Dans l’avion pour Shanghai, l’ambiance était morose. Leur séjour à Moscou avait été aussi tendu qu’éclair. Les phases finales du tournoi s’étaient déroulées sous haute surveillance, Feng toujours sur le qui-vive, son regard scrutant les foules à la recherche de visages connus du passé. Mais la Russie ne l’avait pas engloutie. Les joueurs étaient abattus, peinant à digérer leur défaite en quart de finale.
Le changement brutal de version du jeu avait perturbé toutes les équipes, et malgré les longues heures d’entraînement, Dragon n’avait pas réussi à atteindre la finale. L’entraîneur Xie Tao avait tout donné pendant les deux jours précédant leur premier match, mais cela n’avait pas suffi. Il s’était senti impuissant en voyant leur aventure s’achever ainsi, coupable de ne pas avoir pu les mener jusqu’à la victoire.
Feng avait tenté de le rassurer, jouant son rôle de manageuse avec professionnalisme, mais elle sentait bien que le moral de l’équipe était au plus bas. Et elle-même ne savait plus comment les aider.
Elle jeta un œil à Sacha, absorbé dans des lignes de code sur son ordinateur, poursuivant ses efforts pour renforcer la sécurité de leur organisation. Ils avaient traversé des épreuves ensemble, surtout face à la mafia russe. Elle lui était profondément reconnaissante pour sa loyauté et la confiance qu’il lui accordait. Elle espérait ne jamais le trahir, ni lui, ni Vitali, ni Arkadi, ni Valia. Tous avaient souffert des agissements de Ladislas von Keyserling, le parrain de la mafia russe. Une haine silencieuse s'était ancrée en eux, et Feng était déterminée à leur offrir la vengeance qu’ils attendaient.
Elle posa ensuite les yeux sur Shu-Fang, endormi en face d’elle. Depuis l’échange avec Clarence et l’appel à Shi Shen, il n’avait plus cherché à comprendre ce qui se tramait. Il s’était éloigné, silencieux, presque indifférent. Ce détachement soudain la troublait. Peut-être était-ce mieux ainsi.
Alors que les lumières de Shanghai perçaient enfin les hublots, Feng ferma les yeux. Le combat reprenait. L’avion atterrit sur le tarmac de l’aéroport de Shanghai-Pudong. Les joueurs descendirent, la tête basse, honteux de n’avoir su être à la hauteur des attentes de leurs fans. Ils récupérèrent leurs affaires et montèrent dans les voitures garées à l’écart, dans un parking privé réservé à la demande de Feng.
Sacha lui adressa un bref signe de tête avant de grimper dans un véhicule, en direction de l’atelier de la mafia Phénix. Shu-Fang, lui, partit sans un mot, sans un regard, en route vers la Triade Huo. Il devait parler à son père.
Il le trouva devant le Hall du Feu Ardent, en train de superviser l'entraînement des recrues.
— Père, dit-il en s’inclinant. Pouvons-nous parler en privé ?
Shi Shen l’observa, l’évalua du regard, puis l’invita à le suivre jusqu’aux jardins. Le calme des lieux, rarement fréquentés, serait propice à la conversation.
— Il y a un problème ? demanda-t-il.
— C’est à toi de me le dire, rétorqua Shu-Fang, d’un ton qu’il n’avait jamais osé employer avec lui.
Shi Shen était un homme au visage impassible, qui avait élevé ses enfants dans une discipline stricte, prônant le respect des anciens et la survie avant tout. Il avait rapidement compris que sa fille, Shi Jia, n’était pas faite pour ce monde, et il l’avait laissée choisir sa voie. Mais pour Shu-Fang, c’était différent. Il avait toujours vu en lui son successeur naturel à la tête de la Triade. Il l’avait donc laissé devenir idol, à contrecœur, et aujourd’hui, il le regrettait. Ce choix n’avait fait que le troubler davantage. Il craignait désormais le jour où le Tak khunn, Shi Yue-Yan, s’éteindrait. Shu-Fang avait le potentiel pour diriger la Triade, c’était son destin, mais il n’en avait pas encore conscience.
— Que se passe-t-il avec la mafia Phénix ? lança Shu-Fang.
— Que veux-tu savoir exactement ? répondit Shi Shen avec calme.
— Tout. J’en ai assez qu’on me mente et qu’on me cache la vérité !
— Qui te ment, selon toi ?
— Tout le monde.
— Pourquoi crois-tu cela ? répliqua Shi Shen, imperturbable.
Il forçait son fils à réfléchir, à chercher lui-même les réponses. À se confronter à ce qu’il voulait vraiment.
— Justement, je veux le savoir, gronda Shu-Fang.
— Qu’est-ce qui t’a amené à penser tout ça ?
— Le bras droit du parrain de la mafia russe est venu à notre rencontre, déclara-t-il d’un ton tendu.
Il observa son père et comprit aussitôt : ce n’était pas une révélation pour lui.
— Tu le savais déjà. C’est toi qu’elle a appelé, pas vrai ? Et tu savais qu’elle avait une fille ?
— Des hommes assurent sa protection, répondit Shi Shen.
— J’étais donc le seul à l’ignorer, conclut-il. Pourquoi elle t’a appelé ?
— Pourquoi crois-tu qu’elle l’ait fait ?
— Arrête de répondre à mes questions par d’autres questions !
Sa voix, grave et vibrante, s’éleva dans le jardin, faisant fuir les oiseaux perchés.
— Pourquoi, Shu-Fang ? insista Shi Shen, plus fermement.
— Pour te demander de l’aide, lâcha-t-il.
— C’est exact.
— Pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ? Quel est le lien entre elle et la Triade 14K ? Elle sait dans quoi elle s’est embarquée ?
— Elle l’a compris... trop tard.
— Comment ça, "trop tard" ?
— Tu sais comment nous fonctionnons.
Il le savait, oui. Et c’est là qu’il réalisa pleinement le danger qui pesait sur Feng. Le coup de couteau qu’elle avait reçu n’était qu’un avertissement.
Son père hocha lentement la tête.
— Ce n’était pas un simple avertissement, devina Shu-Fang, l’estomac noué.
— Non, confirma Shi Shen.
— Alors quoi ? Je ne mérite pas qu’on me dise la vérité ? On me croit trop faible ?
— Il ne s’agit pas de dignité, Shu-Fang. Nous voulions te protéger.
— Me protéger ? répéta-t-il, abasourdi. Vous pensez que je suis incapable de survivre dans notre monde ?
Shi Shen soupira. Le comportement de son fils confirmait ses craintes : il n’était pas prêt. Il était maître des encens, mais son esprit n’était pas encore forgé. Il avait cru en lui comme futur chef. Aujourd’hui, il doutait.
— Nous te protégeons pour préserver ta carrière. Nous avons tu certaines choses pour que tu puisses poursuivre ton rêve, pour que ton image ne soit pas entachée.
— Ce rêve n’est qu’un masque, répondit-il durement.
— En es-tu si sûr ? Je vais te poser une question, et je veux une réponse honnête : si le moment se présente, accepteras-tu de devenir le chef de la Triade ?
Shu-Fang resta silencieux.
— Une autre question, alors. Si tu avais vraiment le choix… voudrais-tu faire partie de la Triade Huo ?
Il ouvrit la bouche, mais aucun mot ne franchit ses lèvres.
— Le jour où tu connaîtras la réponse à cette question, tu sauras quoi faire, conclut Shi Shen.
Il posa une main sur l’épaule de son fils et la pressa doucement, avant de retourner vers le Hall pour reprendre l’entraînement.
— Et Feng ? lança soudain Shu-Fang. Que suis-je censé faire pour elle ?
— Rien. C’est à moi qu’elle a demandé de l’aide.
— Mais je…
— Tu ne devrais pas trop t’attacher à elle, le coupa Shi Shen. La guerre à venir la changera.
— C’est déjà trop tard, avoua-t-il.
Shi Shen acquiesça. Il savait. Son fils était déjà épris pour la marraine de la mafia Phénix. L’Ancien avait anticipé cette possibilité. Mais il ignorait encore si c’était une bénédiction… ou une erreur tragique.
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