fang n’était pas en reste : ses mouvements, plus explosifs, plus brutaux, broyaient les os, ouvraient des ventres.

Enfin, ils atteignirent l’étage du bureau.

Quatre gardes les attendaient, en position défensive. Un duel s’engagea. L’acier s’entrechoqua, les coups furent portés avec une vitesse effrayante. Feng esquiva un coup d’estoc, fit une feinte, et planta sa lame dans l’aisselle non protégée de son adversaire. Shu-Fang brisa le genou d’un autre d’un coup de pied latéral, puis l’acheva en lui tranchant la carotide.

Le dernier recula, lâcha son arme. Trop tard.

Leur silence fut sa condamnation.

La porte du bureau fut forcée à coups répétés d’extincteur, les gonds cédèrent dans un crissement métallique, et Feng entra, suivie de Shu-Fang.

Le Tak khunn les attendait debout derrière son bureau massif, impassible. Il n’avait rien d’un chef de guerre, seulement le masque usé d’un homme qui savait que tout était fini. Il laissa tomber son arme, écartant les bras dans une posture presque christique. Son sourire était celui d’un condamné soulagé.

— Tak khunn de la Triade 14K, je te condamne à mort pour la lame, déclara Feng, la voix basse, lourde, inébranlable.

Il ferma les yeux un instant, comme pour savourer l’instant.

— Mon rôle est terminé, murmura-t-il. Ma mort est la dernière pièce de l’engrenage. La mission va pouvoir s’accomplir.

Feng avança lentement, le sabre pointé, la lame effleurant sa poitrine.

— Tes dernières paroles, ordonna-t-elle.

Il inspira, les yeux dans les siens, sans haine ni défi.

— Je n’étais qu’un pion sur le plateau. On t’a approchée, on t’a détournée de tes priorités… Et la porte s’est ouverte.

Elle plissa les yeux. Elle écoutait. Toujours écouter les mots d’un homme qui va mourir. C’est là que se cachait la vérité.

— Il se prépare. Il sera bientôt prêt. Il sera bientôt là…

Sa voix tremblait maintenant, marquée d’une peur froide, viscérale.

— Qui ? demanda-t-elle malgré elle, le souffle coupé.

Un silence.

Puis :

— Tu le sais. Tu le connais bien.

Elle appuya légèrement sa lame contre sa gorge, la respiration suspendue.

— Ladislas von Keyserling.

D’un geste vif, net, sans pitié, elle trancha. Un flot de sang jaillit, éclaboussant les papiers sur le bureau. Le corps s’effondra, secoué d’un dernier spasme.

Feng porta la main à son oreillette, le regard fixé sur le cadavre.

— Le Tak khunn de la Triade 14K est mort.

— Vous avez peu de temps. La police approche, annonça la voix de Sacha.

Elle se pencha, déchira le vêtement de l’homme d’un revers de sabre, puis entailla sa chair au niveau du cœur. La lame racla la cage thoracique. Elle arracha un carré de peau où le tatouage de la Triade, boursouflé et noirci, battait comme un ultime symbole.

Elle enveloppa le morceau dans un tissu et le rangea dans la poche intérieure de sa veste, geste méthodique, presque religieux.

Puis elle se redressa, jeta un dernier regard sur le corps, et quitta la pièce. Il restait encore des hommes à tuer. Shu-Fang la suivit sans un mot, aussi silencieuse qu’une lame dans l’ombre.


Texte publié par Aihle S. Baye, 13 juillet 2024 à 15h09
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