Shu-Fang s’assit sur un banc près d’un arbre et profita du calme du jardin de la Triade Huo pour réfléchir. Depuis quelque temps, il avait l’impression que tout le monde autour de lui avançait avec entrain, tandis que lui stagnait, piégé à un feu rouge que personne d’autre ne voyait. Les cris des fans, les projecteurs, la musique… tout cela semblait appartenir à une autre vie, comme un rêve dont il s’était réveillé sans vraiment comprendre comment.
Il n’avait même pas vu la routine s’installer. Mais l’arrivée de Liu Feng avait agi comme un électrochoc, révélant ce qu’il avait cessé de ressentir. Chaque jour, il s’entraînait avec son groupe, 4to1, mais depuis quelque temps, sa motivation s’était évaporée. Il s’en était rendu compte un soir, en pleine répétition. Alors que les autres enchaînaient les chorégraphies avec énergie, lui avait peiné à suivre le rythme. Ses mouvements manquaient de précision, son regard restait vide malgré les encouragements de ses camarades. Il avait essayé de se convaincre que ce n’était qu’un coup de fatigue, mais en rentrant dans sa chambre, il avait regardé un vieux concert du groupe, l’un de leurs premiers. Les cris de la foule, l’adrénaline de la scène, cette joie débordante qu’il lisait sur son propre visage… Tout lui avait semblé lointain, presque étranger.
La manageuse du groupe, Chen Li-Mei, avait accordé des vacances à toute l’équipe. Cela lui avait fait du bien. Il avait pu s’éloigner des projecteurs, des fans, du tumulte quotidien. Loin de la célébrité, il avait découvert qu’il appréciait cette vie plus simple, plus silencieuse. Il avait aimé ses années au sein de 4to1, mais il savait à présent qu’il était temps de se retirer. Avec cette certitude nouvelle, il se leva et quitta le havre de paix qu’offrait le jardin.
Sur le parking, un homme de main l’attendait.
— Conduis-moi à l’agence de 4to1, dit-il simplement.
Pendant le trajet, il rédigea un message à l’attention du groupe et de sa manageuse, leur demandant de le retrouver à l’agence. Lorsque le véhicule blindé s’arrêta, il dit au chauffeur :
— Attends-moi ici.
— À vos ordres.
Il descendit, inspira profondément, puis entra dans l’imposant bâtiment aux innombrables étages. Le groupe l’attendait déjà dans le hall. Ensemble, ils prirent l’ascenseur jusqu’au bureau du PDG.
— Pourquoi nous as-tu fait venir ? demanda Chen Li-Mei en brisant le silence.
Il ne répondit pas. Son cœur battait un peu plus vite. Même s’il avait longuement mûri sa décision, la dire à voix haute lui donnait l’impression de franchir une ligne invisible. Il aurait voulu trouver les mots justes, mais ils lui échappaient encore, quelque part entre la peur de décevoir et le besoin d’exister pour lui-même. Lorsqu’il croisa le regard de ses camarades, il faillit reculer. Pourtant, quelque chose en lui s’accrocha. Il inspira discrètement, rassembla son courage, et tint bon.
Lorsque les portes s’ouvrirent, la réceptionniste les accueillit. Shu-Fang demanda à voir Tian Liang, et elle leur fit signe d’entrer.
— Bonjour, PDG Tian Liang, salua Shu-Fang en s’inclinant, suivi des autres membres.
— Que me vaut cette visite soudaine ? demanda le PDG après s’être incliné à son tour.
— J’ai pris une décision importante, déclara Shu-Fang sous les regards inquiets de ses camarades et de sa manageuse.
— Je t’écoute.
— Je prends ma retraite.
— Qu’as-tu dit ? demanda Chen Li-Mei, pensant avoir mal entendu.
— Tu plaisantes ? s’exclama Sheng Wei, le leader du groupe.
— J’ai mûrement réfléchi. Je ne suis plus aussi motivé et passionné qu’à mes débuts, expliqua-t-il. Je vous suis infiniment reconnaissant pour ces merveilleuses années, mais il est temps pour moi de tourner la page et de penser à l’avenir, conclut-il en s’inclinant.
— Est-ce vraiment ce que tu veux ?
— Oui.
— Très bien. Nous publierons un communiqué de presse pour annoncer ta retraite.
— PDG Tian Liang ! protesta Sheng Wei. Vous ne pouvez pas le laisser partir !
— S’il a pris sa décision, je la respecte. Cela vaut pour vous tous : si l’un d’entre vous souhaite arrêter, je le comprendrai.
— Je ne veux pas arrêter, dit calmement Cai Huan, le plus jeune.
— Moi non plus, ajouta Mao Huo.
— Sheng Wei ?
Le leader regarda Shu-Fang avec tristesse. Ils étaient devenus proches, presque comme des frères, et cette décision lui laissait un goût d’abandon.
— Ce n’est pas parce que je pars qu’on ne se reverra plus, dit Shu-Fang, posant une main sur son épaule, percevant ses pensées.
— Je continue aussi, répondit finalement Sheng Wei, et Tian Liang hocha la tête.
Shu-Fang salua chacun d’eux, les rassura : ce n’étaient pas des adieux, juste un au revoir. Puis il quitta l’immeuble. En réalité, il n’avait pas l’intention de rester en contact avec eux. Il devait les préserver de lui, de son monde.
En passant la porte, il sentit qu’il avait fait le bon choix. Sa place n’était plus ici. Mais il savait aussi qu’il n’avait rien prévu pour la suite. Pas de plan, pas de projet. Juste cette certitude qu’il devait partir. La question s'insinua dans son esprit : et maintenant ? Devait-il se consacrer à la Triade Huo ? Ou devrait-il, comme sa sœur, s’éloigner de la famille et mener une vie plus simple ?
Il traversa la cuisine, puis l’immense salon, pour la dernière fois. Enfin, il entra dans sa chambre. Elle était si peu décorée qu’on aurait pu croire qu’il n’y avait jamais vraiment vécu. Comme s’il avait toujours su qu’il n’était que de passage.
Le soleil déclinait à l’horizon lorsqu’il commença à remplir sa valise du peu d’affaires qu’il possédait. Son téléphone sonna soudain.
— Jia ! s’exclama-t-il avec entrain. Ça fait longtemps ! Comment vas-tu ?
— Salut, grand frère ! Très bien, et toi ?
— Ça va, dit-il, sans grande conviction.
— Même à distance, je sais quand tu mens, fit-elle remarquer. Qu’est-ce qui ne va pas ?
— Je ne veux pas t’embêter avec mes petits soucis. Raconte-moi plutôt la France. J’ai vu le magazine dans lequel tu as posé, tu étais incroyable !
Il souriait. Il était fier d’elle. Jaloux aussi. Elle avait toujours su ce qu’elle voulait et s’était battue pour y arriver.
— Merci, mais ne change pas de sujet ! gronda-t-elle gentiment. Tu sais que tu peux tout me dire, Shu-Fang. Je ne te jugerai jamais.
Elle avait toujours été cette oreille attentive, cette lumière douce dans l’obscurité.
— Je ne sais plus où j’en suis, avoua-t-il. J’ai pris ma retraite d’idol, mais maintenant… je suis perdu.
— Pourquoi avoir arrêté ? Tu aimais ça, non ?
— Je l’aimais, oui. Mais tout a changé. C’était la bonne décision.
— Et maintenant ? Tu comptes t’impliquer dans la Triade ?
— Père l’attend. L’Ancien aussi.
— Et toi ? En-dehors de ce que père attend… qu’est-ce que tu veux vraiment ? demanda Jia doucement.
Elle voulait l’aider. L’aider à se libérer du poids qu’il portait depuis toujours. Ce poids né de son statut d’aîné, d’héritier. Cette peur viscérale de décevoir.
— Je veux être auprès d’elle. La soutenir, l’épauler, la protéger, avoua-t-il.
— Elle ? demanda-t-elle, un sourire dans la voix.
— Liu Feng.
— La fameuse marraine de la mafia Phénix, j’imagine.
— Comment tu la connais ?
— Mère me tient informée. Même si je suis loin, je ne peux pas ignorer totalement le monde dans lequel vous vivez.
Shu-Fang laissa échapper un rire bref, presque nerveux. Il se sentait comme un poids pour sa famille. Inapte à diriger, incapable même de choisir sa propre voie.
— Tu dis vouloir la protéger, mais… en a-t-elle besoin ? Elle est née dans une des organisations les plus puissantes du monde.
— Je le sais. Mais c’est plus fort que moi. Je ressens ce besoin, viscéralement.
— Tu l’aimes ?
— Je…
— Excuse-moi.
— Il est un peu trop tôt pour parler d’amour. Mais… je tiens à elle.
Il marqua une pause, puis reprit :
— Je ne veux pas prendre une décision pour quelqu’un d’autre. Je dois choisir pour moi. Mais je ne sais même pas ce que je veux.
— L’esprit fait plus de chemin que le cœur, mais va moins loin, cita Jia. C’est dans ton cœur que tu trouveras la réponse. Je dois y aller, mais tiens-moi au courant. Je t’aime, grand frère.
— Merci, Jia.
Il se leva, laissant ses affaires là. Puis, sans hésiter, il monta dans la voiture blindée et demanda au chauffeur de le conduire à un entrepôt désaffecté appartenant à la Triade Huo. Chaque soir, des membres s’y retrouvaient pour s’affronter.
Les arts martiaux avaient toujours été un exutoire pour lui. Un espace où il pouvait se libérer, respirer, réfléchir. Mais il les avait mis de côté, par peur d’abîmer ce visage qu’on avait tant valorisé. Ce soir, il espérait retrouver ce qu’il avait perdu : une vérité intérieure. Une direction. Il ne savait pas encore où ce chemin le mènerait. Mais il était prêt à l’emprunter.
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